Maladie de Paget

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Introduction :

La maladie de Paget mammaire a été décrite initialement par Sir James Paget en 1874.

Il rapportait plusieurs observations d’affection cutanée chronique du mamelon et de l’aréole qui précédaient un cancer mammaire.

Dans les années suivantes furent publiés plusieurs cas de maladies de Paget extramammaires localisées au scrotum, au pénis, au périnée ou à la vulve.

La maladie de Paget se présente sous divers aspects cliniques en fonction de sa localisation, notamment muqueuse ou cutanée.

Cependant, l’aspect histologique varie très peu quelle que soit la région concernée.

Cela explique les controverses sur la pathogénie de cette maladie qui est peut-être différente selon qu’elle est mammaire ou extramammaire.

Le fait que la maladie de Paget mammaire soit presque toujours associée à un carcinome mammaire sous-jacent et de pronostic défavorable contraste avec le caractère habituellement isolé de la maladie de Paget extramammaire qui est de pronostic plus favorable.

Maladie de Paget mammaire :

A – ÉPIDÉMIOLOGIE :

1- Fréquence et association à un cancer :

Maladie de PagetLa maladie de Paget mammaire est une entité rare puisqu’elle n’existe que dans 1 à 5% des cancers du sein.

En revanche, presque tous les cas de maladie de Paget mammaire sont associés à un cancer du sein, un carcinome développé aux dépens des canaux galactophores.

Ce cancer est in situ dans 10 à 40 % des cas, invasif dans 60 à 90 % des cas.

2- Localisation :

La maladie est en règle unilatérale bien que des cas de maladie de Paget mammaire bilatérale aient été publiés.

Quelques cas ont été décrits sur des glandes mammaires ectopiques ou sur des mamelons surnuméraires.

3- Âge et sexe :

La maladie de Paget mammaire survient le plus souvent chez la femme lors de la cinquième ou sixième décennie, dans deux tiers des cas après la ménopause, rarement avant la quatrième décennie.

L’âge moyen de découverte de la maladie varie de 53 à 59 ans (soit 10 ans de plus que l’âge moyen des cancers du sein), avec des extrêmes de 24 à 84 ans.

La maladie de Paget mammaire affecte l’homme dans 1 à 5% des cas ; elle est alors toujours unilatérale et survient après la quatrième décennie ; un cas a été décrit après traitement d’un adénocarcinome prostatique par des oestrogènes.

B – PHYSIOPATHOLOGIE ET HISTOGENÈSE :

La physiopathologie de la maladie de Paget mammaire est controversée.

Les discussions portent sur l’origine des cellules de Paget.

Deux explications restent d’actualité :

– la théorie « épidermotropique », la plus ancienne, soutient que la maladie de Paget serait liée à la migration de cellules malignes le long des canaux galactophores.

Ces cellules se détacheraient de la tumeur maligne profonde et longeraient les canaux galactophores jusqu’au mamelon.

Après avoir infiltré l’épiderme, elles se multiplieraient.

En faveur de cette hypothèse, on a montré que la majorité des carcinomes mammaires associés à la maladie de Paget étaient situés à la partie la plus distale des canaux galactophores, donc à proximité du mamelon.

Une étude récente a apporté quelques indices qui permettraient d’expliquer la migration de cellules malignes du carcinome mammaire vers le mamelon.

Cette étude a montré que les kératinocytes normaux produisent de l’héréguline-alpha qui est un facteur de mobilité pour les cellules exprimant les récepteurs HER/NEU, HER3 et/ou HER4.

Or, les cellules de Paget expriment de manière importante ces récepteurs et peuvent donc fixer l’héréguline-alpha qui induirait ainsi leur mobilité.

En faveur de l’origine commune des cellules de Paget et des cellules du carcinome mammaire associé, dans une étude parue en 2001, des immunomarquages ont été réalisés à la fois sur des prélèvements de maladie de Paget et sur ceux des carcinomes mammaires sous-jacents chez 14 malades.

Les taux d’expression des marqueurs biologiques étaient similaires pour les cellules de Paget et pour les cellules des cancers mammaires : 93 % pour c-erb-2, 100 % pour Cyclin D1, 86 % pour Ki67, 43 % pour p53, seulement 28,6 % pour les récepteurs aux oestrogènes et à la progestérone.

Enfin, une autre étude a montré que les gènes codant les mucines contenues dans les cellules de Paget sont exprimés avec le même phénotype dans les cellules de Paget, dans le carcinome galactophorique sous-jacent et dans les cellules de Toker qui sont des cellules claires intraépidermiques : les cellules de Paget seraient issues soit de la glande mammaire, soit des cellules de Toker épidermiques ;

– la seconde théorie suppose une transformation maligne de cellules situées dans l’épiderme mamelonnaire.

La maladie de Paget se développerait soit de manière isolée, soit concomitamment au carcinome intraductal mammaire.

Cette dernière possibilité a été évoquée en raison de l’existence de nombreux carcinomes mammaires d’emblée multifocaux lors des mastectomies pour maladie de Paget.

Par ailleurs, cette hypothèse expliquerait l’absence de contiguïté entre la tumeur mammaire et la maladie de Paget, ainsi que les rares cas de maladie de Paget mammaire sans carcinome associé.

C – ASPECTS CLINIQUES :

Les symptômes apparaissent en moyenne 1 mois à 20 ans avant la première consultation.

La maladie peut se manifester par un prurit, des sensations de brûlures ou un suintement, voire un saignement du mamelon qui tache le soutien-gorge et qui peut précéder l’apparition des signes cutanés.

Les signes cliniques varient en fonction de l’évolution. Au début, on peut ne visualiser qu’un suintement du mamelon.

Les lésions apparaissent sous la forme de plaques érythémateuses, plus ou moins infiltrées, à contours irréguliers mais bien limitées, qui mesurent selon les études de 0,3 à 15 cm de diamètre.

Ces lésions se localisent sur le mamelon, puis elles s’étendent sur l’aréole puis en périphérie.

Plus rarement, elles débutent sur l’aréole.

Les lésions sont parfois squameuses, voire en cas de grattage, recouvertes de croûtes.

À un stade plus avancé peut apparaître une ulcération, voire une destruction du mamelon qui s’invagine quelquefois.

Dans près de la moitié des cas, une tumeur mammaire est d’emblée palpable lors du diagnostic, d’autant plus souvent que la femme est plus jeune. Parfois même, il y a des adénopathies axillaires homolatérales, rarement bilatérales ou sus-claviculaires.

D – CLASSIFICATION :

La maladie de Paget mammaire a été classée en quatre stades :

– stade 0 : lésion confinée à l’épiderme, sans carcinome galactophorique mammaire ;

– stade 1 : associée à un carcinome galactophorique in situ, situé juste sous le mamelon ;

– stade 2 : associée à un carcinome galactophorique in situ étendu ;

– stade 3 : associée à un carcinome galactophorique invasif.

Quarante à 50 % des cas sont dépistés au stade 1 ou 2 et il n’y a pas de tumeur palpable.

Au stade 3, une tumeur mammaire est en général palpable et plus de la moitié des malades ont un envahissement ganglionnaire axillaire.

E – EXAMENS COMPLÉMENTAIRES :

1- Examen cytologique du produit de raclage de la lésion :

Cette méthode a été proposée pour obtenir un résultat rapide avec une technique très peu invasive.

Elle consiste à racler la lésion avec une spatule en bois et à effectuer une coloration au Giemsa : la présence de grandes cellules avec un rapport nucléocytoplasmique élevé et de vacuoles intracytoplasmiques permet le diagnostic de maladie de Paget.

Cependant, même avec l’aide de l’immunohistochimie, il y a des faux positifs et des faux négatifs et la biopsie reste nécessaire.

2- Examen histologique :

Quel que soit l’aspect clinique des lésions, on observe une invasion de l’épiderme par de grandes cellules rondes ou ovales, isolées ou groupées en petits nids, parfois en mitose.

Elles mesurent de 6 à 8 µm dans leur plus petit diamètre et de 10 à 20 µm dans leur diamètre le plus grand.

Leur noyau est ovale, hyperchromatique, nucléolé et volumineux avec un rapport nucléocytoplasmique voisin de 0,5.

Leur cytoplasme est abondant et pâle par rapport au cytoplasme des kératinocytes ; il contient des granules PAS (periodic acid schiff) positifs, ce qui indique la présence de mucopolysaccharides.

Ces granules peuvent repousser le noyau à la périphérie : l’aspect des cellules est dit alors en « bague à chaton ».

Il n’y a pas de jonction intercellulaire visible des cellules de Paget entre elles ou avec les kératinocytes voisins, bien qu’en étude ultrastructurale, on mette en évidence des desmosomes.

Les cellules de Paget compriment souvent les kératinocytes des couches basales situés entre elles et le derme papillaire.

Elles peuvent contenir de la mélanine, ce qui fait parfois évoquer un mélanome.

Initialement, on voit quelques cellules de Paget isolées, localisées dans la partie basale de l’épiderme du mamelon ou de l’aréole.

À un stade plus avancé, les cellules de Paget sont plus nombreuses et envahissent toutes les couches de l’épiderme.

Lorsque cliniquement la lésion est ulcérée, l’épiderme a été intégralement remplacé par les cellules de Paget.

L’examen microscopique du derme n’est habituellement pas spécifique : le derme superficiel est oedémateux avec des capillaires dilatés.

On voit en général une réaction inflammatoire modérée comportant des lymphocytes, des histiocytes, des plasmocytes et quelquefois des polynucléaires éosinophiles et neutrophiles.

Les cellules de Paget peuvent envahir le derme, mais elles sont plus souvent présentes le long de l’épithélium des follicules pilosébacés ou des glandes sudorales.

Lorsque la biopsie est large, on peut voir une continuité entre les cellules de Paget présentes dans l’épiderme et un carcinome mammaire sous-jacent.

Ce n’est de loin pas toujours le cas, car il peut y avoir des « sauts » entre les deux lésions.

La lésion est recouverte d’hyperkératose, orthokératosique ou parakératosique.

Il existe des variantes histologiques. Les cellules peuvent évoquer un épithélium cylindrique comme c’est le cas des métastases cutanées d’adénocarcinome.

On peut observer de nombreuses atypies nucléocytoplasmiques qui font suspecter à tort une maladie de Bowen, dans sa forme à cellules claires.

Il y a aussi des formes acantholytiques qui font évoquer une maladie de Hailey-Hailey ou une maladie de Darier.

Le carcinome mammaire sous-jacent présente en général des canaux galactophoriques dilatés par des cellules tumorales à noyau hyperchromatique et à rapport nucléocytoplasmique élevé.

3- Immunohistochimie :

Les cellules de Paget expriment les kératines de bas poids moléculaire.

En pratique, on réalise surtout des colorations de la cytokératine 7 qui est un des meilleurs marqueurs de la maladie de Paget.

La sensibilité de cet immunomarquage avoisine les 100 %.

Les cellules expriment aussi l’ACE (antigène carcinoembryonnaire), l’EMA (antigène des membranes épithéliales) et, avec une fréquence variable, le GCDFP-15 (gross cystic disease fluid antigen), l’antigène du cancer mammaire humain (MRB-1), ainsi que celui du carcinome ovarien (MLV-2).

Elles n’expriment ni la vimentine, ni l’antigène leucocytaire commun, ni l’HMB45.

Elles expriment rarement la protéine S100.

4- Microscopie électronique :

Cet examen n’est pas nécessaire en pratique courante. Néanmoins, il a permis d’apporter des renseignements intéressants sur les cellules de Paget.

Une étude ultrastructurale a montré que le cytoplasme des cellules de Paget était riche en organites.

Le réticulum endoplasmique est bien développé, les mitochondries sont nombreuses.

L’appareil de Golgi est bien visible.

Des vésicules très nombreuses et de grande taille sont disposées dans tout le cytoplasme, ce qui lui confère un aspect clair et criblé, caractéristique.

Ces aspects ultrastructuraux sont superposables à ceux des cellules des adénocarcinomes mammaires : les vésicules seraient assimilables aux vésicules de sécrétion des glandes apocrines.

Les cellules de Paget sont unies entre elles et aux kératinocytes par des condensations desmosomiales rares, ainsi que des microvillosités engrenées, non visibles en microscopie optique, ce qui donne une structure d’ensemble lâche avec de nombreux espaces intercellulaires.

Les cellules de Paget contiennent parfois des mélanosomes.

5- Autres examens :

Une mammographie est indiquée pour dépister des opacités nodulaires irrégulières évoquant des microcalcifications en faveur du diagnostic de cancer mammaire associé.

F – DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL :

Cliniquement, la maladie de Paget mammaire peut être confondue avec un eczéma de contact, une dermite irritative, un psoriasis, un érythème pigmenté fixe, une adénomatose érosive du mamelon ou des cancers comme le mélanome, la maladie de Bowen, les carcinomes basocellulaire ou spinocellulaire.

La biopsie permet de redresser le diagnostic.

En cas de persistance d’un doute avec un mélanome ou une maladie de Bowen à l’examen histologique, les immunomarquages permettent de trancher.

G – TRAITEMENT :

Le traitement est avant tout chirurgical.

Chez les malades qui ne présentent lors du diagnostic ni masse palpable, ni tumeur mammaire envahissante à la mammographie, un traitement conservateur comportant la résection complète du mamelon et de l’aréole ainsi que l’exérèse limitée des tissus sous-jacents avec des marges saines (exérèse en cône), suivie d’une radiothérapie du sein restant, avec une adénectomie diagnostique peut être proposé.

Cependant, une étude récente a montré que la maladie pouvait être extensive en l’absence de tumeur palpable (58 % de lésions extensives pour un tiers de tumeurs palpables sur un groupe de 70 femmes), que la mammographie sous-estimait l’envahissement dans 43 % des cas et que l’exérèse en cône n’aboutissait à l’excision complète de la lésion que dans 75 % des cas.

Lorsqu’une tumeur mammaire est palpable ou qu’on a décelé la présence sous-jacente d’un carcinome mammaire envahissant, le traitement de choix est la mastectomie radicale associée à un curage ganglionnaire.

La radiothérapie seule permet rarement de contrôler le cancer mammaire sous-jacent : ce traitement est proposé en cas de contreindication chirurgicale ou de refus de mastectomie par la patiente.

H – PRONOSTIC :

Le pronostic est lié au stade évolutif de la maladie et semble similaire à celui des autres types de cancers mammaires.

Si une tumeur mammaire est palpable lors du diagnostic de maladie de Paget mammaire, le cancer mammaire est plus souvent invasif, multifocal, et la survie est moins bonne.

En l’absence de tumeur mammaire palpable lors du diagnostic de maladie de Paget mammaire, le taux de rémission à 5 ans est de 73 %.

Si une masse est palpable, il tombe à 23 %.

Par ailleurs, en cas de masse palpable, il y a des métastases ganglionnaires axillaires dans 73 % des cas alors qu’il n’y en a que dans 23 % des cas en l’absence de tumeur palpable.

La présence d’adénopathies satellites est aussi un facteur pronostique important : 78 % de guérison à 5 ans si elles sont absentes, contre 46 % si elles sont palpables.

Le pronostic serait aussi plus défavorable si la maladie survient avant la ménopause : 50 % de rémission contre 76 % si elle apparaît après.

Maladie de Paget extramammaire :

A – ÉPIDÉMIOLOGIE :

1- Association à un cancer :

Contrairement à la maladie de Paget mammaire, la maladie de Paget extramammaire n’est associée à un carcinome annexiel sous-jacent que dans 24 à 33 % des cas, et à un cancer viscéral à distance dans 12 à 15 % des cas ; elle est rarement mortelle.

Les carcinomes annexiels intéressent surtout les glandes sudorales apocrines (adénocarcinomes annexiels) et, très rarement, les glandes de Bartholin, même en cas de localisation vulvaire.

2- Sexe :

La maladie de Paget extramammaire est aussi plus fréquente chez la femme mais de manière moins marquée que pour la maladie de Paget extramammaire.

Le sex-ratio est de 2,4 pour 1. Cela résulte de la prépondérance des atteintes vulvaires.

3- Âge :

La maladie de Paget extramammaire apparaît le plus souvent pendant la cinquième décennie.

Les âges extrêmes sont 34 et 87 ans.

4- Localisation :

La maladie de Paget extramammaire a été décrite dans différentes localisations, dans des zones comprenant des glandes apocrines. Elle est le plus souvent de localisation vulvaire, représentant 1 à 2% des cancers vulvaires.

Viennent ensuite les localisations au scrotum, à la région périanale, aux aisselles et plus rarement aux plis inguinaux, aux fesses, au pubis, aux genoux, au pénis, au sein, au dos, au conduit auditif externe, à l’ombilic, sur un mamelon surnuméraire, sur les paupières ou sur une joue.

Les localisations muqueuses sont anecdotiques : langue, muqueuse orale, oesophage, bronches, urètre prostatique.

Les cas localisés au conduit auditif externe et aux paupières s’expliquent par la présence dans ces régions, respectivement de glandes cérumineuses et de glandes de Moll qui sont des analogues des glandes apocrines ; dans les deux cas décrits, il s’associait à la maladie de Paget un carcinome de ces glandes faisant discuter une maladie de Paget ou un envahissement de l’épiderme par contiguïté (phénomène de Paget ou maladie de Paget secondaire).

Plusieurs cas de maladie de Paget extramammaire multifocale touchant trois régions ont été publiés surtout chez des patients asiatiques ; récemment, un cas incriminant les deux aisselles, le périnée et associé à un adénocarcinome prostatique a été signalé chez un homme caucasien.

Un cas de maladie de Paget extramammaire « ectopique » affectant la partie inférieure et antérieure du thorax chez un homme a été publié : il pourrait s’agir d’une maladie de Paget extramammaire développée sur une glande mammaire ectopique en raison de sa localisation sur la ligne axillaire antérieure.

Les cancers associés les plus fréquents concernent surtout le sein, la vessie et le col utérin en cas de maladie de Paget vulvaire mais aussi le rectum, le côlon, la prostate, les ovaires, l’urètre, le vagin, l’endomètre et le rein.

La découverte de ces cancers peut précéder, succéder à ou être concomitante au diagnostic de maladie de Paget.

Au moins six cas de maladie de Paget extramammaire familiaux ont été publiés : un cas de maladie scrotale chez un père et son fils, plusieurs cas au sein d’une même fratrie.

B – PHYSIOPATHOLOGIE ET HISTOGENÈSE :

Comme pour la maladie de Paget mammaire, deux hypothèses pathogéniques existent.

La théorie selon laquelle la maladie de Paget serait une métastase épidermique d’un carcinome sous-jacent, généralement acceptée pour le sein, est plus difficilement concevable pour la maladie de Paget extramammaire, puisque cette dernière est souvent isolée, même lorsqu’elle est multifocale.

C’est pourquoi une autre théorie se fonde sur le processus embryologique de différenciation ; les cellules de Paget se développeraient à partir des cellules épidermiques indifférenciées de la couche basale du stratum germinatif.

Leur transformation en cellules glandulaires malignes de type apocrine serait due à une différenciation anormale des cellules souches.

La maladie de Paget constituerait donc un adénocarcinome indépendant d’un éventuel deuxième cancer.

Cette hypothèse expliquerait à la fois le caractère souvent multifocal de la lésion cutanée, et l’apparition concomitante de lésions à distance.

C – CLINIQUE :

Les premiers symptômes apparaissent très progressivement et peuvent persister des années.

Il s’agit au début, le plus souvent, d’un prurit, souvent intense, parfois à recrudescence nocturne.

Il y a aussi des sensations de brûlures et des douleurs. L’examen clinique met en évidence une lésion érythémateuse isolée, à bords bien limités, parfois recouverte de zones blanchâtres ou grisâtres.

Des cas de lésions multiples ont été décrits.

La surface est parfois rugueuse et on peut voir des érosions, des croûtelles, des excoriations ou des zones lichénifiées. Plus rarement est visible une macule dépigmentée.

La taille de la lésion est très variable, de 1,5 à 60 cm2.

Lorsqu’une muqueuse est atteinte, la lésion est très rouge avec un aspect luisant, vernissé, oedémateux, suintant, parfois aussi recouverte d’îlots blanchâtres.

Rarement, l’aspect est papillomateux.

Cutanées ou muqueuses, les lésions sont parfois infiltrées, épaissies, ulcérées, ce qui est en faveur d’un envahissement dermique laissant présager des métastases dans les ganglions régionaux.

En cas d’atteinte vulvaire, la lésion se localise au début aux grandes lèvres, de manière unilatérale.

En plus du prurit, des sensations de brûlures et des douleurs, les patientes se plaignent de moiteur et de saignements. La consultation est plus rarement motivée par l’apparition d’une dysurie, d’un oedème ou d’infections à répétition.

À l’examen, la lésion, initialement localisée sur une grande lèvre, s’étend progressivement en tache d’huile à toute la vulve avec un envahissement du clitoris et des petites lèvres, du périnée, de la région périanale, plus rarement du pubis, du vagin, des fesses, de la face interne des cuisses et des plis inguinaux.

Les bords des lésions ne sont pas toujours aussi nets que dans les autres localisations.

Des cas de lésions vulvaires pigmentées ont été décrits chez des Asiatiques.

L’atteinte des organes génitaux masculins revêt un aspect semblable.

Elle touche surtout le scrotum et la verge, plus rarement le gland où l’aspect est alors celui d’une érythroplasie.

Dans la région périanale, les lésions débutent autour de l’anus puis s’étendent au périnée, aux organes génitaux, au pli interfessier et aux fesses avec un aspect papillomateux et parfois l’apparition de fissures suintantes ainsi que de végétations évoquant des pendulum.

En cas d’envahissement lymphatique inguinal et intrapelvien, la maladie peut se manifester par un tableau d’érythème en forme de slip résultant de l’infiltration lymphatique cutanée secondaire à l’obstruction de la circulation lymphatique ; c’est un équivalent d’érysipèle carcinomateux, de pronostic très défavorable.

D – EXAMENS PARACLINIQUES :

1- Examen histologique :

L’aspect histologique est comparable à celui de la maladie de Paget mammaire.

Les modifications épidermiques ou épithéliales sont semblables quelle que soit la localisation de la maladie de Paget extramammaire.

La particularité réside dans le fait que les lésions histologiques sont beaucoup plus étendues que ne l’aurait laissé penser l’aspect clinique.

Comme dans la maladie de Paget mammaire, on voit au début une prolifération de cellules isolées situées dans les couches basales de l’épiderme.

Progressivement, ces cellules envahissent toute la hauteur de l’épiderme.

Elles forment ensuite des nids qui varient en forme et en taille, qui confluent par endroits, et qui sont disposés de manière irrégulière.

L’aspect de cellules en « bague à chaton » serait plus fréquent que dans la maladie de Paget mammaire.

Quelquefois, la nécrose de certaines cellules provoque l’apparition d’une cavité centrale donnant un aspect pseudoglandulaire.

Sur des années, l’extension se fait horizontalement au sein de l’épiderme et verticalement vers les annexes pilosébacées et glandulaires.

Les cellules peuvent aussi envahir le derme, en formant des petits agrégats, avec alors un risque accru de métastases.

Les cellules ont le même aspect que dans la localisation mammaire.

On peut aussi observer dans le derme sous-jacent un adénocarcinome annexiel invasif, mais beaucoup plus rarement qu’en cas de maladie de Paget mammaire.

2- Immunohistochimie :

Les immunomarquages sont comparables à ceux de la maladie de Paget mammaire.

À noter qu’une forte expression du GCDFP-15 diminuerait la probabilité de trouver un adénocarcinome associé. Une étude sur les différentes apomucines présentes dans les cellules de Paget de la maladie extramammaire a montré que leur phénotype était identique à celui des glandes de Bartholin ; cette constatation amène à se demander si les cellules de Paget de la région anogénitale pourraient provenir des cellules des glandes de Bartholin.

L’immunomarquage par la cytokératine 20 peut être utile pour différencier une vraie maladie de Paget extramammaire, où il est négatif, d’un envahissement pagétoïde de l’épiderme par un carcinome de voisinage (baptisé par certains auteurs maladie de Paget secondaire) où il est parfois positif.

3- Bilan d’extension :

La maladie de Paget extramammaire n’est le plus souvent pas associée à un cancer.

Un bilan de dépistage comprenant une mammographie, un frottis cervicovaginal, une cystoscopie, une urographie intraveineuse, une rectocoloscopie, une échographie ou un scanner abdominopelvien doit cependant être proposé en fonction de la localisation.

Même en cas de bilan négatif, il faut continuer à surveiller ces patients.

E – DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL :

Cliniquement, les lésions peuvent évoquer une dermatophytose, une candidose ou un psoriasis inversé.

Moins souvent, on diagnostique un herpès, un eczéma, un lichen scléreux ou même une atrophie postménopausique.

Comme les lésions sont souvent déjà de grande taille lors du diagnostic, on pense plus rarement à un mélanome, à une maladie de Bowen ou à un carcinome basocellulaire superficiel.

Histologiquement, le diagnostic différentiel peut être difficile avec un mélanome pagétoïde, une maladie de Bowen pagétoïde, une maladie de Woringer-Kolopp, une histiocytose X.

Les immunomarquages permettent facilement de redresser le diagnostic.

La papulose à cellules claires constitue un autre diagnostic différentiel : elle se manifeste par de multiples maculopapules blanches situées le long de la ligne de lactation ; ses cellules pourraient être des précurseurs des cellules de Paget.

Par ailleurs, une extension par contiguïté à la peau d’un adénocarcinome cervical, rectal, vaginal, urétral ou vésical ou encore une métastase cutanée d’un cancer colique, mammaire, ovarien ou laryngé peuvent prêter à confusion.

F – TRAITEMENT :

Le traitement de choix est chirurgical.

Il consiste en une exérèse large des lésions avec des marges à 2 cm : cette attitude est justifiée par le fait que les lésions dépassent souvent les limites cliniques visuelles.

L’excision doit aussi passer en profondeur en raison de l’envahissement fréquent des annexes pilosébacées et glandulaires et de la possibilité de carcinome annexiel sous-jacent.

Le recours à une greffe cutanée est souvent nécessaire. Les traitements mutilants (vulvectomie radicale par exemple) ne diminuent pas la fréquence des récidives.

Les maladies de Paget du scrotum et du pénis sont contrôlées par exérèse et greffe cutanée.

Quand les lésions sont inopérables, soit en raison de leur extension, soit pour des motifs généraux, la radiothérapie est le traitement de choix.

Le traitement par laser CO2 n’est pas indiqué en raison de l’atteinte des annexes cutanées et de l’impossibilité de réaliser un examen anatomopathologique.

Mohs a proposé une technique de microchirurgie qui permet d’épargner les tissus sains.

La chimiothérapie locale (5-fluorouracile, bléomycine, podophylline) n’a pas apporté la preuve de sa supériorité et entraîne souvent des douleurs.

Un cas de maladie de Paget vulvaire inopérable a été contrôlé par traitement photodynamique utilisant de l’acide delta-aminolavulinique après chimiothérapie et radiothérapie.

Une étude récente de cinq cas masculins localisés dans les régions axillaire, anogénitale et inguinale montre la bonne tolérance de ce traitement et son efficacité.

Pour préciser les limites des lésions, plusieurs méthodes ont été proposées : application de 5-fluorouracile, biopsies radiaires en préopératoire, examen en lumière de Wood après injection de fluorescéine.

Ces différentes techniques n’ont pas permis de diminuer le nombre de récidives qui sont surtout dues au caractère multifocal des lésions.

Si la biopsie initiale a montré une forme envahissant le derme, l’exérèse est élargie avec, en cas d’atteinte vulvaire, une éventuelle vulvectomie.

Un curage ganglionnaire est indiqué, voire une radiothérapie.

De même, si la maladie est associée à un cancer, on a recours à la chirurgie, voire à la chimiothérapie combinant différentes drogues : 5-fluorouracile, cisplatyl, vincristine, mitomycine C, épirubicine et, plus récemment, docétaxel.

Enfin, en cas de maladie de Paget au stade métastatique non associée à un autre cancer, on propose des chimiothérapies associant 5-fluorouracile et mitomycine C et, éventuellement, une radiothérapie.

H – PRONOSTIC :

Le problème le plus important est celui des récidives locales dont la fréquence est la même quel que soit le traitement initial.

Elles surviennent parfois sur les greffes cutanées qui ont servi à recouvrir la perte de substance. Les taux de récidive varient selon les publications de 12 à 61 %.

Plusieurs études ont montré que des malades développaient de nombreuses récidives locales aboutissant rarement à un envahissement dermique ou des métastases.

Le pronostic est donc souvent bénin.

Une surveillance locale s’impose toutefois à long terme avec excisions répétées des éventuelles récidives.

La radiothérapie doit être discutée en cas de récidive.

Le pronostic est plus défavorable s’il y a d’emblée un envahissement dermique avec plus de risques de voir survenir des métastases.

Mais le pronostic est avant tout déterminé par la présence ou non d’un cancer associé.

Ce cancer peut ne se manifester que plus tard.

La maladie de Paget extramammaire impose donc une surveillance régulière des signes évocateurs de cancer mammaire ou du tractus urogénital et gastro-intestinal.

Conclusion :

La maladie de Paget reste une double entité aux nombreux points communs : aspects cliniques, histologiques mais surtout cytologiques semblables, âge et sexe des patients comparables.

Cette maladie n’est pourtant pas univoque puisque selon sa localisation, mammaire ou extramammaire, la probabilité de trouver une néoplasie associée et par conséquent le pronostic varient beaucoup.

L’énigme de cette dualité sera probablement résolue lorsque la physiopathologie de cette (ou de ces) maladie(s) sera complètement éclaircie.

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