Maladie de Kaposi

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Introduction :

La maladie de Kaposi (MK), décrite à la fin du XIXe siècle par un dermatologue viennois, a rapidement intéressé internistes, infectiologues, immunologistes et cancérologues par ses aspects cliniques extrêmement variés et l’association à certains déficits immunitaires.

Sa physiopathologie, intriquée à celle d’un nouvel herpèsvirus (human herpesvirus 8 [HHV8 ou KSHV]) découvert en 1994, passionne de nombreux chercheurs.

Cette maladie, autrefois rare, s’est répandue dans les années 1980, en même temps que l’épidémie du syndrome de l’immunodéficience aquise (sida).

Aspects clinicoépidémiologiques :

A – FORMES CLINIQUES :

Quatre formes clinicoépidémiologiques peuvent être individualisées.

1- MK « classique » :

Maladie de KaposiLes lésions élémentaires sont des macules, des plaques érythémateuses et violines s’infiltrant progressivement.

Ces lésions ne disparaissent pas à la vitropression et prennent volontiers un aspect ecchymotique, hémorragique ou pigmenté.

Peuvent s’y associer ou s’observer de façon isolée, des nodules angiomateux de consistance dure, ou plus rarement des nodules lymphangiectasiques de consistance mollasse.

Un lymphoedème peut accompagner les lésions, voire être au premier plan.

Un phénomène de Köebner a été rapporté.

Les lésions sont volontiers bilatérales, prédominant au niveau des extrémités, notamment aux membres inférieurs.

L’atteinte muqueuse est rare, et se rencontre plus particulièrement au niveau de la muqueuse buccale ou du tractus gastro-intestinal.

Une atteinte isolée du pénis a été rapportée dans quelques observations.

Les atteintes viscérales symptomatiques sont peu fréquentes (environ 10 % des cas), bien que les quelques analyses autopsiques publiées témoignent du caractère multicentrique de l’affection.

Ces découvertes autopsiques concernent surtout les ganglions, le tube digestif, l’os (atteinte par contiguïté ou à distance), plus rarement le poumon, la rate, le tractus urogénital, les glandes endocrines.

L’atteinte du système nerveux central est exceptionnelle.

La MK classique touche généralement des sujets de plus de 50 ans.

L’origine géographique n’a pas d’incidence sur l’âge de survenue de la MK classique.

L’incidence de la maladie est plus élevée dans les pays du bassin méditerranéen.

Ainsi, elle était estimée à 0,14 cas par million d’habitants et par an en Grande-Bretagne chez les hommes et chez les femmes entre 1971 et 1980, et à 24,3 et 7,7 cas par million d’habitants et par an respectivement chez les hommes et chez les femmes de Sardaigne entre 1977 et 1991.

L’incidence de la MK semble avoir augmenté en Europe bien avant l’épidémie du sida, et ce sous toutes latitudes.

Il semble que les mouvements migratoires ne puissent pas, seuls, expliquer le phénomène.

La MK affecte plus souvent l’homme, cependant le sex-ratio varie selon les pays : voisin de 1 en Grande-Bretagne, compris entre 2 et 5 en Italie et en Sardaigne.

L’incidence augmenterait de façon exponentielle avec l’âge chez l’homme, et de façon linéaire chez la femme.

En Israël, l’âge médian de survenue de la maladie est de 67 ans, et il n’y a pas de variation significative de l’âge entre les différents groupes d’immigrants.

Une association avec le phénotype HLA DR5 a été rapportée, quoique controversée par deux études récentes.

2- MK endémique :

La MK endémique en Afrique centrale et en Afrique de l’Est représentait avant 1972 (c’est-à-dire avant l’épidémie du virus de l’immunodéficience humaine [VIH]) environ 12 % des « cancers » en Ouganda.

La distribution varie selon l’âge.

On observe un petit pic à 2-3 ans avec un sex-ratio = 1 ; ces formes de l’enfant, dites lymphadénopathiques car l’atteinte cutanée est tardive, sont fatales en 1 à 3 ans. L’atteinte oculaire et périorbitaire est très évocatrice.

On observe ensuite une augmentation progressive de l’incidence de la MK de 10 à 60 ans, la majorité des cas étant diagnostiquée entre 30 et 40 ans, avec un sex-ratio de 10 hommes pour une femme.

D’aspect parfois comparable à la MK classique (forme nodulaire), la MK endémique réalise plus souvent des lésions tumorales infiltrantes agressives localement ou disséminées, avec atteintes cutanéomuqueuses et viscérales de très mauvais pronostic.

Dans ces deux formes de MK, le bilan, non codifié, est essentiellement guidé par la clinique, et comporte au minimum des examens biologiques simples (numération formule sanguine, fibrinémie, électrophorèse des protéines sanguines, lactodéshydrogénase [LDH], bilan hépatique), une sérologie VIH, une radiographie pulmonaire et une échographie abdominopelvienne.

3- MK épidémique :

La MK associée au sida, ou MK épidémique, survient préférentiellement chez des hommes jeunes (sex-ratio : 8/1), et dans 95 % des cas, chez des homosexuels.

Durant la décennie 1980 aux États-Unis, le risque de développer une MK chez les patients ayant le sida était 20 000 fois plus important que dans la population générale, et 300 fois plus important que dans les autres populations immunodéprimées.

Ainsi, 15 % des malades du sida avaient une MK.

À la même période, dans une étude européenne, 29 % des patients atteints de sida avaient une MK au moment du diagnostic de sida, ou développaient une MK durant la période de suivi.

L’incidence (25/100 000 habitants/an chez une population d’hommes mariés et 540/100 000 habitants/an chez une population d’homosexuels) a considérablement diminué depuis l’apparition des trithérapies antirétrovirales.

Une étude américaine a également montré que le risque de développer une MK diminuait de 66 % durant les 15 mois suivant le début de la trithérapie, par rapport à la période précédant la trithérapie.

Dans une étude anglaise effectuée entre 1990 et 1998, la MK représentait 16 % des maladies opportunistes rencontrées.

En comparant les périodes 1990-1995 (pré-HAART [highly active antiretroviral therapy]) et 1996-1998 (post- HAART), on observait une diminution de 34 % de l’incidence de la MK, de 35 % des pneumonies à Pneumocystis carinii, et de 60% des cryptosporidioses.

Une méta-analyse conclut à l’absence d’association avec le phénotype HLA DR3 et à une possible association avec les phénotypes HLA B35 et Cw4.

Le moment de la contamination par HHV8 pourrait avoir une incidence sur la survenue de la MK.

En effet, une étude américaine et une étude hollandaise ont montré que les patients contaminés par HHV8 après leur infection par le VIH (et donc probablement déjà immunodéprimés) avaient un risque deux fois plus important de développer une MK, que les patients dont la contamination par HHV8 était antérieure à la contamination par le VIH ; le nombre de lymphocytes T CD4+ était un facteur de risque indépendant prédictif de la MK.

La MK du sida est plus agressive que la MK classique, avec une atteinte cutanée plus ubiquitaire, des atteintes muqueuse et viscérale plus fréquentes.

Une atteinte digestive serait retrouvée chez 35 à 50 % des patients en cas de recherche systématique.

L’atteinte pulmonaire est l’élément le plus péjoratif.

Avant l’introduction des trithérapies antirétrovirales, la survie était corrélée avec le taux de lymphocytes CD4 circulants et le rapport CD4/CD8, la présence de signes généraux et d’infections opportunistes.

Le bilan d’extension reste guidé par les points d’appel clinique, et comporte au minimum une radiographie pulmonaire.

La classification TIS (tumor, immune system, systemic illness) est la plus utilisée.

Cette classification prend en compte l’étendue de la tumeur, l’état du système immunitaire (nombre absolu de cellules CD4), et la présence d’autres maladies systémiques associées au sida.

4- MK après immunosuppression iatrogène :

Les complications après greffe d’organe sont fréquentes et variées, principalement liées à l’immunosuppression induite, devant être maintenue à vie pour éviter le rejet du greffon.

Le risque de cancer est fortement augmenté chez les greffés, plus particulièrement les cancers viro-induits tels que les lymphoproliférations du virus Epstein-Barr (EBV), les cancers associés aux papillomavirus humains.

La MK représente 11,2 % des néoplasies, et apparaît plus vite que la plupart des autres cancers, le délai moyen entre la transplantation et l’apparition de la MK étant de 20 mois.

L’extension et la gravité de la MK chez le transplanté d’organe sont souvent en rapport avec l’intensité de l’immunosuppression.

L’incidence de la MK après transplantation d’organe serait multipliée par 400 à 500 par rapport à une population-contrôle de même origine ethnique au Canada.

On peut noter une tendance à des prévalences plus élevées dans des pays du pourtour du bassin méditerranéen, et la prédominance dans certaines séries de patients originaires d’Afrique ou du pourtour du bassin méditerranéen.

Le pourcentage de décès varie selon les séries de 0 à 23% dans les formes dermatologiques, et de 9 à 78% dans les formes viscérales.

Peu de séries comparent, dans un même centre, le risque de survenue d’une MK en fonction de l’organe transplanté.

Alors que la survenue d’une MK après greffe de moelle osseuse est, pour des raisons inconnues, tout à fait exceptionnelle, elle peut compliquer toute transplantation d’organe.

Farge et al ont estimé la prévalence de la MK à 0,45 % de 6 229 transplantés rénaux, 0,41 % de 967 transplantés cardiaques, et 1,24 % de 727 transplantés hépatiques dans une étude menée en Île-de-France.

La variabilité géographique et selon l’organe transplanté entraîne des augmentations hétérogènes du risque de développer une MK après transplantation d’organe. Un patient d’origine méditerranéenne (Italie, Grèce) a un risque 25 fois supérieur de développer une MK suite à une transplantation de foie ou de coeur, par rapport à un patient non méditerranéen greffé, et un risque 600 fois supérieur par rapport à un patient de la même origine non greffé.

Certains patients perdent leur greffon rénal suite à un arrêt ou une diminution de l’immunosuppression, indispensable pour guérir leur MK post-transplantation.

Si ces patients sont retransplantés, ils ont un risque non négligeable, mais non quantifiable, de développer à nouveau une MK, et donc de perdre le deuxième greffon et de retourner en dialyse.

Cependant, une étude récente rapporte le cas d’un patient transplanté rénal pour la seconde fois et sans récidive de la MK après 3 ans de suivi, alors qu’il avait perdu son premier greffon des suites d’une MK. Le rôle précis des protocoles immunosuppresseurs est difficile à définir.

Il semble que des MK aient été rapportées avec la plupart des agents immunosuppresseurs utilisés actuellement, y compris le tacrolimus et le mycophénolate mofétil.

Certaines études mentionnent une prévalence plus élevée de la MK chez des patients recevant de la ciclosporine, par rapport aux protocoles basés seulement sur l’azathioprine.

Mais l’hétérogénéité des groupes comparés, notamment ethnique, permet difficilement de trancher.

Il semble cependant que l’utilisation de la ciclosporine soit responsable d’une survenue plus précoce de la MK (13 ± 12 mois versus 25 ± 28 mois).

Bien que des extrêmes allant de quelques semaines à 18 ans aient été rapportés, 46 % des MK surviennent dans l’année suivant la transplantation.

Il n’y a pas de forme clinique de MK particulière au transplanté d’organe.

Environ 90 % des patients ont des lésions cutanées ou cutanéomuqueuses, et 40 % ont des lésions viscérales (environ 10 % n’ont pas de lésions cutanées).

Le pronostic de la MK chez le transplanté dépendant pour certaines séries de la présence d’une atteinte viscérale, un bilan exhaustif à la recherche de celle-ci, d’une prolifération associée, notamment lymphome non hodgkinien (6 % dans certaines séries), d’une autre infection opportuniste, est préconisé.

Ce bilan comporte essentiellement un scanner thoracique et abdominal, une fibroscopie digestive haute et, pour certaines équipes, colique et bronchique, un examen oto-rhino-laryngologique (ORL) et stomatologique.

La fibroscopie bronchique avec lavage n’est habituellement réalisée qu’en cas de doute sur une éventuelle pathologie pulmonaire.

Au terme de ce bilan, le patient peut être classé selon la classification de Al-Khalder qui prend en compte l’étendue des lésions cutanées, l’existence de lésions viscérales et la présence d’une infection concomitante, mais l’évolutivité de la MK n’est pas prise en compte.

Or, le pronostic de la MK chez les patients transplantés d’organe semble plus dépendre de l’évolutivité de la MK, de l’existence d’un rejet chronique, de la possibilité ou non de baisser l’immunosuppression, que de l’extension de la MK.

Dans la série de Cincinnatti, les patients avec atteinte viscérale décelable avaient un taux plus élevé de mortalité (57 %) que les patients sans atteinte viscérale (23 %). MK ET

B – AUTRES NÉOPLASIES :

La MK chez les patients infectés par le VIH multiplie par 5 le risque de développer un lymphome, et en particulier un lymphome primitif cérébral.

La MK classique serait également associée à un risque plus élevé de développer un lymphome non hodgkinien par rapport à la population générale.

Par ailleurs, il existe une association privilégiée avec d’autres maladies associées à HHV8, telles que le lymphome primitif des séreuses, la maladie de Castleman multicentrique, et le syndrome POEMS (polyneuropathie, organomégalie, endocrinopathie, protéine monoclonale, anomalies cutanées).

Histologie et caractéristiques immunohistochimiques :

Quel que soit le stade de la maladie, la cellule fusiforme représente la cellule kaposienne.

Les caractéristiques histologiques semblent identiques, qu’il s’agisse de la MK classique ou de la MK associée au VIH.

Au stade débutant, ou maculeux, on distingue de petits foyers de cellules fusiformes, des néovaisseaux, mais surtout un infiltrat inflammatoire avec prédominance de lymphocytes CD8+ et de macrophages producteurs d’interféron gamma, et présence de plasmocytes périvasculaires.

Cet infiltrat diminue au cours de l’évolution de la MK classique ; il serait significativement moindre au cours de la MK survenant chez des patients immunodéprimés.

Dans la forme avancée, ou stade nodulaire, ou forme sarcomateuse de la MK, on observe une prolifération de cellules fusiformes formant des faisceaux entremêlés, autour desquels on peut observer des fentes vasculaires.

Les cellules fusiformes ont une activité mitotique variable, et présentent parfois quelques atypies cytologiques modérées.

Un infiltrat inflammatoire mononucléé, souvent riche en plasmocytes, est présent.

L’origine de la cellule kaposienne a longtemps été débattue entre myofibroblastes, péricytes ou cellules musculaires lisses, cellules dendritiques, cellules endothéliales.

L’hypothèse de l’origine endothéliale est étayée par l’expression en histochimie ou immunohistochimie des antigènes ou lectines suivants : Ulex Europeus I Agglutinine (dont l’expression est inconstante), EN-4, BMA 120, CD34, thrombomoduline, ELAM1, collagène IV, laminine ; l’expression du facteur VIII R Ag ou facteur Willebrand est inconstamment retrouvée.

Tout récemment, la démonstration de l’expression du récepteur au VEGF de type 3 (VEGFR3 ou FLT4), du récepteur au vascular endothelial growth factor (VEGF) de type 2 (VEGFR2 ou KDR), et de la podoplanine par les cellules fusiformes kaposiennes a été un élément important en faveur de leur origine endothéliale lymphatique.

Le VEGFR3 et le VEGFR2 sont des récepteurs à activité tyrosine kinase exprimés de façon prédominante par les cellules endothéliales, le VEGFR3 étant détecté presque exclusivement dans les vaisseaux lymphatiques chez l’adulte.

Ce sont tous les deux des récepteurs du facteur de croissance vasculaire de type C ou VEGF-C, et ce dernier a été mis en évidence dans les cellules endothéliales des vaisseaux bordant les lésions kaposiennes de patients présentant une MK associée au VIH.

La podoplanine est une glycoprotéine de membrane des podocytes également exprimée par les cellules endothéliales lymphatiques.

Une colocalisation CD34/KSHV, VEGFR3/KSHV, et VEGFR3/CD31 a été observée par immunohistochimie et immunofluorescence.

Cependant, si les cellules fusiformes expriment des marqueurs caractéristiques des cellules endothéliales lymphatiques, l’antigène CD31 est quant à lui un marqueur de cellules endothéliales vasculaires.

Ainsi, les cellules fusiformes ne dériveraient peut-être pas de cellules endothéliales lymphatiques matures, mais plutôt d’un précurseur commun aux cellules endothéliales lymphatiques et vasculaires.

Bilan immunologique :

La MK est actuellement considérée comme une « néoplasie opportuniste » plutôt que comme un véritable cancer.

L’exérèse précoce d’une lésion n’empêche pas l’apparition d’autres localisations.

Le pronostic est corrélé à l’état immunitaire du patient, et non au nombre de lésions.

Outre les modifications du taux de lymphocytes CD4 et du rapport CD4/CD8, d’autres anomalies immunologiques ont été rapportées au cours de la MK épidémique : diminution de la prolifération lymphocytaire en présence de mitogènes et alloantigènes, augmentation du taux d’immunoglobulines (Ig)A sériques, des cellules CD38 circulantes ; diminution de l’activité natural killer (NK) circulante.

Ces anomalies ne sont pas spécifiques des patients atteints de MK, mais sont également retrouvées dans le cadre de l’infection VIH.

Un profil d’activation Th1 (synthèse d’interféron gamma) a été montré pour les cellules mononucléées circulantes en culture provenant de patients souffrant de MK épidémique, mais aussi de MK classique.

Au cours de la MK classique, ni le taux des lymphocytes CD4+, ni le rapport CD4/CD8 ne sont en règle modifiés, mais une diminution de l’activité NK, non corrélée avec la gravité de la maladie, a été signalée.

Ces données méritent confirmation. Une étude portant sur 41 cas de MK africaine montre une augmentation du nombre de lymphocytes CD8+ circulants, sans modification significative du rapport CD4/CD8.

Cytogénétique. Oncogènes. Gènes répresseurs de tumeurs ou impliqués dans l’apoptose. Facteurs de croissance :

A – CARYOTYPE, PLOÏDIE :

L’analyse caryotypique des lésions kaposiennes est en règle normale, bien qu’une étude récente suggère l’existence plus fréquente d’aneuploïdie dans les MK induites par les immunosuppresseurs.

B – ONCOGÈNES, GÈNES SUPPRESSEURS DE TUMEUR :

La recherche de modifications de différents oncogènes ou antioncogènes est, jusqu’à présent, restée en règle négative sur des tumeurs kaposiennes, ainsi que sur les modèles cellulaires établis à partir de ces tumeurs, à l’exception des études suivantes portant, en règle, sur des séries limitées :

– Delli Bovi et al ont isolé, après transfection d’acide désoxyribonucléique (ADN) de MK à des cellules 3T3, un nouvel oncogène appartenant à la famille des fibroblast growth factors (FGF), sans pouvoir exclure un artefact lié à la manipulation in vitro de l’ADN ;

– Huang et al ont montré l’expression de l’oncogène int-2 dans 55 % des lésions de patients atteints de MK épidémique, avec une mutation ponctuelle sur huit des neuf cas étudiés.

L’expression de int-2 dans la MK pourrait stimuler l’angiogenèse locale et la prolifération cellulaire. Plus récemment, une étude a montré par comparative genomic hybridization (CGH) un gain en nombre de copies de la séquence ADN 11q13, mettant en évidence l’expression de deux oncogènes, fgf4 (neuf cas sur neuf), et int-2 (trois cas sur neuf) dans les biopsies de MK associée ou non au VIH.

Ces oncogènes faisant partie de la famille des FGF sont habituellement exprimés suite à l’intégration d’oncovirus ;

– une mutation du gène K-ras a été montrée dans 22,5 % de 31 MK, associées ou non au VIH, et une amplification de ce gène dans 10 % des cas étudiés ;

– une mutation hétérozygote du gène codant pour p53 n’a été montrée que par une seule équipe. Une surexpression de p53 en immunohistochimie pouvant traduire une mutation ou une inactivation fonctionnelle, est très inconstante, et n’a été observée que sur de petites séries chez des patients transplantés d’organe ou en cas de forme évoluée de la maladie ;

– des quantités importantes de protéine c-myc ont été détectées in vivo dans le noyau de cellules fusiformes kaposiennes, et son expression serait induite par le PDGF-B, un mitogène exprimé dans les lésions kaposiennes.

L’inhibition de l’expression de c-myc serait suffisante pour inhiber la prolifération et la migration des cellules fusiformes kaposiennes in vitro ;

– récemment, dans un modèle in vitro de cellules endothéliales microvasculaires du derme (DMVEC) infectées par KSHV, l’induction du proto-oncogène c-kit, récepteur avec activité tyrosine kinase, a été montrée après criblage par « cDNA arrays » et confirmée par polymérisation en chaîne après transcription inverse (RT-PCR).

Cette surexpression de c-kit induisait une transformation phénotypique des cellules (morphologie fusiforme) et une perte de l’inhibition de contact (exprimée in vivo dans moins de 25 % des tumeurs kaposiennes) en réponse au ligand de la protéine c-kit, le stem cell factor (SCF).

Le rôle de c-kit dans la tumorigenèse de la MK reste à évaluer.

C – MOLÉCULES IMPLIQUÉES DANS LA RÉGULATION DE L’APOPTOSE :

Les cellules fusiformes expriment l’antigène CD40, glycoprotéine transmembranaire appartenant à la superfamille du récepteur au tumor necrosis factor (TNF) et du récepteur au nerve growth factor (NGF).

Contrairement à d’autres membres de cette superfamille, comme Fas et TNFR, la signalisation via CD40 est susceptible de prévenir l’apoptose, probablement via l’expression du protooncogène bcl2.

La protéine antiapoptotique Bcl-2 jouerait un rôle majeur dans la prolifération des cellules kaposiennes.

Son expression dans les cellules endothéliales lésionnelles augmente avec le stade histologique des lésions quelle que soit la forme de MK ; elle représenterait ainsi un facteur de progression pour la MK, puisque son expression inhibe l’apoptose des cellules kaposiennes.

D – RÔLES DES FACTEURS DE CROISSANCE :

Les cellules kaposiennes et/ou les lymphocytes et monocytes infiltrant le tissu synthétisent des facteurs de croissance angiogéniques tels que le FGF b (basic fibroblast growth factor) et le VEGF, des cytokines pro-inflammatoires telles que les interleukines (IL) 1 et 6, le TNF-alpha et l’interféron-gamma potentiellement impliqués dans la prolifération tumorale de façon autocrine ou paracrine.

E – ÉTUDES DE LA CLONALITÉ :

L’analyse de la clonalité liée à l’inactivation du chromosome X est basée sur un mosaïcisme cellulaire présent chez toutes les femmes.

Le polymorphisme du microsatellite (CAG)n situé dans le gène du récepteur aux androgènes (AR) est souvent utilisé.

Nous avons pu étudier six cas féminins de MK, quatre souffrant d’une MK classique, deux de MK épidémique.

Dans cinq cas sur six un profil polyclonal a été obtenu.

Chez la dernière patiente, l’analyse de trois échantillons, comparativement à la peau saine, a conclu tantôt à la polyclonalité tantôt à l’oligoclonalité.

Nos résultats diffèrent de ceux de Rabkin et al qui concluent à la monoclonalité de la MK, alors que Gill et al retrouvent tantôt un profil monoclonal d’inactivation du gène AR tantôt un aspect polyclonal.

Il est possible que les lésions avec un profil d’inactivation polyclonal correspondent à des faux négatifs (technique peu sensible) ou bien à des stades précoces de la MK.

L’analyse de la clonalité virale (étude des régions terminales répétées du génome HHV8) devrait dans un avenir très proche permettre de trancher.

Maladie de Kaposi : une cause infectieuse depuis longtemps soupçonnée

Les arguments les plus convaincants en faveur de l’origine infectieuse de la MK sont d’ordre épidémiologique : fréquence accrue chez les patients immunodéprimés ; diminution de l’incidence de la MK chez les homosexuels VIH de 1983 à 1989, liée aux mesures de prévention des maladies sexuellement transmissibles ; incidence de la MK plus élevée dans les pays en voie de développement ; risque plus élevé chez les patients transfusés que chez les patients hémophiles ; risque de MK associé aux rapports oroanaux ; risque de MK parmi les femmes infectées par le virus VIH quatre fois plus élevé chez celles ayant des rapports sexuels avec des sujets bisexuels qu’en cas de partenaire hétérosexuel ; survenue possible de MK chez des patients homosexuels non infectés par le VIH.

Les données microbiologiques incriminant le VIH, le human T-cell lymphoma virus (HTLV)1, le cytomégalovirus, le virus herpès humain de type 6 (HHV6) et certains papillomavirus sont restées jusqu’en décembre 1994 peu concluantes.

En 1994, Chang et al ont mis en évidence par amplification différentielle à partir d’ADN extrait de tissu kaposien ou sain provenant de mêmes patients, deux séquences nucléotidiques, KS 300 et KS 631.

Le clonage et le séquençage de ces séquences a conclu à de fortes homologies (50 %) avec l’ADN codant pour certaines protéines de l’EBV et du virus Saimiri.

La mise en évidence de ces séquences a alors été effectuée par PCR dans 90 à 100 % de lésions de MK quel qu’en soit le type.

HHV8 et MK :

De nombreux virus ont été suspectés, mais aujourd’hui, HHV8 peut raisonnablement être considéré comme l’agent causal de la MK.

En effet, l’association est forte (odds ratio de détection de séquences HHV8 dans les tissus = 100).

Cette association est généralisable, par plusieurs techniques, à l’ensemble des formes cliniques de MK ; elle est relativement spécifique, HHV8 n’étant associé, en dehors de la MK, qu’à un nombre limité de pathologies (lymphome primitif des séreuses, maladie de Castleman multicentrique).

L’infection par HHV8 précède l’apparition de la MK dans des délais variables selon le niveau d’immunocompétence de l’individu.

La séroprévalence HHV8 est plus importante dans les régions du bassin méditerranéen ou en Afrique (20 à 50 %), où justement la MK est fréquente, alors que ce virus est peu répandu dans les régions occidentales (2 à 5 %) où la MK est rare.

HHV8 infecte de façon latente toutes les cellules fusiformes du tissu kaposien ; parmi les gènes de latence exprimés, notons l’orf (open reading frame) 73 codant pour l’antigène nucléaire de latence (LANA) très utile au diagnostic, responsable du maintien de l’épisome viral et interagissant avec de nombreux facteurs transcriptionnels telle la protéine p53.

La v-cycline, codée par ORF72, est une homologue des cyclines cellulaires (cyclines D) et a potentiellement un rôle dans la prolifération kaposienne, car elle active le cycle cellulaire.

La protéine virale v-FLIP, codée par ORF71, inhibant l’apoptose médiée par la voie FAS-Fas ligand, est également exprimée. Moins de 5 % des cellules subissent une infection lytique avec expression d’autres gènes viraux comme v-GPCR, analogue du récepteur de l’interleukine 8, activé de façon constitutive et doué de capacités angiogéniques puissantes.

Enfin, le dernier homologue de cytokine virale connu est l’homologue de l’IL 6 cellulaire, codé par l’ORFK2.

Sa surexpression induit l’angiogenèse par secrétion de VEGF et induit la transformation cellulaire in vitro.

Si le rôle de HHV8 dans la maladie de Kaposi est montré, les cofacteurs demeurent mal connus.

Le déficit immunitaire semble jouer un rôle déterminant au cours de certaines formes de la MK (sida, transplantés).

Il n’existe cependant pas, comme on l’a vu, de déficit immunitaire détectable avec nos moyens actuels au cours de la MK classique. Une prédisposition génétique est possible, mais reste à préciser.

Le rôle des facteurs hormonaux est suggéré par la fréquence élevée de la MK chez l’homme, aussi bien au cours de la MK classique que de celle associée au sida.

Lunardi-Iskandar et al ont montré, sur un modèle in vitro de MK, l’effet antitumorigène de sérum de souris gestantes ou de femmes en début de grossesse.

Pour ces auteurs, la bHCG est capable d’inhiber la croissance des cellules kaposiennes in vitro, mais également la formation in vivo, chez la souris beige nude, de tumeurs à partir de la lignée KSY-1.

Ces résultats sont corrélés à la présence de récepteurs liant la bHCG sur les cellules kaposiennes in vitro et in vivo.

On peut en rapprocher la rémission ou la stabilisation de la MK durant la grossesse de deux patientes souffrant de MK associée au VIH, rapportées par les mêmes auteurs.

Ces données ont cependant donné lieu à des controverses, tant au regard d’autres résultats in vitro que de données cliniques obtenues chez les patients souffrant de maladie de Kaposi associée au VIH, traités par gonadotrophines chorioniques (voir paragraphe thérapeutique).

La co-infection virale, notamment par le VIH, stimule la réactivation HHV8 (passage de l’infection latente à l’infection lytique), notamment via la protéine rétrovirale Tat.

Modèles expérimentaux :

Différents modèles expérimentaux animaux ou cellulaires ont été proposés ; leur représentativité est cependant discutable, aucun n’étant associé à une infection par le virus HHV8, et ils ne seront pas abordés dans cet article.

Principes du traitement :

Nous exposons les principes du traitement puis discutons les indications, qui dépendent du terrain et de l’étendue des lésions, de leur nature cutanéomuqueuse ou viscérale et de la gêne fonctionnelle entraînée.

L’abstention thérapeutique peut ainsi être de mise dans une MK classique peu évolutive et fonctionnellement peu gênante ; à l’opposé, une polychimiothérapie, malgré l’immunodépression qu’elle entraîne, s’avère indispensable dans les MK avec localisation viscérale symptomatique menaçant le pronostic vital.

La responsabilité d’un traitement doit toujours être prise en considération. On se contente dans certains cas d’une abstention avec surveillance.

A – TRAITEMENTS LOCAUX :

Le traitement local d’un nombre limité (en règle moins de 10) de lésions fonctionnellement ou esthétiquement invalidantes peut être indiqué, pouvant faire appel à plusieurs procédés :

– l’exérèse chirurgicale d’une ou deux lésions bien circonscrites et de petite taille (en règle inférieure à 1 cm) est un traitement rapide et peu coûteux, mais les récidives sont malheureusement fréquentes ;

– la cryothérapie appuyée répétée à 3 semaines d’intervalle a l’avantage de sa simplicité et de son faible coût ; elle est réservée à des lésions peu infiltrées et de petite taille (< 1 cm).

La cryochirurgie au protoxyde d’azote donne de très bons résultats, mais elle est réservée à des lésions de moins de 3 cm, et aux centres disposant de l’appareillage. Des séquelles hypochromiques et parfois atrophiques sont fréquentes ;

– la destruction au laser C02 peut être intéressante pour des lésions maculeuses ou papuleuses au prix de cicatrices séquellaires.

Le laser à colorant pulsé est en règle inefficace ;

– les injections intralésionnelles de vinblastine ou d’interféron alpha donnent des réponses le plus souvent partielles et de courte durée ;

– la radiothérapie : la maladie de Kaposi est très radiosensible et des doses de 15 à 40 Gy entraînent un taux de rémission partielle ou complète compris entre 40 et 90 %, l’effet étant globalement moins bon dans les MK associées au VIH qu’au cours de MK classique ou endémique.

La radiothérapie peut être utile dans des formes localisées, maculeuses, papuleuses ou nodulaires, cutanées ou muqueuses.

Certaines localisations telles que la cavité buccale, l’oeil, les plantes peuvent cependant se compliquer d’ulcérations douloureuses et doivent être confiées à des équipes spécialisées.

La radiothérapie ne doit pas être proposée pour le traitement du lymphoedème kaposien d’un segment de membre, qu’elle risque d’aggraver.

Les principaux inconvénients en sont le coût, les séquelles dyschromiques quasi constantes venant s’ajouter aux complications classiques de l’irradiation.

B – TRAITEMENTS GÉNÉRAUX :

1- Chimiothérapies :

* Monochimiothérapies « classiques » :

Le sulfate de vinblastine (4 à 8 mg par semaine, en moyenne 0,1 mg/kg) peut entraîner des rémissions (souvent partielles) atteignant 90 % des cas dans certaines séries de MK classiques (non randomisées), mais seulement 26 % de réponses complètes ou partielles, de courte durée (3 mois), dans la MK du sida.

La toxicité est faible, le produit étant peu immunosuppresseur et modérement neurotoxique.

La vincristine (2 mg par semaine) donne, au prix d’une neurotoxicité souvent limitante, des réponses partielles dans 60 à 80 % des cas, mais de courte durée (4 mois en moyenne) au cours de la MK de sida.

Le VP16 (étoposide) à raison de 150 mg/m2 durant 3 jours toutes les 4 semaines permet d’obtenir, pour Laubenstein, 30% de rémissions complètes dans la MK liée au sida (12/41) et 19/41 rémissions partielles, de façon transitoire (en moyenne 9 mois).

Un taux global de 36 % de rémission partielle est obtenu avec l’étoposide per os à des posologies variant de 150 mg à 400 mg par semaine au cours d’un essai phase I récent.

L’efficacité de cette drogue (80 % de rémission partielle ou complète) a été rapportée également avec des posologies moins élevées au cours de la MK classique.

La toxicité est essentiellement hématologique (neutropénie) et gastro-intestinale.

La bléomycine (15 mg en intramusculaire tous les 15 jours), dénuée en pratique de toxicité hématologique, donne des rémissions partielles chez près de 50 % des MK liées au sida, et une stabilisation de la maladie chez 30 % dans une série ouverte de 60 patients, la réponse n’étant pas corrélée au statut immunitaire.

Des réponses, le plus souvent partielles, ont également été obtenues dans 74 % des cas par Caumes et al.

La doxorubicine seule induit des réponses dans 48 % à 74 % des cas, au prix d’une toxicité hématologique importante.

* Anthracyclines liposomiales :

Les anthracyclines liposomiales permettent d’obtenir une meilleure pharmacocinétique (élimination plus lente), ainsi qu’une plus forte concentration dans les lésions par rapport aux molécules non liposomées.

Deux formes sont actuellement disponibles, la daunorubicine liposomiale (Daunoxomet) et la doxorubicine liposomiale pégylée (Doxilt ou Caelyxt) (adjonction de polyéthylène glycol entraînant un retard de l’élimination par le système réticuloendothélial et par conséquent une plus longue demivie).

La myélotoxicité persiste cependant, tandis que ce mode de vectorisation pourrait réduire la cardiotoxicité des anthracyclines.

La daunorubicine liposomiale à la dose de 40 mg/m2 tous les 15 jours donne, dans des essais ouverts chez les patients VIH, des taux de réponses variant de 55 % à 73 % ; si les taux de réponse sont moins bons dans les essais contrôlés, les résultats sont comparables aux polychimiothérapies classiques (association de type bléomycine et vincristine ou bléomycine, vincristine et adriamycine).

La doxorubicine liposomiale administrée à raison de 20 mg/m2 toutes les 2 à 3 semaines s’est même avérée supérieure à ces associations dans des essais contrôlés.

* Taxanes :

Le paclitaxel et autres inhibiteurs de la polymérisation des microtubules tels que le docetaxel sont très prometteurs.

Sur une série de 20 patients souffrant de MK associée au VIH et traités par paclitaxel 135 mg/m2 toutes les 3 semaines, 65 % de réponses partielles ont été obtenues, notamment chez cinq patients souffrant de localisations pulmonaires de la maladie.

Ces bons résultats ont été confirmés sur 28 patients.

Le docétaxel (associé à une trithérapie antirétrovirale) permet des taux de réponses (essentiellement partielles) d’environ 70 % sur des lésions de Kaposi cutanées et/ou pulmonaires à la dose de 60 mg/m2 toutes les 3 semaines.

La toxicité de ces molécules est essentiellement cutanée (diminuée par la prémédication par corticoïdes), médullaire et neurologique.

* Polychimiothérapies :

L’association adriamycine, vinblastine et bléomycine a donné, au cours d’une étude ouverte chez 31 MK liées au sida, sept rémissions complètes et 19 rémissions partielles, durant en moyenne 8 mois.

Cette association donne des taux de rémission souvent plus élevés qu’avec une monochimiothérapie par adriamycine, mais au prix d’une myélotoxicité importante, n’offrant pas d’amélioration en termes de survie par rapport aux monochimiothérapies.

Avec l’association vinblastine et bléomycine, 57 % de rémission partielle sont obtenues au prix de moins d’hématotoxicité.

2- Traitements immunomodulateurs, antiangiogéniques :

L’efficacité de l’interféron alpha dans la MK du sida a montré, au cours d’études ouvertes réalisées avant l’introduction des HAART, des taux d’environ 30 % de réponses complètes ou partielles, avec de fortes doses (20 millions d’unités/m2 de surface corporelle/j pendant les 2 premiers mois puis 3 fois par semaine chez les répondeurs).

La toxicité de l’interféron à cette dose oblige souvent à rester à des doses intermédiaires (entre 10 et 20 millions d’unités/m2) et l’efficacité est plus incertaine, nulle dans certaines études, et estimée à 30 % dans d’autres séries.

La réponse à l’interféron est corrélée à l’absence de lésion viscérale, au statut immunitaire des patients, en particulier à l’absence d’épisode antérieur d’infection opportuniste, de symptômes généraux, et surtout au taux de CD4 circulants, avec peu de répondeurs audessous de 200 CD4.

L’expérience de l’interféron dans la MK classique est en revanche beaucoup plus limitée mais extrêmement encourageante.

L’interféron alpha à forte dose (20 millions d’unités/m2) a induit une rémission partielle chez quelques patients homosexuels souffrant de MK non associée au sida.

Ces fortes doses ne doivent pas être utilisées chez les personnes âgées.

Quelques observations isolées suggèrent l’efficacité de l’interféron alpha à plus faible dose (3 à 6 millions d’unités/j) dans la MK classique. L’essai ouvert de Rybojad et al portant sur 10 MK non associées au VIH montre des résultats très intéressants : de petites doses (5 millions d’unités ´ 3/semaine) pendant 6 mois permettent une réponse majeure chez cinq des six patients ayant des localisations purement cutanées.

Ces résultats ont pu être étendus à 16 patients souffrant de MK VIH négatifs.

Une réponse complète et neuf réponses majeures ont été obtenues avec un recul moyen de 45 mois.

L’association de l’interféron alpha à une chimiothérapie classique n’apparaît pas intéressante.

L’interféron bêta a montré, au cours d’un essai phase II dans la MK du sida, une rémission partielle ou complète chez six patients sur 39 (16 %), et une stabilisation dans 42 % des cas ; sa toxicité est, à forte dose, essentiellement cutanée (nécrose au point d’injection).

L’interféron gamma n’a pas montré d’efficacité notable dans la MK liée au VIH dans trois essais récents.

Les essais cliniques d’interleukine 2 seule ou associée à l’interféron bêta ont été décevants.

L’injection intralésionnelle de TNFalpha a donné des résultats intéressants, mais la drogue s’est avérée décevante par voie systémique.

La toxicité de cette cytokine en limite l’emploi.

Outre leurs effets sur la prolifération et la différenciation, les rétinoïdes sont capables d’activité antiangiogénique sur des modèles expérimentaux in vitro ou chez l’animal, et d’actions immunomodulatrices.

Deux études ouvertes de phase II sur 47 patients ont montré des résultats assez prometteurs de l’acide tout transrétinoïque (ATRA) en monothérapie, avec des réponses allant de 30 à 40 % des patients au prix d’une faible toxicité.

Ces résultats sont cependant controversés par deux autres études ouvertes où la posologie plus élevée, pour une durée plus courte, était responsable d’une toxicité importante.

Des essais avec l’acide 9-cis rétinoïque per os et topique ont donné récemment des résultats intéressants dans les lésions cutanées de la maladie de Kaposi associée au sida ; en revanche l’acide 13 cis-rétinoïque semble peu efficace.

L’utilisation d’interleukine 4, d’anticorps anti-IL 6 s’est révélée décevante.

Des essais anecdotiques de thalidomide ou de dapsone ont parfois entraîné des réponses partielles des lésions cutanées.

La fumagilline, des anti-sens VEGF ainsi que d’autres molécules antiangiogéniques (angiostatine, endostatine) sont en cours d’évaluation.

3- Gonadotrophines chorioniques (hCG) :

Si de bons résultats ont été publiés avec des human chorionic gonadotrophin (hCG) intralésionnelles ou par voie systémique, des échecs sont également rapportés, peut-être en raison de l’utilisation de préparations commerciales différentes.

En effet, certains prétendent, au vu d’arguments in vitro, que seul un fragment catabolique (bêta-core) serait actif ; d’autres suggèrent même que la fraction active serait une « impureté », un polypeptide de nature encore indéterminée doué d’action antiproliférative sur différentes lignées cellulaires.

Ces récentes données pourraient alors expliquer l’ inactivité des formes hautement purifiées d’hCG au cours de la MK.

4- Thérapeutique antirétrovirale dans les MK du sida :

Les progrès récents du traitement antirétroviral associant les analogues nucléosidiques inhibiteurs de la reverse transcriptase et des inhibiteurs de protéases permettent d’obtenir chez certains patients une inhibition puissante de la réplication du VIH, et une augmentation importante du nombre des lymphocytes CD4.

En effet, en l’absence de traitement antirétroviral antérieur, ces associations entraînent une réduction moyenne de la charge virale VIH de 2 à 3 logarithmes, et de 0,5 logarithme lorsqu’un traitement antirétroviral avait été antérieurement administré.

Cette diminution de la charge virale s’accompagne pour certains patients d’une augmentation du taux de lymphocytes CD4+, d’une réduction d’environ 50 % des infections opportunistes, d’une amélioration clinique (prise de poids, augmentation de l’index de Karnofsky, diminution des diarrhées).

L’intérêt de ces nouvelles associations antirétrovirales dans le traitement de la maladie de Kaposi associée au VIH est suggéré par une diminution de l’incidence de cette néoplasie opportuniste.

Nos résultats sur une étude pilote portant sur 10 patients, confortés par deux autres études avec des effectifs comparables, montrent une rémission partielle ou complète de la MK chez 80 % des patients, en parallèle avec une diminution de la charge virale HHV8 dans les lésions cutanées.

Dans notre étude, la réponse clinique semble corrélée avec l’ascension des lymphocytes circulants CD4+ et la négativation de la virémie HHV8 dans les cellules mononucléées circulantes.

5- Drogues anti-HHV8 :

L’action antivirale de diverses drogues antiherpétiques sur la MK, telles que cidofovir, foscavir, ganciclovir a été montrée in vitro, et plus récemment in vivo dans quelques cas anecdotiques.

C – INDICATIONS THÉRAPEUTIQUES :

1- Maladie de Kaposi non associée au VIH :

Un traitement systémique ne sera décidé qu’en cas de lésions étendues, d’évolutivité rapide, d’oedèmes douloureux segmentaires ou d’atteinte viscérale symptomatique (rare).

L’expérience de l’interféron dans la maladie de Kaposi classique est plus limitée qu’au cours du sida, mais elle est extrêmement encourageante. L’interféron alpha (3 à 5 millions d’unités/j) représente, pour nous, le traitement systémique de première ligne.

Des protocoles de chimiothérapies analogues à ceux utilisés dans la maladie de Kaposi associée au sida (monochimiothérapies essentiellement) peuvent être discutés en deuxième intention : sulfate de vinblastine, étoposide oral (toxicité essentiellement hématologique [neutropénie] et gastrointestinale).

La bléomycine paraît également intéressante, bien que non évaluée sur de grandes séries dans la MK non associée au sida.

Son efficacité sur l’oedème kaposien reste médiocre dans notre expérience.

L’indication à une chimiothérapie myélotoxique de type anthracyclines liposomiales, taxanes ou étoposide est plus rare.

2- Maladie de Kaposi liée au sida :

Le traitement repose en premier lieu sur la mise en route d’une thérapeutique antirétrovirale efficace (association de deux inhibiteurs nucléosidiques de la reverse transcriptase (INRT) et d’un inhibiteur de protéase (IP), ou de deux INRT et d’un inhibiteur non nucléosidique de la reverse transcriptase (INNRT), ou bien de trois INRT).

En attendant l’effet de ce traitement (qui peut prendre en moyenne 4 mois), un traitement local tel que décrit précédemment peut être proposé sur des lésions esthétiquement ou fonctionnellement gênantes.

Une MK rapidement évolutive peut justifier l’introduction, parallèlement à une trithérapie antirétrovirale, d’un traitement spécifique.

L’interféron alpha à la dose minimale tolérée par voie systémique chez des patients dont le taux de CD4 est supérieur à 200/mm3 est discuté en l’absence de localisations viscérales.

En l’absence de plus d’informations sur le bénéfice de l’association trithérapie-interféron, un traitement par interféron à la dose maximale tolérée, comprise entre 5 et 10 millions d’unités/j, est à notre avis justifié.

En cas de lymphopénie CD4 < 200/mm3, la bléomycine (15 mg en intramusculaire tous les 15 jours) peut être prescrite.

Elle est dénuée de toxicité hématologique, donne des rémissions partielles chez près de 50 % des MK du sida (patients non traités par trithérapies antirétrovirales) et une stabilisation de la maladie chez 30 % des patients, la réponse n’étant pas corrélée au statut immunitaire.

D’autres monochimiothérapies sont également disponibles, mais généralement utilisées en deuxième intention (mauvaise tolérance de la bléomycine par exemple) car souvent moins efficaces et plus toxiques.

Il s’agit du sulfate de vinblastine, de la vincristine ou, dans une moindre mesure, de l’étoposide per os ou intraveineux.

En cas d’inefficacité de ces mesures (et souvent en deuxième ligne après la bléomycine) ou de maladie de Kaposi viscérale symptomatique ou très évolutive, un traitement par anthracyclines liposomiales ou par taxanes peut être proposé.

3- Maladie de Kaposi chez les transplantés d’organe :

La conduite thérapeutique vis-à-vis de la maladie de Kaposi après transplantation d’organe varie selon les équipes, l’organe transplanté, l’étendue et l’évolutivité de la maladie, et l’existence d’éventuelles infections opportunistes, car leur traitement spécifique permet parfois la régression des lésions kaposiennes.

Une forme localisée peu évolutive peut être surveillée cliniquement ou bénéficier de traitements locaux (en évitant la radiothérapie sur ce terrain à risque de carcinomes cutanés).

En cas d’atteinte viscérale ou de maladie rapidement évolutive, la première étape du traitement est la levée très progressive de l’immunosuppression, qui peut se faire, en cas de transplantation rénale, au prix de la perte du greffon. Une nouvelle transplantation expose au risque de récidive de la MK.

Dans les formes sévères et notamment viscérales symptomatiques, une chimiothérapie selon les modalités précédemment évoquées se discute, sans perdre de vue le risque infectieux accru (sauf pour la bléomycine).

L’interféron alpha est contre-indiqué, car expose au risque de rejet du greffon.

L’intérêt d’autres drogues immunomodulatrices, antiangiogènes ou antiprolifératives telles que le thalidomide, les rétinoïdes et d’autres molécules non encore commercialisées reste à définir pour l’ensemble de ces formes.

Par ailleurs, l’origine virale (HHV8 ou KSHV) maintenant bien connue de la MK offrira peut-être un jour des perspectives thérapeutiques nouvelles.

Toutefois, à ce jour, des molécules antiherpétiques telles que le ganciclovir, le foscavir ou le cidofovir, pourtant efficaces in vitro sur le virus HHV8, n’ont que peu ou pas de place dans le traitement de la MK avérée.

Leur intérêt à titre préventif dans des situations à risque (transplantation d’organe notamment) reste à définir.

Conclusion :

Des avancées importantes ont été réalisées ces dix dernières années sur la physiopathologie de la MK.

La découverte récente d’un nouvel herpèsvirus associé à la maladie de Kaposi codant pour des gènes potentiellement impliqués dans le contrôle de la prolifération et de la différenciation cellulaire offre des perspectives nouvelles.

Il reste de nombreuses inconnues concernant en particulier la nature clonale ou polyclonale de cette maladie viro-induite, les cofacteurs infectieux, immunologiques, endocriniens et génétiques éventuellement impliqués.

Le ou les modèles expérimentaux réellement représentatifs de cette affection restent à établir, qui nous permettront de tester de nouveaux principes thérapeutiques dans des essais précliniques.

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