Épanchement articulaire du genou

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L’anecdote suivante fera prendre conscience de l’importance d’une conduite cohérente face à un épanchement du genou.

M. Jacques C., 30 ans, jardinier, se plaint de douleurs et d’une augmentation de volume du genou droit. Ces symptômes sont apparus au cours de son travail après un choc et une station à genoux prolongée. Ils font l’objet d’un certificat médical initial d’accident du travail.

Quinze jours plus tard, en l’absence d’amélioration, l’avis d’un chirurgien est demandé. Un choc rotulien sur ce genou globuleux permet d’affirmer un épanchement de grande abondance. Il n’y a pas de mouvements anormaux pouvant faire évoquer une lésion tendino-ligamentaire. Les radiographies des genoux ne montrent que l’opacité de l’épanchement à droite. une arthrographie est alors faite. Le ménisque interne ne paraît pas parfait. Sur cet argument et devant l’épanchement persistant, une méniscectomie est réalisée.

Rien ne s’arrange, au contraire. Le genou est tuméfié, les douleurs deviennent nocturnes, la vitesse de sédimentation est à 50 mm en 1 heure. Pour la première fois le liquide synovial est examiné. Il est trouble, contient 20 000 éléments par ml dont 90% de polynucléaires. Bien qu’aucun germe ne pousse à la culture de ce liquide, la crainte d’un sepsis postopératoire fait entreprendre une antibiothérapie massive à large spectre sans autre résultat que quelques effets secondaires.

L’apparition sous traitement de douleurs du genou gauche va mettre fin à cette errance diagnostique. Une arthrite rhumatoïde ayant débuté par une monoarthrite est enfin reconnue.

Où se trouvent la ou les failles qui ont conduit à ces erreurs aussi bien dans le choix des examens complémentaires que dans celui des traitements?

* Le premier déraillement provient d’une mauvaise analyse de l’anamnèse. L’accident a été admis sur des éléments inconsistants. Un effort ou rester longtemps à genoux ne sont pas des traumatismes et ne peuvent générer un épanchement. La coïncidence entre l’apparition d’une douleur et une activité physique ou sportive ne suffit pas à établir la relation de cause à effet entre ces deux événements même si elle est invoquée par le patient souvent avide d’explications simples.

* L’erreur d’aiguillage principale tient à l’absence d’examen du liquide articulaire. Cette lacune a fait méconnaître la nature inflammatoire de l’arthropathie et a fait demander une arthrographie qui n’est d’aucune utilité dans une arthrite.

* De plus, dans ce contexte clinique biaisé, l’interprétation de l’arthrographie a été tendancieuse. les clichés revus a posteriori ne montraient aucune lésion méniscale.

Épanchement articulaire du genou

* L’arthrite méconnue a continué d’évoluer après la méniscectomie. Mais comme les examens biologiques (VS, étude du liquide synovial) n’ont été faits qu’après l’intervention, le diagnostic s’est à nouveau égaré, cette fois vers une arthrite septique postopératoire.

Ces avatars du diagnostic ont même eu des conséquences médico-légales surtout pour le patient. Il plaidera des années, refusant d’admettre que « l’accident du travail » qui avait touché son genou au point de nécessiter une intervention chirurgicale, elle-même compliquée d’une infection, ne soit pas l’origine de la maladie rhumatismale.

La conduite du diagnostic se mène en quatre étapes.

Épanchement articulaire :

La première étape doit permettre de répondre à la question: l’épanchement est-il articulaire?

* L’existence d’un choc rotulien ou d’un signe du flot permet de l’affirmer et de le distinguer de la fluctuation prérotulienne qui caractérise un hygroma ou d’une bursite de la patte d’oie qui siège à la face supéro-interne du tibia.

* Une tuméfaction fluctuante et non battante du creux poplité évoque un kyste poplité qui est toujours satellite d’un épanchement articulaire.

Nature de l’épanchement :

La deuxième étape doit permettre de préciser la nature mécanique ou inflammatoire de l’épanchement.

Quel que soit le siège de l’épanchement, la réponse à cette question est obtenue par l’anamnèse, la ponction articulaire et l’examen du liquide synovial.

* L’aspect du liquide peut déjà orienter:

– un liquide jaune citrin translucide est sûrement un liquide mécanique. De plus, il est très visqueux. Une goutte entre le pouce et l’index protégés par un gant forme un fil de 4 à 6 cm.

– un liquide trouble est un liquide inflammatoire (le trouble est net dès que le nombre des éléments dépasse 5000 par ml).

* L’analyse cytologique du liquide va fournir les deux seuls chiffres nécessaires à ce classement: le nombre d’éléments par ml et le pourcentage de polynucléaires.

– Moins de 1 000 éléments par ml et moins de 50% de polynucléaires, c’est un liquide de formule mécanique.

– Plus de 2 000 éléments par ml ou plus de 50% de polynucléaires, c’est un liquide de formule inflammatoire.

– Entre 1 000 et 2 000 éléments/ml, le classement devra tenir compte du contexte clinique.

* L’étude biochimique, et en particulier le dosage des protides, n’apporte pas plus que la numération des éléments et n’est pas nécessaire. A titre documentaire: protides supérieures à 40g/l liquide inflammatoire, protides suprérieures à 40g/l liquide mécanique.

La troisième étape va prendre deux directions selon que le liquide est de formule mécanique ou de formule inflammatoire.

Liquide inflammatoire :

L’arthrite est ou risque d’être microcristalline :

Orientation clinique

On soupçonne une arthrite microcristalline sur:

– un début très brutal.

– l’existence d’épisodes identiques dans le passé.

– l’efficacité des anti-inflammatoires sur ces arthrites.

Certains éléments cliniques, familiaux, radiologiques ou biologiques permettent d’arriver plus ou moins rapidement au diagnostic de goutte ou de chondrocalcinose articulaire.

Certitude diagnostique

L’examen du liquide entre lame et lamelle affirme sans délai ce diagnostic:

* les cristaux d’urate sont de fines aiguilles à bout effilé phagocytées par les polynucléaires:

– leur longueur est voisine du diamètre d’un polynucléaire et ils sont bien visibles au sein du cytoplasme de ces cellules non colorées examinées entre lame et lamelle.

– les cristaux sont parfois minuscules (2 microns). Il faut alors, en suivant les mouvements des cellules, attendre que le cristal noyé dans le cytoplasme se démasque lors d’une rotation.

– tous les cristaux d’urate sont fortement biréfringents en lumière polarisée.

– l’identification de cristaux par leur dissolution par l’uricase n’est pas d’usage courant, bien que souvent citée.

* les cristaux de pyrophosphate de calcium de chondrocalcinose articulaire (CCA) sont intracellulaires ou extra-cellulaires:

– ils ont 5 à 15 microns.

– leurs bouts sont carrés.

– ils sont peu biréfringents en lumière polarisée.

* les cristaux d’apatite de la maladie des calcifications ne se voient pas au genou. Les calcifications étant tendineuses, elles sont responsables de ténosynovite et non d’arthrite, sauf à l’épaule ou le tendon du sus-épineux peut communiquer avec l’articulation par une brèche de la coiffe des rotateurs.

* les débris d’apatite plus que des cristaux décrits dans les arthropathies destructrices ne se voient pas par les techniques standards d’examen du liquide articulaire.

* les cristaux de Charcot-Leyden qui accompagnent les arthrites pseudo-allergiques à éosinophiles et les cristaux de cholestérol associés à des épanchements inflammatoires chroniques sont des curiosités sans propriété phlogogène.

L’ arthrite est ou risque d’être septique :

* Un liquide inflammatoire (donc trouble) sera considéré comme possiblement septique jusqu’à preuve du contraire d’autant plus:

– qu’il s’agit d’une monoarthrite.

– que l’arthrite est bruyante dans son expression (douleur diurne et nocturne entra”nant une impotence).

– qu’elle évolue dans un contexte infectieux.

* La preuve de l’absence d’infection sera apportée:

– rapidement par la découverte de microcristaux.

– ou après 24 heures par la négativité des cultures du liquide articulaire ensemencé sur des milieux susceptibles de permettre la croissance des germes divers (germes banals, gonocoque).

– ou après un plus long délai pour d’autres germes pour lesquels d’autres moyens diagnostiques seront mis en oeuvre comme Brucella, le bacille de Koch ou une mycose.

* La recherche de germes par hémocultures et aux éventuelles portes d’entrée est menée parallèlement.

* Une biopsie de la synoviale à l’aiguille permettra, au moindre doute, l’étude histologique et la culture des franges synoviales. Le dosage de l’acide lactique articulaire, s’il peut être obtenu d’urgence, peut aider à éliminer une arthrite septique à germes banals si son taux est bas.

Le doute est habituellement levé en 24 heures à moins qu’un traitement antibiotique aveugle et préalable au prélèvement n’ait été débuté.

Le liquide est inflammatoire, stérile, sans microcristaux :

Il peut néanmoins s’agir d’infections articulaires mais par des agents qui ne cultivent pas sur les milieux usuels: Borrelia burgdorferi de l’arthrite de Lyme, tréponème de la syphilis secondaire, virus (Parvovirus B19 de la 5ème maladie, rubéole, VIH).

La méconnaissance de l’origine infectieuse de ces arthrites n’a pas actuellement de conséquences fâcheuses sur leur évolution.

Il s’agit, dans la grande majorité des cas, d’une arthrite inflammatoire aseptique.

Arthrite inflammatoire aseptique :

* La quatrième étape va permettre de classer cette arthrite inflammatoire aseptique dans un des grands groupes de rhumatismes inflammatoires:

– polyarthrite rhumatoïde.

– spondylarthropathie.

– connectivités.

– vascularités.

– rhumatismes intermittents et rhumatismes divers.

* Ce classement est facile quand l’épanchement du genou s’associe à des signes articulaires ou extra-articulaires en nombre suffisant pour satisfaire aux critères propres à chacune de ces maladies rhumatismales. Sinon un diagnostic d’attente de « monoarthrite du genou » sera retenu et un traitement symptomatique proposé.

Liquide mécanique :

Le liquide mécanique comporte moins de 1 000 éléments et moins de 50% de polynucléaires.

Chez un sujet jeune de moins de 40 ans :

* Il s’agit plutôt d’un dérangement interne du genou mais qui entra”ne déjà une certaine souffrance du cartilage articulaire: lésion méniscale, instabilité articulaire par lésion ligamentaire d’un croisé, instabilité de la rotule.

* Il peut aussi s’agir d’une ostéochondrite, d’une chondromatose synoviale.

L’arthrographie et l’arthroscopie permettent d’affirmer ces lésions et d’en traiter certaines.

Chez un sujet de plus de 50 ans :

* Après 50 ans, un épanchement du genou de formule mécanique est avant tout une poussée congestive d’arthrose, c’est-à-dire une phase évolutive de la maladie arthrosique ou le cartilage est en voie de chondrolyse.

* Le diagnostic d’arthrose se fera sur des radiographies des genoux debout de face, debout les genoux fléchis de 30° (schuss), de profil et en incidence fémoro-patellaire à 45°.

– On peut, sur ces différents clichés, mesurer la hauteur des interlignes.

– Ces mesures comparées à celles prises sur des clichés antérieurs ou postérieurs permettent d’affirmer l’atteinte du cartilage et d’avoir une idée chiffrée de la rapidité de la chondrolyse.

Ostéonécrose aseptique :

Un épanchement et des gonalgies s’installant brutalement sur un genou jusque-là cliniquement et radiologiquement normal doivent aussi faire évoquer après 50 ans une ostéonécrose aseptique.

Elle siège surtout sur le condyle interne mais condyle externe et trochlée ne sont pas épargnés.

Algodystrophie :

Une algodystrophie peut aussi s’accompagner d’un épanchement de nature mécanique.

L’hyperfixation osseuse sur une image scintigraphique permet de reconnaître plus tôt l’étiologie de ces genoux douloureux dont les examens radiologiques initiaux sont normaux.

Liquides particuliers :

Liquide hémorragique :

Causes traumatiques

Une fois éliminée une lésion traumatique suffisante pour léser une structure intra-articulaire susceptible de saigner (fracture articulaire, arrachement ostéochondral, entorse grave), il faut rechercher une cause médicale.

Causes médicales

Les causes médicales d’une hémarthrose à rechercher sont:

* les anomalies de la crase sanguine, hémophilie chez l’enfant, traitement anticoagulant chez l’adulte.

* les arthroses évoluées de la fémoro-patellaire associées ou non à la chondrocalcinose et reconnues sur les incidences radiologiques axiales à 45° que l’on traite par repos et les lavages articulaires.

* une tumeur bénigne de la synoviale, la synovite villonodulaire:

– identifiée sur l’IRM grâce au signal très particulier donné par la synoviale chargée de fer.

– affirmée et traitée par l’arthroscopie montrant d’épaisses villosités en doigts de gant de couleur brune et une hyperplasie et des cellules géantes à l’histologie.

Liquides riches en éosinophiles :

* Un taux d’éosinophiles supérieur à 30% se voit exclusivement dans une affection rare dénommée « arthrite pseudo-allergique » qui comporte aussi un dermographisme et un taux élevé d’IgE sériques.

* Les arthrites filariennes peuvent être riches en éosinophiles. Un faible pourcentage d’éosinophiles à la numération des éléments n’a pas de spécificité bien que ces cellules soient exceptionnellement observées dans le liquide synovial.

Liquides lymphocytaires :

* Il faut tout d’abord détruire une légende qui veut qu’un liquide riche en lymphocytes soit évocateur d’une tuberculose articulaire. Le liquide d’une « tumeur blanche » du genou est un liquide inflammatoire banal, riche en polynucléaires.

* Un liquide comportant plus de 70% de lymphocytes peut faire évoquer une sarcoïdose. Il se voit aussi dans des formes peu agressives de polyarthrite rhumatoïde, dans les arthrites du syndrome de Gougerot-Sjögren.

Liquides monocytaires :

Une arthrite aigue dont le liquide inflammatoire est fait de 70% de monocytes fait évoquer une arthrite à Parvovirus B19 plus souvent qu’une localisation articulaire d’une leucose myélomonocytaire.

Quelques curiosités :

* Les ragocytes ou cellules à grains de raisin se voient sur un liquide examiné à l’état frais.

– Ce sont des vacuoles lysosomiales hypertrophiées de teinte verte occupant le cytoplasme des polynucléaires.

– Bien que particulièrement fréquents dans les liquides de polyarthrite rhumato•de, les ragocytes peuvent aussi s’observer dans des liquides inflammatoires d’autre origine.

* Des cellules peuvent contenir des inclusions:

– des polynucléaires contenant une inclusion nucléaire homogène sont une cellule de Hargraves qui peut s’observer sur le frottis d’un liquide synovial de rhumatisme lupique.

– des inclusions dans le cytoplasme des macrophages sont assez fréquentes dans les spondylarthropathies sans cependant être spécifiques.

Conclusion :

Des nombreux enseignements que l’on peut tirer de l’étude du liquide synovial, on retiendra l’importance de ceux obtenus par les examens les plus simples ne nécessitant que deux lames, une lamelle, un flacon de Giemsa et un microscope: la numération des éléments, la recherche de microcristaux et la formule du liquide. Il faut y ajouter l’envoi sans délai au laboratoire de bactériologie de tout liquide qui n’est pas citrin.

Ces examens simples permettent le classement de l’arthropathie en: mécanique, inflammatoire septique, inflammatoire microcristalline ou inflammatoire aseptique, première étape indispensable à toute progression dans le diagnostic et qui évite les erreurs qui peuvent avoir des conséquences fâcheuses.

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