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Physiopathologie de l’ischémie cérébrale

Introduction :

Les accidents vasculaires cérébraux constituent l’un des principaux problèmes de santé publique dans les pays industrialisés.

Ils y représentent la troisième cause de mortalité après les maladies coronariennes et les cancers et sont par ailleurs la première cause de handicap chez l’adulte.

Cette pathologie, dont l’incidence en France est estimée entre 2 et 3 pour 1 000 habitants et par an (100 000 à 150 000 nouveaux cas chaque année), est dans près de 80 % des cas consécutive à une ischémie.

À la différence de l’ischémie myocardique où l’athérome représente la principale, voire l’unique cause, la pathologie ischémique cérébrale, beaucoup plus hétérogène, résulte de mécanismes vasculaires variés.

Comme nous le discutons dans cette revue, la physiopathologie de l’ischémie cérébrale ne peut se résumer à la simple occlusion d’une artère et à la seule diminution du débit sanguin cérébral.

Les travaux de ces dernières années ont en effet permis de mieux appréhender l’extrême diversité des mécanismes cellulaires et moléculaires mis en jeu au cours de l’ischémie cérébrale.

Comme nous le détaillons, l’intrication importante des mécanismes tels que l’excitotoxicité, l’inflammation post-ischémique ou encore l’apoptose permet en partie de rendre compte des difficultés à mettre au point des agents pharmacologiques à même de limiter la sévérité des lésions cérébrales ischémiques.

L’échec des procédures de neuroprotection telles qu’évaluées jusqu’à présent en clinique ne doit cependant pas pour autant mener à l’interruption des travaux dans ce domaine.

La meilleure connaissance des mécanismes sous-tendant la mort cellulaire au cours de l’ischémie cérébrale demeure en effet une étape indispensable à l’élaboration de nouvelles stratégies thérapeutiques.

Du vaisseau aux mécanismes cellulaires de l’ischémie :

A – PHYSIOLOGIE DE LA CIRCULATION CÉRÉBRALE :

1- Vascularisation cérébrale :

La vascularisation cérébrale est assurée par les artères carotides et le système vertébrobasilaire.

On décrit, sous le terme de polygone artériel de Willis, un réseau anastomotique plus ou moins développé selon les individus.

Dans sa forme normale et complète, retrouvée chez près de 50 % des sujets, ce réseau est constitué en avant par la réunion des deux artères cérébrales antérieures via l’artère communicante antérieure et en arrière, par la réunion entre système carotidien et système vertébrobasilaire via les artères communicantes postérieures.

D’autres réseaux anastomotiques sont décrits, en particulier à la partie la plus distale des territoires artériels ainsi qu’entre les artères carotides et vertébrales et les nombreuses collatérales de la carotide externe.

Par ailleurs, de nombreuses branches pénétrantes ou perforantes permettent la vascularisation des territoires cérébraux profonds.

Cette organisation en réseaux des artères cérébrales contribue, dans une certaine mesure, à la protection du cerveau au cours des épisodes d’ischémie.

2- Débit sanguin cérébral :

Le cerveau, dépourvu de réserves d’oxygène et de glucose, est fortement dépendant des apports extérieurs en substrats énergétiques et par conséquent fortement dépendant du débit sanguin.

Le débit sanguin cérébral se définit par le rapport entre la pression de perfusion cérébrale (PPC) et la résistance vasculaire cérébrale (RVC).

La PPC est la différence entre la pression artérielle à l’entrée et la pression veineuse cérébrale, celle-ci étant négligeable dans les conditions physiologiques, la PPC peut être assimilée à la pression artérielle.

La RVC résulte, quant à elle, de l’ensemble des forces qui s’opposent au passage du flot sanguin dans les vaisseaux (pression intracrânienne, viscosité du sang, état du lit vasculaire, tonus vasculaire).

Dans les conditions physiologiques, la RVC dépend principalement du calibre des artères et artérioles cérébrales.

Chez l’adulte, le débit sanguin cérébral normal est en moyenne de 50 mL/min/100 g de tissu cérébral.

Le terme d’autorégulation désigne la possibilité de maintenir constant le débit sanguin cérébral en dépit de variations de la pression de perfusion et ce pour des valeurs situées entre 50 et 150 mmHg.

En deçà ou au-delà de ces valeurs ou dans une situation d’ischémie, le débit sanguin cérébral est directement proportionnel à la pression de perfusion.

La régulation du débit sanguin cérébral est ainsi dépendante des capacités de vasodilatation et de vasoconstriction des artères cérébrales.

De nombreux mécanismes peuvent être mis en jeu tels que la libération de molécules vasodilatatrices comme le monoxyde d’azote (NO), vasoconstrictrices comme l’endothéline ou encore l’activation de canaux potassiques situés au sein des cellules musculaires lisses vasculaires.

Il convient de citer par ailleurs les effets de la variation du pH, de la pression partielle en CO2 et en O2 ainsi que le rôle de l’innervation sympathique et parasympathique.

L’ensemble de ces facteurs qui concourent à la variation des résistances vasculaires permet de constituer une véritable réserve sanguine rapidement disponible.

Le cerveau possède aussi la capacité d’améliorer l’extraction de l’oxygène du sang qui, à l’état basal, n’est pas maximale.

Cette capacité d’extraction de l’oxygène peut ainsi être rapidement portée à 100 %, permettant de compenser, au moins dans un premier temps, la diminution pathologique du débit sanguin cérébral.

B – INFARCTUS CÉRÉBRAL ET PÉNOMBRE ISCHÉMIQUE :

L’infarctus cérébral est la résultante d’une diminution puis de l’arrêt de la perfusion du tissu cérébral ainsi que du dépassement des capacités des systèmes de suppléance.

À l’échelon individuel, la gravité de l’expression clinique d’une occlusion artérielle est donc fortement dépendante d’une part de la qualité des réseaux anastomotiques et d’autre part des capacités de régulation du débit sanguin cérébral.

En dépit de la mise en jeu des moyens de protection préalablement décrits, une altération fonctionnelle du métabolisme cellulaire apparaît dès que le débit sanguin cérébral est inférieur à 22 mL/min/100 g de cerveau.

En cas d’occlusion artérielle, on distingue un centre d’ischémie dense au sein duquel le débit sanguin est inférieur à 10 mL/min/100 g et au pourtour, une zone de tissu avec un débit intermédiaire entre 18 et 10 mL/min/100 g.

Cette zone, désignée sous le terme de pénombre ischémique, correspond à la partie du tissu cérébral ischémié où le débit sanguin est insuffisant pour maintenir un fonctionnement cellulaire normal, la survie cellulaire y demeurant cependant assurée dans un premier temps.

À l’électroencéphalogramme (EEG) et sur les potentiels évoqués corticaux, on note un silence électrique complet, réversible à condition que le flux artériel soit rétabli.

En imagerie par résonance magnétique (IRM), les données récentes de la littérature suggèrent que la différence entre les anomalies en imagerie de perfusion et celles en imagerie de diffusion puisse être représentative de cette zone de pénombre, constituant peut-être un marqueur de choix pour la sélection des patients les plus à même de bénéficier de traitement comme la fibrinolyse.

En deçà de 10 mL/min/100 g de cerveau, la zone d’oligémie maximale tolérable est atteinte. Si cet état d’oligémie se prolonge plus de quelques dizaines de minutes, le tissu cérébral évolue vers un état de mort cellulaire.

De même, la mort cellulaire survient lorsque le débit sanguin cérébral est maintenu plus de 3 minutes à moins de 10 mL/min/100 g de cerveau.

L’IRM de diffusion pourrait s’avérer là encore un outil remarquable pour évaluer précocement la mort neuronale.

C – DIVERSITÉ DES MÉCANISMES VASCULAIRES À L’ORIGINE D’UN INFARCTUS CÉRÉBRAL :

La diminution du débit sanguin cérébral à l’origine du développement de lésions ischémiques, voire d’un infarctus cérébral, peut résulter de causes et de mécanismes divers.

Trois mécanismes principaux sont à retenir : le mécanisme embolique artérioartériel ou d’origine cardiaque, le mécanisme hémodynamique et l’atteinte des artères perforantes.

1- Mécanisme embolique :

Le mécanisme embolique, surtout évoqué par l’apparition brutale du déficit neurologique, semble être le plus souvent impliqué dans la pathogénie des infarctus cérébraux.

Il peut s’agir d’une embolie fibrinoplaquettaire à partir d’un thrombus blanc résultant de l’adhésion des plaquettes sur la plaque d’athérosclérose, d’une embolie fibrinocruorique provenant de la fragmentation d’un thrombus mural à partir d’une plaque d’athérosclérose ulcérée, d’un thrombus formé dans une cavité cardiaque ou encore, ce qui est plus rare, de la migration à travers un foramen ovale perméable d’un thrombus veineux profond.

Il peut s’agir aussi d’une embolie de cholestérol provenant du contenu athéromateux de la plaque, migrant dans la circulation à l’occasion de la rupture de celle-ci, d’une exceptionnelle embolie calcaire à partir d’un rétrécissement aortique calcifié ou encore de l’embolie de matériel septique dans le cadre d’une endocardite infectieuse.

Enfin, il faut signaler la possibilité là encore exceptionnelle d’embolie artérielle de cellules néoplasiques à partir d’un néoplasme profond ou d’une tumeur intracardiaque tel un myxome.

En imagerie, il est habituel de considérer que les infarctus cérébraux consécutifs à un mécanisme embolique sont plus volontiers des infarctus touchant le territoire de l’une des grosses artères intracrâniennes (sylvienne, cérébrale antérieure, cérébrale postérieure…).

Ceci n’a cependant aucun caractère exclusif, il faut en effet garder à l’esprit que le diagnostic du mécanisme, en dehors de l’imagerie, reste basé sur un faisceau d’arguments cliniques ainsi que sur les résultats des explorations vasculaires.

2- Mécanisme hémodynamique :

L’accident hémodynamique est lui surtout évoqué lorsque la symptomatologie neurologique déficitaire est fluctuante, en particulier lorsque cette fluctuation clinique est corrélée aux changements de position (lever brusque, passage en station assise) ou si elle est associée à une diminution de la pression artérielle, et ce, quelle qu’en soit la cause.

Ce type de mécanisme s’observe parfois en cas de rétrécissement sévère d’une grosse artère à destinée cérébrale, que ce rétrécissement soit d’origine athéromateuse ou non comme c’est le cas lors de certaines dissections artérielles.

Il est par ailleurs possible que ce type de mécanisme soit mis en évidence lors d’infarctus en rapport avec un hémodétournement tel par exemple un vol sous-clavier ou encore à l’occasion d’un choc cardiogénique.

En dehors d’infarctus siégeant dans le territoire des gros vaisseaux, ce type de mécanisme serait plutôt responsable du développement d’infarctus jonctionnels, à savoir des infarctus touchant de manière préférentielle la jonction de deux territoires artériels (jonction du territoire antérieur de l’artère sylvienne et celui de l’artère cérébrale antérieure par exemple).

Les infarctus consécutifs à un choc cardiogénique sont, quant à eux, plus volontiers des infarctus bilatéraux, parfois de type jonctionnel ou encore touchant préférentiellement les noyaux gris centraux.

3- Atteinte des artères perforantes :

L’atteinte des artères perforantes est le plus souvent consécutive à une pathologie de la paroi artérielle sous la forme d’une lipohyalinose dans le contexte d’une hypertension artérielle ou d’un diabète.

La pathologie de ces petites artères se traduit cliniquement par le développement de lésions ischémiques dites lacunaires (infarctus cérébraux de petite taille) ou par la survenue d’hémorragies profondes.

Il semblerait que l’infarctus soit déterminé par l’obturation de l’une des branches perforantes profondes mais le mécanisme précis de la constitution de tels infarctus demeure encore discuté.

Le diagnostic peut cependant être orienté par la symptomatologie clinique où de nombreux syndromes plus ou moins spécifiques ont été décris.

Chez certains patients, ces lésions lacunaires peuvent être multiples.

Dans ce contexte, la survenue d’une nouvelle lésion est parfois de diagnostic difficile, les séquences d’IRM de diffusion permettraient là encore d’en faciliter le dépistage.

4- Autres mécanismes :

Parmi les mécanismes évoqués lors de la survenue d’un infarctus cérébral, deux autres doivent encore être discutés.

D’une part, le spasme artériel, qui complique fréquemment les hémorragies méningées, est une cause d’infarctus cérébral chez les patients ayant présenté une rupture de malformation vasculaire cérébrale.

Dans ce contexte, la mise en jeu de vasoconstricteurs puissants comme l’endothéline a été évoquée.

Enfin, un état d’hyperviscosité sanguine, secondaire par exemple à un syndrome polyglobulique ou à la présence d’une protéine monoclonale anormale en grande quantité dans le sang peut constituer un facteur favorisant ou aggravant parfois discuté.

Si le mécanisme responsable de l’infarctus cérébral va guider la conduite à tenir thérapeutique, en particulier la mise en place des traitements de prévention secondaire, le développement de traitements neuroprotecteurs, éventuellement utilisables à la phase aiguë de l’infarctus cérébral, reste actuellement conditionné par la nature des lésions à l’échelon cellulaire et moléculaire.

D – PRINCIPAUX MÉCANISMES CELLULAIRES MIS EN JEU AU COURS DE L’ISCHÉMIE CÉRÉBRALE :

Les travaux réalisés ces dernières années ont permis de montrer que les lésions du tissu cérébral consécutives à l’ischémie étaient la résultante de nombreux mécanismes intriqués et évolutifs dans le temps ainsi que dans leur localisation.

En effet, le coeur de l’ischémie, c’est-à-dire la zone de tissu cérébral où la diminution du débit sanguin et la privation énergétique sont les plus précoces et le plus sévère, est le siège d’une nécrose tissulaire.

Cette forme particulière de mort cellulaire, aux caractéristiques anatomopathologiques spécifiques (gonflement des organites intracellulaires et du cytoplasme, lyse osmotique, extrusion du contenu cellulaire dans l’espace extracellulaire), se développe rapidement au décours de l’ischémie et met en jeu des processus pathologiques au sein du cytoplasme cellulaire.

Parmi ces derniers, il convient de citer l’excitotoxicité médiée par le calcium et le glutamate ainsi que les phénomènes de dépolarisation péri-infarctus.

Au sein de la zone dite de pénombre, celle où persiste un certain degré de perfusion du tissu cérébral, la mort cellulaire résulte principalement d’un processus particulier, l’apoptose.

Ce type de mort cellulaire se différencie de la nécrose par ses aspects anatomopathologiques (condensation de la chromatine, fragmentation de l’acide désoxyribonucléique (ADN), convolution des membranes cytoplasmique et nucléaire, rétraction cellulaire) ainsi que par son mode de développement.

L’apoptose est un mécanisme de mort cellulaire qui s’est développé avec la naissance des organismes multicellulaires et constitue, en quelque sorte, un suicide qui permet la construction d’un système multicellulaire.

Dans cette description initiale, l’apoptose est un phénomène physiologique que l’on retrouve à travers toute la phylogénie.

Cette forme particulière de mort cellulaire programmée résulte en fait de la modulation permanente de nombreux gènes codant pour des protéines pro- ou antiapoptotiques.

Dans certaines conditions pathologiques telle l’ischémie cérébrale, la balance entre ces protéines pro- et antiapoptotiques est en faveur des premières et conduit inéluctablement vers la mort cellulaire.

Enfin, l’ischémie, le déficit énergétique et l’accroissement des concentrations intracytoplasmiques en calcium vont contribuer à la mise en jeu de nombreux processus délétères tels que la production de substances oxydantes et l’activation des voies de l’inflammation dont les effets différés dans le temps contribuent là encore à majorer les lésions tissulaires cérébrales.

Bien que souhaitable dans certaines conditions, la reperfusion du tissu ischémié peut, elle aussi, avoir des conséquences défavorables.

Les lésions tissulaires cérébrales peuvent en effet être majorées dans ce contexte en raison de l’exacerbation des processus oxydatifs et inflammatoires ou encore, comme nous l’aborderons plus en détail ultérieurement, par le biais du développement d’anomalies fonctionnelles au sein des vaisseaux cérébraux.

Mécanismes délétères précoces :

A – HOMÉOSTASIE ET TOXICITÉ DU CALCIUM AU SEIN DU TISSU NEURONAL :

Le calcium constitue l’un des principaux seconds messagers au sein des cellules neuronales.

Il est impliqué dans les mécanismes de libération des neurotransmetteurs, dans l’excitabilité membranaire et dans la modulation de nombreux processus métaboliques.

En l’absence de tout processus actif, le calcium aurait spontanément tendance à passer du milieu extracellulaire au milieu intracellulaire en raison d’un important gradient de concentration transmembranaire.

En effet, la concentration en calcium du milieu extracellulaire est environ 10 000 fois plus importante que celle du milieu intracellulaire.

Si le calcium peut pénétrer la cellule par l’intermédiaire de canaux calciques voltage-dépendants ou via les récepteurs des canaux N-méthyl-D-aspartate (NMDA), le maintien d’une faible concentration intracellulaire en calcium s’effectue, dans les conditions physiologiques, par la mise en jeu de différents systèmes dont le fonctionnement est coûteux en énergie.

D’une part, le calcium intracellulaire peut être stocké au sein des protéines cytoplasmiques, du réticulum endoplasmique ou encore dans les mitochondries où un état d’équilibre parfois précaire est maintenu par les échangeurs Na+ /Ca2+ et H+ /Ca2+.

D’autre part, une partie du calcium peut être extériorisée par mise en jeu de la Na+ /K+ adénosine triphosphatase (ATPase), de l’échangeur Na+ /Ca2+ et de la Ca2+ ATPase au sein de la membrane plasmique .

Le fonctionnement de ces systèmes requiert une importante consommation d’énergie, la déplétion énergétique induite par l’ischémie va donc brusquement interrompre la régulation des flux calciques, ce qui implique la saturation rapide des différents systèmes de stockage et l’augmentation des concentrations intracellulaires en calcium.

Cette élévation du calcium intracellulaire, largement facilitée par ailleurs par la libération du glutamate, va initier une cascade d’événements délétères pour le tissu cérébral parmi lesquels un dysfonctionnement des mitochondries (déficit énergétique et synthèse de radicaux libres toxiques), la mise en jeu de systèmes enzymatiques capables de dégrader différentes structures de la cellule (lipase, endonucléases et protéases) ou encore l’activation de la NO synthase de type I (production de NO cytotoxique), autant d’éléments à même de contribuer directement ou indirectement à la mort neuronale.

B – GLUTAMATE ET EXCITOTOXICITÉ :

La déplétion énergétique secondaire à l’ischémie favorise la dépolarisation neuronale et gliale.

Dans ces conditions, les canaux calciques voltage-dépendants se trouvent activés, facilitant ainsi la libération de glutamate dans l’espace extracellulaire.

L’élévation de la concentration du glutamate est d’autre part consécutive à l’altération de sa recapture présynaptique, elle aussi dépendante de mécanismes consommateurs d’énergie.

Par l’activation de différents récepteurs, le glutamate présent au sein de l’espace synaptique va contribuer à l’augmentation de la concentration intracellulaire en calcium.

Parmi les récepteurs du glutamate, on décrit des récepteurs ionotropiques ou récepteurs canaux qui sont perméables aux ions Na+, K+ et/ou Ca2+.

Ces récepteurs sont aussi caractérisés par leur réponse à d’autres agents pharmacologiques comme le NMDA, l’ a-amino-3-hydroxy-5-méthyl-4-isoxazole propionate (AMPA) ou le kaïnate.

Il est par ailleurs décrit plusieurs récepteurs métabotropiques qui, par définition, sont couplés à une protéine G et à différents systèmes de signalisation intracellulaire, en particulier à la phospholipase C et à la protéine kinase C.

Les données récentes de la littérature montrent que l’activation des récepteurs métabotropiques des groupes II et III, de localisation présynaptique préférentielle, permettrait d’induire une neuroprotection alors que l’activation des récepteurs du groupe I, plutôt de localisation postsynaptique, contribuerait à l’aggravation des lésions.

La majoration des lésions cérébrales résulte en partie, dans ce contexte, de la libération massive du Ca2+ contenu dans le réticulum endoplasmique via l’activation d’un récepteur spécifique de l’inositol triphosphate.

C – OEDÈME ET DÉPOLARISATION PÉRI-INFARCTUS :

La dépolarisation membranaire et la mise en jeu des récepteurs ionotropiques sensibles au glutamate vont s’accompagner d’une entrée massive d’ions Na+ dans les cellules et de la sortie d’ions K+.

L’entrée d’ions Na+ va être associée à un afflux de molécules d’eau responsable d’un oedème cellulaire cytotoxique.

La dépolarisation membranaire contribue par ailleurs à l’activation des canaux Ca2+ voltage-dépendants et donc à la libération de glutamate, concourant ainsi à l’entretien des phénomènes décrits dans le paragraphe précédent.

La dépolarisation péri-infarctus correspond quant à elle à la propagation, dans le tissu cérébral, de dépolarisations membranaires répétées.

Ces dépolarisations périinfarctus consécutives à la libération de glutamate et d’ions K+, d’abord décrites sur des modèles d’ischémie cérébrale expérimentale chez la souris, le rat et le chat, semblent pouvoir se répéter plusieurs fois par heure et ce de manière prolongée.

Il semble que ces épisodes de dépolarisations puissent avoir un effet délétère sur le parenchyme cérébral dans la mesure où, chez l’animal, le nombre de ces dépolarisations est corrélé à l’importance des lésions cérébrales.

La contribution réelle des dépolarisations périinfarctus à la physiopathologie de l’ischémie cérébrale chez l’homme est cependant beaucoup plus difficile à établir et ce principalement en raison des difficultés à les détecter tant par les méthodes électrophysiologiques qu’en imagerie fonctionnelle.

NO et ischémie cérébrale :

Le NO, à l’instar du calcium, est un médiateur ubiquitaire impliqué dans de nombreux processus physiologiques ou pathologiques tels que la vasorelaxation dépendant de l’endothélium, la neurotransmission au sein des systèmes nerveux central et périphérique ainsi que l’inflammation et les réponses immunitaires non spécifiques.

Au cours de l’ischémie cérébrale, le NO semble être une cible pharmacologique aux perspectives intéressantes bien que difficile à mettre en oeuvre dans la mesure où le NO peut être, successivement voire simultanément, le médiateur de mécanismes délétères et protecteurs.

A – QUELQUES ÉLÉMENTS DE LA PHYSIOLOGIE DU NO :

Le NO est synthétisé par oxydation de la L-arginine via une enzyme, la NO synthase (NOS) en présence de nombreux cofacteurs tels le nicotinamide-adénine-dinucléotide phosphatase (NADPH) et la tétrahydrobioptérine.

Il existe trois isoformes de la NOS dont les modalités d’activation et de localisation sont variables.

On décrit deux isoformes dites constitutives, la NOS de type I et la NOS de type III, de localisation respective neuronale et endothéliale d’où parfois leur dénomination de NOS neuronale et de NOS endothéliale.

Ces isoformes de la NOS ont pour principale caractéristique d’être activées de manière calcium-dépendante.

À l’inverse, l’activation de la NOS de type II ou NOS inductible est indépendante du calcium.

Cette isoforme de la NOS est induite principalement par les médiateurs de l’inflammation telles certaines cytokines et endotoxines.

Cette isoforme est retrouvée dans de nombreuses cellules tels les leucocytes, les macrophages, les cellules gliales, les astrocytes ou encore l’endothélium vasculaire.

Dans les conditions physiologiques, outre son rôle de comédiateur au sein du système nerveux, le NO est impliqué dans la régulation du débit sanguin cérébral.

En effet, le NO produit par l’endothélium permet une vasodilatation artérielle par relaxation des cellules musculaires lisses vasculaires après activation de la guanylate cyclase.

B – DUALITÉ DES EFFETS DU NO AU COURS DE L’ISCHÉMIE CÉRÉBRALE :

1- Effets délétères du NO :

Dans les minutes qui suivent le début de l’ischémie, la NOS de type I ou NOS neuronale est activée sous l’effet de l’augmentation du calcium intracellulaire.

Le NO ainsi produit participe à la formation de radicaux libres, en particulier de peroxynitrites par combinaison avec l’anion superoxyde.

Au sein des cellules neuronales mais aussi endothéliales, ces radicaux libres sont responsables de la peroxydation des lipides membranaires et de l’oxydation des protéines, contribuant ainsi à la mort cellulaire.

Le NO induit par ailleurs une fuite de fer du milieu intracellulaire, fer qui est alors disponible pour la formation de nouveaux radicaux libres permettant ainsi l’exacerbation de la peroxydation lipidique.

Après quelques heures, c’est la NOS de type II qui se trouve induite sous l’effet des médiateurs de l’inflammation.

L’augmentation de l’activité de cette NOS inductible, en particulier dans les cellules astrocytaires et gliales, l’endothélium vasculaire et les macrophages, conduit là encore à la majoration des lésions ischémiques cérébrales.

D’autre part, le NO est à même d’aggraver le déficit énergétique cellulaire par l’intermédiaire de plusieurs mécanismes : inhibition de l’enzyme glycolytique glycéraldéhyde-3-phosphate déhydrogénase (GAPDH), inhibition des enzymes mitochondriales (aconitase, complexes I et II), limitation de la formation d’ATP par inhibition de la créatine kinase et activation de la polyadénosine diphosphate (ADP)-ribose synthétase (PARS).

Enfin, la production conjointe de NO par les NOS de type II et de type I contribue à la mort cellulaire par la majoration de l’excitotoxicité induite par le glutamate via la sensibilisation des récepteurs N-méthyl-D-aspartate, par l’induction de lésions de l’ADN via l’inhibition de la ribonucléotide réductase, par l’activation de la PARS ainsi que par la participation aux processus inflammatoires et aux mécanismes déclencheurs de l’apoptose.

2- Effets potentiellement bénéfiques du NO :

En balance de ces effets délétères, le NO pourrait aussi avoir des effets favorables au cours de l’ischémie cérébrale.

De nombreux travaux réalisés ces dernières années ont permis d’entrevoir ce rôle favorable du NO qui semble s’exercer via l’activation de la NOS de type III.

Cet effet bénéfique pourrait en partie résulter de l’amélioration du débit sanguin cérébral via la vasorelaxation induite par le NO endothélial.

Le NO pourrait aussi améliorer la microcirculation par ses effets fibrinolytiques, antiagrégant plaquettaire et antiadhésion leucocytaire.

Ces effets favorables résulteraient de l’activation de la guanylate cyclase, de l’inhibition de la lipoxygénase, d’interactions avec le complexe CD11-CD18 ou encore de l’inhibition de l’expression des molécules d’adhésion.

Par ailleurs, il a été évoqué le fait que le NO puisse altérer le fonctionnement du récepteur NMDA ainsi qu’il serait à même, dans certaines conditions, de contrer les processus oxydatifs, se comportant alors comme un piégeur de radicaux libres.

Cependant, les conditions dans lesquelles pourraient se développer ces effets favorables demeurent encore difficiles à établir.

Si les expériences réalisées avec des souris déficientes pour le gène de la NOS de type III démontrent que celle-ci joue un rôle important dans le développement de mécanismes protecteurs au cours de l’ischémie, la modulation pharmacologique de la voie du NO au décours immédiat de l’ischémie n’est pas aisée.

En revanche, l’augmentation de l’expression et/ou de l’activité de la NOS de type III, préalablement à la survenue de l’ischémie cérébrale, serait peutêtre plus facile à mettre en oeuvre et permettrait le développement d’une neuroprotection.

De nombreux travaux apportent ainsi des arguments en faveur de la possibilité de développer une neuroprotection préventive, ce qui pourrait constituer une approche nouvelle du traitement de l’ischémie cérébrale.

Mécanismes délétères développés de manière différée :

A – INFLAMMATION POSTISCHÉMIQUE :

1- Mise en oeuvre de la réponse inflammatoire :

L’élévation du calcium intracellulaire, la production de radicaux libres et l’hypoxie permettent la synthèse de facteurs de transcription pro-inflammatoire comme le facteur nucléaire NF-jB, le facteur induit par l’hypoxie HIF-1, le facteur régulateur des interférons IRF-1 et le facteur de transcription STAT-3.

L’activation de ces facteurs de transcription permet l’expression de nombreux médiateurs de l’inflammation tels que le facteur d’activation plaquettaire (PAF) ou les cytokines tumor necrosis factor (TNF)-a et interleukine (IL)1-b.

Dans un deuxième temps, ces médiateurs permettent l’expression de molécules d’adhésion à la surface de l’endothélium, en particulier d’intercellular adhesion molecule (ICAM)-1, vascular cell adhesion molecule (VCAM)-1, des P-sélectines et E-sélectines.

Ces molécules d’adhésion interagissent avec des récepteurs situés à la surface des polynucléaires neutrophiles afin d’en favoriser l’adhésion à l’endothélium puis la migration au sein du parenchyme cérébral où 5 à 7 jours après le début de l’ischémie, ces cellules sont prédominantes.

Les cellules gliales et les astrocytes participent aussi à ces processus inflammatoires, en particulier au sein de la zone de pénombre.

Dans ce contexte, la modulation de la réponse inflammatoire sur des modèles expérimentaux d’ischémie cérébrale permet de générer une neuroprotection.

Les lésions ischémiques cérébrales sont ainsi moins sévères lorsque l’infiltration leucocytaire est prévenue par l’induction d’une neutropénie systémique, lorsque les molécules d’adhésion ou leurs récepteurs sont bloqués par des anticorps neutralisants ou lorsque l’ischémie est réalisée chez des souris déficientes en ICAM-1, de même lorsque l’action des médiateurs inflammatoires IL1-b et TNF-a est bloquée.

2- Processus cytotoxiques consécutifs à la réponse inflammatoire :

L’inflammation post-ischémique peut contribuer aux lésions cérébrales par plusieurs mécanismes.

Si l’obstruction des microvaisseaux par les polynucléaires peut majorer les lésions ischémiques, la production de médiateurs toxiques par les cellules inflammatoires activées est aussi un élément déterminant.

En effet, dans les modèles d’ischémie cérébrale chez le rongeur ainsi que chez les patients ayant présenté un infarctus cérébral, les polynucléaires peuvent induire la NOS de type II dont nous avons déjà abordé les effets délétères dans le chapitre précédent.

Outre la NOS de type II, les neurones situés au sein de la zone ischémiée et les polynucléaires activés expriment la cyclooxygénase-2 (COX-2), une enzyme impliquée dans la synthèse de radicaux superoxydes et de prostanoïdes cytotoxiques.

Les processus inflammatoires post-ischémiques vont ainsi contribuer à majorer le stress oxydant au cours de l’ischémie cérébrale.

Ces réactions inflammatoires pourraient constituer par ailleurs l’une des voies facilitant le développement de l’apoptose, des travaux récents ayant démontré que l’utilisation d’anticorps antimolécules d’adhésion permet de réduire la mort cellulaire par apoptose au sein du tissu ischémié.

Enfin, il ne faut pas négliger la participation des cellules inflammatoires au remodelage tissulaire et aux processus de réparation qui se mettent en place dans les jours ou les semaines suivant l’ischémie.

Par la production d’ostéopontine, il semblerait en effet que les macrophages et les cellules gliales activées jouent un rôle dans les processus de réparation.

Cette protéine favoriserait la migration des astrocytes et des cellules gliales au sein des tissus ischémiés et en permettrait ainsi la réorganisation.

Cet aspect de l’inflammation post-ischémique encore peu exploré pourrait lui aussi receler d’intéressantes perspectives thérapeutiques.

B – APOPTOSE ET ISCHÉMIE CÉRÉBRALE :

L’évolution vers la nécrose ou l’apoptose dépend en partie de la nature et de l’intensité du stimulus (activation des récepteurs du glutamate, surcharge en calcium, radicaux libres, NO, lésions de la mitochondrie, inflammation…) mais aussi du type cellulaire concerné ainsi que de son état de développement.

Comme nous l’avons déjà abordé en détail, la nécrose est le mécanisme prédominant à la phase initiale de l’ischémie, alors que l’apoptose apparaît plus tardivement et siège de manière préférentielle au sein de la zone de pénombre.

Le développement de cette modalité particulière de mort cellulaire est sous la dépendance de différents mécanismes que l’on pourrait classer en mécanismes initiateurs et effecteurs.

L’initiation de l’apoptose résulte de l’activation de gènes d’expression immédiate dont p53.

L’activation de ces gènes sous l’influence de l’hypoxie, de la surcharge en calcium, du NO permet de moduler l’expression de nombreuses protéines impliquées dans le développement de l’apoptose.

On distingue ainsi des protéines dont l’expression va favoriser le développement de l’apoptose (protéines proapoptotiques : Bax, Bid …) et des protéines qui, au contraire, limitent le développement de ce type de mort cellulaire (protéines antiapoptotiques : Bcl-2, Bcl-xL…).

La phase effectrice de l’apoptose est en partie modulée au niveau des mitochondries et met en jeu deux voies différentes, l’une indirecte dépendant des caspases (cysteinyl aspartate specific proteinase), l’autre permettant une fragmentation plus directe de l’ADN cellulaire.

L’activation de la voie dépendante des caspases nécessite la libération de cytochrome C et l’activation d’un complexe proapoptotique.

Celui-ci associe un facteur activateur de l’apoptose (APAF-1) et la caspase 9.

Ce complexe proapoptotique permet le développement de la phase finale de l’apoptose par activation de la caspase 3 et d’une ADNase caspase-dépendante.

L’autre voie, plus directe, met en jeu le facteur inducteur de l’apoptose (AIF) libéré par la mitochondrie et capable d’induire la fragmentation de l’ADN cellulaire indépendamment de l’action de toute autre ADNase.

Cette description simplifiée des processus concourant au développement de l’apoptose ne laisse peut-être pas apparaître l’extrême complexité des mécanismes mis en jeu au cours de celle-ci.

D’une part, il existe des arguments pour une activation très précoce de l’apoptose au coeur de l’ischémie par des voies indépendantes de la mitochondrie et de la caspase 9.

D’autre part, plus de 12 caspases sont en fait impliquées dans le développement de l’apoptose au cours de l’ischémie cérébrale et ce, tant lors de l’initiation de celle-ci qu’au moment de la mise en jeu des mécanismes effecteurs.

Le développement et la mise au point d’inhibiteurs des caspases pourraient ouvrir, dans ce contexte, d’importantes perspectives thérapeutiques.

Autres éléments à prendre en considération :

A – EFFETS DE LA REPERFUSION ET PROBLÈME PARTICULIER DU « TISSUE PLASMINOGEN ACTIVATOR » (t-PA) :

Si l’on considère l’ischémie cérébrale sous l’angle purement vasculaire, il apparaît évident que la reperfusion est un élément important dans la perspective de la limitation des lésions neurologiques.

Les essais de fibrinolyse ont été menés dans cet esprit, menant à une indication restrictive du recombinant-tissue-type plasminogen activator (rt-PA) aux États-Unis et au Canada et à la récente autorisation de mise sur le marché de ce produit en Europe.

En dépit des bénéfices de ce traitement, la reperfusion ne semble cependant pas avoir que des effets favorables.

En raison de la correction parfois brutale de l’hypoxie secondaire à l’ischémie, la reperfusion va s’accompagner d’une majoration des processus oxydatifs.

L’ensemble des voies du stress oxydant mises en jeu au cours de l’ischémie vont être ainsi exacerbées, concourant à la possible aggravation des lésions cérébrales.

D’autre part, l’afflux d’éléments figurés du sang, en particulier de leucocytes, va contribuer au développement des processus inflammatoires et par conséquent à majorer les lésions du tissu cérébral. Moins connu est le développement d’anomalies fonctionnelles au sein de l’endothélium et des cellules musculaires lisses vasculaires.

La reperfusion peut en effet générer une altération de la réactivité vasculaire au sein des vaisseaux cérébraux, en particulier la perte du tonus vasculaire, la diminution de leurs capacités de contraction à la sérotonine ou encore l’abolition de la vasorelaxation endothélium-dépendante, autant d’éléments à même de limiter les possibilités d’adaptation du débit sanguin cérébral.

D’autre part, la reperfusion des vaisseaux cérébraux va modifier le fonctionnement d’un canal potassique, le canal Kir 2.1.

Ce canal, situé au sein des cellules musculaires lisses vasculaires, joue un rôle essentiel dans les capacités de vasodilatation des artères cérébrales.

En dehors du problème purement hémodynamique, l’altération fonctionnelle de ce canal ionique lors de la reperfusion est corrélée à l’aggravation des lésions du tissu cérébral, argumentant ainsi pour l’existence d’une interaction entre la fonction du vaisseau cérébral et le développement des lésions du parenchyme au décours de l’ischémie.

Si ces données expérimentales éclairent d’un jour nouveau la physiopathologie de l’ischémie cérébrale, la répercussion de ces anomalies en clinique humaine demeure encore peu explorée.

Néanmoins, certaines publications argumentent pour un rôle possible des anomalies fonctionnelles de la réactivité vasculaire cérébrale dans la survenue de certains sous-types d’infarctus cérébraux.

Les conséquences de la reperfusion obtenue par l’utilisation d’agents pharmacologiques tel le rt-PA semblent aussi constituer un élément important de discussion.

Il existe en effet, depuis quelques années, des arguments expérimentaux en faveur d’une possible toxicité du t-PA sur le système nerveux, en particulier via la majoration de l’excitotoxicité par sensibilisation des récepteurs NMDA au glutamate.

Si ces données demeurent controversées, l’étude des effets du t-PA au cours de l’ischémie cérébrale doit être poursuivie dans le but de préciser les facteurs biologiques favorisant les hémorragies cérébrales lors de l’utilisation de ce traitement.

Dans ce domaine, de nombreuses pistes sont en cours d’exploration telles que le rôle de la surexpression du t-PA endogène au décours de l’ischémie, celui de l’aggravation de la dysfonction endothéliale postreperfusion, de la synthèse accrue de métalloprotéinases ou encore de la modulation de l’expression des protéines d’adhésion.

L’interaction entre t-PA et protéines d’adhésion semble d’ailleurs être un problème particulièrement intéressant à considérer.

En effet, un traitement précoce par t-PA au décours de l’ischémie permettrait de limiter l’expression d’ICAM-1 alors qu’un traitement plus tardif aurait l’effet inverse.

En bonne concordance avec la notion d’évolutivité des processus physiopathologiques au cours du temps, les effets d’un même traitement pourraient ainsi être totalement différents selon le délai séparant le début du phénomène pathologique et la prescription.

Ce type de constatation permet d’appréhender plus facilement le problème des discordances constatées entre les données expérimentales obtenues chez l’animal et les résultats des essais thérapeutiques.

B – INADÉQUATION ENTRE DONNÉES EXPÉRIMENTALES ET ESSAIS THÉRAPEUTIQUES :

Le développement de traitements neuroprotecteurs à partir des connaissances accumulées ces dernières années sur la physiopathologie de l’ischémie cérébrale laissait présager, au vu des études réalisées chez l’animal, de bons résultats.

Cependant, force est de constater que l’ensemble des voies explorées en clinique sont restées infructueuses, la plupart des études s’avérant malheureusement négatives.

Cette inadéquation entre résultats expérimentaux et cliniques pose tout d’abord la question de la pertinence des modèles.

Les modèles expérimentaux sont le plus souvent développés chez de jeunes animaux sans pathologies associées, ce qui est loin d’être le cas des patients présentant un infarctus cérébral.

En effet, ces derniers sont habituellement âgés et porteurs de plusieurs pathologies. Les modifications neuronales ou vasculaires liées au vieillissement pourraient par ailleurs modifier l’effet pharmacologique de substances potentiellement actives.

L’efficacité de tels agents devrait donc être évaluée sur des populations d’animaux âgés ou pathologiques (hypertension, diabète), chez lesquels la susceptibilité à l’ischémie est augmentée.

D’autre part, l’inadéquation entre l’homogénéité des groupes expérimentaux, rendue nécessaire pour des raisons de rigueur scientifique, et l’hétérogénéité des populations de patients pourrait également rendre compte de la discordance entre résultats expérimentaux et cliniques.

Le problème de la fenêtre thérapeutique apparaît également capital.

Il est difficile de pouvoir extrapoler les effets bénéfiques d’un agent protecteur administré au début d’une procédure expérimentale chez l’animal alors que ce même agent ne sera prescrit chez le patient qu’après plusieurs heures d’évolution de l’ischémie cérébrale.

Comme nous l’avons déjà évoqué, le caractère évolutif des processus physiopathologiques rend plus crucial encore cette notion et ce problème de fenêtre thérapeutique.

Dans ce contexte, si les mécanismes précoces mis en jeu au cours de l’ischémie, en particulier l’excitotoxicité, ont fait l’objet de nombreux travaux , les mécanismes tardifs tels que l’inflammation ou l’apoptose ont encore été peu explorés alors même qu’ils apparaissent prometteurs, en particulier du fait de la possibilité de délais plus importants pour leur prescription.

Enfin, l’inadéquation des critères de jugement est également un élément à prendre en considération.

Chez l’animal, la plupart des études ne prennent en compte que la mesure des volumes d’infarctus cérébraux sans intégrer de critères d’évaluation fonctionnelle, en particulier à long terme, alors que ces derniers constituent les principaux critères de jugement de l’efficacité des traitements lors des essais menés chez l’homme.

Conclusion :

D’importants progrès ont été réalisés dans le domaine de la physiopathologie de l’ischémie cérébrale, en particulier à partir des données expérimentales.

Les mécanismes cellulaires et moléculaires mis en jeu sont ainsi mieux connus.

Les travaux de ces dernières années ont confirmé la multiplicité de ces mécanismes, leur intrication ainsi que leur caractère évolutif. Face à cette complexité, l’échec des traitements neuroprotecteurs lors des essais thérapeutiques est plus facilement compréhensible.

Les perspectives thérapeutiques demeurent cependant importantes dans la mesure où de nombreuses voies n’ont pas encore ou très peu été explorées.

Parmi celles-ci, les mécanismes impliqués dans la régénérescence des tissus nerveux et vasculaires cérébraux tels que le recrutement de progéniteurs cellulaires au sein de la moelle osseuse ou l’implication des facteurs de croissance pourraient ouvrir d’intéressantes perspectives.

De même, la mise au point d’agents pharmacologiques capables d’induire le développement d’une neuroprotection préventive chez des patients à haut risque pourrait s’avérer particulièrement intéressante dans la perspective de limiter la sévérité et donc le handicap consécutif à un infarctus cérébral qui surviendrait en dépit des traitements de prévention habituels.

La mise au point de nouveaux agents thérapeutiques dans le domaine de l’ischémie cérébrale nécessite de revoir complètement les notions classiques de neuroprotection ainsi que les modalités et les délais d’administration des traitements.

Afin de faciliter la mise au point de ces nouveaux traitements et d’éviter l’écueil des résultats négatifs des études cliniques, il conviendrait enfin de parfaire les connaissances de la physiopathologie des infarctus cérébraux en pathologie humaine. Gageons que le développement des techniques d’imagerie comme l’IRM de diffusion et la spectroscopie IRM permettra de telles avancées.

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