Intubation difficile

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Introduction :

L’intubation difficile représente, chez l’adulte, la première cause de morbidité et de mortalité anesthésiques.

Elle est responsable d’environ un tiers des accidents imputables à l’anesthésie. Le pronostic de ces accidents reste péjoratif avec, dans deux tiers des cas, le décès du patient ou l’existence de séquelles neurologiques irréversibles.

Caplan a estimé que l’échec d’intubation était responsable de 30 % des décès anesthésiques.

King et Adams ont estimé que 600 personnes/an dans le monde décèdent à cause d’une intubation difficile ou impossible.

Intubation difficileL’intubation difficile n’est pas toujours prévisible, bien que différents facteurs prédictifs d’intubation difficile aient été identifiés et inscrits dans des scores.

Cependant, selon la définition choisie de l’intubation difficile, leur sensibilité et leur spécificité varient de manière significative.

Globalement, la sensibilité de ces tests prédictifs est inférieure à 50 %.

Quelle que soit la qualité de l’examen d’évaluation préopératoire, 15 à 30 % des intubations difficiles n’ont pas été détectées avant l’anesthésie.

Des algorithmes décisionnels ont été mis au point par la Société française d’anesthésie-réanimation (SFAR), proposant de nombreuses techniques face à une intubation difficile, prévue ou non.

Définitions et données épidémiologiques :

A – DÉFINITIONS :

Avant 1996, les données de la littérature sur l’incidence de l’intubation difficile souffraient du manque de précision dans sa définition.

En effet, elle varie d’une étude à l’autre, voire même d’un anesthésiste à l’autre, ne permettant aucune comparaison. De plus, les définitions proposées par l’American Society of Anesthesiologists (ASA) en 1993 ou la SFAR en 1996 ont été peu utilisées dans les études consacrées à ce sujet.

Un comité d’experts s’est réuni sous l’égide de la SFAR pour établir une définition consensuelle, considérant « qu’une intubation est difficile pour un anesthésiste expérimenté, lorsqu’elle nécessite plus de 10 minutes et/ou plus de deux laryngoscopies, dans la position amendée de Jackson, avec ou sans compression laryngée (manoeuvre de Sellick) ».

Il faut la distinguer de la laryngoscopie difficile, caractérisée par l’impossibilité de visualiser le plan glottique.

Cette difficulté a donné lieu à une classification (Cormack et Lehane).

Enfin, une ventilation au masque est dite difficile lorsqu’une saturation périphérique en oxygène ne peut être maintenue supérieure à 90 % sous une fraction inspirée en oxygène de 100 % (oxygène pur) chez un patient à poumons sains et dont la saturation préopératoire est supérieure à 90 %.

B – DONNÉES ÉPIDÉMIOLOGIQUES :

Ces définitions ayant été établies récemment, aucune donnée précise sur l’incidence de l’intubation difficile n’est disponible, ce qui explique des incidences variant d’un facteur 100 selon la définition choisie.

Ainsi, l’étude prospective de Rose et Cohen portant sur 3 325 patients retrouve une incidence d’intubation difficile de 10,1 % si la définition porte sur une laryngoscopie anormale (Cormack et Lehane > 2), de 2 % si la définition porte sur le nombre de laryngoscopies supérieur à 2, et de 0,1 % si la définition porte sur l’échec de l’intubation.

La conférence d’experts retrouve une incidence de 0,5 à 2 % en chirurgie générale.

Elle serait moindre en chirurgie pédiatrique, mais en revanche plus élevée en obstétrique (3 à 7 % avec 0,5 % d’échec d’intubation), en chirurgie carcinologique oto-rhinolaryngologique (ORL) (10 à 20 %) et en médecine d’urgence préou intrahospitalière (10 à 20 %).

La situation la plus dramatique, aux conséquences gravissimes, est l’association intubation-ventilation impossibles (cannot intubatecannot ventilate), dont la fréquence varie de 3·10–5 à 1·10–6.

Une étude récente a évalué la difficulté d’intubation de manière quantitative, grâce à une échelle corrélée à la durée du geste et à l’exposition glottique.

Ces données pourront être utilisées dans de futures études, afin d’améliorer les connaissances épidémiologiques sur l’intubation difficile.

Étiologies :

Elles peuvent être classées en quatre catégories.

A – VISUALISATION DES CORDES VOCALES MAIS ACCÈS DIFFICILE :

On retrouve les malpositions dentaires, l’existence d’une macroglossie, les traumatismes balistiques et les antécédents de pelvimandibulectomie avec lambeaux.

B – DIFFICULTÉ DE PASSAGE DE LA SONDE D’INTUBATION ENTRE LES CORDES VOCALES :

Le passage de la sonde peut être entravé pour des raisons obstructives tumorales (tumeur des cordes vocales, papillomatose) ou physiologiques (filière étroite chez la femme enceinte), infectieuses (épiglottite) ou par l’existence d’une paralysie des cordes vocales.

C – DIFFICULTÉ DE PROGRESSION DE LA SONDE DANS LA TRACHÉE :

En raison d’un oedème laryngé, de tumeurs endolaryngées et sousglottiques, d’un traumatisme avec rupture laryngotrachéale ou d’une sténose trachéale.

D – NON-VISUALISATION DES CORDES VOCALES :

Elle est la conséquence des anomalies suivantes :

– limitation de l’ouverture de bouche : trismus provoqué par radiothérapie, cellulite, fracture ; pathologie des articulations temporomandibulaires ;

– anomalie cervicale : soit par raideur du rachis cervical (arthrose, arthropathie diabétique, spondylarthrite ankylosante, polyarthrite rhumatoïde, fracture et/ou luxation, présence d’une minerve), soit par l’existence d’une pathologie rétractile (cicatrices, brûlures, radiothérapie), ou chez le patient obèse à cou court ou souffrant d’un syndrome d’apnées du sommeil ;

– anomalies endobuccales ou laryngées :

– anatomiques : palais ogival, macroglossie ;

– tumorales : néoplasie des voies aérodigestives supérieures (VADS) (base de langue, margelle laryngée, épiglotte, vallécule), tumeur hypervascularisée du plancher de bouche, lipome ;

– infectieuses (phlegmon du plancher buccal) ;

– goitre ;

– acromégalie.

Détection :

L’évaluation préopératoire d’une intubation potentiellement difficile est une étape fondamentale de la consultation préanesthésique.

A – INTERROGATOIRE ET EXAMEN CLINIQUE :

1- Interrogatoire :

Il s’attache à rechercher l’existence :

– d’antécédents d’intubation difficile et leurs étiologies ;

– de notion de séjour en réanimation avec intubation prolongée et/ou trachéotomie ;

– de traumatismes maxillofaciaux et d’interventions ou de lésions ORL (cervicales, pharyngolaryngées ou trachéales) ;

– d’un syndrome d’apnées du sommeil, de ronflements et autres troubles du sommeil ;

– de changements récents de la voix ;

– d’antécédents de radiothérapie ;

– de pathologies médicales connues pour être pourvoyeuses d’intubation difficile : diabète, affection rhumatismale, obésité morbide.

2- Examen clinique :

Il s’effectue en quatre temps : deux temps de face et deux temps de profil.

* Examen de face :

+ Bouche fermée :

Il recherche l’existence de cicatrices cervicofaciales, d’un cou court, d’un goitre.

Il vérifie la perméabilité des fosses nasales, ainsi que la symétrie mandibulaire.

+ Bouche ouverte :

L’importance de l’ouverture de bouche doit être analysée, ainsi que la possibilité de subluxer en antéropostérieur la mandibule : les incisives inférieures peuvent normalement passer en avant des supérieures.

Si les incisives restent dans le même plan, la subluxation est dite réduite de façon moyenne ; si les incisives supérieures restent toujours en avant, la réduction de subluxation est dite majeure.

L’état dentaire est évalué : dents manquantes ou fragilisées.

L’inclinaison des incisives supérieures est précisée.

Les incisives supérieures recouvrent normalement les deux tiers des incisives inférieures : la protrusion est majeure lorsque les deux tiers des incisives inférieures sont vus.

La distance interincisive (entre les incisives supérieures et inférieures) est mesurée bouche ouverte au maximum (normalement supérieure à 35 mm chez l’homme et 30 mm chez la femme).

Cette position permet d’apprécier les quatre classes de Mallampati sur un sujet assis, regard à l’horizontale, tête droite, sans phonation et langue tirée.

Ce test, de réalisation aisée, avoue cependant certaines imperfections selon les études, en termes de sensibilité et de spécificité, variant pour la sensibilité de 33 % pour Laplace et al à 81,2 % pour Frerk (avec une spécificité de 81,5 %), et pour la spécificité de 66,1 % pour Savva (avec une sensibilité de 64,7 %) à 88 % pour Laplace.

Les classes III et IV sont souvent associées à des difficultés d’exposition laryngée.

* Examen de profil :

+ Regard à l’horizontale :

Il recherche une rétrognathie en traçant arbitrairement une ligne verticale tangente à la lèvre supérieure : l’orthognathe a la ligne touchant l’extrémité du menton, le prognathe la ligne en arrière de l’extrémité du menton, et le rétrognathe la ligne 2 à 3 cm en avant de l’extrémité du menton.

+ Tête en hyperextension :

On mesure la distance thyromentonnière entre la proéminence du cartilage thyroïde et la pointe osseuse du menton (normalement supérieure à 6,5 cm).

Elle permet d’évaluer l’espace mandibulaire antérieur situé en avant du larynx et en arrière de la mandibule.

Plus cet espace est grand, plus il y a de place pour refouler la langue à l’aide du laryngoscope.

Cet espace s’évalue aussi par la longueur de la branche horizontale de la mandibule (normalement supérieure à 9 cm).

Une autre équipe a souligné une meilleure sensibilité (82,4 % versus 64,7 %) pour la distance thyromentonnière et une meilleure spécificité (88,6 % versus 81,4 %) de la distance sternomentonnière située entre la fourchette sternale et la pointe osseuse du menton (normalement supérieure à 12,5 cm) et évaluée sur un patient bouche fermée.

Cet examen permet enfin d’apprécier la mobilité de l’articulation atlanto-occipitale par la manoeuvre de Bellhouse et Doré.

Le patient regarde à l’horizontale, bouche ouverte, puis avance la tête en avant, avant de réaliser un mouvement d’extension du rachis.

Quatre stades ont été décrits : les stades 3 et 4 sont prédictifs d’intubation difficile.

* Signe du « prieur » :

Il recherche les limitations de mouvements des petites articulations (temporomandibulaires et interphalangiennes) rencontrées chez le diabétique insulinodépendant (signe encore appelé stiff joint syndrome) ou dans certaines affections rhumatismales.

Lors du geste de la prière, le patient est incapable de joindre les deux mains, par ankylose des articulations métacarpophalangiennes et interphalangiennes, prédictif d’intubation difficile.

3- Quels critères retenir ?

Sur une première étude rétrospective de 800 patients, Wilson et al ont déterminé plusieurs critères d’intubation difficile, puis les ont validés dans une seconde étude prospective de même taille (778 patients).

Il ont retenu cinq critères corrélés à une difficulté d’intubation : le poids, la mobilité de la tête et du cou, la mobilité de la mandibule, un rétrognathisme et des incisives supérieures proéminentes.

Un score supérieur ou égal à 2 détecte 75 % des laryngoscopies difficiles, avec un taux de faux positifs à 12 % limitant son application.

Un score supérieur ou égal à 4 ne dépiste plus que 42 % des laryngoscopies difficiles, avec un taux de faux positifs réduits à 0,8 %.

Les critères de Wilson et les classes de Mallampati semblent avoir une sensibilité et une spécificité comparables (respectivement 40 % versus 50 % et 95 % versus 92 %), avec une valeur prédictive positive de 13 % pour Wilson et 10 % pour Mallampati.

Certains auteurs préfèrent les critères de Wilson, moins observateurs-dépendants que les classes de Mallampati.

En 1997, l’équipe de Yamamoto a montré que la réalisation d’une laryngoscopie indirecte préopératoire permettrait une meilleure prédiction de l’intubation difficile que les critères de Wilson ou les classes de Mallampati.

Ils utilisent un dispositif à miroir et éclairage par fibre optique monté sur un manche de laryngoscope, qui permet d’évaluer la facilité d’exposition glottique selon le score de Cormack et Lehane.

L’inconvénient limitant principal est le déclenchement de réflexes nauséeux responsables de l’impossibilité d’évaluation de 15 % des 3 000 patients inclus dans l’étude.

Cependant, la spécificité de cette technique est largement supérieure à celle des autres techniques (98,4 % versus 52,5 % pour le Mallampati > II et 86,1 % pour un Wilson > 2), ainsi que la valeur prédictive positive (respectivement 31 % versus 2,2 % et 5,9 %) dans la prédiction d’une anomalie de l’exposition glottique (Cormack et Lehane 3 et 4).

À l’heure actuelle, trois critères simples et rapides sont retenus pour prédire une intubation difficile : l’ouverture de bouche, la classe de Mallampati et la distance thyromentonnière.

Une intubation est prévue difficile lorsque :

– l’ouverture de bouche est inférieure à 35 mm chez l’homme ou 30 mm chez la femme ;

– la classe de Mallampati est égale à III ou IV ;

– la distance thyromentonnière est inférieure à 65 mm.

L’intubation orotrachéale est considérée comme impossible si :

– l’ouverture de bouche est inférieure à 20 mm ;

– le rachis est bloqué en flexion ;

– il existe une dysmorphie sévère chez l’enfant ;

– il existe des antécédents d’échec d’intubation par voie orotrachéale lors de précédentes interventions.

B – EXAMENS COMPLÉMENTAIRES :

Aucun examen d’imagerie n’est indispensable au diagnostic de l’intubation difficile.

Cependant, dans certaines circonstances (comme la chirurgie ORL), l’iconographie par tomodensitométrie ou par résonance magnétique nucléaire réalisée dans le cadre du bilan d’une lésion ORL, permet d’objectiver le volume de la langue, de l’épiglotte, la localisation de la glotte, le calibre de la filière laryngotrachéale. Deux incidences radiologiques peuvent être utiles :

– une incidence de la tête de profil, bouche fermée, en position neutre et le regard à l’horizontale selon White et Kander;

– une incidence de profil, tête en hyperextension, bouche ouverte en position d’intubation permettant de dégager l’angle maxillopharyngé formé par le plan des incisives supérieures et le plan pharyngé postérieur (normalement supérieur à 100°) ou angle de Delègue.

Tous les éléments recueillis sont consignés par écrit sur la feuille d’anesthésie et une stratégie est développée.

Choix des techniques et algorithmes décisionnels :

Les techniques à utiliser face à une intubation difficile sont choisies en fonction de son caractère prévu ou non, de la possibilité de bien oxygéner et de ventiler le patient au masque facial ou non, du degré d’urgence de l’intervention et de l’intubation, des raisons de la difficulté d’intubation, ainsi que de l’expérience de l’opérateur et de la disponibilité du matériel regroupé dans un chariot d’intubation difficile.

Quelle que soit la situation, il convient de respecter de bonnes conditions de sécurité du patient, en s’assurant de la présence d’un aide, à qui « on passe la main » ou qui assure le contrôle de la profondeur de l’anesthésie et du monitorage de l’oxygénation (saturation périphérique en oxygène).

A – OXYGÉNATION ET TECHNIQUES D’ANESTHÉSIE :

La préoxygénation du patient est impérative.

Il existe différentes techniques :

– de référence en ventilation spontanée en oxygène pur avec un masque facial étanche pendant 4 minutes ;

– de la capacité vitale en quatre cycles de ventilation.

Cette préoxygénation doit être prolongée chez le sujet insuffisant respiratoire chronique et l’obèse, en raison d’un délai plus court d’apparition d’une désaturation en oxygène en apnée.

La technique d’anesthésie est choisie en fonction du caractère prévu ou non de l’intubation difficile et du terrain (état cardiorespiratoire, coopération).

La connaissance de la localisation de la lésion ORL relevée par l’examen ORL en laryngoscopie indirecte ou au fibroscope souple permet d’adapter la conduite de l’anesthésie.

Avant toute anesthésie, l’injection intraveineuse d’atropine (10 µg·kg–1, en l’absence de contre-indication) permet de diminuer les sécrétions et de prévenir les réactions vagales.

Deux situations peuvent se présenter :

– en cas d’estomac plein, aucune anesthésie locale ou locorégionale du larynx ne doit être réalisée.

Une sédation est conduite ;

– chez le patient à jeun, une anesthésie vigile ou préférentiellement générale en ventilation spontanée est conduite.

Dans certaines situations où une résolution musculaire peut aider à l’intubation, un curare de courts délai et durée d’action peut être utilisé (succinylcholine).

Une fois le patient sous anesthésie générale ou sédation, il faut s’assurer de la possibilité d’oxygénation.

Elle peut être réalisée par une ventilation manuelle au masque facial, avec le risque de distension gastrique si les pressions d’insufflation augmentent (> 20 cmH2O).

Les sources d’échec sont l’obésité, la macroglossie, le syndrome d’apnées du sommeil, les tumeurs, le laryngospasme, les sténoses de la filière laryngotrachéale et l’oedème d’origine tumorale, ou secondaire aux tentatives d’intubation multiples.

Sa réalisation peut générer des fuites au niveau du masque en cas de dysmorphie faciale, d’édentation, et de la présence d’une barbe, mais aussi au niveau d’obstacles sur les voies aériennes (pharyngostome, plaies).

L’oxygène peut être délivré, soit à l’aide d’un petit cathéter introduit dans les voies aériennes sous un débit de 10 L·min–1 réalisant une oxygénation par diffusion, soit par l’intermédiaire du canal latéral du laryngoscope (LaryngO2t).

En dernier recours, l’oxygénation peut être assurée par un cathéter introduit par voie transtrachéale après ponction de la membrane intercricothyroïdienne.

Des kits sont commercialisés.

Trois situations peuvent se présenter :

– intubation difficile non prévue et ventilation au masque impossible ;

– intubation difficile non prévue et ventilation au masque possible ;

– intubation difficile ou impossible prévue.

À côté des algorithmes proposés par la SFAR, et en raison de la diversité des situations, chaque équipe doit avoir des algorithmes personnels adaptés à l’expérience de l’opérateur et aux situations particulières rencontrées dans sa pratique.

Dans tous les cas, les tentatives d’intubation doivent être les moins nombreuses possibles pour éviter le traumatisme générateur d’oedème ou d’hémorragie ajoutant une difficulté supplémentaire.

Le risque de ventilation au masque impossible devient grand après trois essais infructueux d’intubation.

À chaque étape d’un algorithme, il faut évoquer la possibilité de réveiller le patient et de reporter l’intervention.

Les difficultés rencontrées sont consignées sur un document remis en main propre au patient, et dont un double est conservé dans le dossier.

B – INTUBATION DIFFICILE NON PRÉVUE :

Il faut en priorité s’assurer que le patient est ventilable au masque facial.

1- Ventilation au masque peu efficace :

Il existe deux moyens d’améliorer la situation :

– améliorer l’étanchéité du masque.

Un aide peut assurer la ventilation pendant que l’anesthésiste assure l’étanchéité du masque à deux mains ;

– assurer la liberté des voies aériennes par la mise en place d’une canule oropharyngée de taille adaptée, qui relève la base de la langue et l’épiglotte vers l’avant.

2- Ventilation au masque impossible :

Son risque devient important après trois tentatives infructueuses d’intubation.

Les facteurs prédictifs d’une ventilation au masque difficile ont été peu étudiés.

Une étude a retenu les éléments suivants : antécédent d’irradiation cervicale, index de masse corporelle supérieur à 30 kg·m-2 et une ouverture de bouche inférieure à 35 mm.

Une autre équipe a retenu comme critères de ventilation difficile si deux des quatre facteurs de risque suivants étaient présents : absence de dents, âge supérieur à 55 ans, index de masse corporelle supérieur à 26 et présence d’une barbe.

L’association « ni intubable-ni ventilable » est la plus préoccupante, d’autant plus que la ventilation spontanée n’a pas été respectée, aboutissant très rapidement au risque d’anoxie.

Le masque laryngé est employé en première intention en raison de sa facilité et de sa rapidité de mise en place.

Il peut être utilisé comme méthode d’intubation (sonde n° 6 pour un masque laryngé n° 3 et 4 ; sonde n° 7,5 pour un masque n° 5).

Elle est, soit réalisée à l’aveugle (90 % de réussite), sur guide (82 % de réussite) , soit sous fibroscopie (100 % de réussite).

Cependant, son emploi est contre-indiqué en cas de tumeur pharyngée ou laryngée , d’antécédent d’irradiation cervicale étendue et en cas d’estomac plein.

Dans 10 % des cas, on ne peut ventiler le patient en raison de fuites importantes par manque d’étanchéité avec le larynx, ou lors de la survenue d’un laryngospasme ou d’un bronchospasme.

Deux nouveaux dispositifs récemment développés peuvent s’intercaler comme alternative au masque laryngé : la canule cuffed oropharyngeal airway (COPA) et le Fastracht.

Le COPA est une canule de Guedel dont le ballonnet se gonfle dans le pharynx.

Il ne doit être utilisé que pour permettre une ventilation efficace avant le réveil du patient.

Il faut limiter la pression d’insufflation à 20 cmH2O.

Aucune étude n’a évalué sa place dans l’intubation difficile.

Le Fastracht est un masque laryngé plus élaboré spécialement conçu pour l’intubation difficile.

Il permet la ventilation du patient et une intubation trachéale à l’aveugle.

Il existe en trois tailles : n° 3 pour les enfants de plus de 7 ans, n° 4 pour les adultes de moins de 1,70 m et n° 5 pour les adultes de plus de 1,70 m.

La partie proximale du tube est munie d’une poignée pour permettre le maintien du masque en bonne position pendant l’intubation.

Les languettes de protection du masque ont été remplacées par une seule languette rigide médiane, se soulevant au moment du passage de la sonde d’intubation et relevant l’épiglotte.

Une fois la sonde armée non préformée en place, le Fastracht est retiré.

Une étude réalisée en ORL chez 29 patients présentant des signes prédictifs d’intubation difficile a retrouvé, chez 11 patients aux antécédents de chirurgie oropharyngée et de radiothérapie cervicale, deux échecs d’intubation, même après utilisation d’un fibroscope.

L’administration d’oxygène par voie transtrachéale peut être indiquée d’emblée en cas de contre-indication du masque laryngé ou après échec de sa mise en place.

C’est la technique de sauvetage de seconde intention.

On réalise d’une main une ponction médiane avec un angle de 15° avec la verticale de la membrane intercricothyroïdienne, à l’aide d’un cathéter court intraveineux de 13 ou 14 G tout en maintenant le larynx immobile avec l’autre main.

Un test d’aspiration d’air dans la seringue montée sur le cathéter signe le passage en intratrachéal.

L’oxygénation est ensuite assurée, soit par simple diffusion d’O2 sous 4 à 6 L·min–1, dont l’inconvénient est l’apparition d’une acidose respiratoire et d’une hypercapnie du fait de l’absence de ventilation alvéolaire, soit à l’aide d’un ambu raccordé sur un raccord de sonde d’intubation n° 7 branché sur un corps de seringue de 10 mL relié sur le cathéter, le principal inconvénient étant la difficulté de ventilation en raison de la résistance imposée par le calibre du cathéter, soit par jet ventilation à l’aide d’un injecteur manuel possédant une alarme de surpression, en s’assurant d’une expiration efficace et en surveillant les mouvements de la cage thoracique, pour éviter les barotraumatismes et l’apparition d’un emphysème sous-cutané ou médiastinal.

Un autre recours ultime est la réalisation d’une cricothyroïdotomie percutanée ou minitrachéotomie.

Des kits de ponction transtrachéale sont commercialisés par Cook-Critical Caret (cathéter de Arndt ou de Patil) et Portext (cathéter de Ravussin). Ils sont introduits selon la technique de Seldinger.

L’ultime recours est la trachéotomie, réalisée par des mains expérimentées dans ce contexte.

Elle reste parfois irremplaçable en présence de tumeur, d’hématome, ou lorsqu’une intubation doit se faire avec le ballonnet gonflé (bronchospasme, arrêt cardiaque).

3- Ventilation au masque efficace :

La position de la tête du patient est un élément important à considérer face à une exposition difficile.

La position amendée de Jackson est obtenue par une flexion de C5-C6 à l’aide d’un coussin placé sous la tête du patient, et une extension de l’articulation occipitoatlantoïdienne.

Cette position permet l’alignement des axes oral, pharyngé et laryngé.

Exercer une pression sur la cartilage thyroïde vers le haut, l’arrière et la droite, améliore la visualisation du plan glottique (manoeuvre de Burp), plus que le simple appui laryngé vers l’arrière. Utiliser une lame adaptée à la bouche du patient est un élément primordial à prendre en compte (Mac Intosh n° 4 pour les obèses et les cous longs).

La lame refoule la langue dans l’espace prémandibulaire.

Si elle ne peut pas se placer sous l’os hyoïde, le plan glottique ne peut pas être exposé.

Une lame droite de Miller, chargeant l’épiglotte, est alors indiquée lorsque la distance thyromentale est courte, le larynx est antérieur, les incisives supérieures sont saillantes, lorsque l’épiglotte est longue et chez l’obèse.

L’utilisation d’un mandrin souple permet d’orienter la sonde d’intubation.

L’intubation par voie rétromolaire peut être une aide chez les patients rétrognathes ou à profil d’oiseau, en cas de proalvéolie maxillaire supérieure ou à ouverture de bouche limitée.

Lorsque l’exposition de la glotte est insuffisante, il est parfois possible de glisser un long guide souple (jet stylet, mandrins d’Eschmann, mandrins creux de Cook et de Ciaglia permettant une oxygénation) sous l’épiglotte, à travers l’espace glottique qui sert de guide pour la sonde d’intubation.

Ils sont aussi utilisés pour l’extubation.

Cependant, certains auteurs pensent qu’en cas d’intubation réellement difficile, le guide souple est voué à l’échec.

Ils préconisent l’utilisation de guides lumineux (Flexi-Lum Surgical LightTM, Tube StatTM et TrachlightTM).

Ces guides permettent, par transillumination de la membrane cricothyroïdienne, de repérer l’espace glottique et son franchissement par la sonde, préalablement montée sans laryngoscopie ni mobilisation du rachis.

Leur intérêt a été souligné par rapport à l’intubation nasale à l’aveugle qui doit être abandonnée.

Cependant, d’autres études semblent nécessaires pour préciser leur place en cas d’intubation difficile. Le Fastracht trouve toute sa place au niveau du masque laryngé.

Par ailleurs, il existe différents laryngoscopes spéciaux : le laryngoscope de Mac Coy (Intersurgical) à levier permettant de relever la partie distale, le PCV (Micro France) ou laryngoscope semi-cylindrique creux à lumière froide, le laryngoscope de Bullard et Upsherscope à fibres optiques.

Mais l’absence d’études comparatives doit rendre leur utilisation prudente.

La fibroscopie reste l’outil de référence dans le cadre de l’intubation difficile non prévue avec ventilation efficace, mais aussi et surtout en cas d’intubation impossible prévue (ouverture de bouche inférieure à 20 mm, rachis cervical bloqué en flexion, antécédent d’échecs de l’intubation) où l’anesthésie est vigile.

Les limites de la fibroscopie sont l’existence d’une hémorragie, d’une urgence hypoxique, voire asphyxique, et de tumeurs pharyngolaryngées, de l’épiglotte ou de la base de langue de gros volume où le bronchoscope rigide des ORL est utile.

C – INTUBATION EN URGENCE ESTOMAC PLEIN :

L’intubation dans un contexte d’asphyxie ou d’état de choc est conditionnée, surtout si elle est prévue difficile, par la rapidité de mise en place des moyens de contrôle des voies aériennes.

Un algorithme a été proposé. Les techniques rapides (Fastracht, coniotomie ou trachéotomie, voire intubation rétrograde dans des mains expérimentées) sont privilégiées.

Par ailleurs, toutes les techniques peuvent être envisagées dans les conditions où le pronostic vital est engagé.

Dans la situation de l’estomac plein, l’intubation sous anesthésie vigile sans anesthésie locale ou locorégionale du larynx doit être pratiquée.

Une alternative est l’utilisation du CombitubeTM.

C’est une sonde à double lumière comportant deux ballonnets (un oropharyngé et un distal en position trachéale ou oesophagienne), entre lesquels existent huit orifices. Ce tube est introduit à l’aveugle.

D – INTUBATION DIFFICILE PRÉVUE :

La méthode de référence reste la fibroscopie bronchique.

Le choix de la technique d’anesthésie, de la technique d’oxygénation pendant la tentative d’intubation, et de la technique d’intubation, est conditionné par la nature de la difficulté et le schéma décisionnel adopté par chaque opérateur.

Gestion de l’extubation :

L’extubation est toujours un moment délicat.

A – FACTEURS PRÉDICTIFS :

Six facteurs ont été décrits :

– ventilation au masque difficile ;

– laryngoscopie difficile ;

– intubation difficile ;

– intubation impossible ;

– incidents traumatiques liés à la difficulté d’intubation (hémorragie, traumatisme par mandrin, tentatives à l’aveugle) ;

– types d’interventions (chirurgie de la thyroïde, laryngoscopie en suspension, chirurgie maxillofaciale-blocage maxillaire, chirurgie de longue durée).

B – CONDUITE PRATIQUE :

Elle ne se conçoit que sur un patient parfaitement réveillé, en ventilation spontanée, ayant récupéré ses réflexes de toux et de déglutition, après avoir aspiré les sécrétions buccopharyngées et oxygéné en oxygène pur pendant 3 à 5 minutes.

Un test de fuite est envisagé s’il existe un risque d’oedème laryngé postopératoire.

Après aspiration endobuccale, ballonnet dégonflé, la sonde est bouchée.

L’expiration n’est possible que s’il existe un espace suffisant entre la sonde et la muqueuse laryngotrachéale.

Si l’expiration est impossible, l’extubation se fait après une laryngoscopie d’évaluation et sur un guide-échangeur creux (Cook Airway Exchange Cathétert).

Ce guide permet d’assurer une oxygénation et une ventilation si besoin.

L’extubation sous fibroscope est une alternative qui permet une réintubation immédiate.

Un algorithme a été proposé.

C – ÉCHEC DE L’EXTUBATION :

Le pronostic vital est engagé.

Il existe deux situations : un guideéchangeur creux a été mis en place ou non.

1- Guide-échangeur creux en place :

L’oxygénation peut être assurée, soit de manière continue, soit par jet ventilation manuelle avec un temps expiratoire une à deux fois supérieur au temps inspiratoire.

Si le test de fuite sur le guide montre une obstruction, la jet ventilation est contre-indiquée.

Une réintubation sur un patient réveillé peut être réalisée sur le guide et sous laryngoscopie directe avec un taux de succès de 90 %.

2- Absence de guide-échangeur creux :

Une tentative de laryngoscopie directe est utile pour préciser le type de complication (laryngospasme, oedème laryngé).

Les algorithmes de l’intubation difficile peuvent être appliqués.

Le masque laryngé n’est pas indiqué dans cette situation, compte tenu des mécanismes d’obstruction.

Une réintubation sous fibroscopie est envisageable une fois l’oxygénation assurée par un cathéter transtrachéal.

La solution ultime est représentée par la réalisation d’une trachéotomie.

Conclusion :

Intuber la trachée d’un patient n’est pas une fin en soi, en revanche, lui assurer une oxygénation est fondamental.

Différentes techniques existent pour faire face aux situations d’intubation difficile.

L’urgence extrême imposée par l’impossibilité de ventiler le patient ne laisse aucune place à l’improvisation, pour éviter les conséquences d’une anoxie ou le décès du patient.

Il est actuellement préconisé de mettre en place immédiatement un masque laryngé et de réaliser une ventilation transtrachéale.

Pour les intubations prévues difficiles, voire impossibles, la meilleure technique est la fibroscopie.

Le respect des conditions de sécurité, l’expérience et l’enseignement par formation continue sont les garants nécessaires pour savoir faire face à une intubation difficile.

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