Interactions coeur-poumon en pathologie cardiaque et respiratoire
Cours de pneumologie
Introduction
:
Le coeur et les poumons se partagent l’essentiel du volume
thoracique.
Toute variation de leur pression ou de leurs volumes
respectifs retentit obligatoirement sur les autres.
Tout le débit
sanguin veineux du corps est capté dans le coeur droit, puis traverse
le lit vasculaire pulmonaire où ont lieu les échanges gazeux entre le
sang et l’air alvéolaire, pour gagner ensuite le coeur gauche qui
l’éjecte alors dans la circulation systémique.
Les altérations de
fonctionnement du coeur gauche (cardiomyopathies ischémiques,
toxiques ou essentielles, shunts intracavitaires, dysfonctionnements
des valves aortiques ou mitrales) entraînent une augmentation de la
pression et/ou du volume du lit vasculaire pulmonaire situé en
amont, ainsi qu’une cardiomégalie, qui vont provoquer une
diminution des volumes pulmonaires et une altération des échanges
gazeux.
De l’autre côté, la diminution du débit sanguin systémique
en aval réduit la perfusion des muscles respiratoires, diminuant ainsi
leur force et leur endurance, ce qui perturbe le contrôle de la
ventilation.
Les maladies pulmonaires vasculaires,
parenchymateuses ou bronchiques qui entraînent une hypertension
artérielle pulmonaire ont, pour leur part, un retentissement sur le
fonctionnement du coeur droit, pouvant même l’amener à la décompensation.
Les variations de pression intrathoracique liées aux
pathologies pulmonaires peuvent enfin avoir une influence sur la
fonction dynamique des cavités cardiaques.
Retentissement pulmonaire
des pathologies cardiaques :
A - PHYSIOPATHOLOGIE :
1- Mécanismes physiopathologiques :
La décompensation du coeur gauche entraîne une augmentation des
pressions dans l’oreillette gauche, puis dans les veines pulmonaires.
Celles-ci vont se distendre, puis transmettre cette augmentation de
pression et de volume aux capillaires et aux artères pulmonaires.
Un shunt intracardiaque de gauche à droite aboutit aux
mêmes conséquences par augmentation du débit et du volume
sanguins pulmonaires.
Outre l’augmentation du volume sanguin intrapulmonaire, la pression hydrostatique s’accroît, ce qui favorise
une extravasation du liquide à travers la membrane vasculaire vers
les espaces interstitiels interalvéolaires, en fonction de l’équation de
Starling :
Q°f = Kf (Pc-Pi) - r (∏p-∏i)
où Q°f est le débit de l’extravasation, Kf est le coefficient de filtration
capillaire, Pc et Pi sont les pressions du liquide intracapillaire et
interstitiel, r est le coefficient de réflexion membranaire aux
protéines, ∏p et ∏i sont les pressions osmotiques protéiques du
plasma et de l’interstitium.
Ces espaces interalvéolaires étant peu
compliants, le liquide migre vers l’espace interstitiel situé autour des
bronchioles et des vaisseaux intraparenchymateux car la pression
interstitielle y est nettement infra-atmosphérique (oedème interstitiel).
Là, il est normalement évacué par les canaux lymphatiques
et les veines bronchiques.
Ce n’est que lorsque la pression
hydrostatique veineuse dépasse 4 kPa, que la transsudation du
liquide devient massive et que le liquide rompt la matrice
interstitielle interalvéolaire, puis la paroi alvéolaire, pour gagner les
alvéoles (oedème alvéolaire).
L’hypoxémie secondaire à l’oedème
va inversement l’aggraver en augmentant les pressions vasculaires,
et, par conséquent, le diamètre des pores (Kf augmente), et en
altérant la membrane par peroxydation lipidique de l’endothélium
(avec pour conséquence que r diminue).
La production
d’interleukine 6 (IL6) dans la circulation pulmonaire, liée à
l’activation du système sympathique, augmente la résistance
vasculaire pulmonaire et y induit une prolifération des fibroblastes
et des fibres musculaires lisses.
2- Lésions anatomopathologiques
:
L’augmentation de pression dans les veines pulmonaires entraîne
une hypertrophie de la média séparant les lames élastiques internes
et externes de celles-ci, ainsi qu’une fibrose de l’intima.
Ces deux
phénomènes coexistent dans les artères avec une hypertrophie des
muscles de la paroi.
Au niveau des capillaires parenchymateux, on
observe un oedème de l’endothélium et un épaississement de la
membrane basale, qui sont suivis d’un oedème interstitiel péribronchovasculaire et d’une distension des canaux lymphatiques :
ces deux phénomènes élargissent les septa interlobulaires.
Au stade
de l’oedème alvéolaire, le liquide, puis les globules rouges, passent
dans les alvéoles, mais avec une répartition inhomogène.
À l’état
chronique, on peut observer de l’hémosidérose, de la fibrose, et
même des ossifications.
Si l’oedème pulmonaire est important,
le liquide peut passer dans les voies aériennes et les obstruer.
3- Conséquences physiologiques pulmonaires
:
La congestion des vaisseaux et l’oedème pulmonaire débutant
affectent peu la compliance du poumon, sauf dans la sténose
mitrale.
En revanche, l’oedème alvéolaire réduit la compliance
pulmonaire par altération des forces géométriques et de la surface
des alvéoles, et par diminution du volume gazeux du poumon.
De ce fait, la capacité vitale (CV) diminue (syndrome restrictif), alors
que le volume résiduel (VR) augmente suite à l’effet érectile des
vaisseaux distendus et au trappage d’air dû à l’obstruction des
bronchioles.
Les petites voies aériennes peuvent en effet être
partiellement obstruées, dès le stade d’oedème interstitiel, par une
compression due à la congestion des vaisseaux adjacents, et par une bronchoconstriction réflexe induite par les fibres C et les récepteurs
irritants du poumon.
Au stade d’oedème alvéolaire, la
compression des voies aériennes par le liquide extravasculaire et
l’irruption de liquide dans les voies aériennes va accroître encore
plus la résistance au flux d’air.
Cette composante de syndrome
obstructif est la cause des sibilances perçues à l’auscultation de
certains cas de décompensation cardiaque (asthme cardiaque), mais
elle reste toujours mineure, et le rapport volume expiratoire maximal
seconde (VEMS)/CV n’est que rarement abaissé.
Un certain degré
d’hyperréactivité bronchique a également été décrit, et est
attribué à l’épaississement de la muqueuse bronchique, à des
mouvements ioniques transmuqueux, à des spasmes musculaires ou
des réflexes nerveux ; il n’est pas retrouvé par tous les auteurs ;
une interférence avec le tabagisme n’est pas exclue.
Le test de
diffusion de l’oxyde de carbone (DLCO) est souvent abaissé suite à
l’altération de la membrane alvéolocapillaire alors que
l’augmentation du volume sanguin capillaire et l’extravasation des
globules rouges auraient plutôt tendance à l’augmenter.
Le
volume alvéolaire (Va) diminuant, le rapport DLCO/Va (ou KCO)
est souvent normal ou légèrement abaissé.
Les échanges gazeux sont
altérés. L’hypoxémie est fréquente, et de gravité proportionnelle à
celle de l’oedème.
La décompensation cardiaque elle-même diminue
la PaO2 de plusieurs manières :
– le ralentissement du débit cardiaque abaisse la pression partielle
veineuse en oxygène PvO2, ce qui affecte la PaO2 des capillaires
pulmonaires ;
– l’augmentation des pressions vasculaires et du volume sanguin
pulmonaires redistribue la perfusion vers le haut du poumon, la
rendant plus uniforme. D’un autre côté, l’oedème interstitiel
s’accumule surtout dans le bas du poumon, ce qui redistribue la
ventilation vers le haut.
Les rapports ventilation/perfusion V/Q
régionaux sont donc peu modifiés aux stades débutants, et la PaO2
ne se modifie pas ou peu.
En revanche, l’apparition de l’oedème
interstitiel stimule les récepteurs de tension du parenchyme, ce qui
entraîne une hyperventilation réflexe et une baisse de la PaCO2
(hypocapnie).
Lorsque apparaît l’oedème alvéolaire, le liquide
n’inonde pas les alvéoles de manière égale et homogène : certaines restent ouvertes et gardent un rapport V/Q normal alors que
d’autres sont remplies et donc non ventilées, tout en restant
perfusées, ce qui crée ainsi un shunt anatomique proportionnel au
débit sanguin, responsable d’une hypoxémie sévère, non corrigeable
par l’inhalation d’oxygène.
L’hypoxie augmente le flux
d’oedème.
– Ce shunt intrapulmonaire rend la PaO2 encore plus sensible à
toute baisse de la PvO2.
Comme tout ralentissement du débit
cardiaque abaisse la PvO2 mais diminue simultanément le shunt, la
relation débit/PaO2 n’est donc pas simple.
À l’effort, en revanche, le
débit cardiaque augmente peu quand le coeur est décompensé, alors
que la PvO2 s’abaisse encore : l’hypoxémie d’effort devient alors
sévère.
La diminution du débit cardiaque causée par la décompensation du
coeur gauche entraîne une réduction de perfusion des muscles
corporels, dont celle des muscles respiratoires, la rendant
insuffisante pour assurer leurs besoins métaboliques, surtout lorsque
ceux-ci sont accrus par une augmentation du travail respiratoire.
Cette perte de force des muscles respiratoires diminue la pression
pleurale inspiratoire maximale à tous volumes, contribuant à
restreindre ceux-ci.
La sensation de dyspnée des cardiaques est
également proportionnelle à la baisse des pressions pulmonaires
inspiratoire et expiratoire maximales ; en effet, un stimulus
inspiratoire central plus élevé est requis si les muscles sont plus
faibles face à un travail respiratoire plus élevé.
La perte de force
du diaphragme, qui est riche en fibres musculaires de type I, est
plus importante que celle des autres muscles striés, riches en fibres
de type II, ce qui le rend plus sensible à l’apport d’oxygène, et donc
au débit sanguin.
Hormis cette baisse du débit sanguin, d’autres
causes interviennent dans la diminution de force des muscles :
réduction de la synthèse protéique des muscles et donc diminution
de leur masse, réduction de synthèse des fibres musculaires de type
I suite à l’immobilité, atrophie musculaire secondaire à une sécrétion
accrue de catécholamines et de corticoïdes ou à la glycolyse
anaérobie.
B - MANIFESTATIONS CLINIQUES PULMONAIRES
DES DÉCOMPENSATIONS CARDIAQUES :
1- Symptômes subjectifs
:
La dyspnée est le symptôme prédominant.
Au début, elle ne
survient qu’à l’effort, s’aggravant pour des efforts de plus en plus
petits au fur et à mesure qu’apparaît l’oedème, pour finir par
survenir même au repos : on l’apprécie le plus souvent par l’échelle
de la New York Heart Association (NYHA) en cinq stades.
Son
intensité est proportionnelle à la diminution de force des muscles,
bien plus qu’à la hausse des pressions vasculaires ou à la gravité de
l’hypoxie.
Elle s’aggrave en position couchée suite à
l’augmentation du volume sanguin pulmonaire (orthopnée).
Par
ailleurs, le patient se plaint de fatigue, d’asthénie, parfois de
douleurs thoraciques ou de syncopes à l’effort, plus rarement
d’hémoptysies ; il peut présenter des infections respiratoires à
répétition.
Lors de l’oedème alvéolaire, la dyspnée est majeure,
accompagnée d’oppression thoracique et d’une toux, d’abord sèche,
puis productrice d’une mousse rosée.
2- Examen clinique :
Il est surtout riche à l’auscultation : au niveau pulmonaire, les
crépitations inspiratoires basales sont un signe précoce (40 % des
cas), parfois accompagné de sibilances ; au niveau cardiaque, les
signes sont plus précoces encore mais varient selon la pathologie :
souffles des valvulopathies, bruit de galop S3 (80 % des cas),
tachycardie.
L’inspection peut montrer une cyanose, de
l’hippocratisme digital, une vasoconstriction périphérique, un
oedème des membres inférieurs, un signe de Harzer.
L’épanchement
pleural est mis en évidence par la percussion thoracique.
3- Examen radiologique
:
Le signe le plus précoce est la cardiomégalie (le rapport cardiothoracique est supérieur à 0,5 dans 88 % des cas), suivi d’une
augmentation du diamètre des vaisseaux pulmonaires, surtout
veineux, et une redistribution de la perfusion vers les sommets (66 %
des cas).
L’apparition de l’oedème interstitiel interlobulaire est visible
par les stries de Kerley, fines lamelles horizontales et sous-pleurales
des bases du poumon (26 % des cas).
D’abord labiles, elles
deviennent persistantes par fibrose.
L’apparition d’une stase
interstitielle péribronchovasculaire fait perdre leur netteté aux
limites des vaisseaux, ce qui donne un aspect flou aux hiles.
L’oedème sous-pleural rend les scissures interlobaires plus visibles.
Les épanchements pleuraux sont plus tardifs (34 % des cas).
Comme
le volume des poumons diminue, les coupoles diaphragmatiques se
soulèvent (12 % des cas).
Avec l’oedème alvéolaire apparaissent des
micronodules, qui se transforment en opacités pulmonaires floues
qui confluent autour des hiles pour s’étendre ensuite à l’ensemble
des champs pulmonaires.
Ces différentes lésions, souvent
visibles sur une radiographie simple du thorax, sont encore plus
évidentes en tomodensitométrie.
4- Autres examens
:
L’examen cardiologique nécessite un électrocardiogramme (signes
d’hypertrophie auriculaire et ventriculaire gauche) et un
échocardiogramme (signes de dysfonction ventriculaire gauche et
droite, anomalies valvulaires mitrale et aortique, myxome de
l’oreillette gauche).
Des examens isotopiques sont également utiles :
ventriculographie avec mesure des fractions d’éjection gauche
droite, estimation de la perfusion myocardique au repos, effort ou
avec perfusion de Persantinet ou de dobutamine.
Le microcathétérisme du coeur droit par voie veineuse permet la
mesure du débit cardiaque, ainsi que des pressions du coeur droit,
des artères pulmonaires (PAP) et celle de la pression dite capillaire
bloquée (PCB), proche de la pression des veines pulmonaires et de
l’oreillette gauche.
L’augmentation de ces deux pressions sans
variation de leur gradient différentiel plaide pour une hypertension postcapillaire liée à une décompensation du coeur gauche.
Les
cardiopathies avec shunt gauche-droite entraînent une hypertension
précapillaire avec gradient élevé, liée à une augmentation du débit
sanguin sans augmentation des résistances vasculaires pulmonaires.
En revanche, les cardiopathies au shunt vieilli ayant évolué dans le
sens droite-gauche ont une hypertension précapillaire liée à une
augmentation des résistances vasculaires et un débit bas.
La place du microcathétérisme cardiaque droit reste primordiale dans
le diagnostic des pathologies cardiaques à retentissement
pulmonaire.
La mesure d’une saturation d’O2 élevée dans le sang
prélevé par le cathéter dans les grandes veines, l’oreillette et le
ventricule droits et l’artère pulmonaire identifie la présence et la
localisation des shunts gauche-droite.
C - CARDIOPATHIES À RETENTISSEMENT PULMONAIRE
:
1- Décompensation cardiaque gauche
des cardiomyopathies
:
Les cardiomyopathies ischémiques, alcooliques et essentielles ont un
retentissement semblable sur la fonction pulmonaire : la compliance
pulmonaire ne diminue que peu au stade de l’oedème interstitiel,
mais fortement quand survient l’oedème alvéolaire.
La CV s’abaisse
selon les études entre 62 et 80 % des valeurs prédites, et la capacité
pulmonaire totale (CPT) entre 69 et 95 %.
La
diminution de ces volumes est proportionnelle à la gravité de la
décompensation mesurée par l’augmentation de la PCB. Le
volume résiduel (VR) augmente.
Le VEMS diminue également, mais
le rapport VEMS/CV ne diminue pas.
Il s’agit donc
d’un syndrome restrictif pur, même chez les fumeurs modérés et
même si un certain degré d’hyperréactivité bronchique est décrit.
Un syndrome obstructif n’existe que si le patient souffre d’une bronchopneumopathie obstructive concomitante.
La diffusion du CO
(DLCO) est abaissée le plus souvent, plus rarement
normale, avec un rapport DLCO/Va abaissé ou normal.
La
gravité de la perturbation de ces différents paramètres est en bonne
corrélation avec l’abondance des crépitations et des oedèmes mis en
évidence par la clinique.
Hypoxémie et hypocapnie sont fréquents
dès l’oedème interstitiel mais l’hypercapnie ne survient qu’au stade
de l’oedème alvéolaire où elle se combine à l’acidose métabolique
pour créer une acidose mixte.
Lorsqu’une transplantation
cardiaque est pratiquée, elle provoque une aggravation de ce
syndrome restrictif au cours de la période postopératoire précoce par diminution de la stabilité de la cage thoracique et de sa compliance, mais les volumes pulmonaires CV, VEMS et CPT
s’accroissent ensuite de ± 20 %, cependant que le rapport VEMS/CV
reste inchangé : cette augmentation des volumes est parallèle à
la réduction de la taille du coeur, mais elle est aussi liée à d’autres
mécanismes comme la réduction de la congestion vasculaire et la
restitution de la force des muscles inspiratoires.
Malgré l’accroissement des volumes, la DLCO n’est pas augmentée
par la greffe, d’où une diminution du rapport DLCO/Va.
Ceci
est probablement lié à la persistance de lésions vasculaires
pulmonaires ou à un dérecrutement des vaisseaux par diminution de leur
congestion, bien qu’un effet toxique de la ciclosporine sur les
vaisseaux pulmonaires ne soit pas exclu.
2- Valvulopathies du coeur gauche
:
* Valvulopathies mitrales
:
Les sténoses de la valve mitrale augmentent rapidement les
pressions auriculaires gauches et ce de manière importante : la PCB
et la PAP augmentent sans gradient au début, tandis que le volume
sanguin pulmonaire s’accroît et se redistribue vers le sommet : à la
longue s’installe une fibrose vasculaire qui augmente le gradient
précapillaire PAP/PCB.
Dans l’insuffisance mitrale aiguë (comme
une rupture de cordage), l’augmentation brutale des pressions
vasculaires peut causer un oedème pulmonaire aigu.
La courbe pression-volume (PV) du poumon révèle une diminution du recul à
bas volume (effet érectile des vaisseaux) et une augmentation du
recul à hauts volumes (engorgement vasculaire, augmentation des
volumes pulmonaires non gazeux, faiblesse des muscles
inspiratoires).
La CV et le VEMS diminuent parallèlement à la
hausse de la PCB mais leur rapport VEMS/CV reste normal.
Outre les causes vasculaires précitées, l’augmentation du volume
cardiaque concourt aussi à réduire les volumes pulmonaires.
L’accroissement du volume capillaire maintient la DLCO à des
valeurs normales au début, mais lorsque le stade fibreux est
atteint, DLCO et DLCO/Va diminuent.
La ventilation et la
perfusion étant toutes deux redistribuées vers les sommets, leurs
rapports ne sont pas altérés : il n’y a donc pas théoriquement
d’hypoxémie, son apparition signera l’ouverture d’un shunt droitegauche.
Enfin, la congestion vasculaire provoque une
hyperventilation d’effort par accélération de la fréquence
respiratoire.
* Valvulopathies aortiques
:
Elles n’ont de retentissement sur la fonction du poumon que lorsque
le coeur décompense (PCB > 1,6 kPa).
CV, CPT et VEMS diminuent
alors, avec rapport VEMS/CV non altéré.
Le VR augmente et la
courbe PV bascule à droite (augmentation du recul), avec en plus
une baisse de la pression inspiratoire maximale à CPT, par faiblesse
musculaire.
La DLCO diminue aussi quand le coeur
décompense.
Les altérations sont donc plus tardives et
moins sérieuses que dans les pathologies mitrales.
Après
remplacement valvulaire, les volumes reviennent vers la normale, et
l’hyperventilation d’effort régresse ; en revanche, la DLCO ne
s’améliore guère, suite à l’altération des parois vasculaires.
Une mauvaise fonction respiratoire préopératoire est un facteur
pronostique d’une mortalité chirurgicale élevée, plus encore dans
les valvulopathies mitrales que dans les aortiques, reflétant une
altération cardiaque sévère.
D’autres facteurs comme le type
d’anesthésie, l’utilisation ou non d’un by-pass cardiopulmonaire ou
de l’hypothermie influencent cependant aussi la fréquence des
complications pulmonaires postopératoires.
3- Cardiopathies avec shunt intracavitaires :
*
Shunts gauche-droite :
Au début de l’évolution des communications interauriculaires et
interventriculaires, le shunt fonctionne de gauche à droite, ce qui
augmente de manière importante le débit et le volume sanguins
pulmonaires.
La fibrose progressive des vaisseaux pulmonaires
augmentant parallèlement leur résistance, le shunt aura tendance à
s’inverser à terme.
L’augmentation du volume sanguin capillaire
diminue CV et CPT, et augmente DLCO et DLCO/Va.
L’hypoxémie
est modérée, par un probable degré de shunt intrapulmonaire.
La courbe PV est inchangée ou discrètement basculée comme dans
les maladies mitrales.
* Shunts droite-gauche :
Comme la tétralogie de Fallot ou le syndrome d’Eisenmenger, ils
entraînent une baisse très importante de la SaO2, responsable d’une
polyglobulie, mais la PaCO2 reste normale par augmentation réflexe
de la ventilation.
L’hypercapnie peut survenir à l’effort.
La CV
diminue peu, alors que DLCO et DLCO/Va baissent de manière
prononcée.
4- Retentissement de la décompensation cardiaque
sur le profil respiratoire
:
Les récepteurs nerveux intrapulmonaires sont stimulés par
l’augmentation de volume et de pression intravasculaires et par
l’oedème interstitiel.
Ils induisent une respiration courte et rapide
que l’on peut inhiber par vagotomie, et qui est proportionnelle à
l’augmentation de PCB.
Durant le sommeil apparaît une respiration périodique constituée d’une alternance de variations crescendodecrescendo
du volume courant, séparées par des pauses avec arrêt
de l’effort inspiratoire, et qui se répètent de manière régulière
(respiration de Cheyne-Stokes).
L’hyperventilation causée par
l’hypoxémie entraîne une hypocapnie, cause de l’apnée.
La baisse
des réserves pulmonaires en O2 et l’allongement du délai de réponse
des récepteurs carotidiens, lié au ralentissement du débit cardiaque,
augmentent l’instabilité respiratoire.
Cette instabilité se retrouve
chez 12 % des coronariens, 40 % des décompensés cardiaques et
44 % des décompensations accompagnées d’oedèmes.
Comme elle
peut couvrir la moitié de la période de sommeil, celui-ci est
perturbé, limité aux stades légers avec de fréquents réveils et
compliqué d’une hypoxémie nocturne aggravée.
Le patient
cardiaque souffre alors d’insomnie nocturne et de somnolence
diurne.
La présence d’une respiration de Cheyne-Stokes chez un
patient cardiaque le prédispose à l’irritabilité ventriculaire et à une
mort précoce.
L’activation du système sympathique par
l’hypoxémie entraîne une production accrue d’endothéline-1, ce qui
aggrave encore la décompensation cardiaque.
Retentissement cardiaque
des pathologies pulmonaires :
HYPERTENSION PULMONAIRE :
1- Définition et causes de l’hypertension pulmonaire :
L’hypertension artérielle pulmonaire (HTAP) est définie comme une
pression artérielle pulmonaire supérieure à 25 mmHg au repos ou
30 mmHg à l’effort.
Les causes peuvent se classer en fonction du
mécanisme physiopathologique ou en fonction du site
anatomique de la maladie sous-jacente.
Le coeur droit
n’ayant pas la masse musculaire prévue pour assumer une telle
surcharge décompense rapidement, avec insuffisance de la valve
tricuspide et reflux du sang dans les grandes veines systémiques.
La
cause la plus fréquente de l’hypertension pulmonaire est la
vasoconstriction liée à l’hypoxémie, que l’on retrouve surtout dans
les cas avancés de bronchopneumopathie obstructive chronique
(BPCO), et dont la sévérité est liée à un pronostic vital
défavorable.
La décompensation cardiaque droite est de mauvais
pronostic dans les BPCO, avec une mortalité de 73 % dans les 4
ans. Le coeur pulmonaire chronique postembolique est une autre
cause relativement fréquente d’HTAP, par constitution d’une
hypertension artérielle pulmonaire secondaire à la persistance de
thrombi au sein des artères pulmonaires.
Souvent conséquence
d’embolies pulmonaires méconnues et donc non traitées, il peut se
composer parfois malgré un traitement anticoagulant bien conduit,
et justifier alors des thérapeutiques exceptionnelles comme une endartériectomie ou une transplantation pulmonaire.
2- Retentissement sur le coeur droit
:
La surcharge du coeur droit (cor pulmonale) se manifeste tout
d’abord par de la dyspnée et de la fatigue, auxquelles succéderont
les oedèmes des membres inférieurs, les palpitations, et dans les
formes sévères des douleurs thoraciques et syncopes.
À l’examen
clinique, le bruit de fermeture de la valve pulmonaire est éclatant,
parfois palpable même ; l’auscultation permet de percevoir un 3e,
parfois un 4e bruit cardiaque droit, un soulèvement systolique
épigastrique (signe de Harzer), un pouls jugulaire, un souffle
systolique tricuspidien, parfois un murmure diastolique pulmonaire
parasternal supérieur gauche, un reflux hépatojugulaire, une
hépatomégalie parfois pulsatile, de l’ascite et des oedèmes des
membres inférieurs, de la cyanose.
Ceux-ci peuvent être liés à
d’autres causes que la décompensation droite, comme l’altération
de la fonction rénale, commune chez les patients hypoxémiques et hypercapniques.
En cas de suspicion d’embolie pulmonaire, il
faut d’emblée insister sur les signes cliniques qui doivent faire
suspecter une embolie grave qui nécessiterait une attitude
diagnostique et thérapeutique spécifique en urgence.
Ce sont ces
signes de coeur pulmonaire aigu qu’il faut savoir reconnaître avant
qu’un état de choc se manifeste car ils traduisent en général une
embolie gravissime : tachycardie, reflux hépatojugulaire, turgescence
des veines jugulaires, hypotension artérielle systémique, signes de
choc périphérique, troubles de repolarisation dans tout le
précordium à l’ECG, et signes de bas débit cardiaque : syncopes,
lipothymies, somnolence.
À l’ECG est observée une déviation
axiale droite, une hypertrophie ventriculaire droite avec inversion
des ondes T ; l’ECG est cependant peu sensible.
Les arythmies
auriculaires sont fréquentes sauf dans l’hypertension pulmonaire
primitive.
Outre les lésions typiques des maladies pulmonaires ou
thoraciques causales, la radiographie du thorax montre
habituellement un alignement ou une saillie de l’arc moyen, une
majoration des hiles d’allure vasculaire, avec un élagage (pruning)
des vaisseaux pulmonaires périphériques dans les pathologies
vasculaires pures.
La spirométrie est celle des pathologies
respiratoires causales (obstruction non réversible des BPCO,
restriction des fibroses) mais peut être normale ou discrètement
restrictive dans les pathologies vasculaires pures où la diffusion du
CO et la consommation maximale d’O2 à l’effort sont abaissées
précocement.
L’hypoxémie de repos ne survient que plus tardivement, sauf si l’hypoxie est la cause de l’hypertension (PaO2
< 60 mmHg).
La scintigraphie pulmonaire de ventilation et de
perfusion est surtout utile pour repérer ou exclure une maladie
thromboembolique ; depuis l’émergence de l’angiographie par
tomodensitométrie (angioscan), l’artériographie pulmonaire n’est
plus guère pratiquée, sauf dans des cas douteux ou avant de
pratiquer une endartériectomie pulmonaire chirurgicale.
L’évaluation hémodynamique repose sur l’échocardiographie : mise
en évidence d’une artère pulmonaire dilatée, dilatation de l’oreillette
droite, dilatation et hypertrophie du ventricule droit, mouvement
paradoxal du septum interventriculaire et anormal de la valve
pulmonaire (fermeture misystolique).
L’évaluation de la pression
artérielle par doppler recourt à plusieurs techniques, une qui mesure
la vélocité du flux systolique à travers la valve pulmonaire ou son
accélération dans l’artère pulmonaire principale, une seconde
qui utilise la régurgitation tricuspidienne pour déterminer le pic de
pression systolique du ventricule droit (RVP), le profil de la vélocité
du débit au doppler donnant une estimation de la chute de pression
du ventricule à l’oreillette droite : Delta p = 4V² et RVp = Delta p + pression
de l’oreillette droite (RAP), une troisième basée sur les
caractéristiques anormales du flux dans la veine cave inférieure,
surtout utile chez les patients BPCO dont les examens du coeur et
des artères pulmonaires sont plus difficiles, et surtout permettant
l’évaluation de la RAP en mesurant les variations de taille de la
veine cave en fonction de la respiration.
L’échocardiographie peut
avoir un intérêt particulier chez les patients sans antécédents
cardiorespiratoires et qui présentent un tableau clinique compatible
avec une embolie pulmonaire grave, en montrant une dilatation des
cavités cardiaques droites avec déviation paradoxale du septum.
Une étude française a comparé l’angiographie pulmonaire et
l’échographie pulmonaire dans le diagnostic de l’embolie, les
patients ayant une autre pathologie cardiorespiratoire étant
exclus : les paramètres échographiques étudiés étaient les surfaces
diastolique et systolique du ventricule droit, et sa fraction de
contraction, calculée par ordinateur : ses résultats ont montré que :
– une échocardiographie normale n’exclut pas le diagnostic
d’embolie ;
– en cas de forte suspicion d’embolie, avec insuffisance circulatoire
aiguë, l’échographie montre des signes de coeur pulmonaire aigu et
confirme l’embolie.
La thrombolyse et l’embolectomie peuvent
alors s’indiquer.
L’échocardiographie transoesophagienne est surtout utile si l’on
suspecte un orifice intracardiaque, mais peut aussi visualiser les
veines pulmonaires.
Le cathétérisme du coeur droit permet la
mesure directe des pressions dans l’oreillette et le ventricule, puis
l’artère pulmonaire où, par définition, la PAP moyenne est
supérieure à 25 mmHg ; une PCB au-dessus de 15 mmHg identifie
une atteinte postcapillaire et inférieure à 15 mmHg une mixte
capillaire-précapillaire.
Elle peut cependant s’élever
modestement dans les hypertensions primitives sévères suite à une
dysfonction diastolique.
Une PCB élevée de manière inexpliquée
malgré une bonne échographie cardiaque nécessite que l’on pratique
un cathétérisme du coeur gauche pour déterminer si la pression télédiastolique du coeur gauche est anormale, ou une sténose mitrale
ou encore une altération du remplissage auriculaire gauche par
sténose des veines pulmonaires.
La maladie pulmonaire veinoocclusive,
forme rare d’hypertension primitive, a théoriquement un
gradient élevé entre la PCB et la pression télédiastolique du
ventricule gauche, mais celui-ci n’est pas toujours perceptible, car la
PCB est souvent très peu élevée ou même normale, et il faut la
mesurer dans des sites variés du poumon où elle présente alors une
grande variabilité.
Jusqu’il y a peu, le cathétérisme droit était
utilisé dans les BPCO pour la détection et la quantification des
hypertensions pulmonaires, mais actuellement
l’échocardiographie l’a beaucoup remplacé dans cette indication.
Il
reste cependant indiqué dans certains cas :
– conforter le diagnostic de coeur pulmonaire embolique ;
– évaluer l’altération de la fonction du coeur gauche par celle du
droit ;
– l’évaluation préopératoire pour pneumonectomie ;
– l’évaluation de la dyspnée à l’effort.
Lorsqu’une hypertension, surtout avec hypoxémie et/ou
hypercapnie, ne s’explique pas par une altération du coeur gauche
ou une perturbation des tests fonctionnels respiratoires, un test polysomnographique est nécessaire pour rechercher une
hypoventilation nocturne ou des apnées du sommeil.
Une
hypertension pulmonaire « pure » inexpliquée justifie enfin des tests
sérologiques de dépistage des connectivites : lupus érythémateux,
arthrite rhumatoïde et surtout sclérodermie.
3- Retentissement sur le coeur gauche :
L’hypertension artérielle pulmonaire majeure induit des altérations
géométriques dans l’architecture et le remplissage du ventricule
droit qui empiètent sur la géométrie et le mode de remplissage du
ventricule gauche.
Elles affectent les pressions de remplissage
diastolique gauche.
La compétition entre les deux ventricules dans
un espace péricardique limité aplatit le septum interventriculaire
tard dans la systole et tôt dans la diastole.
Ceci induit une
réduction du remplissage diastolique précoce gauche ; le temps de
relaxation isovolumétrique du ventricule gauche s’allonge et
l’expansion diastolique précoce de la cavité se réduit.
Cette
influence sur la précharge du ventricule gauche peut avoir des
implications thérapeutiques, en cas d’utilisation des vasodilatateurs
dans une hypertension pulmonaire : augmenter le débit sanguin
pulmonaire sans diminuer la pression augmentera la charge de
volume du ventricule gauche à un moment où son remplissage est
gêné par le déplacement du septum, ce qui peut entraîner des
conséquences graves comme un oedème pulmonaire ou une
hypotension systémique.
Alors que l’oxygène reste le meilleur
vasodilatateur de l’hypertension pulmonaire induite par
l’hypoxémie chronique, et est donc la première médication du coeur
pulmonaire, les effets secondaires des autres vasodilatateurs sur
la circulation systémique limitent leur emploi à des centres
spécialisés.
Influence des pressions endothoraciques
sur le fonctionnement du coeur :
La respiration a une influence sur le fonctionnement régional du
ventricule gauche : une inspiration normale change la forme du
ventricule durant la diastole, en allongeant l’axe antéropostérieur
simultanément à un raccourcissement de l’axe septolatéral ; ce
dernier réduit la fonction ventriculaire régionale durant la
contraction.
Ceci est encore plus marqué en cas d’obstruction
inspiratoire partielle.
À l’inverse, une pression positive de fin
d’expiration (PEP) raidit les poumons de manière expansive sur la
paroi du ventricule, ce qui réduit également le remplissage
ventriculaire et de là sa fonction, par mécanisme de Frank-Starling :
les trois axes du ventricule sont réduits, et sa forme devient
distordue.
La pression pleurale aussi affecte la circulation : pour que le sang
des régions plus basses que le coeur entre dans les veines intrathoraciques et l’oreillette droite, il doit jouir d’un gradient de
pression plus grand que la pression hydrostatique ; moyenné sur le
cycle respiratoire et par rapport à la pression atmosphérique, un tel
gradient existe dans le système veineux, car les oscillations négatives
inspiratoires de la pression pleurale distendent les veines
compliantes intrathoraciques et l’oreillette droite, ce qui pompe le
sang, proportionnellement à la compliance de ces veines.
Si la
pression pleurale devient plus élevée que la pression atmosphérique
(expiration, trappage d’air, traitement par pression expiratoire
positive), le retour veineux est défavorisé (diminution de la
précharge), et la pression des veines extrathoraciques doit s’élever
d’une pression suffisante pour que le retour veineux se restaure.
Cette pression pleurale entoure aussi le ventricule gauche et
influence sa pression transmurale : de grandes diminutions de
pression pleurale produisent une postcharge substantielle sur le
ventricule gauche, ce qui gêne l’éjection du sang.
Des baisses
transitoires de pression pleurale ont donc des effets positifs et
négatifs sur le débit cardiaque : les facteurs qui augmentent le débit
comportent :
– l’augmentation du retour veineux systémique, qui augmente le
débit du ventricule droit, d’où le retour veineux pulmonaire et de là
le débit du ventricule gauche ;
– l’augmentation inspiratoire du volume pulmonaire qui diminue
la résistance du lit vasculaire pulmonaire ;
– si la pression pleurale augmente en phase avec une systole, la postcharge du coeur gauche diminue et son éjection augmente.
Si la fonction cardiaque est bonne, les effets de la pression pleurale
inspiratoire sur la précharge prédominent, favorisant la performance
cardiaque ; à l’inverse, si la fonction cardiaque est altérée
(hypocontractilité myocardique, hypertension systémique), elle
devient moins sensible aux effets de la précharge et plus sensible à
la postcharge, ce qui va faire diminuer le débit cardiaque.