Infection aiguë ostéo-articulaire des membres de l’enfant

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Physiopathologie :

Différents facteurs concourent à la localisation métaphysaire de l’infection osseuse : l’artère nourrissière après avoir pénétré l’os se ramifie près de la plaque de croissance, les capillaires et les plexus veineux entraînent un ralentissement rhéologique qui facilite le développement des germes.

Le cartilage de croissance est au milieu d’un double front vasculaire (épiphysaire et métaphysaire) qui s’oppose à l’extension épiphysaire du sepsis mais l’absence d’anastomose rend cette région fragile à toute ischémie avec risque de nécrose favorisant la multiplication bactérienne.

Infection aiguë ostéo-articulaire des membres de l’enfantLe faible nombre de cellules réticulo-endothéliales (macrophages), alors que ce système est bien développé au niveau de la diaphyse, est un facteur facilitant le sepsis.

Le développement des germes entraîne un oedème avec hyperpression locale, facteur de thrombose et d’ischémie.

Dans les 48 heures l’infection diffuse au périoste par les canaux de Havers provoquant une inflammation puis un décollement du périoste (abcès sous-périosté).

Ce décollement périosté rompt la vascularisation corticale favorisant la nécrose osseuse (une néoformation osseuse réactionnelle apparaît dès le 4e jour), si l’évolution continue, un séquestre peut apparaître dans les 10 à 20 jours.

Lorsqu’un traitement efficace est mis en route, l’activité ostéoclastique éliminant les tissus nécrotiques empêche la formation du séquestre.

L’arthrite succède à l’atteinte primitive de la synoviale dont l’absence de membrane basale et la riche vascularisation permettent la traversée des germes.

L’arthrite surviendra si les réactions immunitaires locales sont dépassées.

L’atteinte de la synoviale diminue la nutrition du tissu cartilagineux, le liquide articulaire purulent altère le cartilage articulaire et la couche germinale du cartilage de croissance épiphysaire.

Ces deux tableaux physiopathologiques doivent être modulés par quelques particularités : le double front vasculaire épiphyso-métaphysaire apparaît à 18 mois et disparaît vers 16 ans d’âge osseux.

Cela explique l’ostéo-arthrite du nourrisson.

Il peut y avoir une contamination de l’articulation lors d’une ostéomyélite lorsque la métaphyse est intra-articulaire comme c’est le cas de la métaphyse du fémur à la hanche, de la métaphyse de l’humérus à l’épaule et de la métaphyse du radius au coude.

Diagnostic :

La symptomatologie associe un syndrome septique et des douleurs locales.

A – Ostéomyélite aiguë :

L’âge moyen de survenue est 6 ans et le garçon est le plus souvent concerné.

Les sièges les plus fréquents sont : le fémur et le tibia près du genou (70 % des cas), puis l’humérus et enfin le péroné.

Plus rarement des os plats ou courts (astragale, calcanéum, rotule…).

La douleur est de survenue parfois brutale, aiguë (pseudofracturaire), insomniante et évocatrice.

Chez le jeune enfant une attitude pseudo-paralytique peut résumer la douleur (surtout aux membres supérieurs).

Plus souvent, le début est insidieux et progressif.

L’articulation voisine est mobile sauf en cas d’atteinte de la hanche ou de l’épaule.

L’augmentation de la chaleur locale, le gonflement, la rougeur, ne surviennent que tardivement.

Les signes généraux sont marqués par la fièvre, élevée (39 °C), qui peut être responsable de convulsion ou de léthargie chez le jeune enfant.

B – Arthrite :

L’âge moyen de survenue est 6 ans, sans prédominance de sexe.

L’articulation du genou est la plus souvent atteinte (40 %) suivie par la hanche (20 %).

La symptomatologie est d’apparition souvent brutale associant une fièvre, une douleur localisée à la région de l’articulation et une impotence fonctionnelle.

En cas d’articulation superficielle un aspect inflammatoire peut être observé : gonflement articulaire et augmentation de la chaleur locale.

La mobilisation de l’articulation est douloureuse, impossible.

La palpation appuyée des métaphyses est indolore.

Au genou, l’épanchement est confirmé par la présence d’un choc rotulien.

C – Examens complémentaires :

1- Biologie :

Les signes de l’inflammation ont une valeur indicative et ne sont pas spécifiques.

Il faut rechercher une hyperleucocytose, une augmentation de la vitesse de sédimentation (VS) survenant dès les 24 premières heures, une augmentation de la protéine C-réactive (CRP) survenant dès la 6e heure avec un maximum au 2e jour, une augmentation des oroso-mucoïdes.

2- Imagerie :

  • Les radiographies nécessitent deux incidences (face, profil).

En cas d’ostéomyélite, les signes radiologiques sont en retard par rapport à la clinique.

Un bilan normal n’exclut pas le diagnostic.

Le premier signe à apparaître est le gonflement des tissus mous puis après 2 à 3 jours la production d’os néoformé au niveau du soulèvement périosté marque le contour de l’os.

On peut également observer une zone de raréfaction métaphysaire.

Après deux semaines d’évolution apparaissent des lésions destructrices sous forme de zones de raréfaction multiples avec sinus de décharge, ainsi que des zones d’os séquestrés d’aspect plus dense.

  • En cas d’arthrite, on peut observer un flou des parties molles péri-articulaires, un élargissement de l’interligne articulaire, la trame osseuse étant normale.
  • L’échographie permet dans le cadre d’une ostéomyélite, la recherche d’abcès sous-périostés quand se discute une indication chirurgicale.

Devant une suspicion d’arthrite, elle met l’épanchement articulaire en évidence (intérêt particulier à la hanche).

  • La scintigraphie au technétium 99 m montre une hyperfixation.

Dans l’ostéomyélite sa sensibilité est de l’ordre de 80 %, et l’on peut observer des zones normales en cas d’infection sévère avec thrombose et hypovascularisation.

Elle est utile pour préciser la localisation : vertébrale, pelvienne ou multiple.

La scintigraphie au gallium, quand elle fixe, est plus en faveur d’une localisation septique.

Ces deux techniques ne sont pas spécifiques.

La scintigraphie n’a pas d’intérêt pour le diagnostic d’arthrite, mais permet de retrouver un autre foyer infectieux et d’étudier à distance la vitalité épiphysaire.

  • La tomodensitométrie permet la recherche d’abcès des parties molles, la mise en évidence d’anomalies osseuses (ostéolyse médullaire, rupture de corticale…).

Elle est utile dans la recherche de séquestre dans les formes chroniques.

  • L’imagerie par résonance magnétique, en cas d’atteinte osseuse, montre un hyposignal en T1 et un hypersignal en T2, modifications non spécifiques.

La présence d’abcès sous-périostés (hyposignal en T1, hyper en T2) ou des parties molles venant au contact de l’os est évocatrice d’ostéomyélite.

L’injection de produit de contraste permet de distinguer l’abcès (pas de rehaussement où seulement en périphérie) et l’inflammation (rehaussement).

Elle est utilisée en cas de localisation inhabituelle (rotule, péroné), de problème de diagnostic différentiel avec les lésions tumorales et chez l’enfant drépanocytaire pour les lésions d’infarctus osseux.

3- Bactériologie :

L’isolement et l’identification du germe confirment le diagnostic d’infection ostéo-articulaire aiguë et permettent un traitement antibiotique adapté.

Les prélèvements doivent être multiples.

Les prélèvements conservés à température ambiante seront amenés au laboratoire et seront ensemencés rapidement.

Dans le cas d’une ponction articulaire, il faut envoyer un tube en cytologie.

Les cultures seront conservées aux moins 10 jours avant d’être considérées comme négatives.

Le germe le plus fréquent est le staphylocoque doré puis le streptocoque du groupe A et l’Haemophilus influenzae de type b chez le jeune enfant.

Les antigènes solubles d’Haemophilus influenzae peuvent être recherchés dans le sérum et les urines.

Le Mycobacterium tuberculosis est systématiquement recherché.

Évolution :

A – Ostéomyélite aiguë hématogène :

1- Complications infectieuses :

Il existe un risque évolutif d’infection à distance en cas de traitement tardif : staphylococcie pleuro-pulmonaire, péricardite, phlegmon péri-néphrétique, péritonite…

La survenue d’un choc septique est possible avec coagulopathie de consommation, coagulation intravasculaire disséminée, (CIVD) et décès.

Traitée rapidement elle guérit avec des séquelles minimes, l’hyperhémie inflammatoire peut entraîner une poussée de croissance qui se traduira par une inégalité de longueur des membres inférieurs de 1 à 2 cm.

2- Autres complications :

  • Une ischémie aiguë d’un membre doit faire rechercher une compression par un abcès sous-périosté.
  • Une phlébite peut aussi survenir en cours d’évolution (présence d’une circulation collatérale).
  • Un syndrome de loge peut survenir en phase aiguë ou chronique.
  • L’atteinte du cartilage de croissance est une complication grave entraînant des troubles de la croissance osseuse : raccourcissement, défaut d’axe amènent à des chirurgies correctrices.

Il existe également des complications articulaires à type de raideur.

B – Ostéomyélite chronique :

L’inadaptation du traitement peut conduire à l’ostéomyélite chronique avec des lésions cutanées (fistule, ulcération, perte de substance), musculaires (amyotrophie, fibrose rétractile du quadriceps dans les atteintes fémorales), osseuses avec séquestre (perte d’os par séquestrectomie chirurgicale ou élimination spontanée).

Sur cet os fragile, la survenue de fracture pathologique est possible avec un risque de pseudarthrose.

C – Abcès de Brodie :

C’est un stade évolutif constitué d’une nécrose purulente localisée, enkystée.

Il est défini par son aspect radiologique.

D – Arthrite :

Vite traitée, la guérison est rapide et sans séquelle.

Une atteinte du cartilage articulaire peut entraîner une diminution de la mobilité, sa destruction conduisant à l’arthrodèse.

Une atteinte du cartilage de croissance épiphysaire, du cartilage métaphyso-épiphysaire peut entraîner des troubles de croissance, des destructions articulaires (épiphysiolyse septique).

Traitement :

A – Ostéomyélite aiguë :

1- Traitement médical :

C’est une urgence ; le patient est hospitalisé en milieu chirurgical.

L’antibiothérapie est débutée après avoir effectué les prélèvements à la recherche du germe, mais sans en attendre les résultats.

Il s’agit d’une bi-antibiothérapie par voie intraveineuse.

De première intention on choisit une antibiothérapie dirigée contre le S. aureus, par exemple une pénicilline M (Bristopen), à laquelle on associe un aminoside.

Un antibiotique à plus large spectre est utilisé contre un streptocoque A (par exemple l’ampicilline, Totapen) où chez le jeune enfant contre Haemophylus influenzae (par exemple céfuroxime, Zinnat).

Une conférence de consensus a proposé les antibiotiques à utiliser dans les infections ostéo-articulaires selon les germes et l’âge de l’enfant.

Ce traitement est adapté selon les résultats bactériologiques en choisissant un antibiotique bactéricide délivré par voie intraveineuse jusqu’à normalisation des manifestations cliniques locales et générales (si le germe n’est pas retrouvé une bi-antibiothérapie est poursuivie).

Les infections à Haemophilus sont de meilleurs pronostic car le germe est plus sensible aux antibiotiques.

Les posologies peuvent être adaptées selon le pouvoir bactéricide du sérum (PBS > 1/2 à tout moment) et le dosage des antibiotiques (concentration entre 4 et 8 fois la CMI). Un relais per os est poursuivi pendant 3 à 6 semaines.

L’immobilisation plâtrée est obligatoirement associée pour ses rôles anti-inflammatoire, antalgique et de prévention des attitudes vicieuses.

L’efficacité du traitement permet la disparition des douleurs et des signes inflammatoires locaux, la disparition de la fièvre, la normalisation des examens biologiques (la CRP se normalise en 8 jours, la VS en 3 semaines).

L’absence d’amélioration clinique en 72 heures, le maintien d’une CRP élevée ou sa réascension font évoquer une antibiothérapie inadaptée, la survenue d’un abcès souspériosté.

2- Place de la chirurgie :

Il faut intervenir sur un abcès suspecté sur les signes cliniques ou les lésions radiologiques.

Le geste opératoire consistera à évacuer les tissus nécrotiques et à pratiquer un lavage abondant.

Un drainage sera mis en place.

B – Arthrite :

Les principes de l’antibiothérapie sont les mêmes que pour l’ostéomyélite.

Il faut pratiquer ici une évacuation et un lavage articulaire au bloc opératoire sous anesthésie générale avec une asepsie chirurgicale.

On pratique : soit une ponction qu’il faut répéter à la 48e heure pour s’assurer de l’assèchement de l’articulation ; soit une arthrotomie qui assure un lavage complet et permet de faire une biopsie synoviale ; soit une arthroscopie au genou qui assure un lavage abondant et qui autorise la biopsie synoviale.

En cas de retard diagnostique un lavage articulaire est préférable, car il permet de rompre d’éventuel cloisonnement et de placer un drain de Redon.

Une immobilisation plâtrée sera associée, un bilan clinique étant pratiqué au 10e jour.

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