Prise en charge de l’infarctus cérébral aigu

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Introduction :

Les accidents vasculaires cérébraux (AVC) représentent la troisième cause de mortalité, après les affections cardiovasculaires et les cancers, et une cause majeure de handicap.

Des progrès spectaculaires dans leur prise en charge, aussi bien sur le plan diagnostique que thérapeutique, ont été réalisés au cours de ces dernières années.

Ces accidents doivent être considérés comme une urgence médicale.

Prise en charge de l'infarctus cérébral aiguL’ensemble de cette prise en charge nécessite une hospitalisation en milieu neurologique sensibilisé à la pathologie vasculaire cérébrale, au mieux dans une unité spécialisée (stroke centre).

Les objectifs de cette prise en charge sont de confirmer le diagnostic, de préciser la cause et le mécanisme de l’infarctus (dont dépendent le pronostic et le traitement), de prévenir et traiter les complications immédiates, générales et neurologiques, qui peuvent grever le pronostic vital et aggraver les lésions ischémiques et enfin de débuter au plus tôt le traitement approprié.

Rappel physiopathologique :

L’ischémie cérébrale focale résulte d’une réduction de l’apport sanguin à une partie du cerveau.

Elle peut être purement fonctionnelle, c’est-à-dire entraîner une perturbation du métabolisme des neurones sans aller jusqu’à leur destruction, comme dans les accidents ischémiques transitoires (AIT), mais plus souvent elle aboutit à une destruction tissulaire, réalisant un infarctus cérébral, responsable d’un déficit et d’un handicap résiduels plus ou moins importants.

Deux mécanismes de base (l’occlusion artérielle et plus rarement les phénomènes primitivement hémodynamiques) sont à l’origine de l’ischémie cérébrale focale. L’occlusion artérielle est le mécanisme prédominant.

Chez les patients atteints d’un infarctus sylvien, l’angiographie cérébrale, si elle est réalisée dans les 6 premières heures, montre des occlusions artérielles, pour la plupart intracrâniennes, dans environ 75 %des cas.

Cette proportion diminue lorsque le délai de réalisation de l’angiographie augmente, indiquant que la recanalisation spontanée est un phénomène fréquent.

Le développement de traitements de l’ischémie cérébrale aiguë suppose l’existence de lésions ischémiques potentiellement réversibles, qui repose elle-même sur le concept de pénombre ischémique.

De nombreux travaux ont amené à distinguer, au sein de la région ischémique, une zone d’ischémie sévère où le débit résiduel est très faible et où l’évolution se fait rapidement vers des lésions cellulaires irréversibles et une zone dite « de pénombre » où la réduction du débit sanguin est plus modérée et où les lésions sont potentiellement réversibles si le débit sanguin est rapidement rétabli.

La viabilité tissulaire dépend non seulement de la sévérité mais aussi de la durée de l’ischémie.

La « fenêtre d’opportunité thérapeutique » reste incertaine chez l’homme ; elle est probablement variable d’un individu à l’autre, en fonction de facteurs comme la qualité de la circulation de suppléance.

Elle a été arbitrairement fixée à quelques heures dans la plupart des essais thérapeutiques, mais des études récentes suggèrent qu’elle pourrait être plus prolongée.

On connaît aussi de mieux en mieux les étapes biochimiques qui, de cet état de vie suspendue (pénombre ischémique), vont conduire à des lésions cellulaires irréversibles.

Prise en charge diagnostique :

A – Diagnostic d’accident vasculaire cérébral :

Le diagnostic d’AVC est, en général, facilement évoqué devant l’installation soudaine ou rapide, parfois par à-coups, d’un déficit neurologique focal.

Cette soudaineté d’installation n’est cependant pas spécifique car des déficits focaux soudains peuvent parfois être observés dans d’autres affections, comme des tumeurs (surtout en cas d’hémorragie intratumorale), un hématome sous-dural, voire une sclérose en plaques, mais le contexte, l’évolution et les examens complémentaires permettent le plus souvent de trancher rapidement.

Les difficultés les plus importantes sont rencontrées lorsque aucune histoire de la maladie ne peut être obtenue (patient aphasique, confus et agité, comateux ou amnésique) ou lorsque le déficit régresse en quelques minutes, ne laissant à l’examinateur que l’interrogatoire pour trancher entre un AIT et d’autres phénomènes neurologiques transitoires, comme une crise de migraine avec aura ou une crise d’épilepsie.

Une étude récente a montré que le diagnostic d’accident vasculaire cérébral récent avait été porté à tort chez environ 10 % des patients admis dans une unité d’urgence cérébrovasculaire. Une compétence neurologique est donc à ce stade indispensable.

B – Apport de l’imagerie cérébrale en urgence :

Il s’agit en priorité de distinguer une hémorragie d’un infarctus.

Cette étape est impérative car une hémorragie cérébrale doit absolument être éliminée avant d’instaurer un traitement anticoagulant à fortes doses.

Si certains arguments cliniques (céphalées, vomissements…) aident à faire cette distinction, c’est le scanner cérébral sans injection de contraste qui permet aujourd’hui de trancher en urgence avec une quasi-certitude, en montrant dans l’hémorragie une zone spontanément hyperdense, et dans l’ischémie une hypodensité (ou un aspect normal dans les toutes premières heures).

La sensibilité accrue des scanners modernes a permis de décrire une nouvelle sémiologie radiologique, qui signe l’ischémie débutante dès les premières heures : effacement du noyau lenticulaire ; effacement des sillons corticaux, perte de différenciation entre la substance grise et la substance blanche (notamment au niveau de l’insula).

Le signe de l’« artère sylvienne dense » témoigne d’une occlusion proximale de l’artère, et annoncerait souvent un infarctus étendu.

Une bonne connaissance de cette sémiologie radiologique est notamment utile dans l’optique de traitements potentiellement dangereux comme les thrombolytiques.

Passé l’urgence, l’imagerie par résonance magnétique (IRM) est plus sensible que le scanner pour identifier les infarctus de petite taille ou du tronc cérébral.

Les nouvelles techniques d’IRM (de diffusion et de perfusion) pourraient bien dans un avenir proche modifier la stratégie d’imagerie cérébrale de l’infarctus cérébral.

Elles permettent de détecter très précocement une zone ischémique (moins de 2 heures), mais surtout elles pourraient visualiser la zone de pénombre et préciser la persistance ou non d’une hypoperfusion dans le territoire ischémique.

C – Préciser la cause et le mécanisme de l’accident ischémique cérébral :

Les infarctus cérébraux constituent un groupe très hétérogène sur le plan physiopathologique.

Essayer d’en préciser la cause et le mécanisme est une étape importante dont découlent le pronostic et le traitement.

Bien que les données cliniques fournissent des indications très utiles, cette étape repose principalement sur les examens complémentaires.

Dans le cadre de l’urgence, un échodoppler des artères cervicales (et si possible une angiographie IRM), un électrocardiogramme (ou au mieux un monitoring cardiaque) et éventuellement une échographie cardiaque, ainsi qu’un bilan biologique simple, sont à réaliser au plus vite pour identifier les causes d’infarctus pouvant nécessiter des mesures thérapeutiques spécifiques : cardiopathie emboligène, sténose athéroscléreuse serrée, dissection chez le sujet jeune, etc.

Le doppler transcrânien permet d’apprécier et de surveiller le retentissement hémodynamique intracrânien d’une obstruction artérielle, ainsi que les possibilités de suppléance.

Ces investigations sont ultérieurement complétées, en fonction de l’âge et du contexte, par d’autres examens.

Prise en charge thérapeutique :

A – Mesures générales :

Des complications générales surviennent chez environ la moitié des patients hospitalisés pour un infarctus cérébral.

Elles peuvent grever le pronostic vital et aggraver les lésions ischémiques.

La prévention de ces complications, leur reconnaissance et leur traitement précoce expliquent probablement en grande partie le meilleur pronostic des patients admis dans des unités spécialisées.

En effet, diverses études ont démontré que les patients hospitalisés dans ces unités ont non seulement un meilleur pronostic vital et fonctionnel, mais aussi que la durée d’hospitalisation et le nombre de patients nécessitant une hospitalisation secondaire en centre de rééducation sont significativement réduits.

Ces résultats ont été obtenus alors même qu’il n’existait aucun traitement spécifique de l’ischémie cérébrale.

1- Maintien des paramètres hémodynamiques :

Il s’agit d’un point capital pour assurer une perfusion cérébrale suffisante.

Le respect de l’élévation de la pression artérielle, fréquente durant les premiers jours, est nécessaire au maintien d’un débit sanguin cérébral suffisant, en particulier dans la zone de pénombre, où les mécanismes d’autorégulation sont dépassés et où le débit sanguin dépend directement de la pression de perfusion et de la pression artérielle systémique.

Une réduction même modérée de la pression de perfusion peut entraîner une réduction du débit audessous du seuil critique de viabilité tissulaire et entraîner des lésions ischémiques définitives.

Ainsi, les bénéfices théoriques d’une réduction de la pression artérielle à ce stade de l’infarctus (réduction de la formation d’un oedème cérébral, diminution du risque de transformation hémorragique de l’infarctus) sont nettement inférieurs au risque thérapeutique, c’est-à-dire l’aggravation des lésions ischémiques.

Il existe donc un consensus pour ne pas traiter l’hypertension artérielle de la phase aiguë de l’infarctus cérébral, sauf bien entendu s’il existe une encéphalopathie hypertensive, une indication non neurologique à son abaissement, ou si les chiffres de pression atteignent des valeurs très élevées.

L’hypotension artérielle est rare et doit faire rechercher notamment une hypovolémie.

La nécessité de maintenir une hémodynamique correcte peut justifier, dans certains cas, l’utilisation de perfusions de macromolécules voire de médicaments vasopresseurs.

2- Maintien d’une fonction respiratoire efficace :

Le maintien d’une fonction respiratoire efficace et d’une oxygénation adéquate sont indispensables pour préserver les chances de récupération de la zone de pénombre et éviter l’hypercapnie, facteur d’aggravation de l’oedème cérébral.

Il passe par la prévention et le traitement des complications pulmonaires (encombrement bronchique, troubles de la déglutition). Une oxygénothérapie est conseillée en cas d’hypoxémie.

Certains patients ont un état qui justifie une assistance ventilatoire. S’il n’existe pas de recommandations précises, les indications théoriques sont des signes de détresse respiratoire (tachypnée supérieure à 30/min, dyspnée, tirage) avec altération des gaz du sang (PO2 inférieure à 50-60 mmHg, PCO2 supérieure à 50-60 mmHg), un coma ou un état de mal épileptique.

Le bénéfice d’une ventilation assistée, en termes de diminution de la mortalité et d’amélioration du pronostic, reste peu évalué et controversé.

La mortalité est élevée malgré ce traitement, allant de 50 à 80 % ; toutefois, environ la moitié des survivants ont un pronostic fonctionnel satisfaisant.

L’indication d’une ventilation assistée doit être discutée en fonction du type d’infarctus et de son pronostic.

Les principaux facteurs de mauvais pronostic sont l’importance des troubles de la conscience initiaux (en dehors de l’état de mal épileptique) et l’occlusion du tronc basilaire.

3- Infections, fièvre :

Les complications infectieuses, principalement pulmonaires et urinaires, doivent être traitées rapidement.

Les infections pulmonaires, avant tout dues aux inhalations ou à un encombrement bronchique, doivent être combattues par une kinésithérapie respiratoire avec aspirations régulières et la pose d’une sonde nasogastrique en cas de troubles de la déglutition.

Les infections urinaires sont fréquentes et peuvent se compliquer d’une septicémie.

Le sondage doit si possible être évité et ne pas être maintenu inutilement, mais l’incontinence urinaire est une complication fréquente dans les premiers jours.

Toute fièvre doit faire l’objet d’une enquête étiologique et doit être traitée par des médicaments antipyrétiques, car elle pourrait aggraver les lésions ischémiques.

4- Alimentation, équilibre hydroélectrolytique, glycémie :

L’alimentation orale doit être maintenue chaque fois que l’état de conscience le permet, après s’être assuré de l’absence de troubles de la déglutition.

Au moindre doute, une sonde d’alimentation gastrique est mise en place, notamment chez les patients ayant un infarctus du tronc cérébral, des infarctus multiples ou des infarctus hémisphériques volumineux.

Lorsqu’une perfusion est nécessaire, il faut éviter si possible les solutés glucosés car ils pourraient avoir un effet délétère sur les lésions ischémiques.

L’hyperglycémie est fréquente à la phase aiguë et constitue un facteur de pronostic défavorable.

Il est recommandé de contrôler, par de l’insuline, comme chez un diabétique, une hyperglycémie, même s’il n’existe pas de données sur le bénéfice réel de cette attitude.

Une surveillance rigoureuse est nécessaire pour éviter toute hypoglycémie.

5- Prévention des thromboses veineuses des membres :

Elles sont fréquentes et siègent habituellement sur le membre paralysé.

On estime qu’environ 10 % des décès à la phase aiguë sont dus à une embolie pulmonaire.

Leur prévention repose sur la mobilisation passive précoce et l’héparinothérapie à doses prophylactiques, dès lors qu’il existe une immobilité ou un déficit moteur.

Ce traitement n’augmente pas significativement le risque hémorragique cérébral.

En cas de contreindications aux anticoagulants, l’aspirine et/ou des bas de contention intermittente peuvent être utilisés.

6- « Monitoring » cardiaque :

Des complications cardiaques peuvent survenir à la phase aiguë des AVC, qu’il s’agisse d’une pathologie coronaire ou d’une arythmie ventriculaire et surtout supraventriculaire.

Il n’est pas exceptionnel de découvrir une fibrillation auriculaire, volontiers transitoire.

7- Kinésithérapie, orthophonie, « nursing » :

Ces mesures doivent être débutées précocement pour prévenir les complications de décubitus (encombrement bronchopulmonaire, thrombose veineuse, escarres, rétractions tendineuses…) et faciliter la récupération.

8- Prévention d’une hémorragie digestive :

Elle survient chez environ 3 %des patients ; une prévention médicamenteuse des ulcères de stress peut être utilisée en cas d’accident sévère.

B – Complications neurologiques aiguës :

1- OEdème cérébral :

Environ 10 à 20 % des patients développent un oedème cérébral responsable d’une détérioration clinique.

L’oedème cérébral atteint son maximum 3 à 5 jours après l’infarctus et peut être responsable d’un décès par engagement cérébral (environ un tiers des décès précoces).

Les objectifs du traitement sont de :

– diminuer la pression intracrânienne ;

– maintenir une perfusion cérébrale adéquate afin d’éviter d’aggraver l’ischémie cérébrale ;

– prévenir l’engagement cérébral.

Aucune étude n’a démontré le bénéfice des traitements utilisés, ni du monitoring de la pression intracrânienne.

Le traitement initial comporte des mesures générales.

Les corticoïdes sont inefficaces et peuvent avoir des effets néfastes (déséquilibre d’un diabète, d’une hypertension artérielle, ulcérations digestives, complications infectieuses).

Les patients dont l’état s’aggrave sont le plus souvent traités par du mannitol ; l’hémoconcentration progressive qui s’installe en réponse à son effet diurétique conduit à ne pas le prescrire plus de quelques jours.

Une hyperventilation mécanique visant à abaisser la PCO2 et la pression intracrânienne peut être utilisée dans des indications sélectionnées.

Il faut veiller au maintien d’une bonne perfusion cérébrale car l’hyperventilation peut provoquer une vasoconstriction aggravant l’ischémie. Ces traitements n’ont qu’un effet temporaire, mais peuvent aider à passer une période critique.

Certaines formes pseudotumorales d’infarctus cérébelleux (provoquant une hypertension intracrânienne par obstruction des voies d’écoulement du liquide céphalorachidien) peuvent nécessiter un traitement chirurgical.

Une chirurgie de décompression du lobe temporal a aussi été proposée dans certains cas d’infarctus hémisphériques volumineux.

2- Transformation hémorragique :

La transformation hémorragique spontanée d’un infarctus cérébral est un phénomène très fréquent, qui survient principalement dans les 2 premières semaines.

Son intensité est très variable allant de simples pétéchies plus ou moins confluentes à un véritable hématome intra-infarctus.

Les principaux facteurs de risque sont la présence d’un infarctus volumineux ou de signes d’ischémie au scanner précoce (moins de 4 heures).

Dans la grande majorité des cas, la transformation hémorragique reste sans contrepartie clinique, mais certains hématomes peuvent être responsables d’une détérioration neurologique ou d’un décès.

Le traitement anticoagulant semble augmenter l’intensité de la transformation hémorragique spontanée et c’est effectivement chez les patients ayant reçu précocement un traitement anticoagulant que l’on observe la plupart des hémorragies graves.

Les patients à plus haut risque sont ceux ayant un infarctus volumineux, une hypertension artérielle sévère ou une anticoagulation excessive.

Les transformations hémorragiques sévères sont une complication majeure du traitement thrombolytique.

3- Crises épileptiques :

La fréquence des crises épileptiques à la phase aiguë des AIC est d’environ 5 %.

Les crises surviennent le plus souvent dans les 24 premières heures.

L’état de mal épileptique est rare. Un traitement antiépileptique est indiqué en cas de crise d’épilepsie et non à visée préventive.

C – Traitement antithrombotique : aspirine, héparines

Les indications du traitement antithrombotique à la phase aiguë d’un infarctus cérébral demeurent très controversées, malgré la publication récente d’études de grande envergure.

1- Aspirine :

Deux études, portant chacune sur environ 20 000 patients, ont récemment évalué le bénéfice de l’aspirine (160 mg pour l’étude CAST et 300 mg pour l’étude IST) à la phase aiguë de l’infarctus cérébral.

Leur analyse combinée a amené les auteurs à conclure à une efficacité modeste de l’aspirine prescrite dans les 48 heures suivant l’infarctus, avec pour 1 000 patients traités, un gain d’environ neuf décès ou récidive d’AVC non mortel dans les premières semaines et un gain de 13 décès ou patients dépendants dans les premières semaines ou mois suivant l’accident initial.

2- Anticoagulants :

Les buts du traitement par l’héparine à la phase aiguë de l’infarctus cérébral sont de faciliter la lyse du thrombus, de limiter l’extension de la thrombose, de prévenir les récidives emboliques, ainsi que les complications thromboemboliques veineuses.

Les risques particuliers de ce traitement à la phase aiguë de l’infarctus cérébral sont l’aggravation d’une transformation hémorragique spontanée.

L’efficacité de ce traitement reste cependant très controversée.

Une seule étude, portant sur un nombre relativement faible de patients (n = 312), a montré un bénéfice de l’héparine par rapport au placebo : les patients traités par une héparine de bas poids moléculaire ou HBPM (Fraxiparinet 0,4 mL X 2/24 h, pendant 10 jours) dans les 48 heures suivant l’infarctus cérébral, ont eu un meilleur pronostic à 6 mois que les patients recevant le placebo.

Ces résultats n’ont malheureusement pas été confirmés par l’étude IST qui a évalué sur un grand nombre de patients le bénéfice des doses faibles (5 000 UI X 2/24 h) ou moyennes (12 500 UI X 2/24 h) d’héparine sous-cutanée, par rapport à l’aspirine ou aucun de ces traitements.

Il n’existait pas de bénéfice significatif de l’héparine sur les critères de jugement principaux : décès dans les 2 premières semaines (9 % versus 9,3 %) et décès ou dépendance à 6 mois (62,9 % dans les deux groupes).

Parmi les critères de jugement secondaires, il existait (toutes doses d’héparine confondues) une réduction significative des récidives précoces d’AVC ischémiques (2,9 % versus 3,8 %), qui était contrebalancée par une augmentation des AVC hémorragiques (1,2 % versus 0,4 %).

Le risque hémorragique, cérébral ou extracérébral, était cependant significativement plus important chez les patients traités par les plus fortes doses d’héparine, amenant les auteurs à conclure que la dose d’héparine ne devrait pas dépasser 5 000 UI X 2/24 h.

Les faibles doses d’héparine étaient associées à une diminution significative des décès et AVC précoces de même amplitude que celle observée avec l’aspirine, sans excès significatif du risque hémorragique.

Enfin, cette étude suggère aussi que l’association de faibles doses d’héparine (5 000 UI X 2/24 h) et d’aspirine (300 mg) pourrait avoir un meilleur rapport bénéfice/risque à court terme que l’aspirine ou l’héparine seules.

La méthodologie de cet essai mérite certains commentaires. Le critère d’inclusion principal étant l’incertitude de l’investigateur quant à l’indication de l’aspirine ou de l’héparine, on peut penser que des patients jugés à haut risque n’ont pas été inclus et traités par l’héparine.

Il est possible aussi que la détection des hémorragies ait été biaisée, car l’étude a été réalisée en ouvert.

Enfin, cet essai pragmatique n’a pas réellement pris en compte l’hétérogénéité physiopathologique des infarctus cérébraux.

D’autres études portant sur des groupes de patients homogènes, tenant compte notamment du mécanisme physiopathologique présumé de l’infarctus cérébral, sont donc nécessaires.

En attendant les résultats d’autres études, certains restent fidèles aux indications « classiques » de l’héparine à doses efficaces à la phase aiguë de l’infarctus cérébral, indications qui doivent toujours mettre en balance les bénéfices potentiels et les risques (en particulier hémorragique cérébral) du traitement.

Actuellement, l’héparine est souvent prescrite dans les infarctus cardioemboliques car le risque de récidive embolique précoce semble plus élevé que le risque hémorragique.

Toutefois, la notion classique d’un risque élevé de récidive embolique précoce n’a pas été confirmé par des études récentes, en particulier dans la fibrillation auriculaire non valvulaire, où il est inférieur ou égal à 5 % dans les 15 premiers jours.

En pratique, l’indication d’un traitement héparinique et son délai de mise en route sont à décider au cas par cas, en fonction de la cardiopathie en cause.

Le traitement anticoagulant doit être différé de plusieurs jours en cas d’infarctus volumineux et pour certains en cas de transformation hémorragique au scanner.

Dans les infarctus non cardioemboliques, l’héparine est souvent utilisée en cas d’infarctus en évolution (lorsque le mécanisme présumé de l’aggravation est la progression des phénomènes thromboemboliques et non la conséquence d’un autre mécanisme, comme un oedème ou une transformation hémorragique), d’AIT (en particulier répétitifs), de sténose serrée ou d’une occlusion récente des artères de gros calibre à distribution cérébrale, en attente d’intervention ou inopérable, ou de thrombus intraluminal.

De façon générale, le traitement héparinique doit être de courte durée, le relais étant pris par les anticoagulants oraux ou les antiplaquettaires selon les cas.

D – Action sur la perfusion cérébrale :

Une stratégie thérapeutique spécifique de l’infarctus cérébral consiste à restaurer l’apport sanguin dans le territoire ischémié avant que ne se constituent des lésions définitives.

Les tentatives visant à agir sur le calibre des vaisseaux (vasodilatateurs) ou sur la viscosité sanguine (hémodilution) n’ont pas apporté de résultats concluants.

En revanche, les premiers résultats des études consacrées aux thrombolytiques sont encourageants.

1- Thrombolyse par voie veineuse :

Essayé dans les années 1950, ce traitement fut rapidement abandonné en raison de complications hémorragiques cérébrales sévères.

Les succès de ce traitement dans l’infarctus du myocarde, les progrès de la neuro-imagerie et une meilleure connaissance de la physiopathologie de l’ischémie cérébrale ont récemment conduit à réévaluer la thrombolyse dans l’infarctus cérébral.

Les résultats des cinq essais thérapeutiques randomisés contre placebo récemment publiés ne sont pas concordants, ce qui s’explique peut-être par des différences concernant la nature du traitement thrombolytique, la posologie utilisée, le délai de traitement, ou la gravité initiale des malades inclus dans certains essais.

Trois études utilisant la streptokinase ont été arrêtées par leur comité de sécurité en raison d’une augmentation de 40 %de la mortalité aiguë chez les patients traités, surmortalité expliquée par un excès d’hémorragies intracrâniennes.

Deux études utilisant le rt-PA(recombinant tissue type plasminogen activator) ont été menées à leur terme.

L’étude européenne (ECASS : rt-PA, 1,1 mg/kg versus placebo, dans les 6 premières heures) est négative, mais suggère l’efficacité du traitement thrombolytique dans un sous-groupe de malades n’ayant pas, au scanner, de signes précoces d’ischémie étendue.

L’étude américaine NINDS : (rt-PA, 0,9 mg/kg versus placebo, dans les 3 premières heures) est positive, avec une augmentation significative du nombre de patients totalement guéris (selon le score du National Institut of Health [NIH]) (35 % versus 20 %) et du nombre de patients totalement indépendants (50 % versus 38 %).

Le risque de transformation hémorragique était, comme dans les autres essais, plus élevé dans le groupe traité (6,4 % versus 0,6 %) mais sans retentissement significatif sur la mortalité à 3 mois (17 % versus 21 %).

En d’autres termes, selon cette étude, le rt-PA augmente de 12 % la probabilité d’un excellent pronostic neurologique à 3 mois, mais fait courir un risque de 3 % de décès par hémorragie intracrânienne.

Bien que les autorités américaines (FDA : Food and Drug Administration) aient autorisé l’utilisation du rt-PA par voie veineuse dans le traitement de l’infarctus cérébral aigu, d’autres experts considèrent que de nouvelles études randomisées contre placebo sont nécessaires pour confirmer les résultats de l’essai américain.

En France, l’autorisation de mise sur le marché pour le rt-PAne concerne pas le traitement de l’infarctus cérébral, qui constitue toujours, au contraire, une contre-indication.

La recherche clinique doit s’intensifier avec pour objectif prioritaire de trouver les outils (par exemple, IRM de diffusion couplée à l’IRM de perfusion) qui permettront d’identifier les patients pouvant bénéficier au mieux d’un traitement thrombolytique (ischémie potentiellement réversible, persistance d’une occlusion artérielle) ou au contraire ceux à risque de complications hémorragiques.

2- Autres traitements :

La thrombolyse par voie artérielle a pour avantage d’apporter directement le médicament au niveau de l’occlusion, et pour inconvénients de nécessiter une angiographie et une infrastructure relativement complexe, qui ne permettraient d’envisager ce traitement que chez un petit nombre de patients.

L’évaluation rigoureuse de cette technique est en cours.

Quelques travaux ont été consacrés à la désobstruction artérielle en urgence par endartérectomie carotidienne, angioplastie ou embolectomie microchirurgicale (embolie sylvienne), mais les données actuelles sur les bénéfices et les risques de telles interventions sont insuffisantes pour proposer des recommandations.

E – Neuroprotection :

Les progrès récents concernant la physiopathologie des désordres ischémiques cellulaires ont conduit à développer des molécules susceptibles de diminuer à l’échelon cellulaire les conséquences de l’ischémie :

– inhibiteurs des canaux calciques ;

– antagonistes du N-méthyl-D-aspartate (NMDA) ;

– piégeurs de radicaux libres ;

– antioxydants ;

– molécules antiadhésion des polynucléaires…

Certaines de ces molécules ont fait l’objet d’études cliniques à large échelle, d’autres sont en cours d’évaluation chez l’homme, aucune n’a, à ce jour, fait la preuve de son efficacité.

L’association de ces médicaments à un traitement thrombolytique pourrait constituer une approche intéressante, car leur efficacité pourrait être plus grande s’ils agissaient sur un tissu moins sévèrement ischémique, car précocement reperfusé.

Sous réserve de la démonstration d’un rapport bénéfice/risque positif, ces médicaments pourraient être débutés sans attendre le scanner cérébral, c’est-à-dire avant l’arrivée du patient à l’hôpital.

Le fatalisme face à l’infarctus cérébral n’a plus lieu d’être.

L’infarctus cérébral doit être considéré comme une urgence médicale et notre système de soins doit s’adapter pour donner aux patients les meilleures chances de récupération.

Un premier progrès a été réalisé lors de la création d’unités hospitalières consacrées à la prise en charge des accidents vasculaires cérébraux.

Les espoirs thérapeutiques se tournent actuellement vers les nouveaux traitements, comme les thrombolytiques, qui pourraient être bénéfiques chez les patients hospitalisés dans les toutes premières heures, peut-être un jour précédés par les neuroprotecteurs.

Les délais d’arrivée du patient à l’hôpital doivent être considérablement réduits, car actuellement, seule une très faible proportion d’entre eux sont admis dans les 6 premières heures.

Le public doit être informé des possibilités thérapeutiques et doit apprendre à réagir comme il le ferait pour un infarctus du myocarde, c’est-à-dire en appelant un service d’urgence.

À cet égard, il est indispensable que des campagnes d’information lui permettent de connaître les principaux signes devant faire suspecter un accident vasculaire cérébral.

L’information doit aussi concerner les médecins qui sont en première ligne pour éduquer leurs patients, en particulier ceux à plus haut risque d’infarctus cérébral et les diriger le cas échéant vers les structures les plus adaptées.

Il faut enfin développer des structures d’urgences cérébrovasculaires où les patients peuvent être accueillis 24 heures sur 24 par un neurologue compétent en pathologie cérébrovasculaire, entouré d’une équipe formée à cette pathologie et disposant d’un plateau technique approprié.

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