Indications des statines

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Indications des statines : recommandations thérapeutiques actuelles

Les recommandations thérapeutiques actuellement en vigueur en France sont celles de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) de septembre 2000,

recommandations qui proposent des seuils d’intervention thérapeutique médicamenteuse selon les valeurs du low density lipoprotein (LDL)-cholestérol (LDL-C) et du niveau de risque vasculaire : pour les patients à haut risque, c’est-à-dire pour les sujets ayant une maladie coronaire et en prévention primaire pour les sujets ayant plus de deux autres facteurs de risque, le seuil d’intervention est un taux de LDL-C > 1,30 g l–1 après mesures hygiéno-diététiques d’au moins 3 mois.

Depuis 2002, les résultats de nouvelles études de prévention cardiovasculaire avec des statines sont disponibles et se pose alors la question de revoir ou non les indications des statines à la lumière de ces dernières données de la « Médecine fondée sur les preuves » ou « evidence based medecine » (EBM).

Études de prévention cardiovasculaire avec les statines parues depuis 2002 :

Depuis l’année 2002, cinq nouvelles études de prévention cardiovasculaire sont parues.

A – ÉTUDE « HEART PROTECTION STUDY » (HPS) :

Indications des statinesElle est certainement celle qui apporte le plus de nouvelles informations : 20 536 patients, dont 5 082 femmes, âgés de 40 à 80 ans ayant un taux de cholestérol total (CT) = 1,35 g l–1, et à haut risque de maladie coronaire (antécédent de maladie coronaire ou de maladie athéromateuse dans d’autres territoires artériels, diabète, ou hypertension traitée chez des hommes de plus de 65 ans) ont été randomisés pour recevoir selon un plan factoriel 2 × 2 soit l’association simvastatine 40 mg j–1 et des antioxydants (vitamine E 600 mg j–1 + vitamine C 250 mg j–1 + b-carotène 20 mg j–1), soit l’un ou l’autre des traitements, soit enfin un double placebo.

Le taux moyen de LDL-C à l’inclusion (1,32 g l–1) était proche du seuil d’intervention thérapeutique actuellement proposé en France pour le patient à haut risque cardiovasculaire.

Près de 12 000 patients avaient, à l’inclusion, un LDL-C < 1,35 g l–1 et près de 7 000 un LDLC < 1,16 g l–1.

HPS est essentiellement une étude de prévention secondaire « élargie » puisqu’environ 85 % des inclus étaient des patients vasculaires (antécédents coronariens ou d’accident vasculaire cérébral ou d’artériopathie périphérique).

Par ailleurs, 5 963 diabétiques ont été inclus dont 3 982 sans maladie coronaire, parmi lesquels 2 912 n’avaient pas d’antécédent vasculaire et 1 070 des antécédents vasculaires autres que coronaires.

Au terme des 5 ans de suivi, la supplémentation en vitamines antioxydantes n’a apporté aucun bénéfice.

En revanche, le traitement par simvastatine 40 mg a permis de réduire significativement la mortalité totale (–13 %), la mortalité vasculaire de toutes causes (–17 %), les infarctus du myocarde (IDM) et les décès coronaires (–27 %) et les événements vasculaires majeurs (–24 %) définis comme étant la somme des événements coronaires, des accidents vasculaires cérébraux (AVC) et des revascularisations.

Le bénéfice vasculaire existe pour les patients avec antécédents d’AVC et avec antécédents d’artériopathie périphérique, comme pour les diabétiques.

Il existe de plus un bénéfice sur la prévention des AVC ischémiques chez ces patients à haut risque vasculaire. Par ailleurs, la réduction des événements vasculaires majeurs a été significative quels que soient le sexe, l’âge, et les sous-groupes de patients définis en fonction de leur bilan lipidique initial.

En particulier, le bénéfice est significatif pour les trois sous-groupes définis par un taux basal de LDLC < 3,0 mmol l–1 (1,16 g l–1), entre 3,0 et 3,5 mmol l–1 et = 3,5 mmol/L (1,35 g l–1). Cette étude étend donc le bénéfice de la simvastatine 40 mg à tout patient vasculaire et au diabétique de plus de 40 ans non coronarien mais à haut risque cardiovasculaire, cela quel que soit le taux basal de LDL-C.

B – ÉTUDE « LESCOL INTERVENTION PREVENTION STUDY » (LIPS) :

Elle avait comme objectif d’évaluer le bénéfice d’un traitement par fluvastatine 80 mg débuté dès l’hospitalisation chez des patients ayant bénéficié d’une première angioplastie coronaire : 1 677 patients âgés de 18 à 80 ans, ayant un taux basal de CT entre 1,35 et 2,70 g l–1 ont été randomisés soit sous fluvastatine, soit sous placebo dans un délai médian de 2 jours après l’angioplastie.

Au terme d’un suivi médian de 3,9 années, la réduction des événements cardiaques majeurs (décès d’origine cardiaque + IDM non mortels + second geste de revascularisation) a été de 22 % dans le groupe fluvastatine par rapport au groupe placebo (p = 0,01).

Cette étude est ainsi la première montrant le bénéfice d’une statine administrée immédiatement après une première angioplastie coronaire, et cela dans une population dont le taux moyen de LDL-C était de 1,31 g l–1, soit tout à fait comparable à la population de HPS.

LIPS est en faveur de l’instauration d’un traitement par statine chez des patients coronariens symptomatiques immédiatement après une angioplastie primaire.

C – ÉTUDE « PROSPECTIVE STUDY OF PRAVASTATIN IN THE ELDERLY AT RISK » (PROSPER) :

C’est la première étude de prévention réalisée spécifiquement chez le sujet âgé : 5 804 sujets dont 52 % de femmes, âgés de 70 à 82 ans et ayant un CT initial compris entre 1,55 et 3,50 g l–1, ont été randomisés soit sous pravastatine 40 mg, soit sous placebo avec un suivi moyens de 3,2 années.

Les paramètres lipidiques de base moyen étaient à nouveau proches de ceux des études HPS et LIPS.

L’objectif principal de l’étude regroupant les décès coronaires, les IDM non mortels et les AVC mortels ou non, a été atteint avec une réduction du risque relatif de 15 % (p = 0,014), ce qui correspond à 65 événements cardiovasculaires évités dans le groupe pravastatine par rapport au groupe placebo.

Le bénéfice est strictement limité à la maladie coronaire (–19 %, p = 0,006 pour les décès coronaires et les IDM non mortels) alors qu’aucun bénéfice n’a été observé sur les événements cérébrovasculaires, sur les procédures de revascularisation, sur l’évolution de la fonction cognitive ou sur l’incidence des insuffisances cardiaques nécessitant une hospitalisation.

À noter dans cette étude un sur-risque de cancers de toute cause (hazard ratio : 1,25 ; IC 95 % : 1,04-1,51, p = 0,02).

Enfin le bénéfice cardiovasculaire existe essentiellement pour les patients de sexe masculin, ceux ayant un antécédent de maladie vasculaire, et surtout pour ceux dans le tertile de HDL-C inférieur à 0,43 g l–1.

À l’inverse, aucun bénéfice n’est noté pour les patients avec HDL-C élevé.

D – ÉTUDE « ANTIHYPERTENSIVE AND LIPID-LOWERING TREATMENT TO PREVENT HEART ATTACK TRIAL » (ALLHAT-LLT) :

L’objectif de la partie lipide (Lipid-Lowering Trial, LLT) de l’étude Antihypertensive and Lipid-lowering Treatment to Prevent Heart Attack Trial (ALLHAT-LLT) était de déterminer si un traitement par pravastatine 40 mg comparé à un traitement usuel pouvait réduire la mortalité de toute cause chez des patients hypertendus : 10 355 patients hypertendus âgés de 55 ou plus (49 % de femmes), ayant au moins un autre facteur de risque vasculaire et un taux de LDL-C entre 1,20 et 1,89 g l–1 ou entre 1,00 et 1,29 g l–1 en cas de présence d’une maladie coronaire, ont été randomisés soit sous pravastatine 40 mg, soit sous traitement usuel avec un suivi ambulatoire moyen de 4,8 années.

La mortalité de toute cause a été similaire dans les deux groupes de même que les décès cardiovasculaires et que l’incidence des événements coronaires.

Ces résultats négatifs s’expliquent vraisemblablement par le faible différentiel dans l’évolution des paramètres lipidiques entre les groupes pravastatine et traitement usuel.

Ainsi, à 4 ans, les réductions de LDL-C étaient de 28 % dans le groupe pravastatine et de 11 % dans le groupe traitement usuel, soit un différentiel d’uniquement 17 %.

En effet, dans le groupe traitement usuel, de plus en plus de patients ont reçu une statine au cours du déroulement de l’étude (17 % à 4 ans et 26 % à 6 ans).

À l’inverse dans le groupe pravastatine le traitement de l’étude n’était pris que par 80 % des patients au bout de 4 ans et par 77 % au terme de 6 ans de suivi.

Si cette étude ne remet pas en cause le bénéfice d’un traitement par statine chez les patients à haut risque, elle est en faveur d’un traitement agressif induisant une baisse importante de LDL-C, conclusion par ailleurs corroborée par les résultats de ASCOT.

E – ÉTUDE « ANGLO-SCANDINAVIAN CARDIAC OUTCOMES TRIAL » (ASCOT) :

En effet, dans l’étude Anglo-Scandinavian Cardiac Outcomes Trial (ASCOT), le bras lipides (Lipid Lowering Arm, LLA) a été interrompu après 3 ans environ de suivi, soit 2 ans avant le terme prévu, en raison du bénéfice significatif en faveur de l’atorvastatine sur le critère principal de l’étude.

10 305 sujets hypertendus, âgés de 40 à 79 ans, sans antécédent coronaire et ayant trois facteurs de risque cardiovasculaire associés et un cholestérol total < 2,50 g l–1 ont été randomisés soit sous atorvastatine 10 mg, soit sous placebo.

Le contrôle tensionnel a été excellent dans les deux groupes avec une pression artérielle moyenne des patients sous traitement à 138/80 mmHg. Par rapport au groupe placebo, les réductions moyennes du LDL-C observées sous atorvastatine étaient de 35 % à 1 an et de 29% à la fin de l’étude.

Le traitement par atorvastatine a induit une réduction significative des IDM non mortels et des décès coronaires (–36 %), des AVC mortels ou non (–27 %) et de l’ensemble des événements coronaires (–29 %).

Principaux enseignements issus de ces nouveaux essais de prévention cardiovasculaire :

Il est intéressant de noter que toutes ces nouvelles études de prévention par les statines ont été réalisées dans des populations très modérément hypercholestérolémiques pour lesquelles le taux moyen de LDL-C était sensiblement au niveau du seuil le plus bas d’introduction d’un traitement dans les recommandations françaises actuelles, c’est-à-dire 1,30 g l–1 pour les patients à haut risque cardiovasculaire.

Les principaux enseignements de ces nouvelles études peuvent se résumer comme suit :

– chez le patient vasculaire (antécédent coronaire ou vasculaire cérébral ou d’artériopathie périphérique), le bénéfice d’un traitement par statine apparaît très large et est valable chez la femme comme chez l’homme, chez le sujet âgé comme chez le sujet plus jeune et chez le diabétique comme chez le non-diabétique.

De plus ce bénéfice existe quel que soit le taux de LDL-C initial, mais le taux de LDL-C renseigne toujours de façon forte sur le risque vasculaire global du patient ;

– chez le sujet âgé de plus de 70 ans, lorsque le risque vasculaire est élevé et en particulier en prévention secondaire, le bénéfice d’un traitement par statine est prouvé.

En prévention primaire, le traitement paraît toutefois devoir être réservé aux patients à haut risque avec LDL-C élevé et surtout high density lipoprotein (HDL)-C bas.

Les résultats de PROSPER incitent toujours à la prudence chez le sujet âgé : il faut savoir rechercher un cancer sous-jacent en cas de cholestérolémie basse et ne pas proposer de traitement hypolipémiant si le risque vasculaire global n’est pas suffisamment élevé et si le bilan lipidique n’est que peu perturbé ;

– chez le sujet hypertendu en prévention primaire mais avec facteurs de risque associés, le bénéfice du traitement par atorvastatine apparaît net dans l’étude ASCOT.

La comparaison des résultats de ASCOT et ALLHAT est en faveur d’un abaissement suffisamment important du LDL-C pour obtenir un bénéfice cardiovasculaire significatif ;

– enfin, chez le patient diabétique, les résultats de HPS sont en faveur d’un traitement par statine tant en prévention primaire que secondaire et cela quel que soit à nouveau le taux de LDL-C initial.

En revanche, les résultats des sous-groupes en fonction du taux basal non à jeun des triglycérides laissent encore des incertitudes sur la place respective d’une statine et d’un fibrate chez le diabétique lorsque les triglycérides sont franchement augmentés. Les études CARDS, puis FIELD doivent prochainement apporter des informations complémentaires sur la stratégie thérapeutique chez le patient diabétique.

Toutes ces nouvelles données de l’EBM doivent conduire à modifier dans un avenir proche les recommandations thérapeutiques actuellement en vigueur.

L’enjeu majeur est la définition d’un seuil de risque vasculaire à partir duquel un traitement par statine doit être proposé. Pour les patients en prévention secondaire « élargie », c’est-à-dire tous les patients avec antécédent vasculaire, la place d’un traitement par statine doit être très large.

Le niveau de risque du patient diabétique ou hypertendu est important à préciser dans les futures recommandations.

Ce sont donc essentiellement pour les patients à haut risque que les recommandations actuelles doivent évoluer alors que pour les patients avec faible risque, les dernières études n’apportent pas d’éléments permettant objectivement de modifier les seuils d’intervention médicamenteuse.

Il est clair qu’il s’agira de plus en plus de traiter par statine non pas un sujet hypercholestérolémique ou dyslipidémique, mais bien un patient à risque vasculaire identifié.

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