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Incontinentia pigmenti

Introduction :

L’incontinentia pigmenti (IP) ou syndrome de Bloch-Sulzberger est une génodermatose rare liée à l’X, classée parmi les syndromes neurocutanés.

La maladie doit son nom à l’incontinence pigmentaire dermique observée à la phase tardive de l’éruption cutanée.

Plus de 700 observations ont été rapportées à ce jour mais la prévalence reste difficile à déterminer, le diagnostic n’étant pas toujours posé en période néonatale.

Il existe une nette prédominance féminine, mais quelques cas ont été décrits chez le garçon (2 à 5 % selon les séries).

Il s’agit d’une maladie neuroectodermique pour laquelle une approche multidisciplinaire est nécessaire.

L’IP intéresse non seulement la peau, les phanères et les dents, mais également le tissu nerveux et l’oeil.

D’importantes avancées ont été réalisées ces dernières années sur le plan génétique, permettant d’identifier le gène responsable localisé sur le chromosome X au niveau du locus q28, ouvrant de nouveaux horizons sur la physiopathologie de la maladie.

Signes cliniques et critères diagnostiques :

En l’absence de cas familiaux, la présence d’un seul critère majeur est suffisante pour porter le diagnostic : éruption néonatale typique, hyperpigmentation caractéristique et/ou alopécie atrophique linéaire.

Les critères mineurs ne font que conforter le diagnostic : atteinte dentaire, atteinte rétinienne, alopécie et/ou cheveux laineux.

En revanche, si le patient a un parent de sexe féminin du premier degré reconnu atteint, la présence d’un critère mineur suffit pour porter le diagnostic d’IP.

A – SIGNES CUTANÉS ET PHANÉRIENS :

Dans 50 % des cas, l’IP a une expression purement dermatologique.

Il existe des signes caractéristiques qui permettent d’affirmer cliniquement le diagnostic, et d’autres moins spécifiques ayant seulement une valeur d’orientation.

1- Signes cutanés :

Les signes cutanés apparaissent dans les 6 premières semaines de vie dans plus de 90 % des cas, et souvent dès la naissance.

L’éruption évolue classiquement en quatre phases successives distinctes, cependant tous les stades ne surviennent pas obligatoirement, et parfois ils peuvent se chevaucher.

* Stade 1 :

Encore appelé stade vésicobulleux, il est présent dans plus de 80 % des cas d’IP.

L’éruption peut apparaître à n’importe quel endroit du corps, elle est classiquement vésiculeuse ou vésiculobulleuse, uni- ou bilatérale et disposée selon les lignes de Blaschko.

Sur les membres, la disposition est linéaire et, sur le tronc, circonférencielle, l’atteinte du visage est rare, en revanche le cuir chevelu est fréquemment le siège d’éléments isolés.

Les vésicules apparaissent en peau saine ou légèrement érythémateuse, elles sont profondes et indurées, leur contenu est clair, puis il se trouble et devient parfois purulent.

Le simple étalement sur lame peut mettre en évidence la présence de nombreux polynucléaires éosinophiles.

En microscopie optique, on observe une spongiose à éosinophiles associée à des bulles intraépidermiques non acantholytiques contenant des éosinophiles.

Des cellules dyskératosiques sont parfois disposées au contact des pores sudoraux et des orifices pilaires.

La numération formule sanguine montre habituellement une hyperéosinophilie pouvant atteindre 50 % des leucocytes.

L’évolution des vésicules se fait vers des croûtes laissant parfois des cicatrices.

Plusieurs poussées peuvent se succéder au cours de la première année de vie, en particulier lors d’épisodes fébriles, et peuvent par conséquent coexister avec des lésions d’un stade plus tardif.

* Stade 2 :

Ce stade, dit prolifératif, se caractérise par une atteinte verruqueuse, hypertrophique ou lichénoïde toujours de disposition linéaire, succédant aux lésions du stade 1 ou apparaissant plus rarement sur des zones antérieurement indemnes.

Selon les séries, ces lésions sont retrouvées dans 30 à 70 % des cas.

Elles siègent essentiellement sur les faces d’extension des doigts, des pieds et des genoux.

Dans certains cas, l’hyperkératose est telle que le diagnostic différentiel avec un hamartome épidermique est difficile.

Histologiquement, ce deuxième stade se caractérise par un épiderme acanthosique et hyperkératosique, associé à une papillomatose irrégulière et un aspect vacuolisé de la couche basale.

Le derme est le siège d’un infiltrat inflammatoire modéré.

* Stade 3 :

C’est le plus spécifique, et il se voit dans plus de 95 % des cas.

Il est caractérisé par une hyperpigmentation « en éclaboussures «, « en jet d’eau » ou « en tourbillon » de disposition blaschkolinéaire.

Il apparaît habituellement après l’âge de 6 mois, et disparaît progressivement chez la majorité des patientes avant l’âge de 16 ans.

Il peut être découvert sans notion antérieure des deux premiers stades qui ont pu, soit passer inaperçus, soit s’être déroulés in utero.

Histologiquement, on met en évidence la présence caractéristique de pigment mélanique intra- et extracellulaire dans le derme superficiel par incontinence pigmentaire.

* Stade 4 :

C’est le plus rare et le plus difficile à mettre en évidence.

Il est dit « involutif », et se présente sous la forme de macules achromiques et atrophiques discrètes de disposition linéaire.

On l’observe essentiellement chez les femmes adultes à la face postérieure des membres.

La biopsie montre un épiderme atrophique et une réduction du nombre des mélanocytes à la jonction dermoépidermique.

Cette évolution stéréotypée en quatre phases n’est pas toujours respectée, et au cours de la première année de vie, on peut observer des récurrences de l’éruption aussi bien au stade vésiculeux qu’hyperkératosique.

Ces phénomènes ont été décrits lors d’épisodes fébriles, mais également sans facteur déclenchant évident.

Des récurrences inflammatoires chez l’enfant plus grand et chez l’adulte, parfois prurigineuses, ont été observées.

Rarement, des lésions persistent jusqu’à l’âge adulte, prenant l’aspect de pseudokératoacanthomes.

2- Atteinte unguéale :

Les anomalies unguéales seraient présentes dans 7 % des IP, mais ce chiffre est peut-être sous-estimé car elles sont parfois très discrètes.

Les remaniements sont plus fréquents aux ongles des mains.

On peut observer une onychodystrophie ou une onycholyse s’accompagnant d’une lyse osseuse des phalanges sous-jacentes.

Parfois, il existe une hyperkératose unguéale ou sous-unguéale ressemblant à des verrues vulgaires, et dont l’histologie est comparable à celle du stade verruqueux de l’atteinte cutanée.

L’onychodystrophie peut régresser spontanément avec parfois des récurrences après la puberté, peut-être sous dépendance hormonale ; des améliorations ont également été signalées pendant la grossesse.

3- Atteinte des cheveux :

Le cuir chevelu est fréquemment le siège de l’éruption vésiculeuse, mais c’est surtout l’alopécie qui est caractéristique.

On la retrouve dans 30 à 40 % des cas, le plus fréquemment sous la forme d’une alopécie en plaque cicatricielle du vertex, de disposition linéaire.

L’aspect de cheveux laineux est plus rare, mais également évocateur du diagnostic.

B – ANOMALIES DENTAIRES :

Les anomalies dentaires sont présentes dans environ 60 % des cas ; elles constituent un critère diagnostique important chez les femmes adultes.

Elles peuvent prendre différents aspects : retard de la première dentition, anodontie totale ou partielle prédominant sur les incisives latérales supérieures ou les prémolaires, malpositions antérieures ou anomalies de forme des dents (incisives et canines coniques).

Il existe également une susceptibilité aux caries, et plus rarement des dents surnuméraires.

C – ATTEINTE OPHTALMOLOGIQUE :

L’atteinte oculaire est précoce, le plus souvent dans la première année de vie.

Sa fréquence varie selon les séries, mais concernerait 30 à 40 % des cas.

L’atteinte la plus grave est la vascularite rétinienne, qui peut aboutir à une cécité complète heureusement rare (moins de 10 % des cas d’IP).

C’est en réponse à l’ischémie rétinienne que l’on observe une prolifération vasculaire, responsable d’hémorragies d’évolution fibrosante ou de décollements de rétine parfois complets.

Une atrophie du nerf optique uni- ou bilatérale est également possible, en association habituellement à des troubles neurologiques graves.

D’autres anomalies sont décrites, mais leur retentissement fonctionnel est moindre et leur explication étiopathogénique demeure encore floue.

On retrouve fréquemment un strabisme (20 à 30 % des cas d’IP) et des anomalies de la réfraction, plus rarement des anomalies pigmentaires rétiniennes, des hypoplasies fovéolaires uni- ou bilatérales, un nystagmus, une microphtalmie ou une cataracte.

D – SIGNES NEUROLOGIQUES :

Les anomalies neurologiques concernaient 30 % à 50 % des cas dans l’étude de Carney en 1976, mais ce chiffre était probablement surestimé, et l’incidence réelle reste inférieure à 20 %.

L’atteinte neurologique est attribuée à des phénomènes inflammatoires et/ou vasculaires.

Les anomalies les plus fréquemment retrouvées sont les troubles convulsifs dans 14 % des cas, sous la forme de crises partielles ou de spasmes.

Les crises comitiales peuvent apparaître soit concomitamment à l’éruption cutanée dans les premières semaines de vie, soit de manière différée au cours du processus de cicatrisation des lésions inflammatoires.

Le retard mental concerne environ 10 % des cas d’IP, il peut être isolé ou associé à la comitialité ; un cas sur trois seulement est considéré comme grave.

Par ailleurs, le spectre du tableau neurologique de l’IP est vaste : microcéphalie, atrophie corticale, hydrocéphalie, surdité congénitale, retard moteur, spina bifida, ataxie cérébelleuse, encéphalopathie dégénérative, encéphalite, infarctus cérébraux, anomalies de la substance blanche peu spécifiques, décrites aussi dans d’autres syndromes neurocutanés.

Il semble que les manifestations neurologiques soient corrélées aux anomalies constatées à l’imagerie par résonance magnétique (IRM), d’où l’intérêt d’une imagerie précoce, qui sert de référence et permet un suivi évolutif.

Les anomalies les plus fréquemment retrouvées à l’IRM sont l’hypoplasie du corps calleux, l’atrophie corticale et cérébelleuse.

E – AUTRES SIGNES CLINIQUES :

La microcéphalie est classique, en revanche les anomalies squelettiques sont plus rares, et doivent même plutôt orienter vers une autre génodermatose.

De manière sporadique, on a décrit des syndactylies, des hémivertèbres, ou encore une scoliose. D’autres anomalies sont répertoriées dans la littérature : hémiatrophie faciale, aplasie mammaire unilatérale, cardiopathie congénitale.

Enfin, ont été signalés des troubles hématologiques, une prédisposition aux affections malignes dans la petite enfance (rétinoblastome, néphroblastome, leucémie myélocytaire, rhabdomyosarcome paratesticulaire), et des déficits immunitaires, avec une susceptibilité aux infections.

Génétique :

Une transmission dominante liée à l’X avec létalité masculine et expressivité variable a été proposée dès 1961 dans l’IP.

Cette hypothèse a été ensuite soutenue par les résultats de plusieurs études et la description d’une IP chez plusieurs hommes porteurs d’un syndrome de Klinefelter (47, XXY).

Deux localisations, en Xp11 et Xq28, étaient initialement suspectées, devant la constatation de plusieurs aberrations chromosomiques touchant ces régions dans des cas d’IP.

Les premières études de liaison génétique permirent d’exclure le bras court du chromosome X (en particulier Xp11), avant de mettre en évidence une liaison significative sur son bras long, confirmant la localisation suspectée en Xq28.

Le gène IKK-c ou NEMO responsable de l’IP a été récemment identifié, et code pour une protéine appelée NEMO qui correspond à une sous-unité régulatrice d’un complexe enzymatique I-Vbkinase (IKK).

Ce complexe joue un rôle dans l’activation d’un facteur de transcription NF-jB, qui contrôle l’activité de nombreux gènes-cibles codant pour des chémokines, des cytokines, des molécules d’adhésion et des molécules protectrices contre l’apoptose.

Une mutation préférentielle, correspondant à un large remaniement génomique, emportant une partie du gène IKK-c et entraînant une perte de fonction de NEMO, est retrouvée dans près de 85 % des cas d’IP, principalement dans les formes de novo de la maladie.

Quelques mutations ponctuelles non-sens moins délétères sur la fonction de NEMO ont également été décrites, et semblent se traduire par un phénotype clinique moins sévère, permettant un début de corrélation phénotype-génotype pour cette affection.

Des récidives d’IP par mosaïcisme germinal ont été prouvées dans une famille.

Pour cette raison, le conseil génétique doit rester prudent, même devant un cas sporadique dû à une mutation de novo.

L’inactivation de l’X (phénomène de lyonisation) est non aléatoire chez les femmes atteintes d’IP.

Elle résulte d’une élimination des cellules dont le chromosome X est porteur de la mutation à l’état actif, car en l’absence d’activation de NF-jB, les cellules sont particulièrement sensibles aux signaux proapoptotiques.

Une autre dysplasie neuroectodermique est allélique de l’IP et est également attribuée à des anomalies du gène IKK-c.

Il s’agit d’un syndrome appelé HED ou hypohydrotic ectodermal dysplasia (MIM 305100).

Il s’exprime par des anomalies des dents, des cheveux et des glandes eccrines.

Il n’est pas létal chez le garçon, contrairement à l’IP.

Une souris transgénique, créée par knock-out, montre un phénotype comparable à ce qui est connu chez l’homme, avec une létalité embryonnaire masculine et une atteinte cutanée pour les femelles hétérozygotes.

Ce modèle murin de l’IP constitue un outil précieux pour les études fonctionnelles de NEMO et de l’ensemble de la voie de signalisation NF-jB.

Diagnostic différentiel :

À la phase initiale, le diagnostic clinique d’IP est habituellement facile, du fait de l’absence de signes généraux et du caractère blaschkolinéaire de l’éruption vésiculeuse.

En cas de doute, il faut avant tout éliminer une cause infectieuse grave, notamment une varicelle congénitale ou une infection néonatale à virus herpès.

L’impétigo staphylococcique peut au début être vésiculobulleux, mais rapidement on observe un décollement épidermique.

La candidose cutanée congénitale est habituellement pustuleuse et de disposition aléatoire, mais avec un tropisme pour les extrémités.

Des examens complémentaires simples permettent rapidement d’éliminer ces diagnostics : le dosage de la protéine C réactive (CRP) à la recherche d’un syndrome inflammatoire, le frottis d’une vésicule, qui montre uniquement des polynucléaires éosinophiles dans l’IP, et l’immunofluorescence cutanée directe qui permet d’éliminer une cause virale (virus herpès simplex ou virus zonavaricelle).

D’autres éruptions vésiculeuses néonatales plus banales doivent bien sûr être également éliminées, comme les causes traumatiques (bulles de succion, brûlures…), l’érythème toxique et wla mélanose pustuleuse transitoire lorsqu’ils sont profus, ou la miliaire sudorale.

Les épidermolyses bulleuses congénitales se révèlent après un intervalle libre, et il s’agit habituellement de bulles de grande taille situées sur les zones de frottement.

Les maladies bulleuses auto-immunes de transmission maternofoetale sont exceptionnelles et éliminées facilement par l’anamnèse.

Enfin, deux autres dermatoses peuvent se présenter sous la forme d’une éruption vésiculobulleuse avec conservation de l’état général, c’est la mastocytose et l’histiocytose langerhansienne.

Dans ces deux cas, la biopsie cutanée est informative.

Au stade verruqueux, l’IP peut parfois avoir le même aspect qu’un hamartome épidermique, et à la phase tardive poser le problème du diagnostic différentiel avec les autres anomalies de la pigmentation de disposition blaschkolinéaires : hypermélanose naevoïde et en volutes, syndrome de Naegeli, syndrome de Franceschetti- Jadassohn, hypomélanose de Ito, syndrome GAPO (growth retardation, alopecia, pseudo-anodontia, optic atrophy), chondrodysplasie ponctuée liée à l’X et syndrome de Goltz.

Examens complémentaires et conduite à tenir :

Le diagnostic d’IP est essentiellement clinique.

En cas de doutes, le frottis du contenu d’une vésicule est de réalisation simple, et permet de mettre en évidence un « fourmillement » de polynucléaires éosinophiles.

La biopsie cutanée n’est pas indispensable, mais elle constitue un bon élément d’orientation, et la numération formule peut retrouver une hyperéosinophilie.

L’examen ophtalmologique avec fond d’oeil est indispensable en période néonatale, et le suivi doit être très régulier, en particulier au cours de la première année.

Un avis neurologique est également requis, et pour le dépistage d’éventuelles anomalies une échographie transfontanellaire peut être proposée en première intention.

Par la suite, une IRM précoce doit être effectuée et éventuellement renouvelée, en cas d’anomalie du développement psychomoteur ou de l’apparition d’un autre point d’appel (comitialité, parésies…).

Une enquête familiale est également indispensable.

Si possible, toutes les femmes de la famille doivent être examinées, et en premier lieu la mère.

On recherche des signes évocateurs à l’interrogatoire : notion de fausses couches à répétition de foetus de sexe mâle, décès de garçons en période néonatale, éruptions cutanées avec bulles chez des filles, troubles de la pigmentation, alopécie ou retards mentaux avec microcéphalie.

À l’examen clinique, les signes peuvent être discrets : petites zones atrophiques sur les membres, troubles diffus de la pigmentation, dysplasies dentaires ou dents coniques, cheveux laineux.

Chez ces femmes, un conseil génétique est indispensable compte tenu de la gravité potentielle de la maladie.

Il n’y a pas de traitement recommandé dans l’IP, l’attitude étant symptomatique en cas de manifestations cliniques.

Certains auteurs proposent une corticothérapie locale ou des corticoïdes per os à la phase aiguë de la maladie, avec une certaine efficacité sur l’hyperéosinophilie et les signes cutanés ; cependant aucune étude contrôlée ne permet de conclure quant à leur intérêt réel.

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