Hypodermites et fasciites nécrosantes des membres chez l’adulte

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Introduction : difficultés nosologiques

La première description de nécrose infectieuse du tissu cellulaire sous-cutané revient à Meleney qui, en 1924, utilisait le terme de gangrène streptococcique.

Par la suite, de nombreux travaux ont corroboré l’entité nosologique d’une infection nécrosante souscutanée d’origine infectieuse, vraisemblablement streptococcique.

En 1952, Wilson utilise le terme de fasciite nécrosante.

Dès lors, dans la littérature s’est produit un mélange de terminologie entre cellulite gangreneuse et fasciite nécrosante sans qu’il soit possible de savoir s’il s’agissait d’une pathologie unique à forme d’expression différente ou de maladies différentes.

L’imprécision nosologique maximale est donnée par l’appellation la plus fréquemment utilisée « cellulite nécrosante streptococcique » que l’on doit, à nos yeux, abandonner.

En effet, le terme « cellulite » est lourd d’ambiguïté : pour certains, il répond au tissu cellulaire sous-cutané, pour d’autres aux espaces celluleux périorificiels ; le terme « streptococcique » semble lui en revanche non pas ambigu mais réducteur, présageant d’une étiologie limitative.

Finalement, de cette terminologie, il ne reste que la notion de nécrose qui est la base et la définition de cette pathologie.

La difficulté de terminologie tient en fait à une duplicité nosologique.

En effet, dans les faits, les cliniciens sont confrontés à deux types de malades.

Dans certains cas, la nécrose est limitée au tissu cellulaire sous-cutané, respectant l’aponévrose sous-jacente, réalisant une forme chirurgicale relativement bénigne.

Dans d’autres cas, plus rares, la nécrose touche l’aponévrose superficielle et se propage le long de celle-ci, s’insinuant entre les muscles.

Cette forme gravissime est responsable de la quasi-totalité de la mortalité dans notre expérience.

La dissociation nosologique entre l’atteinte limitée au tissu cellulaire sous-cutané (hypodermite nécrosante) et l’atteinte aponévrotique (fasciite nécrosante) est fondamentale pour la compréhension de cette pathologie, mais elle a été, dans la littérature, l’objet de bien des confusions.

A – AMBIGUÏTÉ ANATOMIQUE :
Hypodermites et fasciites nécrosantes des membres chez l’adulte

Sur le plan anatomique, en effet, la confusion existe entre le fascia superficialis et l’aponévrose superficielle.

Si effectivement il existe dans le derme un fascia très fin (le fascia superficialis), il n’est pas une barrière physiologique.

En revanche la barrière réelle est plus profonde, c’est l’aponévrose superficielle, épaisse, engainant les muscles, les isolant du tissu cellulaire sous-cutané, et responsable de la tension dans la loge.

Cette aponévrose très fibreuse est plus ou moins épaisse mais parfaitement individualisée.

L’atteinte infectieuse de cette entité anatomophysiologique réalise une fasciite.

On voit que, pour certains, l’atteinte du fascia superficialis réaliserait déjà une fasciite.

Ce serait un abus de langage au vu de la différence fondamentale entre la bénignité relative de l’atteinte du tissu cellulaire sous-cutané et l’extrême gravité de l’atteinte de l’aponévrose.

L’expérience montre qu’il faut donc différencier ces deux formes qui n’ont en commun que la notion de nécrose infectieuse.

B – AMBIGUÏTÉ MICROBIOLOGIQUE :

À cette ambiguïté anatomique se surajoute une grande imprécision microbiologique. En effet, la particularité de cette infection est d’évoluer sans abcédation, par une diffusion de proche en proche, sans suivre les trajets lymphatiques.

L’absence de pus et la « mortification septique » des tissus concernés sont très particulières.

On est obligé d’admettre une spécificité pathogénique du germe en cause.

Or, la bactériologie est de peu d’aide dans ces affections.

En effet, ces lésions surviennent le plus souvent après des plaies plus ou moins souillées par une population microbienne polymorphe qui habituellement est d’une bénignité relative, responsable au pire d’une infection purulente avec abcès des parties molles.

En revanche, au sein de cette population existe un type de germe susceptible de déclencher le drame infectieux : le streptocoque.

Mettre en évidence le streptocoque dans une telle atmosphère est une gageure microbiologique, mais seul le streptocoque est susceptible de provoquer cette évolution nécrosante.

En pratique, il est masqué très souvent soit par des contaminants, soit par l’antibiothérapie instaurée à juste titre devant la gravité générale.

C – AMBIGUÏTÉ MORPHOLOGIQUE :

Enfin, dernière source de confusion dans la littérature, l’association avec les gangrènes périorificielles.

Il est fondamental de dissocier les atteintes nécrosantes périorificielles des atteintes des membres. Les nécroses périorificielles sont une entité très particulière pour des raisons anatomiques et microbiologiques.

Sur le plan anatomique, il existe des espaces celluleux larges et profonds (fosses ischiorectales) et les cloisonnements aponévrotiques y sont le plus souvent transversaux.

Dans ces vastes cavités, la définition de l’atteinte anatomique est toujours imprécise.

Sur le plan microbiologique, les contaminations de ces lésions sont toujours polymicrobiennes avec une flore particulièrement riche dont il est impossible de définir une responsabilité prépondérante.

La difficulté d’analyse de la littérature tient à la dénomination de « fasciite nécrosante » donnée à cette pathologie qui relève d’une toute autre définition et d’une toute autre thérapeutique.

Nous décrivons donc ici les nécroses infectieuses sous-cutanées des membres chez l’adulte.

Dans ce strict cadre, les données sont claires et ne prêtent pas à confusion.

Nous utilisons la terminologie qui semble émerger à l’heure actuelle : hypodermite nécrosante et fasciite nécrosante.

Hypodermite nécrosante :

A – ANATOMIE PATHOLOGIQUE :

Meleney avait déjà décrit les bases anatomopathologiques de cette lésion : « l’infection produit essentiellement une gangrène des tissus cellulaires par thrombose des vaisseaux locaux sous-cutanés ».

Les descriptions opératoires sont univoques : la gangrène sous-cutanée est retrouvée constamment, il existe une « fonte » du tissu cellulaire sous-cutané qui prend un aspect de crème verdâtre.

L’opérateur découvre parfois des décollements cutanés d’étendue considérable qui l’amènent habituellement jusqu’aux limites de l’érythème.

Toutefois, l’aponévrose superficielle est respectée.

La lésion est limitée au pannicule adipeux et au tissu sus-aponévrotique que nous continuons à appeler tissu cellulaire sous-cutané.

Les réactions cutanées n’étant que secondaires à l’atteinte sous-cutanée, les lésions ont toujours été sous-estimées avant l’intervention.

Pendant l’intervention, la limite avec les tissus sains peut être difficile à trouver.

Pour Wilson, il faut tester au stylet d’éventuels décollements qui n’apparaîtraient pas spontanément.

Il est constant dans la littérature de ne pas retrouver de pus liquide, franc.

La nécrose cutanée n’est que secondaire, conséquence de la nécrose sous-cutanée.

Les muscles ne sont initialement pas concernés par cette atteinte streptococcique.

Plus qu’une infection cutanée, c’est une nécrose par thrombose des microvaisseaux sous-cutanés.

B – BACTÉRIOLOGIE :

Le streptocoque est reconnu responsable de ces lésions depuis Meleney qui le retrouve dans tous ses cas.

Par ailleurs, Meleney est parvenu à reproduire de façon expérimentale chez le lapin, la « cellulite gangreneuse » par injection sous-cutanée de streptocoque.

Les streptocoques bêtahémolytiques du groupe A de Lancefield sont le plus souvent responsables.

Parmi l’ensemble des streptocoques bêtahémolytiques, Streptococcus pyogenes est l’espèce la plus fréquemment responsable.

Cependant, des streptocoques bêtahémolytiques des groupes C et G plus rarement des streptocoques du groupe B peuvent être isolés dans les mêmes circonstances.

La littérature fait état de polymicrobisme dans une proportion qui va jusqu’à 93 %.

Cette notion ne nous paraît pas réelle ni objective.

En effet, leur étude associe les nécroses périorificielles et il est frappant de constater que la flore associée est corrélée au site d’isolement.

Les localisations de la tête et du cou associent au streptocoque (quand on le met en évidence) une flore à base de staphylocoques dorés.

Les localisation sous-diaphragmatiques et périnéales sont contaminées à majorité par des anaérobies et des bacilles à Gram négatif.

Mais lorsqu’on étudie en méta-analyse la microbiologie des fasciites nécrosantes des membres chez l’adulte, on ne retrouve pas cette notion de polymicrobisme, d’autant que le mode de prélèvement peut induire en erreur.

C’est ainsi que Wilson fait des prélèvements sur les plaies exposées à la contamination secondaire depuis un certain temps.

Les autres auteurs ne précisent pas tous les conditions de prélèvements.

Le germe responsable n’est pas constamment retrouvé par les auteurs.

White sur sept cas ne retrouve pas de germes chez trois malades, Wilson sur 23 cas décrit 88 % de cultures positives à staphylocoques.

Il estime que les aspects cliniques et opératoires sont suffisants pour porter le diagnostic d’atteinte streptococcique.

Pour nous, les prélèvements n’ont de valeur que s’ils ont été faits en profondeur.

Les germes sont retrouvés préférentiellement dans le tissu cellulaire sous-cutané voisin de la zone nécrotique. Les prélèvements mal effectués (sur la peau, ou dans l’oedème à distance) peuvent expliquer les résultats négatifs, voire les faux positifs à staphylocoques, faisant évoquer le diagnostic de fasciite synergistique.

Le streptocoque réalise une véritable « toxi-infection » au sens historique du terme, la gravité locale et générale est provoquée par la libération de toxines.

Les streptocoques sont susceptibles de produire des exotoxines pyrogènes responsables d’un véritable phénomène immunoallergique nécrosant.

Les souches produisant ces toxines ne provoquent pas dans tous les cas des lésions nécrosantes ou un choc toxique.

C’est ainsi que la contamination des membres d’une même famille ou du personnel hospitalier a entraîné des manifestations très variables : fasciites nécrosantes ou choc toxique chez les uns, infection bénigne ou simple colonisation chez les autres ce qui confirme le rôle essentiel de l’hôte dans l’expression de la maladie.

Par ailleurs, certes Staphylococcus aureus est susceptible par sa toxine TSST-1 de provoquer des chocs toxiques, mais nous n’avons pas trouvé dans la littérature de fasciites nécrosantes des membres à staphylocoques seuls, même si sur le plan théorique cela est possible.

En revanche, la colonisation par des staphylocoques pourrait aggraver l’agression de l’infection streptococcique.

Le staphylocoque facilement mis en évidence serait dans les faits, un comparse, susceptible de permettre au streptocoque de faire son action nécrosante et toxique.

On voit donc que sur le plan théorique, seul le streptocoque est « équipé » pour provoquer la nécrose du tissu cellulaire.

Le staphylocoque n’a pas la possibilité de réaliser de telles lésions.

Le streptocoque vis-à-vis du traitement médical doit donc être la cible de choix, même si la bactériologie classique a du mal à le mettre en évidence.

C – CLINIQUE :

1- Siège et terrain :

Les malades sont plutôt âgés (moyenne d’âge de notre série : 55 ans, une seule malade avait moins de 30 ans).

Dans la littérature, l’atteinte des membres est la plus fréquente : sur les 72 cas où le siège est précisé, 56 localisations des membres sont retrouvées.

2- Traumatisme initial :

Une plaie est trouvée dans la majorité des cas, il s’agit de plaies minimes qui seraient facilement passées inaperçues (piqûre d’oursins, piqûre de rosiers, etc).

Cette notion de bénignité de la plaie initiale est à opposer aux vastes effractions cutanées habituellement responsables des gangrènes gazeuses.

Deux de nos malades n’avaient eu aucune plaie mais un traumatisme fermé, simple contusion banale.

Cette absence de porte d’entrée est déjà notée par White et Meleney.

On incrimine volontiers la prise d’anti-inflammatoires dans l’apparition de la gangrène locale.

3- Signes cliniques :

Les délais d’apparition ont en règle été assez brefs, de 2 jours à 1 semaine lorsqu’une porte d’entrée a été retrouvée.

Un de nos malades semble avoir eu une évolution torpide prolongée avant l’apparition d’une symptomatologie infectieuse grave.

Les signes cliniques initiaux ont été très banals associant douleur, chaleur, rougeur et tuméfaction.

Toutefois, rapidement, cette infection banale a présenté des signes particuliers retrouvés aussi dans les cas de la littérature :

– l’oedème locorégional a été noté le plus souvent.

Il prend un aspect étendu, remontant au coude pour une lésion du pouce, par exemple.

Cette notion d’oedème nous paraît importante et ressort assez mal de la littérature ;

– l’apparition de taches cyaniques est considérée comme un signe pathognomonique par Meleney.

Ces taches ont pu passer inaperçues à un examinateur non averti. Elles peuvent simuler une ecchymose.

Elles seraient le témoin de la nécrose sous-cutanée ; pour White et Wilson, elles seraient tardives voire, dans certains cas, absentes.

La tache cyanique est une marque certaine bleutée de taille variable mais nettement plus étendue que l’aspect pétéchial de certains érythèmes.

Toutefois, cette marque est relativement circonscrite à la différence de l’aspect purpurique que peuvent réaliser certains érysipèles ;

– les phlyctènes sont fréquemment observées. Elles peuvent s’associer aux taches cyaniques, réalisant une bulle foncée, mais elles peuvent aussi être observées dans l’érysipèle ;

– l’érythème en évoluant prend un aspect extensif, mal limité, sans bourrelet érysipélateux.

Il n’est habituellement pas retrouvé de lymphangite et les adénopathies ne sont pas rencontrées.

L’érythème toutefois peut simuler un trajet de lymphangite ;

– une zone d’anesthésie cutanée doit être recherchée, elle signerait la nécrose non encore manifeste ;

– l’atteinte de l’état général est souvent très marquée : la plupart de nos malades avaient un syndrome infectieux grave, certains ayant même fait un séjour prolongé en service de réanimation.

Fasciite nécrosante :

Elle est plus rare et infiniment plus grave.

A – ANATOMIE PATHOLOGIQUE :

Le substratum de la progression pathologique est l’aponévrose ellemême.

Les cloisons intermusculaires sont atteintes secondairement et la nécrose gagne en profondeur tout en respectant le contenu musculaire.

La fasciite nécrosante ne doit être évoquée que lorsqu’il y a une atteinte de l’aponévrose superficielle.

Dès lors, la thérapeutique change du tout au tout, imposant une excision aponévrotique avec le risque d’atteinte des éléments nobles, car le feutrage périartériel ou périnerveux peut être un mode de propagation de l’infection.

La dissection des éléments nobles doit permettre d’enlever les tissus nécrosés, mais au prix d’une intervention infiniment plus lourde et plus dangereuse.

B – CLINIQUE :

Les signes généraux sont très marqués.

La fièvre est constante, la leucocytose très élevée.

Un de nos malades avait 40 000 leucocytes avec 95 % de polynucléaires neutrophiles.

Le retentissement général de l’infection est sévère.

L’anémie est fréquente et les troubles tensionnels sont inquiétants.

On est dans une atmosphère de réanimation médicale.

Les chirurgiens sont appelés par des réanimateurs alors que, dans l’hypodermite nécrosante, le diagnostic est posé par le médecin généraliste ou l’interniste.

C – SIGNES LOCAUX :

Ils sont très proches de ceux de l’hypodermite nécrosante.

L’oedème, les phlyctènes, les taches cyaniques, les plages de nécrose cutanée sont plus marqués.

Mais surtout l’érythème est plus diffus et intéresse tout le membre. L’oedème aussi prend tout le membre.

En fait, c’est l’exploration chirurgicale qui guide et redresse le diagnostic.

Il faut reconnaître que, dans notre expérience, nous avons été le plus souvent incapables en préopératoire de faire le diagnostic de fasciite nécrosante.

Le diagnostic était une « affection streptococcique grave nécessitant une excision chirurgicale d’urgence ».

Diagnostic :

Le diagnostic passe par trois stades : affirmer l’origine streptococcique de l’affection ; reconnaître l’indication chirurgicale ; différencier les autres pathologies streptococciques.

A – ORIGINE STREPTOCOCCIQUE DE L’INFECTION :

1- Clinique :

L’érythème signe le streptocoque.

Il est diffus, remonte vers la racine du membre et il est mal limité.

Mais surtout, son aspect est très particulier.

Il est rouge carminé très clair, presque flamboyant.

Il est suffisamment évident pour être facilement reconnaissable.

Les autres signes d’atteinte grave sont des signes secondaires, plus tardifs.

C’est sur l’érythème que le diagnostic de streptococcie doit être fait.

2- Imagerie :

L’échographie a un intérêt par sa négativité. Une thrombose veineuse est éliminée.

On ne trouve pas de collection.

L’imagerie par résonance magnétique (IRM) peut dans certains cas montrer le décollement sus-aponévrotique et aider à poser l’indication opératoire.

Les radiographies des parties molles peuvent montrer un décollement sous-cutané ou l’absence de production d’air.

En fait, ces examens ne sont jamais déterminants et ne sont qu’une aide à la prise en charge thérapeutique.

Ils ne doivent pas retarder la prise en charge chirurgicale.

3- Diagnostic bactériologique :

* Germes :

Les problèmes de microbiologie viennent de ce que le streptocoque est difficile à mettre en évidence.

Il est souvent masqué par les contaminants.

Il est volontiers anaérobie.

On comprend ainsi le flou microbiologique des séries de White et de Wilson, les prélèvements ayant été faits sur des plaies exposées.

Avec Wilson, nous pensons toutefois que les aspects cliniques et opératoires sont suffisants pour porter le diagnostic d’atteinte streptococcique.

* Sites de prélèvements :

– La porte d’entrée est une plaie minime.

Elle est même parfois dans notre expérience, ancienne.

Elle est donc contaminée.

On peut y mettre en évidence parfois le streptocoque mais aussi bien souvent, des contaminants qui risquent d’induire en erreur.

– La phlyctène est un bon site de prélèvement.

Elle doit être ponctionnée.

Elle contient un exsudat qui peut mettre en évidence le streptocoque.

En tout cas, on est à l’abri de la découverte des contaminants, tant qu’elle n’est pas « percée ».

– Les prélèvements cutanés doivent être proscrits.

Ils ne sont pas fiables. Le streptocoque ne se trouve pas sur la peau.

En revanche, on va mettre en évidence une flore résidente ou transitaire sans valeur pathologique.

– Les prélèvements faits en profondeur lors de l’intervention sont les plus fiables.

Mais ils risquent, eux aussi, d’être souillés par la plaie causale. Enfin et surtout, ils sont tardifs et ne sont effectués qu’après la décision d’intervention.

– Les hémocultures doivent être systématiques.

Elles mettent en évidence le streptocoque dans 25 % des cas environ.

En fait nous pensons que, dans la grande majorité des cas, c’est le streptocoque qui est responsable même si, dans les faits, il est particulièrement difficile à mettre en évidence ; chez un malade sous antibiotiques, le streptocoque ne pousse que rarement.

En revanche, sur des plaies souillées, on met en évidence des contaminants sans rapport avec l’infection causale.

C’est ainsi que, dans la littérature, il est très difficile de savoir quelle est la part réelle du streptocoque. Seuls des prélèvements profonds chirurgicaux devraient être pris en compte, ce qui n’est jamais le cas.

B – INDICATION CHIRURGICALE :

Comme Wilson, nous pensons que l’affirmation du diagnostic microbiologique est clinique.

La bactériologie, nous l’avons vu, est tardive (48 heures au moins) et souvent trompeuse.

C’est pourquoi, nous proposons le test thérapeutique à la pénicilline.

En urgence, on met en perfusion le malade avec une dose de charge de pénicilline, puis on entretient avec 18 millions d’unités par 24 heures.

Dans le même temps, on cerne au feutre les limites de l’érythème.

On se donne quelques heures pour voir l’évolution de l’érythème.

En effet, l’érythème streptococcique si particulier réagit très vite à la pénicilline.

La régression même partielle sous pénicilline est la preuve indirecte de l’origine streptococcique.

C’est l’évolution qui pose l’indication chirurgicale éventuelle.

La durée d’attente avant de prendre la décision opératoire est variable d’une situation à l’autre.

Dans certains cas, l’attente peut être assez longue ; lorsque l’état clinique l’autorise, on peut être amené à surveiller dans une atmosphère de « paix armée » pendant quelques jours. Ailleurs, en quelques heures, la décision s’impose (gravité septique accrue ou, au contraire, amélioration spectaculaire).

Ce test thérapeutique, pour ne pas être dangereux, doit être fait sous contrôle médicochirurgical strict.

Par ailleurs, pour être contributif, il ne doit utiliser que la pénicilline seule.

C – AUTRES AFFECTIONS STREPTOCOCCIQUES :

– L’érysipèle est la plus habituelle.

C’est le principal diagnostic différentiel.

La situation clinique la plus fréquente est un érysipèle pour lequel le médecin interniste se pose la question de l’indication chirurgicale.

L’érythème caractéristique, la douleur et la fièvre sont présents dans l’érysipèle.

Mais tout va régresser sous pénicilline. Rappelons que la phlyctène se voit assez souvent dans l’érysipèle.

Dans les faits, l’érysipèle peut régresser de façon retardée même si l’érythème décroît assez lentement, l’amélioration de l’état général est très rapide, signant l’efficacité de la pénicillinothérapie, affirmant le diagnostic de streptococcie.

– L’abcès streptococcique : la découverte du streptocoque dans une suppuration ne doit pas faire pratiquer une excision extensive.

À partir du moment où on trouve du pus, son évacuation suffit à la guérison.

C’est l’aspect macroscopique peropératoire qui redresse le diagnostic.

L’échographie trouve là sa meilleure indication.

– La gangrène gazeuse peut être provoquée par certains streptocoques anaérobies.

Mais le contexte est tout différent : choc toxique gravissime secondaire à une vaste plaie délabrée et souillure tellurique.

Rappelons que la gangrène gazeuse est une myosite infectieuse dont le traitement est chirurgical de toute urgence, avant même la mise en route de l’oxygénothérapie hyperbare.

– La réaction érysipélatoïde à une nécrose hypodermique est très fréquente.

Sur le plan anatomique, il s’agit d’une rougeur très étendue secondaire à une zone de nécrose localisée et circonscrite.

L’efficacité de la pénicilline est de ce fait réelle mais limitée.

L’érythème régresse lors du test thérapeutique à la pénicilline mais cette amélioration générale et clinique n’est pas totale ; après quelques jours devant la persistance des signes locaux, on doit chercher chirurgicalement une zone de nécrose localisée.

D – DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL : FASCIITE SYNERGISTIQUE

La littérature évoque abondamment cette entité pathologique essentiellement pour des lésions périnéales.

Pour notre part, contrairement à P Bernard et al qui en retrouvent quatre cas sur leurs dix cas personnels ou à Wang et al, nous pensons que chez l’adulte, aux membres, cette notion doit être fortement contestée.

Pour nous, dans les lésions des membres, le streptocoque est pratiquement toujours responsable et on a vu la méfiance qu’il faut avoir vis-à-vis de la microbiologie.

La présence de germes variés sur une plaie opératoire déjà incisée, la difficulté de mettre en évidence le streptocoque sous antibiotiques participent à cette confusion.

Seul le test thérapeutique à la pénicilline permet d’éclaircir la situation.

Depuis que nous avons cette attitude pratique, nous avons vu se réduire la place de la fasciite synergistique de façon considérable.

Traitement :

C’est une double urgence médicale et chirurgicale.

A – TRAITEMENT MÉDICAL :

Nous l’avons déjà évoqué lors de la description du test thérapeutique.

C’est la pénicilline qui doit être utilisée.

Elle ne « brouille pas les cartes ».

Elle est d’une efficacité clinique supérieure.

La preuve bactériologique n’étant jamais faite directement une fois sur deux, nous faisons donc appel à une preuve indirecte : l’efficacité de la pénicilline.

D’autres molécules sont réputées actives sur le streptocoque bêtahémolytique : amoxicilline ou clindamycine ; elles n’ont leur place qu’après avoir fait un test thérapeutique à la pénicilline.

En effet, même si une bactériologie imprécise (prélèvements de surface, prélèvements contaminés) montre des germes associés, le pronostic de l’affection est fait par le streptocoque.

Même s’il y a un autre germe associé (ce que nous pensons exceptionnel), c’est le streptocoque qui fait la gravité. Il est exceptionnel que l’état septique interdise le test à la pénicilline.

Un choc septique gravissime pourrait imposer le geste opératoire en urgence mais dans les faits, on a dans la majorité des cas le temps de faire le test à la pénicilline.

La difficulté vient lorsque l’état local et général ne s’améliore pas sous pénicilline.

S’agit-il d’un autre germe ou d’une forme grave chirurgicale ?

Cette situation est exceptionnelle. Habituellement, dans notre expérience et dans la majorité des cas, l’érythème diminue un peu, ce qui suffit à affirmer le diagnostic d’atteinte streptococcique.

La quotidienne se situe entre 18 et 24 millions d’unités par 24 heures.

Après l’excision chirurgicale, la durée du traitement est mal définie.

On doit traiter médicalement jusqu’à la totale guérison clinique, ce qui peut durer 3 semaines.

Mais, nous pensons qu’il est impossible d’établir une durée de traitement « de principe ».

Le relais per os peut être fait dès que les besoins de réanimation ont disparu.

En cas d’allergie aux bêtalactamines, il faut se résoudre à utiliser la tétracycline et l’érythromycine, en sachant dès lors que le test thérapeutique aura moins de valeur.

B – TRAITEMENT CHIRURGICAL :

Pour tous les auteurs (médecins, chirurgiens, et réanimateurs), l’excision chirurgicale est le temps thérapeutique principal. Laugier n’a pas fait opérer ses trois cas.

Il déplore trois décès.

Le diagnostic impose donc l’intervention en urgence de façon à exciser en totalité les foyers septiques.

Rappelons que Meleney par la seule excision avant l’ère des antibiotiques obtenait 83 % de guérison.

L’exérèse a emporté la peau avec les tissus cellulaires pathologiques.

La limite d’excision a souvent été difficile à trouver.

Pour ne pas méconnaître une atteinte à distance, Wilson propose de pratiquer des incisions exploratrices qui permettraient d’apprécier l’état du tissu cellulaire sous-cutané lorsque les décollements n’apparaissent pas spontanément.

Les indications d’amputation sont rares.

On en trouve peu dans la littérature.

Une de nos malades a été amputée devant une extension locale après excision itérative.

La difficulté chirurgicale est triple :

– faut-il opérer ?

Le malade est fébrile, les médecins et les réanimateurs poussent à l’opération mais il n’y a pas de collection et l’opération est un risque sur un terrain aussi lourd.

On comprend les appréhensions des chirurgiens.

C’est essentiellement sur l’aspect clinique que la décision doit être prise.

Le test à la pénicilline est une aide précieuse ;

– quand on opère, on ne trouve pas de pus, mais un tissu verdâtre.

Il faut avoir le courage et la patience de faire l’excision totale sans se soucier des séquelles esthétiques ou fonctionnelles ;

– il ne faut pas méconnaître les fusées aponévrotiques.

L’excision doit être totale.

L’exploration ne doit pas être gênée par le saignement ; il faut systématiquement lorsqu’on le peut, utiliser le garrot pneumatique, qui permet de ne pas ajouter de choc hémorragique au choc septique.

Par ailleurs, deux problèmes se posent au chirurgien :

– quel est le rôle de l’oxygénothérapie hyperbare ?

Dans la littérature, rares sont les publications qui en parlent.

En outre, elles semblent plutôt dubitatives.

Nous pensons ne pas commettre de faute en ne nous en servant pas ;

– quelle est la durée du traitement antibiotique ?

Nous n’avons pas trouvé dans la littérature de réponse à cette question ; nous arrêtons les antibiotiques lorsque l’état clinique est satisfaisant et lorsque la cicatrisation est obtenue, sans avoir de délais de principe.

C – RÉSULTATS :

La littérature récente décrit 24 % de mortalité.

Cette mortalité n’a pas été modifiée en méta-analyse depuis l’apparition de la pénicilline.

Tout se passe comme si l’efficacité in vitro de l’antibiothérapie retardait la mise en route du traitement chirurgical.

La mortalité doit être bien différenciée entre la forme superficielle « hypodermite nécrosante » fréquente et bénigne et la fasciite nécrosante beaucoup plus rare et plus grave.

Le pronostic de la fasciite nécrosante dans notre expérience est proche de 50 % de mortalité.

Dans la forme superficielle, les séquelles sont purement esthétiques mais peuvent être très invalidantes : cicatrices extensives et instables, raideurs, douleurs et troubles trophiques sont le lot commun de ces malades.

Dans la fasciite nécrosante, Ies séquelles ont été lourdes chez nos malades survivants.

Si nous ne déplorons qu’une seule amputation, nos malades gardent d’importantes séquelles fonctionnelles dont notamment une arthrodèse de genou.

Conclusion :

La dissociation nosologique entre l’atteinte superficielle qui doit être appelée hypodermite nécrosante et la forme profonde infiniment plus grave doit être faite tout en reconnaissant une unité pathogénique : la responsabilité quasi exclusive du streptocoque seul ou parfois associé à des germes facilitants.

La guérison ne peut survenir que par une prise en charge urgente médicochirurgicale.

La pénicilline prescrite, au vu du seul tableau clinique, en urgence à dose de charge permet de faire la part des choses entre érysipèle vrai et forme chirurgicale.

En effet, l’indication chirurgicale est difficile à poser.

Certes, le syndrome infectieux est souvent marqué mais localement, tout pousse le chirurgien à la pondération : absence de collection, faux aspect ecchymotique pseudotraumatique.

L’indication opératoire pour nous est posée devant la non-amélioration en quelques heures après une dose de charge de pénicilline.

En l’absence de geste agressif précoce, le simple traitement antibiotique se montre inefficace.

Des troubles généraux graves peuvent même survenir, responsables des 24 % de mortalité rencontrés dans la littérature.

Nous pensons qu’une meilleure classification chirurgicale différenciant l’hypodermite de la fasciite nécrosante permettra une amélioration de la prise en charge chirurgicale, en rappelant aux opérateurs la possibilité de fusées nécrotiques profondes le long du fascia intermusculaire.

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