Hyperpigmentations

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Introduction :

Les troubles de la pigmentation consistent en une exagération ou une diminution de la couleur normale de la peau.

Ce travail concerne les hyperpigmentations, c’est-à-dire les exagérations de la pigmentation cutanée.

On réserve le terme d’hyperpigmentation aux situations où seule une anomalie de la couleur de la peau est présente.

Toutes les situations où l’hyperpigmentation est un épiphénomène, comme les tumeurs pigmentées par exemple, ne seront par conséquent pas abordées dans ce travail.

La connaissance des causes des hyperpigmentations est importante, car s’il est vrai que certaines affections ne sont que de simples « curiosités » dermatologiques sans signification autre qu’esthétique, d’autres sont l’expression cutanée de syndromes polymalformatifs ou révèlent des maladies générales.

Couleur normale de la peau :

HyperpigmentationsLa couleur normale de la peau dépend du phototype du sujet et de l’exposition solaire.

Ainsi, on parle de la couleur constitutive de la peau qui est le reflet de la pigmentation mélanique génétiquement déterminée et de la couleur inductible par le bronzage après exposition solaire.

Chez un même sujet, la pigmentation cutanée varie selon les régions anatomiques. Les zones habituellement exposées au soleil (face, dos des mains, décolleté) ainsi que les plis et les organes génitaux sont naturellement plus pigmentés.

Chez certains sujets, on peut observer des lignes de démarcation pigmentaire nettes entre les zones plus et moins pigmentées.

La couleur de la peau résulte principalement de la présence d’un pigment appelé mélanine, dont le rôle essentiel est de protéger les couches basales de l’épiderme contre les ultraviolets.

Il existe deux types de mélanine, les eumélanines (pigments marron ou noirs) et les phaéomélanines (pigments jaunes, bruns ou rouges), qui résultent d’une même voie métabolique initiale.

La mélanine est synthétisée par les mélanocytes dans des organelles, les mélanosomes, qui sont ensuite transférés vers les kératinocytes.

Le mélanocyte constitue, avec les kératinocytes environnants qu’il pourvoit en mélanosomes, l’unité épidermique de mélanisation.

Le nombre d’unités épidermiques de mélanisation par rapport à la surface cutanée est, à peu de chose près, équivalent chez tous les individus.

Les différences ethniques sont liées à la taille des mélanosomes (plus grande chez le Noir que chez le Blanc) et à leur mode de répartition (grands mélanosomes isolés chez le Noir, petits mélanosomes groupés chez le Blanc).

Ceci est déterminé génétiquement et régulé par différentes hormones à action mélanotrope comme l’alpha-MSH (melanocytic stimulating hormone), le bêta-MSH, le bêta-lipotropine (â-LPH), l’ACTH (adrenocorticotrophic hormone), l’oestradiol.…

Les rayons ultraviolets sont capables de modifier cette pigmentation.

Les pourcentages respectifs d’hémoglobine réduite (bleu foncé) et oxydée (rosée) dans les vaisseaux sanguins dermiques ainsi que la présence d’un autre pigment naturel, le carotène (jaune orangé), participent à moindre degré à la couleur de la peau.

Mécanisme et physiopathologie des hyperpigmentations :

Les hyperpigmentations peuvent résulter d’une anomalie qualitative ou quantitative des constituants normaux de la peau, ou alors de la présence d’une substance anormalement présente dans la peau.

Dans cette deuxième situation, la peau a souvent une couleur tout à fait inhabituelle et on parle de dyschromie.

Par abus de terminologie, les termes d’hypermélanose et d’hyperpigmentation sont souvent utilisés indifféremment.

Pourtant, même si l’hypermélanose est une cause fréquente d’hyperpigmentation, ce terme implique une augmentation du contenu en mélanine, ou alors une répartition anormale de celle-ci dans la peau, alors que l’hyperpigmentation est un terme plus général.

A – HYPERPIGMENTATIONS :

1- Hypermélanoses :

On distingue deux aspects cliniques : les mélanodermies (aspect brun-noir) et les céruléodermies (aspect bleu-gris).

Les mélanodermies peuvent correspondre à des hypermélanocytoses épidermiques (augmentation du nombre ou hyperplasie des mélanocytes ; exemple : lentigo) ou à des hypermélaninoses épidermiques (augmentation de la quantité de mélanine épidermique sans augmentation du nombre ou de l’aspect des mélanocytes ; exemple : éphélides).

Cette distinction est artificielle, car dans la plupart des situations pathologiques les deux mécanismes sont intriqués.

Les céruléodermies peuvent correspondre à des hypermélanocytoses dermiques (présence anormale dans le derme de cellules synthétisant de la mélanine ; exemple : nævus d’Ota) ou à des hypermélaninoses dermiques (accumulation dans le derme de mélanine épidermique ; exemple : mélanodermie postinflammatoire).

2- Hyperpigmentations d’origine hématique :

On en distingue deux variétés : la stase intravasculaire d’hémoglobine réduite conférant à la peau la teinte bleu foncé caractéristique de la cyanose et l’extravasation de globules rouges après lésion de la paroi vasculaire, conférant à la peau la teinte rouge carminé du purpura.

L’hémoglobine des globules rouges est alors localement dégradée en hémosidérine qui s’accumule dans le derme, sous forme libre, et dans les macrophages, conférant à la peau une teinte jaune, brun ou doré typique dont l’exemple le plus caractéristique est la dermite ocre de l’insuffisance veineuse.

Dans certains cas, il existe une élimination transépidermique du sang extravasé, comme au cours des pseudochromidroses plantaires.

3- Hypercaroténémies :

Elles résultent d’un dépôt exagéré de carotène dans l’hypoderme et dans la couche cornée, ainsi que d’une élimination des pigments caroténiques par le sébum, après une hypercaroténémie sanguine.

Cela donne lieu à une coloration jaune orangé de la peau, encore appelée xanthodermie.

Elle prédomine aux paumes et aux plantes en raison de l’épaisseur de leur couche cornée, ainsi qu’aux zones séborrhéiques (plis nasogéniens) en raison de l’excrétion sébacée des pigments.

Les causes des hypercaroténémies sont dominées par les apports alimentaires et/ou thérapeutiques en caroténoïdes.

B – DYSCHROMIES :

1- Pigment d’origine exogène :

Le pigment coloré se dépose dans la peau par pénétration transcutanée (tatouages, plaie…) ou est introduit par voie systémique (médicament dont les composants ou métabolites s’accumulent dans la peau).

2- Pigment d’origine endogène :

Il s’agit alors le plus souvent de l’augmentation de la teneur sanguine d’un métabolite normal de l’organisme (exemple : ictère) ou d’un trouble métabolique avec dépôt d’un métabolite intermédiaire (exemple : alcaptonurie).

La chromidrose apocrine consiste en la sécrétion de sueur colorée.

Habituellement axillaire, elle peut aussi siéger à la face en raison de glandes apocrines ectopiques.

La coloration est due à des lipofuchsines endogènes à la différence des « fausses » chromidroses eccrines où des substances exogènes ou des bactéries chromogènes agissent sur la sueur en la colorant.

Diagnostic différentiel :

A – DERMATOSES OÙ LA PIGMENTATION EST UN ÉPIPHÉNOMÈNE :

– Les tumeurs pigmentées : mélanome, nævus, carcinome basocellulaire tatoué, kératose actinique pigmentée, maladie de Bowen pigmentée, porocarcinome eccrine pigmenté, dermatofibrosarcome, histiocytofibrome, angiokératome, kératose séborrhéique, verrue virale pigmentée,…

– Certaines dermatoses inflammatoires, lorsque la mélanodermie postinflammatoire est déjà présente alors que la lésion est encore caractérisée cliniquement et histologiquement : lupus érythémateux, lichen,…

B – LEUCOMÉLANODERMIES (OU DYSCHROMIES) :

Elles combinent hyper- et hypopigmentations : poïkilodermie, leucomélanodermie des vagabonds, xeroderma pigmentosum, dyschromie symétrique héréditaire et acropigmentation de Dohi,…

Démarche diagnostique et moyens d’évaluation des hyperpigmentations :

La démarche diagnostique est anatomoclinique, éventuellement aidée de certains examens complémentaires.

A – APPRÉCIATION CLINIQUE :

L’appréciation clinique est ici tout à fait capitale.

L’interrogatoire précise l’âge d’apparition des lésions (congénitales, enfance, âge adulte), la précession par d’autres lésions (mélanodermie postinflammatoire), l’évolutivité des lésions et les antécédents familiaux.

La couleur des lésions oriente le diagnostic différentiel : brun ou brun-noir pour les hypermélanoses épidermiques et dermoépidermiques ; bleu ou bleu-gris, avec parfois un reflet métallique, pour les mélanoses dermiques et certains dépôts de pigments exogènes ou endogènes. L’examen en lumière de Wood peut être utile pour déterminer la topographie en profondeur de la surcharge mélanique.

L’effet de l’irradiation par les ultraviolets longs accentue le contraste entre la peau lésionnelle et la peau normale en cas de surcharge mélanique épidermique et, au contraire, l’estompe presque totalement en cas de surcharge dermique.

La teinte jaune cutanéoconjonctivale des ictères, la couleur jaune-orange des caroténodermies ainsi que la coloration ocre, marron clair ou rouge-brun des dépôts d’hémosidérine suggèrent en général d’emblée le diagnostic.

Les limites des lésions, circonscrites ou diffuses, permettent de distinguer les lésions tumorales bien circonscrites (hamartomes, lésions næviques) des hyperpigmentations plus diffuses. L’arrangement et la topographie des lésions peuvent apporter une aide considérable au diagnostic.

Ainsi, la plupart des hyperpigmentations génétiquement déterminées apparaissent dès l’enfance, sont généralement circonscrites ou figurées et peuvent s’intégrer à un syndrome polymalformatif.

Les hyperpigmentations acquises sont plus volontiers l’apanage de l’adulte, sont souvent mal limitées et étendues, et ont des causes multiples, notamment métabolique, endocrinienne et toximédicamenteuse.

B – HISTOPATHOLOGIE :

L’évaluation histopathologique des hyperpigmentations a comme principaux objectifs de déterminer la nature du pigment responsable de la pigmentation (mélanine ou non), sa localisation (épidermique, dermoépidermique ou dermique) et la densité des mélanocytes (normale ou augmentée).

Après examen au microscope optique (MO) de la coupe colorée en hématéine-éosine-safran (HES), le dermatopathologiste peut observer des dépôts de pigment et demander différentes colorations spéciales pour identifier tel ou tel type de pigment ou de cellules.

La coloration de Masson-Fontana permet de colorer la mélanine en noir, la coloration de Perls colore les dépôts de fer en bleu.

L’identification de la lipofuchsine, un pigment jaune-brun, implique l’utilisation de plusieurs colorations spéciales : elle est colorée en bleu par le bleu de méthylène et le bleu de Lugol, en rouge-orange par le PAS (periodic acid Schiff) et le rouge Congo, en rouge-violet par le Ziehl-Neelsen et en noir par le Masson-Fontana.

En revanche, les cellules qui contiennent ce pigment dans la peau sont les macrophages et non les kératinocytes ou les mélanocytes.

Contrairement aux mélanocytes, les macrophages n’expriment pas la protéine S100, mais l’antigène CD68.

L’examen de la lipofuchsine au microscope à fluorescence donne lieu à une autofluorescence jaune.

Si la présence d’un pigment de nature exogène est suspectée, par exemple un métal lourd, un examen au microscope à fond noir peut montrer des granules réfringents.

La microscopie électronique permet d’identifier l’ultrastructure et la distribution du pigment, et une analyse par spectrométrie permet l’identification définitive de la nature du pigment.

Plusieurs marqueurs sont utilisés pour identifier les cellules associées aux dépôts de pigment.

Ainsi, les mélanocytes expriment la protéine S100 et le HMB45, le bleu de toluidine et le Giemsa permettent de colorer les mastocytes, et les macrophages expriment l’antigène CD68 et le MAC387.

La quantification de la densité mélanocytaire est souvent difficile et doit se faire de manière comparative à la peau cliniquement normale, ce qui implique des biopsies en bordure de lésion.

On peut s’aider d’un marquage de certains antigènes mélanocytaires en histologie conventionnelle (exemple : protéine S100) ou après une dihydroxyphénylalanine-réaction (DOPAréaction).

Le nombre de mélanocytes est exprimé en nombre moyen de mélanocytes par millimètre carré.

C – AUTRES EXAMENS COMPLÉMENTAIRES :

Certains examens complémentaires peuvent être utiles au diagnostic des hyperpigmentations diffuses.

Celles-ci sont souvent de cause endocrinienne ou métabolique et un dosage biologique de la cortisolémie de 8 heures, de la cortisolurie de 24 heures, de l’ACTH, de la TSHus (thyroid stimulating hormone ultrasensible), du fer, du coefficient de saturation de la transferrine et de la ferritine, sont souvent utiles en première intention.

D’autres examens (cuprémie, profil des porphyrines, sérodiagnostic du virus de l’immunodéficience humaine [VIH],…) peuvent être indiqués en fonction du contexte.

Hypermélanoses :

Ces lésions sont brunes, noires ou bleu foncé et caractérisées sur le plan histologique par un excès de mélanine et/ou de mélanocytes, épidermique ou dermique.

On distingue les lésions circonscrites qui correspondent cliniquement à des macules pigmentées bien limitées, des hyperpigmentations diffuses.

Lorsqu’il s’agit de lésions circonscrites, la bordure entre la peau atteinte et la peau saine est bien visible.

Les hyperpigmentations diffuses peuvent se voir au cours de plusieurs maladies générales et nécessitent toujours un bilan.

Dans ce cas, l’enquête étiologique sera dominée par la recherche de maladies métaboliques et endocriniennes.

Elles débutent et prédominent le plus souvent aux zones naturellement pigmentées, comme les zones photoexposées, les cicatrices et les plis. Une atteinte muqueuse doit toujours être recherchée.

Certains troubles de la pigmentation, circonscrits initialement, peuvent prendre un aspect diffus par confluence de lésions, comme au cours du chloasma évolué par exemple, et sont de fait difficiles à classer cliniquement.

A – HYPERMÉLANOSES GÉNÉTIQUES CIRCONSCRITES :

Elles peuvent être congénitales ou apparaître plus tardivement.

Les lésions peuvent être uniques ou multiples.

Les lésions tumorales multiples peuvent révéler des syndromes complexes, comme les taches « café au lait » (TCL) de la neurofibromatose ou les lentigines des syndromes cardiocutanés.

1- Hypermélanoses épidermiques :

* Taches café au lait :

Il s’agit de macules brun clair ou bistre, de couleur homogène, arrondies ou ovalaires, à contour régulier ou parfois déchiqueté, dont la taille peut varier de 1 à plus de 20 cm.

De siège ubiquitaire, elles sont préférentiellement localisées sur le tronc et respectent les muqueuses.

Elles peuvent être présentes dès la naissance ou alors apparaître dans les premières années de la vie. Leur taille est stable, mais augmente avec la croissance.

Elles sont le plus souvent peu nombreuses.

Elles peuvent être le signe cutané de maladies générales.

Ainsi, la présence de plus de cinq TCL de plus de 0,5 cm de diamètre chez l’enfant prépubertaire, ou plus de six TCL de plus de 1,5 cm de diamètre chez l’adulte, est un des critères du diagnostic de la neurofibromatose de von Recklinghausen.

La présence d’une TCL de plusieurs centimètres, aux bords déchiquetés, unilatérale (linéaire ou segmentaire), distribuée selon les lignes de Blaschko doit faire évoquer le diagnostic du syndrome de McCune-Albright, qui y associe des troubles endocriniens avec puberté précoce et une dysplasie fibreuse des os.

On sait aujourd’hui que ce syndrome autosomique dominant résulte d’une mutation d’une G-protéine impliquée dans la transduction du signal de plusieurs hormones.

Bien qu’on y observe fréquemment des TCL, l’anémie de Fanconi est en réalité plus souvent associée à une leucomélanodermie.

Le tableau clinique associe aux lésions cutanées un syndrome malformatif avec des anomalies squelettiques, rénales (agénésie, rein en « fer à cheval »,…), oculaires, un retard staturopondéral et une pancytopénie avec fragilité chromosomique.

La survenue fréquente de cancers (carcinomes spinocellulaires cutanés, hépatome) contribue à la gravité du tableau.

Les principales maladies qui peuvent être révélées par la présence de TCL.

Cependant, il faut garder à l’esprit que 10 à 20 % des sujets sains ont une à deux TCL.

De fait, la présence de TCL a été rapportée au cours de nombreuses maladies (maladie de Gaucher, maladie de Cowden, maladie de Hunter, syndrome de Turner,…), mais il est possible qu’il ne s’agisse là que d’une simple association fortuite.

Histologiquement, les TCL correspondent à une hypermélaninose épidermique, avec parfois présence de macromélanosomes et un nombre normal de mélanocytes.

Le diagnostic différentiel des TCL est représenté par le nævus de Becker, le naevus spilus, les nævus plans congénitaux, les hyperpigmentations postinflammatoires et le chloasma sur la face.

* Éphélides :

Elles sont encore appelées « taches de rousseur ».

Elles sont transmises comme un caractère autosomique dominant et elles sont plus fréquentes chez les sujets roux ou blonds à phototype clair.

Il s’agit de petites macules (1 à 3 mm) de teinte brun clair ou ocre. Leur coloration s’accentue après exposition solaire et elles s’éclaircissent à distance de l’exposition.

Elles siègent aux zones photoexposées (face, dos des mains, décolleté, partie haute du dos) et respectent les muqueuses.

Absentes à la naissance, elles apparaissent en général dans les 3 premières années de la vie et augmentent en nombre avec l’âge, puis ont tendance à disparaître.

Les sujets porteurs d’un grand nombre d’éphélides ont, en général, une photosensibilité marquée.

Histologiquement, on y trouve une hypermélaninose épidermique dans les kératinocytes, le nombre de mélanocytes étant normal.

Elles ne sont pas associées à une maladie plus générale, les « éphélides » axillaires (axillary freckling) de la neurofibromatose des auteurs anglo-saxons correspondant en réalité à des petites TCL (signe de Crowe).

Il faut les distinguer des lentigines, plus foncées (la distinction avec une lentigine solaire peut être difficile), des TCL, plus grandes, et des nævus jonctionnels, dont la teinte ne varie pas en fonction de l’exposition solaire.

* Lentigines ou lentigo :

Il s’agit de macules pigmentées généralement de petite taille (moins de 5 mm), brunes ou noires, et dont la couleur n’est pas modifiée par l’exposition solaire.

Elles peuvent siéger sur la peau, les ongles et les muqueuses (labiales, buccales, conjonctivales, vulvaires, vaginales, péniennes).

Les limites de ces lésions rondes ou ovalaires sont nettes, sauf lorsqu’elles sont situées sur les muqueuses.

Parmi les lésions muqueuses, il faut distinguer les macules mélanotiques (nombre normal de mélanocytes) des vrais lentigos muqueux (nombre accru de mélanocytes).

Les lentigos situés dans la cavité buccale et sur la conjonctive oculaire sont des précurseurs, ou du moins des marqueurs de risque, de mélanome.

La présence de lentigines vulvaires chez la femme ou péniennes chez l’homme est un des marqueurs du syndrome de Bannayan-Riley-Ruvalcaba (qui comporte aussi des trichilemmomes, des syringomes, des lipomes multiples, des malformations vasculaires, des verrues, un acanthosis nigricans, un retard mental avec macrocéphalie, des malformations vasculaires du système nerveux central, des anomalies squelettiques, une polypose intestinale et des tumeurs thyroïdiennes) et dont les rapports avec la maladie de Cowden sont discutés en raison d’une anomalie génique commune dans le gène PTEN.

Le syndrome de Laugier et Hunziker associe des lentigines labiales, de la cavité buccale et souvent génitales, unguéales (stries nigricantes) et palmoplantaires.

Les lentigines du syndrome de Peutz-Jeghers prédominent également sur la muqueuse buccale (palais, langue, muqueuse jugale) et les lèvres, mais touchent aussi la face (région périorale et périorbitaire) et les régions palmoplantaires.

Elles sont présentes dès la naissance ou apparaissent dans la première enfance et elles sont associées à une polypose intestinale. Un cas associé à une hémangiomatose intestinale, responsable de saignement itératif, a été décrit.

Le syndrome se transmet de manière autosomique dominante et comporte un risque accru de cancers gastro-intestinaux, pancréatique et gynécologiques.

Le syndrome de Peutz-Jeghers doit être distingué du syndrome de Cronkhite-Canada, qui associe des lentigines du dos des mains et des pieds, une pigmentation brun clair de la paume des mains et des doigts, une alopécie, une dystrophie unguéale et une polypose intestinale avec malabsorption.

En revanche, il n’existe pas de lentigines muqueuses.

Les lentigos cutanés peuvent être isolés, régionaux ou généralisés et ils prennent parfois une disposition particulière : métamérique, hémicorporelle,…

Ils peuvent être présents dès la naissance ou apparaître plus tard.

Ils correspondent histologiquement à une hyperplasie lentigineuse des mélanocytes épidermiques, avec parfois présence de grains de mélanine géants (macromélanosomes).

Leur diagnostic différentiel clinique est représenté par les éphélides, plus claires et dont la coloration est accentuée par le soleil, et surtout les nævus (jonctionnel plan), les mélanomes à extension superficielle et les kératoses séborrhéiques planes.

L’urticaire pigmentée peut être écartée par la présence du signe de Darier (turgescence de la macule pigmentée après frottement). Sur le visage, il faut aussi les distinguer des mélanoses de Dubreuilh.

On distingue plusieurs formes cliniques de lentigo, en fonction de l’aspect et du nombre des lésions ainsi que de leur topographie :

– le lentigo simple correspond au type de description ci-dessus ;

– les lentigos solaires ou séniles qui sont des macules pigmentées brun clair, lisses, souvent de plus grande taille (jusqu’à 3 cm) que les lentigo simples, qui apparaissent sur les zones photoexposées des sujets âgés.

Il faut les distinguer des mélanoses de Dubreuilh ;

– le lentigo réticulaire (ink spot lentigo ou reticulated melanotic macule) est une lésion unique brun foncé, siégeant souvent sur le haut du dos parmi de nombreuses éphélides.

Il s’agit d’une macule irrégulière, stellaire, mesurant 4 à 6mm.

Histologiquement, il s’agit d’une hypermélaninose épidermique localisée, plus marquée au sommet des papilles dermiques qui sont allongées, ce qui rapproche le lentigo réticulaire des macules mélanotiques des muqueuses.

Le diagnostic clinique évoqué est souvent celui de mélanome ;

– les lentigos postpsoralène-ultraviolet-A (-PUVA) apparaissent après un coup de soleil, après une photothérapie prolongée, après fréquentation des salons de bronzage ou après exposition aux radiations ionisantes.

Ces lentigos ont souvent un aspect stellaire, irrégulier, différent des lentigos simples.

Un aspect clinique très proche a pu être observé dans certaines lésions pigmentées survenant au cours d’albinisme oculocutané chez le Noir (mais le nombre de mélanocyte était normal) et au cours d’une variété rare d’épidermolyse bulleuse.

Les lentigines du xeroderma pigmentosum ressemblent également à cette forme clinique ;

– lentiginose acrale : les lésions prédominent sur les paumes et les plantes.

Cette forme clinique s’observe surtout chez le Noir.

Le diagnostic différentiel doit être fait avec le syndrome de Cronkhite-Canada ;

– lentiginose périgénitoaxillaire : les lentigos sont confinés aux régions génitales et axillaires ;

– lentiginose segmentaire : il s’agit d’une lésion congénitale ou acquise constituée par d’innombrables macules pimentées à contour régulier mesurant 2 à 10mm, disposées de manière hémicorporelle ou segmentaire métamérique ;

– lentiginose centrofaciale neurodysraphique de Touraine : il s’agit d’une lentiginose qui touche la face, avec de nombreuses lentigines distribuées en « aile de papillon » sur le nez et les joues, et plus rarement le front, les yeux et la lèvre inférieure.

Les muqueuses sont habituellement respectées et des anomalies du raphé médian (palais ogival, spina bifida, synophris, hypertrichose sacrée) ainsi qu’une agénésie dentaire et des anomalies neurologiques (retard mental, comitialité) sont généralement associées ;

– lentiginose généralisée : c’est dans cette situation que le lentigo peut être le signe cutané d’une maladie générale qu’il peut d’ailleurs révéler.

Plusieurs syndromes malformatifs, comportant notamment des malformations cardiaques et/ou vasculaires, peuvent être révélés par une lentiginose généralisée.

Un malade ayant une lentiginose généralisée doit toujours être examiné complètement et bénéficier d’une exploration cardiologique comportant au moins un électrocardiogramme et une échocardiographie.

Néanmoins, il existe aussi une forme de lentiginose profuse non associée à d’autres anomalies. Dans ce cas, les lésions peuvent être présentes dès la naissance ou apparaître plus tardivement.

Des formes faisant suite à un exanthème ont été décrites.

Le syndrome des lentigines multiples associe aux lentigines des lésions hypo- et hyperpigmentées ressemblant pour les dernières aux TCL.

Cependant, on a rapporté des anomalies cardiaques et des cas de surdité dans la famille des membres atteints de ce syndrome et, de ce fait, ses rapports avec le syndrome LEOPARD (Lentigines, Electrocardiographic conductive defects, Ocular hypertelorism, Pulmonary stenosis, Abnormalities of genitalia, Retardation of Growth, Deafness sensorineural) sont discutés.

* Nævus (ou hamartome) de Becker :

Il s’agit d’une macule brune, à contour irrégulier, qui siège le plus souvent sur le thorax ou l’épaule.

Elle devient souvent visible après une exposition solaire.

Il existe des formes linéaires et métamériques.

Parfois, les lésions peuvent être multiples.

Il existe souvent une hypertrichose sur la lésion.

Celle-ci serait due à la présence de récepteurs aux androgènes.

Ceci explique également pourquoi cette lésion, qui est généralement acquise, devient apparente surtout après la puberté, entre 20 et 30 ans.

Elle est six fois plus fréquente chez l’homme que chez la femme.

Histologiquement, il s’agit d’un hamartome épidermique et pilaire comportant une hypermélaninose épidermique.

Il faut distinguer l’hamartome de Becker du syndrome du nævus de Becker qui associe à la lésion cutanée différentes anomalies du développement, en général ipsilatérales (hypoplasie mammaire, raccourcissement du membre, scoliose, spina bifida,…).

Dans le cas du syndrome du nævus de Becker, le ratio femme/homme est inversé à 5/2.

* Nævus spilus :

Il s’agit d’une macule brun clair homogène (à type de TCL) parsemée de petites macules (1 à 6 mm) ou papules plus foncées. Il existe des lésions avec une distribution segmentaire ou métamérique. Histologiquement, il s’agit de plusieurs nævus nævocellulaires sur une TCL.

La lésion peut être acquise ou congénitale. Plusieurs cas de mélanomes survenus sur nævus spilus ont été rapportés, mais cette évolution semble néanmoins exceptionnelle.

Des lésions ressemblant à un nævus spilus peuvent se voir au cours de la phacomatose pigmentokératosique, où ces nævus sont associés à des hamartomes épidermiques à différenciation sébacée, des anomalies squelettiques et neurologiques (hémiatrophie musculaire, dysesthésie segmentaire…).

2- Hypermélanoses dermiques :

* Tache mongolique :

Il s’agit d’une macule gris bleuté, de taille variable (une à plusieurs dizaines de centimètres), siégeant préférentiellement dans la région lombaire des nouveau-nés. Elle est plus fréquente chez les Noirs et les Asiatiques.

Elle disparaît le plus souvent au cours de l’enfance.

Elle n’est habituellement pas le signe cutané d’une maladie ou d’une malformation, bien que sa présence ait été rapportée au cours des gangliosidoses GM1.

Histologiquement, elle correspond à une hypermélanocytose dermique.

* Nævus d’Ota et d’Ito et autres mélanocytoses dermiques acquises :

Il s’agit de macules pigmentées bleu-gris, n’apparaissant quelquefois qu’à l’adolescence, qui ne disparaissent pas avec l’âge, à la différence des taches mongoliques.

Ces lésions sont beaucoup plus fréquentes chez les Asiatiques.

Leur siège est évocateur du diagnostic.

Le nævus d’Ota siège dans le territoire de la branche supérieure du nerf trigéminé et peut ainsi toucher le front, les structures oculaires (conjonctive, cornée, iris, rétine) et les muqueuses aérodigestives supérieures.

Le nævus d’Ito siège sur le moignon de l’épaule, mais peut comporter une atteinte oculaire similaire à celle du nævus d’Ota.

Il existe d’autres mélanocytoses dermiques acquises, parfois appelées hamartomes mélanocytaires dermiques, dans des localisations particulières telles que la région médiodorsale ou aux extrémités.

On peut aussi citer les macules cérulodermiques multiples qui peuvent se voir au cours de la neurofibromatose de type I.

Suite

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