Hidradénite neutrophilique eccrine

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Introduction :

L’hidradénite neutrophilique eccrine (HNE) est une maladie d’individualisation récente, décrite pour la première fois en 1982 par Harrist et al chez un patient traité par chimiothérapie pour une leucémie aiguë myéloblastique.

Depuis, une cinquantaine de cas environ ont été rapportés, survenant dans des contextes assez divers, les maladies malignes restant toutefois au premier plan.

L’HNE doit son nom à son aspect histologique particulier, caractérisé par une infiltration neutrophilique avec nécrose des glandes sudorales eccrines.

Il existe une seconde maladie caractérisée par une infiltration neutrophilique eccrine voisine, mais qui survient uniquement sur les paumes et plantes : il s’agit de l’hidradénite eccrine palmoplantaire idiopathique, que l’on voit principalement chez les enfants.

Hidradénite neutrophilique eccrine :

A – DONNÉES GÉNÉRALES :

Hidradénite neutrophilique eccrineL’HNE est une dermatose peu fréquente, mais dont la prévalence est probablement sous-estimée.

Parmi la cinquantaine d’observations publiées jusqu’en 1999, on note tout d’abord une prédominance masculine notable (environ deux tiers d’hommes).

L’âge de survenue est variable (2 à 79 ans), avec huit cas survenant chez des enfants de moins de 15 ans.

L’âge moyen de survenue est de 42 ans, mais les cas les plus nombreux se situent autour de la cinquantaine, soit un peu avant le pic de fréquence maximale des leucémies aiguës.

B – CIRCONSTANCES DE SURVENUE :

L’HNE survient dans la grande majorité des cas chez des malades traités pour une maladie maligne de diagnostic déjà établi. La situation la plus courante est celle des leucémies aiguës qu’on trouve chez 32 malades sur 48.

Par ordre de fréquence, on a d’abord des leucémies aiguës myéloblastiques, puis des leucémies aiguës myélomonocytaires et de rares cas de leucémies aiguës d’autres types (promyélocytes, lymphocytes).

Il existe un cas au cours d’une leucémie lymphoïde chronique. Après les leucémies viennent la maladie de Hodgkin et les cancers solides (testicule, poumon, sein, ostéosarcome). Une maladie maligne est donc présente dans plus de 90 % des cas d’HNE.

On décrit aussi occasionnellement des HNE au cours de l’infection par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH).

Il n’existe que de très rares observations sans aucune maladie associée ou au cours d’une hémodialyse pour insuffisance rénale ou d’une neutropénie idiopathique.

Il existe un rapport chronologique évident avec le traitement de la maladie associée dans de nombreux cas : l’apparition lors du traitement d’induction ou la récidive lors de la réadministration sont souvent signalées.

Les traitements habituels sont la cytarabine et la daunorubicine, mais de nombreux autres cytostatiques peuvent être en cause.

Toutefois, l’HNE peut apparaître lors d’une phase évolutive de la maladie maligne, même sans traitement, ou lors d’une granulocytopénie, voire d’un traitement par un facteur de croissance comme le granulocyte-colony stimulating factor (G-CSF).

On ne peut donc pas considérer l’HNE comme une simple toxidermie qui serait particulière aux chimiothérapies anticancéreuses.

En effet, elle peut survenir en dehors de tout contexte de malignité ou en dehors de toute chimiothérapie.

C – CLINIQUE :

L’HNE est une dermatose bénigne, autorésolutive, même si elle survient au cours de maladies générales de mauvais pronostic.

L’élément sémiologique le plus caractéristique est un érythème violacé infiltré.

Les lésions sont, soit des plaques, soit des papules de petite taille, au nombre de quelques éléments à plusieurs dizaines, ou encore des nodules profonds.

Une disposition annulaire est souvent notée.

Moisson et al ont proposé de distinguer trois formes selon l’extension des papules : une forme centrale touchant la tête, le cou et le tronc, une forme périphérique qui atteint les extrémités des membres et une forme disséminée.

Ces papules sont sensibles ou même douloureuses à la palpation.

Elles peuvent évoluer vers une nécrose ou s’accompagner de pustules.

En cas d’atteinte faciale, un aspect d’inflammation périorbitaire très marquée est possible, simulant parfois une cellulite.

Une fièvre est associée à l’éruption dans près de deux tiers des cas.

Il est probable que la fièvre soit liée plus à la maladie associée qu’à la dermatose elle-même.

La guérison survient en quelques jours et en moins de 1 mois dans la majorité des cas.

La récidive est possible et la durée des épisodes peut alors être plus longue.

Dans ces cas, on a incriminé la reprise d’une chimiothérapie identique à celle du premier épisode, qu’il s’agisse d’un traitement de leucémie ou de maladie de Hodgkin.

Les récidives peuvent parfois être spontanées, sans rapport avec le traitement initial.

D – HISTOPATHOLOGIE :

C’est l’image histologique qui a permis d’individualiser cette affection.

Les signes majeurs se situent dans le derme.

Celui-ci est oedémateux et le siège d’un infiltrat dense, composé de lymphocytes et de polynucléaires neutrophiles. Aucun cas d’infiltrat de cellules blastiques n’a été rapporté.

En profondeur, les glandes sudorales eccrines sont entourées d’un infiltrat riche en polynucléaires.

La partie sécrétrice et le canal excréteur de ces glandes sont le siège de nécrose, avec infiltration des structures glandulaires par les polynucléaires, qu’on trouve aussi dans la lumière.

On observe des images de leucocytoclasie comme dans tous les infiltrats riches en polynucléaires, mais pas de vasculite associée.

La nécrose des cellules sécrétrices ou de celles qui bordent le canal excréteur est un élément caractéristique de la maladie.

Elle peut ne pas s’accompagner d’une neutrophilie.

Si l’atteinte des glandes eccrines est bien connue, une observation met l’accent sur l’atteinte concomitante des glandes apocrines chez un même malade.

Cette étude avec microscopie électronique montre que les cellules myoépithéliales autour des glandes ne sont pas touchées et que l’atteinte est limitée aux cellules épithéliales glandulaires.

L’épiderme et le pannicule adipeux ne sont en général pas atteints.

On observe néanmoins quelques altérations épidermiques non spécifiques, comme une spongiose, avec parfois des nécroses kératinocytaires isolées et une vacuolisation de la couche basale.

E – DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL :

Les autres dermatoses neutrophiliques peuvent partager certains des signes cliniques ou histologiques de cette entité.

La présence de polynucléaires à la biopsie fait évoquer évidemment une dermatose neutrophilique comme le syndrome de Sweet, ou le pyoderma gangrenosum, dont l’aspect clinique est différent.

L’atteinte des glandes sudorales peut se voir dans certains comas barbituriques (nécrose), ou dans les miliaires sudorales avec surinfection (mais il n’y a alors pas de nécrose).

On voit aussi une infiltration périsudorale préférentielle dans les engelures, mais l’infiltrat est lymphocytaire.

Le diagnostic différentiel clinique le plus difficile est celui de syndrome de Sweet, qui peut survenir dans les mêmes circonstances.

L’aspect clinique est plus oedémateux ou bulleux et il n’y a pas d’infiltrat périsudoral préférentiel dans le syndrome de Sweet.

Dans les toxidermies imputables aux chimiothérapies ou autres médicaments administrés chez ces malades, on peut voir des altérations sudorales, mais pas d’infiltrat à polynucléaires entourant préférentiellement les glandes sudorales ; de plus, des kératinocytes nécrotiques sont souvent visibles dans l’épiderme.

F – PHYSIOPATHOLOGIE :

L’HNE a été rangée au sein du vaste groupe des « dermatoses neutrophiliques » pouvant être associées avec des hémopathies malignes, même en cas de granulocytopénie profonde ou survenant lors du traitement par facteurs de croissance.

L’hypothèse d’une concentration sudorale des cytostatiques pourrait expliquer la nécrose limitée à l’épithélium sudoral.

Ceci s’observe dans d’autres toxidermies plus banales, ou encore lors des comas prolongés et ne peut donc pas être considéré comme une action spécifique des cytostatiques, d’autant plus que l’HNE peut survenir en dehors de tout traitement.

Les glandes sudorales peuvent être aussi le siège de syringométaplasie kératinisante lors de certaines chimiothérapies ; ceci manifeste probablement une sensibilité particulière de l’épithélium sudoral à divers stimuli, dont les chimiothérapies.

G – TRAITEMENT :

Le plus souvent aucun traitement n’a été administré et les lésions cutanées ont disparu spontanément.

Les anti-inflammatoires et les antihistaminiques ne semblent pas avoir de bénéfice clairement établi.

La corticothérapie générale pourrait diminuer la durée des signes.

Dans un cas d’HNE récidivante, la dapsone à la dose de 100 mg/j a été utilisée avec succès.

Hidradénite neutrophilique plantaire idiopathique récidivante :

Cette affection, classée parfois avec l’HNE dont elle partage l’image histologique, survient dans un contexte tout à fait différent.

En 1994, Stahr et al décrivent une forme particulière d’HNE, qui survient hors de tout contexte de malignité et se localise exclusivement aux pieds.

Cinq des six cas étaient des enfants ; au même moment, la maladie est décrite en France sous le nom d’érythème noueux plantaire.

Depuis cette description, plus d’une trentaine de cas ont été rapportés.

Cette affection se caractérise par la survenue de plaques et de nodules des plantes mais aussi des paumes chez des enfants ou de jeunes adultes en très bonne santé, principalement au printemps et en automne.

Les récidives sont observées dans près d’un cas sur deux.

Les lésions sont sensibles, dures à la palpation et durent quelques jours ; il s’agit de plaques érythémateuses ou violacées au nombre d’une dizaine d’éléments.

Elles ressemblent en fait à un érythème noueux plantaire, terme sous lequel on trouve plusieurs observations dans la littérature.

L’image histologique est celle d’une inflammation périsudorale riche en neutrophiles, mais avec des signes de nécrose moins prononcés que dans l’HNE classique.

Les lésions disparaissent spontanément en quelques jours.

Elles pourraient être induites par un exercice physique intense.

Comme dans l’érythème noueux, on a trouvé des infections associées (streptocoque

A dans la gorge, Yersinia dans les selles).

Aucun traitement n’est nécessaire, car la rémission est spontanée après quelques jours de repos dans la majorité des observations. Le diagnostic différentiel doit se faire surtout avec l’urticaire à la pression, qui peut entraîner des poussées de lésions douloureuses des plantes.

L’évolution est plus chronique et la biopsie ne montre pas d’infiltrat périsudoral préférentiel.

L’érythème noueux plantaire est plutôt un problème de nosologie que de diagnostic différentiel : les cas décrits sous ce nom correspondent sans doute à la même entité que l’hidradénite neutrophilique plantaire.

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