Hémorragie du premier trimestre de grossesse

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Des saignements surviennent au premier trimestre dans 20 à 25% des grossesses. Parmi ces grossesses, environ la moitié s’interrompent spontanément, les autres évoluant avec cependant un risque augmenté vis-à-vis de certaines complications. Si elles évoluent, elles feront donc partie des grossesses à risque. La démarche diagnostique permettra de préciser la localisation de la grossesse (intra-utérine ou non), son évolutivité et l’étiologie des métrorragies. L’étiologie guidera la conduite thérapeutique.

FAIRE LA PREUVE DE LA GROSSESSE :

La grossesse est a priori connue :

La grossesse est connue :

Hémorragie du premier trimestre de grossesse– sur des arguments cliniques : retard de règles chez une patiente ayant des cycles réguliers et sans contraception efficace, mais il peut y avoir des faux positifs . patiente déjà suivie chez qui l’utérus est manifestement augmenté de volume au toucher .

– test urinaire de grossesse fait par la patiente elle-même (mais attention à certains faux positifs dus à des erreurs de manipulation ou de conservation des tests) .

– résultats des dosages de bêta-HCG plasmatiques .

– résultats d’échographie.

Ainsi, on aura éliminé de simples troubles des règles sans grossesse (voir question  » Hémorragie génitale « ).

La grossesse est ignorée :

Le retard des règles peut ne pas être évident ou avoir été négligé.

Devant toute métrorragie, en période d’activité génitale, avec ou sans contraception, il faut se poser la question : existe-t-il une grossesse ?

– Il est utile de réaliser un calendrier des trois derniers cycles, en précisant les dates de survenue des règles et tout autre événement (saignements ou autres symptômes de grossesse).

– La confirmation de la grossesse nécessitera souvent la réalisation d’examens complémentaires (bêta-HCG plasmatiques, échographie).

Dans ce cas la grossesse non suspectée est découverte dans le cadre d’hémorragies génitales.

ÉVALUER L’IMPORTANCE DU SAIGNEMENT :

Rarement important, avec retentissement hémodynamique :

Dans ces cas-là, il existe des signes manifestes de déglobulisation et de collapsus maternel (tachycardie, hypotension artérielle, sueurs, soif).

Des hémorragies graves surviennent seulement dans le cadre d’avortement ou d’évacuation môlaire et imposent une mise en condition maternelle (voie veineuse et réanimation) en même temps qu’une hémostase par évacuation utérine.

Plus souvent, d’importance modérée ou moyenne :

Cela permet parallèlement la réalisation d’un bilan sanguin et de la pose d’une voie veineuse si nécessaire . un interrogatoire détaillé et un examen clinique orienteront la recherche de l’étiologie du saignement qui guidera la prise en charge.

Orientation diagnostique :

ELEMENTS CLINIQUES DU DIAGNOSTIC ÉTIOLOGIQUE :

Interrogatoire :

* Il précise l’âge.

* Il recherche un désir de grossesse.

– Ne pas négliger la possibilité de manoeuvres abortives toujours possibles, surtout au-delà de 12 semaines d’aménorrhée.

– Enfin, cette notion peut avoir une incidence sur la conduite ultérieure.

* Il fouille les antécédents généraux mais, en particulier, gynéco-obstétricaux : accouchements, fausses couches spontanées ou provoquées, grossesses extra-utérines, en précisant leurs traitements et éventuelles complications.

* Il détaille les symptômes actuels, en les reportant sur le calendrier des trois derniers cycles :

– date des dernières règles .

– métrorragies, dont on précisera : la date (très précoces, aux alentours de 4 à 5 SA, elles sont de bon pronostic . plus tardives, vers 10 à 12 SA, il en est tout différemment) . leur importance (qui est aussi un facteur pronostique) . et leur type (sanglantes, ou liquidiennes de moins bon pronostic) .

– signes d’accompagnement : douleur et son type (coliques unilatérales évoquant une grossesse extra-utérine, coliques hypogastriques médianes évoquant plutôt une menace de fausse couche) . fièvre . signes sympathiques de grossesse persistants ou récemment atténués…, ou au contraire extrêmement intenses dans les grossesses môlaires.

* Il tente de dater la grossesse : la date des dernières règles a été précisée mais il faut rechercher un décalage thermique si une courbe a été pratiquée ou la notion d’un rapport fécondant.

Examen clinique :

L’examen clinique est général, avec surtout la prise systématique de température. En cas de fièvre, il faut évoquer une cause infectieuse ou des manoeuvres abortives.

Examen abdominal

* L’abdomen peut être souple et indolore.

* S’il est ballonné et douloureux, voire s’il existe une défense, il faut évoquer un épanchement intrapéritonéal évoquant une grossesse extra-utérine.

Examen au spéculum

* Son premier but est d’éliminer un saignement dž à une lésion cervicale et de confirmer l’origine endocervicale de l’hémorragie.

* Très utile lorsque, parfois, il retrouve des débris ovulaires évocateurs de la cause :

– villosités placentaires dans le cadre des fausses couches .

– caduque seule évoquant plutôt une grossesse extra-utérine .

– voire débris contenant des vésicules en faveur d’une grossesse môlaire .

– quel que soit l’aspect des débris ovulaires, ils devront être adressés systématiquement pour examen histologique.

Toucher vaginal

Il évalue :

* l’état du col et en particulier la perméabilité qui évoquerait une fausse couche .

* le volume utérin, en rapport ou non avec son terme . ainsi que sa consistance .

* l’état des culs-de-sac latéraux qui peuvent être douloureux, empâtés, voire le siège d’une masse annexielle faisant suspecter une grossesse extra-utérine .

* le cul-de-sac de Douglas, qui peut être le siège d’un épanchement dans le cadre de la grossesse extra-utérine.

ELEMENTS PARACLINIQUES DU DIAGNOSTIC ÉTIOLOGIQUE :

L’interrogatoire et l’examen clinique n’amènent bien souvent, dans le cadre des métrorragies, que peu d’éléments précis en dehors du volume utérin.

C’est pour cela que seuls deux examens complémentaires, le dosage des bêta-HCG et l’échographie utérine, permettront :

– d’affirmer un état de grossesse .

– de préciser sa localisation .

– d’évaluer son évolutivité .

– de la dater.

Dosage plasmatique des  bêta-HCG :

Positif dès le retard de règles, ce dosage permet d’affirmer la grossesse, mais la fourchette des normes est tellement large qu’il ne permet pas d’évaluer avec précision le terme d’une grossesse (voir question  » Grossesse « ).

* Sa positivité ne permet pas, évidemment, d’affirmer sa localisation intra-utérine.

* L’évolutivité peut être envisagée avec la réalisation de 2 dosages à 48 heures d’intervalle. Son taux doit, en effet, doubler. Cependant il faut se rappeler qu’en cas d’arrêt de grossesse, la décroissance des taux se fait avec quelques jours de décalage. D’autre part, cette évolutivité n’est pas obligatoirement en faveur d’une grossesse intra-utérine (GIU).

* Ces dosages sont à confronter aux données de l’échographie, rendant le diagnostic de GEU plus pertinent. Il doit être suspecté si :

– il n’y a pas de sac intra-utérin en échographie endovaginale pour des taux de bêta-HCG supérieurs à 1.500UI/l .

– même chose pour des taux supérieurs à 5.000UI/l en échographie abdominale.

* A noter, la possibilité de dosages  » explosifs  » extrêmement élevés dans les grossesses môlaires.

Échographie utérine :

Elle permet d’affirmer la localisation, le terme ou la datation, et l’évolutivité.

Localisation

* Localisation intra-utérine, en visualisant :

– sac intra-utérin visible par sonde endovaginale, dès 5 SA .

– sac visible par sonde abdominale dès 6 SA.

* Localisation extra-utérine, en visualisant un sac avec embryon en extra-utérin (rare).

Terme ou datation

Le terme est évalué par la mesure du sac puis celle de la longueur cranio-caudale (LCC) de l’embryon :

– à partir de 5 à 6 SA, présence de l’embryon par voie endovaginale .

– à partir de 7 à 8 SA, pour la voie abdominale.

Evaluation précise à ± 3 jours en corrélant la LCC et le diamètre du bipariétal (BIP), aux alentours de 10-13 SA.

Évolutivité

* Seule la visualisation d’une activité cardiaque d’un embryon intra-utérin permet d’affirmer, au moment de l’échographie, la vitalité foetale. Celle-ci est visible dès 7 SA en endovaginal.

* Cette question se pose sur des termes plus précoces.

* A partir du moment ou une image échographique de sac intra-utérin est visualisée, seule l’échographie pourra affirmer l’évolutivité dans le temps, le dosage des bêta-HCG plasmatiques quantitatifs n’ayant plus d’indication.

– Si un sac ovulaire ne contient pas de structure embryonnaire, avant de parler d’arrêt de grossesse, il convient de recontrôler par échographie une semaine plus tard, afin de s’assurer qu’il ne s’agissait pas d’une grossesse plus jeune que le terme présumé. Néanmoins un sac de 25mm ou plus doit comporter une image embryonnaire.

– L’échographie permet de constater parfois la rétention d’oeuf mort avec une structure embryonnaire visible, immobile, souvent à la partie déclive du sac, sans activité cardiaque . voire un sac ovulaire supérieur à 25mm, sans image embryonnaire, évoquant un oeuf clair.

Recherche d’anomalies ovulaires

L’échographie recherche des anomalies ovulaires pouvant expliquer les saignements :

– une image en flocons de neige typique, sans embryon, signant la môle hydatiforme .

– aspect de décollement péri-ovulaire plus ou moins étendu, dont le pronostic n’est pas toujours péjoratif .

– réduction spontanée d’une grossesse multiple, avec lyse d’un ou plusieurs sacs ovulaires qui sont diminués de volume, hypotoniques, sans écho embryonnaire, et qui dispara”tront progressivement.

CONDUITE DU DIAGNOSTIC ÉTIOLOGIQUE :

L’examen clinique et surtout les résultats de l’échographie confrontés ou non aux bêta-HCG permettent le diagnostic de la plupart des pathologies.

Lésions cervicales :

C’est l’examen clinique seul (examen au spéculum) qui permet le diagnostic des lésions cervicales responsables de saignements : cervicite, polypes, voire cancer.

Si le terme est imprécis :

En dehors de tableaux cliniques typiques ou compliqués, le diagnostic étiologique est difficile à porter.

C’est l’examen clinique et surtout la pratique d’une échographie, qui pourra être renouvelée 8 jours plus tard, qui permettront de corriger le terme de la grossesse, cette correction permettant d’affiner le raisonnement diagnostique.

Lorsque le terme est précis :

Dans ce cas, le toucher vaginal retrouve les situations suivantes.

Utérus en rapport avec le terme

* D’emblée, le diagnostic peut être fait et l’évolution considérée comme défavorable lorsqu’il existe :

– un sac ovulaire correspondant à plus de 6 SA, sans écho embryonnaire, ou avec un embryon immobile éventuellement lysé (grossesse arrêtée) .

– un aspect môlaire typique (grossesse môlaire).

* Le diagnostic est moins évident dans d’autres cas et c’est seulement une nouvelle échographie à 8 jours d’intervalle qui montrera une stagnation de croissance du sac ovulaire en faveur d’une grossesse arrêtée.

* Dans 80% des cas, il s’agit d’une pathologie banale, dont l’évolution sera favorable :

– insertion ovulaire basse .

– décollement trophoblastique localisé et plus ou moins étendu .

– lyse d’un jumeau.

Dans un contexte fébrile, réaliser des prélèvements bactériologiques de l’endocol.

Utérus plus petit que le terme théorique

* Il faut dans un premier temps éliminer une erreur de terme en confrontant l’interrogatoire et les éléments dont on dispose (courbes thermiques, dosages de bêta-HCG ou résultats échographiques antérieurs).

* Si ce n’est pas possible, c’est une nouvelle échographie à distance qui corrigera le diagnostic et pourra montrer :

– soit une grossesse évolutive plus jeune que le terme théorique .

– soit une grossesse arrêtée sans évolution visible.

* La grossesse extra-utérine sera évoquée d’autant plus facilement dans ce contexte :

– s’il existe une masse latéro-utérine ou une douleur dans un des culs-de-sacs à l’examen clinique .

– ou que le taux de bêta-HCG imposerait théoriquement la visualisation d’un sac ovulaire intra-utérin que l’échographie ne retrouve pas (voir question  » Grossesse extra-utérine « ).

* La grossesse arrêtée enfin, si le taux de bêta-HCG refait à 48 heures d’intervalle est stagnant avant 5 SA, ou que l’échographie montre un sac ovulaire intra-utérin ne croissant pas à deux examens itératifs.

Principes du traitement :

QUELLE QUE SOIT L’ÉTIOLOGIE :

Il faudra prévoir l’injection d’immunoglobulines anti-D afin d’assurer la prévention d’une immunisation Rhésus chez toutes les patientes Rhésus négatif, et ce dès les premiers saignements.

* Avant l’injection on réalise :

– la recherche d’agglutinines irrégulières (RAI) .

– le dosage des hématies foetales (test de Kleihauer) pour certains.

* Injection d’une dose d’Ig anti-D en intraveineux.

* A 48 heures, dosages des anti-D passifs, en excès dans le sang maternel, permettant de s’assurer de la réalisation de l’injection, et, rarement, de réinjecter une dose supplémentaire s’ils sont négatifs.

GROSSESSE EXTRA-UTERINE :

(Voir question  » Grossesse extra-utérine « .)

GROSSESSE INTRA-UTERINE :

Grossesse intra-utérine arrêtée

* Avant 7 à 8 SA, tenter l’expulsion spontanée, en prescrivant un traitement médical par Méthergin* 15 gouttes x 3/j pendant 5 jours, conseiller à la patiente de récupérer le produit d’expulsion pour examen histologique, et prévoir dans tous les cas un contrôle échographique au-delà des 5 jours afin de vérifier la vacuité utérine. La patiente sera informée de possibles douleurs à type de contractions pouvant motiver l’arrêt du traitement, de devoir consulter s’il existe des saignements trop importants, de la fièvre. Une hospitalisation pour curetage peut être décidée d’emblée si la patiente ne peut pas être suivie ou devant l’échec du traitement médical.

* Après 7 à 8 SA, ou quel que soit le terme si les saignements sont abondants, l’aspiration ou le curage sous anesthésie locale ou générale est nécessaire.

Grossesse évolutive

* Il y a peu de traitements qui aient fait leurs preuves.

* Classiquement, le repos et l’abstinence sexuelle sont prescrits, ainsi que des antispasmodiques.

* L’utilisation d’hormones progestatives est discutée car, diminuant la contractilité des fibres utérines, elle retarderait dans certains cas l’expulsion d’une grossesse arrêtée ou de mauvaise qualité. Son efficacité est cependant évoquée dans certains avortements liés à un corps jaune inadéquat.

ÉVOLUTION ET SURVEILLANCE DES GROSSESSES QUI SE POURSUIVENT :

Comme nous l’avons dit précédemment, il s’agit de grossesses à risques, puisque l’on observe :

* un taux de mortalité périnatale qui serait multiplié par 1,5 à 5 .

* un taux de retard de croissance intra-utérin multiplié par 1,5 à 2 .

* un taux de prématurité qui serait multiplié par 1,5 à 2,5.

Il faut continuer une surveillance jusqu’à la fin du premier trimestre afin de s’assurer de l’évolutivité de la grossesse, puis retrouver un schéma avec :

– un examen clinique mensuel .

– une surveillance échographique à 22-24 SA et à 30-32 SA, pour contrôle biométrique et morphologique, ainsi que la surveillance de la localisation placentaire.

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