Placenta prævia

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Normalement le placenta s’insert au niveau du fond utérin sur l’une des faces, c-a-d sur une muqueuse utérine transformée en caduque décidualle. On appel placenta prævia un placenta qui est caractérisé anatomiquement par son insertion sur le segment inférieur (petit coté des membranes<10cm) transformé en caduque de mauvaise qualité et cliniquement par des hémorragies souvent très graves.

DÉFINITION ET CADRE NOSOLOGIQUE :

Placenta præviLe placenta prævia est caractérisé par son insertion basse, vicieuse, sur le segment inférieur, cette insertion étant source d’accidents hémorragiques.

– Normalement le placenta s’insère sur l’une des faces et/ou le fond du corps de l’utérus.

– Le segment inférieur se forme au 3e trimestre de la grossesse aux dépens de l’isthme. Il mesure 10cm environ.

Un placenta est prævia quand il s’insère en totalité ou en partie sur ce segment inférieur. Mais on note que :

– sur le plan anatomique, dans 25% des accouchements environ, l’examen des produits de la délivrance retrouve un petit côté des membranes inférieur à 10cm (taille du segment inférieur) témoignant donc d’un placenta inséré en partie sur le segment inférieur.

– sur le plan échographique, la localisation du placenta peut varier jusqu’à une date proche du terme : c’est le phénomène de migration du placenta.

Ainsi de nombreux auteurs ne retiendront comme placenta prævia qu’un placenta inséré en totalité ou en partie sur le segment inférieur et entraînant des accidents hémorragiques, réservant le terme de placenta  » bas inséré  » aux formes non hémorragiques, beaucoup plus fréquentes. La fréquence du placenta prævia hémorragique est estimée à environ 1% des grossesses.

FACTEURS FAVORISANTS :

Certains sont bien connus. Il s’agit :

* de la multiparité.

* des antécédents d’avortement spontané ou provoqué avec curetage, et toutes les manœuvres endo-utérines.

* des cicatrices utérines :

– myomectomie.

– cure de synéchie.

– césarienne.

– séquelle d’endométrite.

* des antécédents de placenta prævia.

* de la gémellité : placenta volumineux, très étalé, débordant sur le segment inférieur.

* des fibromyomes sous-muqueux, des malformations utérines.

CLASSIFICATION ANATOMIQUE :

* Pendant la grossesse, on distingue 4 stades selon la localisation anatomique du placenta par rapport à l’orifice interne du col, évaluée par les coupes longitudinales et parasagittales à l’échographie. Cette évaluation ne peut être faite qu’au 3e trimestre de la grossesse, vessie pleine. On peut aussi utiliser la sonde vaginale qui permet de bien visualiser l’orifice interne du col et la position du placenta par rapport à celui-ci :

– stade I ou placenta prævia latéral qui reste à distance de l’orifice interne du col.

– stade II ou placenta prævia marginal, affleurant l’orifice interne du col.

– stade III ou placenta prævia partiel, recouvrant partiellement le col.

– stade IV ou placenta prævia central ou total, recouvrant complètement l’orifice interne du col.

* Pendant le travail, il faut tenir compte de la dilatation du col au moment de l’examen car, par exemple, un placenta marginal peut devenir partiel, un placenta latéral peut devenir marginal. Ainsi, on distinguera :

– le placenta prævia recouvrant, partiellement ou totalement.

– du placenta prævia marginal non recouvrant.

LES HEMORRAGIES DU PLACENTA PRAEVIA :

* Mécanisme :

– pour les variétés périphériques (latérales et marginales), les contractions physiologiques de Braxton Hicks entraînent le décollement d’une languette placentaire, ouvrant ainsi les sinus utérins qui saignent.

– pour les formes recouvrantes, il s’agit plutôt d’un clivage entre le placenta et l’utérus dû à la formation du segment inférieur au 3e trimestre et à la dilatation progressive du col pendant le travail.

* L’hémorragie fœtale est possible et assez fréquente : en effet, au cours du décollement d’un bord placentaire, des villosités peuvent se déchirer, entraînant une hémorragie fœtale, avec passage d’hématies fœtales non seulement dans le sang des pertes vaginales, mais aussi dans la circulation maternelle, d’où deux conséquences possibles :

– immunisation en cas d’incompatibilité Rhésus.

– et anémie fœtale rendant le fœtus beaucoup plus sensible à l’hypoxie.

Diagnostic positif :

AU COURS DU 3e TRIMESTRE DE LA GROSSESSE :

* Les signes fonctionnels sont dominés par l’hémorragie externe :

– d’apparition brutale, souvent au repos.

– de sang rouge, liquide.

– indolore, au début souvent modérée, mais ayant spontanément tendance à récidiver.

* Signes généraux : on apprécie le retentissement hémodynamique du saignement sur la coloration des muqueuses, la prise du pouls et de la tension artérielle.

* Signes physiques :

– l’utérus est souple, bien relâché, la hauteur utérine sera notée.

– il existe souvent une présentation anormale : transversale, oblique, podalique, présentation céphalique anormalement haute et mobile, mal accommodée au détroit supérieur.

– les bruits du cœur fœtal sont perçus.

* L’inspection de la vulve et la mise en place prudente d’un spéculum s’assureront de l’origine endo-utérine du saignement.

* Tout saignement du 3e trimestre de la grossesse impose de pratiquer une échotomographie en urgence avant de faire un toucher vaginal qui peut déclencher une hémorragie cataclysmique.

– Cette échotomographie fera le diagnostic de placenta prævia et en précisera le type anatomique (recouvrant ou non).

– Le toucher vaginal, s’il était effectué, noterait un col souvent dévié, une présentation haute, et retrouverait parfois la sensation de masse spongieuse correspondant au placenta.

* L’évolution est imprévisible.

– Les récidives hémorragiques sont fréquentes, augmentant le risque d’accouchement prématuré.

– La rupture prématurée des membranes a souvent un effet bénéfique sur les saignements mais elle expose aux risques d’accouchement prématuré, d’infection amniotique et de procidence du cordon.

– Enfin l’accouchement prématuré est fréquent et aggrave le pronostic fœtal.

PENDANT LE TRAVAIL :

Les hémorragies sont constantes.

* La palpation apprécie la présentation.

* L’auscultation et le monitorage du rythme cardiaque fœtal apprécient la vitalité fœtale et recherchent des signes de souffrance (tachycardie, ralentissements, voire bradycardie).

* L’échographie en salle d’accouchement appréciera la variété anatomique du placenta prævia :

– recouvrement.

– ou périphérique.

* Le toucher vaginal (contre-indiqué dans le stade IV) tente d’apprécier le degré de dilatation et la hauteur de la présentation.

PENDANT ET APRÈS LA DÉLIVRANCE :

Une hémorragie peut être due à :

– un décollement incomplet du placenta.

– une rétention de cotylédon aberrant.

– une mauvaise rétraction du segment inférieur, une inertie utérine.

– une rupture du segment inférieur.

– un placenta accreta.

– une coagulation intravasculaire disséminée (CIVD).

Formes cliniques :

FORMES SYMPTOMATIQUES :

* Formes asymptomatiques, à la limite nosologique, découvertes par une échographie ou lors de l’examen du délivre après l’accouchement.

* Formes révélées par une amnioscopie ou un toucher vaginal qui peuvent déclencher une hémorragie très grave.

FORMES ANATOMIQUES :

* Placenta prævia central ou recouvrant (stade IV) qui peut rester asymptomatique jusqu’au début du travail. Les contractions utérines entraînent une hémorragie abondante.

* Le placenta prævia marginal affleure l’orifice interne du col (stade III).

– L’insertion antérieure rend l’hystérotomie segmentaire de la césarienne difficile et dangereuse (risque d’anémie fœtale grave).

– L’insertion postérieure devant le promontoire empêche la tête du fœtus de s’engager et favorise les compressions funiculaires.

* Placenta prævia latéral qui reste à distance de l’orifice interne du col, le plus souvent asymptomatique, découvert lors de l’échographie systématique du 8e mois (stades I et II).

FORMES COMPLIQUEES :

* Procidence du cordon, plus fréquente :

– favorisée par une insertion excentrée, déclive ou vélamenteuse.

– elle peut succéder à une rupture spontanée ou artificielle des membranes.

* Placenta accreta :

– adhérence anormale du placenta au myomètre due à l’absence partielle ou complète de plaque basale. Elle est favorisée par la multiparité, les césariennes et curetages antérieurs, les synéchies.

– le placenta prævia accreta peut se compliquer d’hémorragie massive, de coagulation intravasculaire disséminée, de rupture du segment inférieur provoquée par la délivrance artificielle.

* Coagulopathie de consommation (CIVD).

Pronostic :

PRONOSTIC MATERNEL :

* La mortalité est quasi nulle dans notre pays sous réserve d’un diagnostic précoce et d’une prise en charge rapide et adéquate (voir question  » Hémorragie de la délivrance « ). Autrefois, elle était surtout due aux hémorragies cataclysmiques.

* La morbidité est encore importante : l’anémie des suites de couches favorise :

– les complications infectieuses (endométrites, septicémies).

– les accidents thrombo-emboliques.

PRONOSTIC FŒTAL :

* La mortalité fœtale est encore importante : 5 à 20% selon les auteurs et les séries.

* Les facteurs de pronostic fœtal sont principalement :

– la prématurité, très fréquente, source de complications respiratoires et neurologiques.

– l’importance des hémorragies maternelles.

– le degré d’hypotrophie, fréquente, et due à l’anémie fœtale chronique.

– le mode d’accouchement.

– l’existence éventuelle de malformations, plus fréquentes en cas de placenta prævia.

Diagnostic différentiel :

HEMORRAGIES D’ORIGINE CERVICO-VAGINALE OU VULVAIRE :

L’examen au spéculum élimine ces causes cervico-vaginales, notamment ectropion, polype du col, dysplasie et cancer du col.

HEMORRAGIES D’ORIGINE ENDO-UTERINE AU 3e TRIMESTRE :

* Rupture utérine :

– douleur très intense.

– collapsus qui n’est pas expliqué par l’hémorragie externe modérée.

– fœtus mort le plus souvent.

* Hématome rétroplacentaire :

– signes de toxémie gravidique ou notion de traumatisme.

– contracture utérine douloureuse.

– métrorragies noirâtres peu abondantes.

– état de choc.

– mort fœtale parfois.

– oligurie avec protéinurie.

– coagulopathie de consommation, voire CIVD.

* Hématome décidual marginal ou rupture de sinus marginal, avec hémorragie moins importante, de bon pronostic materno-fœtal.

HEMORRAGIES AU COURS DU TRAVAIL :

Hématome rétroplacentaire :

* Survenant surtout après rupture artificielle des membranes ou évacuation trop rapide d’un hydramnios, avec signes de souffrance fœtale hypoxique.

* Le diagnostic se discute surtout dans les formes atypiques :

– avec hémorragie abondante, parfois de sang rouge.

– absence de contracture utérine mais hypercinésie de fréquence ou épisode de mauvais relâchement entre les contractions utérines.

– absence de signe toxémique.

Rupture utérine :

Avec collapsus et désunion de cicatrice utérine, cette dernière pouvant être exsangue, réduite à une simple douleur sus-pubienne.

Hémorragie de Benkiser :

Déchirure d’un vaisseau du cordon dont l’insertion est vélamenteuse, avec souffrance fœtale aiguë et liquide amniotique sanglant.

Traitement :

Le placenta prævia étant source d’accidents hémorragiques parfois cataclysmiques, son traitement ne se conçoit qu’en centre spécialisé, avec une équipe pluridisciplinaire : obstétricien, anesthésiste-réanimateur, pédiatre, disponibles 24 heures sur 24.

Le traitement consiste, d’une part, à compenser les pertes sanguines et, d’autre part, à arrêter les hémorragies.

La conduite à tenir dépend de nombreux facteurs, entre autres du terme de la grossesse.

AU 3e TRIMESTRE DE LA GROSSESSE, AVANT 36-37 SEMAINES :

Le placenta prævia saigne et le fœtus est un prématuré : il faut être conservateur chaque fois que possible. Ce traitement conservateur comporte :

* le repos strict au lit : au maximum en décubitus latéral gauche.

* détermination du groupe Rhésus, pose d’une voie d’abord veineuse.

– compensation des pertes sanguines par des transfusions isogroupe, iso-Rhésus.

– traitement martial.

* abstention de tout examen obstétrical.

– traitement tocolytique par les bêta-mimétiques (salbutamol) en l’absence de contre-indication et après correction de l’anémie.

– injection de gammaglobulines anti-D en cas de Rhésus négatif.

* la surveillance maternelle. Elle porte sur :

– l’abondance du saignement.

– le pouls, la tension artérielle.

– les numérations formules sanguines régulières.

– les bilans d’hémostase.

– la recherche d’agglutinines irrégulières.

* la surveillance fœtale :

– hauteur utérine.

– mouvements actifs.

– bruits du cœur.

– monitorage du rythme cardiaque fœtal.

– surveillance de la biométrie fœtale à l’échographie.

– tests de Kleihauer pour rechercher une hémorragie fœtale.

– maturation pulmonaire fœtale par injection de corticoïdes chez sa mère si le terme est inférieur ou égal à 32 SA (12mg de bétaméthasone en IM : 2 injections à 24h d’intervalle à répéter tous les 10 jours).

* Ces mesures thérapeutiques permettent souvent d’obtenir l’arrêt des hémorragies et d’atteindre 36-37 semaines, terme où la grossesse peut être interrompue, le plus souvent par césarienne. Celle-ci s’impose en cas de placenta prævia recouvrant ou de tout placenta prævia associé à une présentation anormale, à un utérus cicatriciel ou à toute autre cause de dystocie.

* Parfois la césarienne peut s’imposer avant 37 semaines en cas d’hémorragie grave persistante malgré le traitement, d’hémorragie fœtale détectée au test de Kleihauer, de signes de souffrance sur l’enregistrement du rythme cardiaque fœtal, de rupture prématurée des membranes.

PENDANT LE TRAVAIL :

* La réanimation s’impose toujours :

– compensation stricte des pertes sanguines par des transfusions isogroupe, iso-Rhésus.

– oxygénothérapie.

* Monitorage permanent du rythme cardiaque fœtal.

* Parfois la césarienne s’impose d’emblée en urgence devant :

– un placenta prævia recouvrant (stade IV).

– une hémorragie abondante persistant après rupture des membranes.

– une souffrance fœtale aiguë (rythme cardiaque fœtal, pH céphalique).

– un placenta prævia associé à une présentation anormale ou à toute autre cause de dystocie.

* Ailleurs, l’accouchement par voie basse est envisageable dans les formes non recouvrantes, avec présentation céphalique bien centrée, et rythme cardiaque fœtal normal.

– Le premier geste à effectuer est la rupture large des membranes en modérant l’écoulement : cette rupture doit obligatoirement arrêter très rapidement les hémorragies, sinon la césarienne s’impose.

– Par ailleurs, elle expose au risque de procidence du cordon.

LA DÉLIVRANCE :

* La délivrance peut être spontanée ou dirigée. Certains auteurs préconisent une délivrance artificielle systématique pour prévenir les complications hémorragiques.

* Elle est souvent suivie d’une hémorragie persistante :

– après une révision utérine et l’injection d’ocytociques (Syntocinon*) par voie intraveineuse ou intramusculaire, voire intramyométriale, pour traiter une éventuelle inertie.

– après la recherche sous valves et la réparation d’une éventuelle lésion génitale.

– on pratique une hémostase compressive et l’embolisation artérielle peut être envisagée si l’hémorragie persiste (voir question  » Hémorragies de la délivrance « ).

LES SUITES DE COUCHES :

* Poursuivre la correction de l’anémie (transfusions, fer).

* Antibiothérapie préventive, souhaitable après césarienne ; délivrance artificielle ou révision utérine.

* Gammaglobulines anti-D en cas d’incompatibilité Rhésus.

* Prévention et dépistage des accidents thrombo-emboliques : lever précoce, héparinothérapie préventive éventuelle, palpation biquotidienne des mollets, surveillance des signes de pancarte.

LE NOUVEAU-NÉ :

Il sera pris en charge dès la naissance par une équipe pédiatrique, ce d’autant qu’il s’agit souvent d’un prématuré anémié parfois hypotrophique.

La survenue de complications respiratoires (œdème interstitiel, maladie des membranes hyalines), infectieuses, une dyscrasie nécessitent un traitement adapté.

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