Hématome rétroplacentaire

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L’hématome rétroplacentaire, qui correspond au décollement prématuré d’un placenta normalement inséré (DPPNI), résulte d’une désinsertion accidentelle de tout ou d’une partie du placenta avant l’accouchement, avec formation d’un hématome plus ou moins volumineux.

PHYSIOPATHOLOGIE :

Hématome rétroplacentaire* La physiopathologie de ce syndrome est tout entière expliquée par le terme de DPPNI.

– Il s’agit du décollement du placenta qui se produit prématurément, c’est-à-dire avant la naissance de l’enfant.

– Il peut survenir lors de la grossesse ou pendant le travail.

– D’autre part, il s’agit d’un placenta normalement inséré, ce qui élimine ainsi les problèmes hémorragiques du placenta prævia.

* Ce décollement va entraîner la constitution d’une hémorragie qui ne va pas s’extérioriser le plus souvent, s’épanchant entre placenta et utérus. Il se constitue donc un hématome dans l’espace ainsi créé :

– le retentissement fœtal sera dû à l’interruption des échanges fœto-maternels au niveau du décollement, pouvant conduire à la mort fœtale si la zone est suffisamment importante.

– le retentissement maternel pourra être dû à l’importance de l’hémorragie, mais surtout aux troubles de la coagulation qui pourront survenir. En effet, l’ouverture de l’hématome va entraîner le passage de thromboplastines placentaires dans la circulation maternelle, responsables d’un syndrome de coagulation disséminée, éventuellement associé à une fibrinolyse.

* La surface du décollement va conditionner le tableau clinique, pouvant prendre tous les aspects entre le tableau de choc avec apoplexie utéro-placentaire, et l’hématome seulement découvert lors de l’examen systématique du placenta.

* La conduite à tenir doit prendre en compte, comme toujours en obstétrique, l’état de la mère et l’état de l’enfant ; en sachant que, dans les formes graves, il convient d’évacuer rapidement l’utérus pour ne pas compromettre le pronostic maternel, même si le fœtus est mort. Il faut alors être le moins traumatisant possible pour la mère.

Mais, dans tous les cas, il convient d’être particulièrement vigilant en ce qui concerne les troubles de la coagulation pour pouvoir faire face aux hémorragies de la délivrance qui peuvent être rapidement dramatiques.

ÉPIDÉMIOLOGIE :

Le DPPNI est un accident obstétrical relativement rare, mais dont la fréquence est assez stable. Cette fréquence peut être diversement appréciée selon que l’on considère seulement les accidents graves (5 pour 1.000 grossesses) ou toutes les formes, même purement anatomiques (1 pour 100 grossesses).

L’étiologie est mal connue et il est préférable de parler de facteurs de risque :

– l’hypertension gravidique est retrouvée dans 40 à 50% des DPPNI. Elle représente une des complications imprévisibles de la toxémie gravidique, ce qui explique sa persistance malgré la prise en charge des femmes enceintes hypertendues.

– les traumatismes obstétricaux : qu’il s’agisse de violent traumatisme abdominal maternel (accident de circulation, ceinture de sécurité, chute…) ou de traumatisme plus minime (version du fœtus par manœuvres externes).

– les autres facteurs de risque sont plus accessoires : tabagisme, terme dépassé.

– enfin, très souvent, le DPPNI survient apparemment sans cause favorisante.

CONSEQUENCES :

Le décollement prématuré du placenta réalise un clivage entre le placenta et l’utérus, vite rempli par un hématome.

– Il peut être dû à un traumatisme ou à une ischémie aiguë passagère au niveau des artères utéro-placentaires.

– Il existe toujours en regard une zone placentaire infarcie, qui a pour conséquence une diminution des échanges fœto-placentaires.

Les complications vont se manifester chez le fœtus et chez la mère :

* la diminution des échanges est responsable d’une souffrance fœtale, dont l’intensité est proportionnelle à la surface de l’hématome (mort fœtale in utero si la zone décollée est supérieure à la moitié de la surface d’insertion placentaire).

* chez la mère :

– l’ouverture de l’hématome entraîne la libération dans la circulation générale de thromboplastines placentaires responsables de troubles de la crase sanguine patents dans 10% des cas.

– de même, un taux plus élevé d’hémorragies de la délivrance est retrouvé (20%), dû à l’inertie utérine associée aux troubles de coagulation latents.

Diagnostic :

CIRCONSTANCES DE DIAGNOSTIC :

Le plus souvent, il s’agit d’une patiente admise en urgence pour une complication survenant lors du dernier trimestre de la grossesse.

Parfois, la femme se présente avec un tableau trompeur de menace d’accouchement prématuré avec des contractions très douloureuses.

Enfin, il peut s’agir d’un diagnostic porté lors de l’examen systématique du placenta après la délivrance. L’intérêt de cette forme est représenté par la nécessité de vérifier l’absence de troubles de la coagulation chez la mère.

Signes fonctionnels :

Dans la forme de moyenne importance, le tableau clinique associe :

* une douleur abdominale constante :

– brutale,  » en coup de poignard « .

– intense.

– localisée au niveau de l’utérus.

– contrairement aux contractions utérines douloureuses, elle est permanente.

* une hémorragie génitale variable :

– habituellement peu abondante.

– constituée de sang noirâtre incoagulable.

– parfois absente.

* les autres signes sont inconstants et moins évocateurs :

– nausées.

– vomissements.

– signes de prééclampsie.

* enfin, un état de choc plus ou moins marqué.

Examen obstétrical :

* Il révèle une hypertonie utérine permanente, l’utérus est dur et douloureux au palper, véritable contracture. Certains hématomes de petit volume ne s’accompagnent pas de contractures, mais d’une hypercontractilité utérine (hypercinésie de fréquence, mauvais relâchement utérin entre les contractions utérines).

* L’augmentation de la hauteur utérine est une donnée difficile à apprécier ; par contre, on peut noter son augmentation rapide lors d’examens répétés, si le diagnostic tarde à être porté.

* Au toucher vaginal, le segment inférieur est dur, tendu,  » en sébile de bois « , témoignant de la contracture utérine. Le col est parfois déjà modifié, ce qui confirme le début du travail.

* L’examen au spéculum permet de s’assurer de l’origine utérine de l’hémorragie, dans les cas douteux.

Examen général :

* Il peut montrer des signes de choc débutant avec pâleur et accélération du pouls maternel :

– la tension artérielle peut être variable, soit déjà diminuée dans les formes graves, soit encore élevée en cas d’hypertension artérielle gravidique connue.

– les urines sont rares et il y a une protéinurie massive.

* Devant un tel tableau clinique, le diagnostic de DPPNI ne fait guère de doute. Il s’agit alors d’apprécier son degré de gravité en évaluant le retentissement maternel et fœtal.

APPRECIATION DU DEGRE DE GRAVITE :

Retentissement fœtal :

Il est à évaluer dès l’entrée de la patiente.

C’est la recherche des signes de souffrance fœtale qui s’apprécient par l’étude du rythme cardiaque du fœtus, surtout à l’aide d’appareil à ultrasons :

* dans certains cas, la mort fœtale s’est déjà produite et on ne retrouve donc pas de bruit du cœur. L’échographie confirmera le diagnostic.

* le plus souvent, l’enregistrement du rythme cardiaque fœtal montre des signes de souffrance, représentés par un tracé non réactif, aplati, c’est-à-dire qui a perdu ses oscillations rapides physiologiques :

– parfois, le rythme de base est inférieur au rythme normal de 120 battements cardiaques par minute.

– mais le signe principal de la souffrance fœtale en cours de travail est l’apparition de décélérations du rythme cardiaque lors de chaque contraction utérine, ou en cas d’hypertonie de l’utérus.

Retentissement maternel :

Il est apprécié dans le même temps :

* c’est l’estimation de l’état de choc par la surveillance :

– du pouls maternel.

– de la tension artérielle.

– et de la diurèse.

* albuminurie évaluée par bandelette urinaire.

* des examens biologiques sont demandés en urgence pour rechercher les troubles de la coagulation :

– dosage du fibrinogène.

– numération plaquettaire.

– taux de prothrombine.

– temps de coagulation.

– hématocrite.

– groupe sanguin, Rhésus, RAI.

Au terme de ce bilan, qui peut être effectué très rapidement, la sévérité de l’hématome rétroplacentaire est évaluée et va déterminer la conduite à tenir.

Echographie :

A pratiquer d’urgence avec l’appareil d’échographie de la salle de travail permettant ainsi de confirmer le diagnostic, participer au bilan, tous ces éléments étant utiles dans la mesure où ils n’apportent pas de retard au traitement.

* Elle permet la recherche de la vitalité fœtale par la localisation de l’aire cardiaque, l’activité cardiaque fœtale étant difficile à percevoir lorsque l’utérus est tonique et que, de surcroît, il existe une tachycardie maternelle.

* Elle confirme le diagnostic, faisant le diagnostic différentiel avec le placenta prævia et appréciant le volume approximatif de l’hématome rétroplacentaire.

– L’image caractéristique d’hématome (25% des cas) est une zone linéaire ou biconcave, bien limitée, vide d’écho.

– Mais les signes sont parfois plus discrets : zone anéchogène intraplacentaire (à ne pas confondre avec un lac sanguin physiologique) ; élévation des membranes au niveau du bord placentaire ; décollement des membranes ; augmentation d’épaisseur du placenta (supérieure à 6cm), sans aspect net d’hématome rétroplacentaire.

– Mais ce diagnostic n’est pas toujours facile et l’absence d’image évocatrice n’exclut pas le diagnostic.

* Elle permet d’apporter également des précisions sur la taille du fœtus, sa présentation, particulièrement difficiles à évaluer cliniquement en cas d’hypertonie utérine.

Évolution :

ÉVALUER LA GRAVITÉ :

* A l’issue de ce tour d’horizon, le diagnostic de DPPNI est habituellement fortement suspecté et on peut évaluer la gravité de celui-ci qui est :

– discret (simples métrorragies dont l’origine ne sera rattachée à l’hématome qu’à l’analyse de la délivrance à l’issue d’un accouchement normal).

– modéré (les signes cliniques sont présents mais l’enfant est vivant).

– sévère si l’enfant est mort et/ou s’il y a des troubles de coagulation.

* Le traitement doit être rapidement mis en route avec réalisation des gestes d’urgence pour la mère : mise en place d’une voie veineuse suffisante et d’une sonde à demeure, traitement de choc.

ÉVOLUTION SPONTANEE :

Complications :

L’évolution spontanée du DPPNI va se faire vers l’apparition de complications dans un délai parfois très bref :

* la mort fœtale peut survenir du fait de la diminution importante des échanges fœto-placentaires ou en raison de l’état de choc maternel.

* les troubles de la coagulation peuvent très rapidement devenir catastrophiques avec coagulation intravasculaire disséminée et fibrinolyse à l’origine d’hémorragies cataclysmiques. Le diagnostic est évoqué devant l’apparition de métrorragies faites de sang incoagulable.

* dans les chocs graves, la nécrose corticale rénale  survient 1 fois sur 6 en l’absence de traitement rapide.

* la nécrose de l’utérus peut également survenir : apoplexie utéro-placentaire.

* la rupture utérine peut venir aggraver le tableau, surtout si l’hématome rétroplacentaire survient sur un utérus cicatriciel.

Mortalité maternelle :

Au total, la mortalité maternelle existe encore dans les DPPNI, certains la chiffrent à 4%. Le pronostic maternel est lié à la fois :

– à la cause et à la sévérité de l’hématome rétroplacentaire.

– et à la durée d’évolution de l’hémorragie qui entraîne la consommation des facteurs de la coagulation. Ceci rend rapidement dangereux tout geste chirurgical ou obstétrical.

C’est insister une nouvelle fois sur l’urgence de la mise en route du traitement.

Diagnostic différentiel :

Ce n’est que devant les formes plus frustes qu’on peut évoquer les diagnostics différentiels classiques.

DEVANT UNE HÉMORRAGIE DU 3e TRIMESTRE DE LA GROSSESSE :

* Le placenta prævia est diagnostiqué par la symptomatologie évocatrice : hémorragie de sang rouge vif, indolore ou accompagnant des contractions ; il est confirmé par l’échographie (voir question  » Placenta prævia « ).

* Les hémorragies d’origine cervicale se voient à l’examen au spéculum.

EN CAS DE CHOC :

On évoquera une exceptionnelle embolie amniotique qui survient généralement lors du travail.

SYNDROMES ABDOMINAUX DOULOUREUX :

Ils sont souvent trompeurs en fin de grossesse :

– coliques néphrétiques.

– pancréatite aiguë.

– et surtout appendicite aiguë.

RUPTURE UTERINE :

Elle réalise un tableau d’hématome modéré, associant douleurs aiguës et métrorragies minimes sur un utérus contractile. La notion de cicatrice utérine est très évocatrice.

Cependant, le diagnostic est souvent difficile, d’autant plus que la rupture utérine peut compliquer un DPPNI. De toute façon, un tel tableau nécessite une intervention chirurgicale d’urgence.

Traitement :

Le traitement (voir figure A) a pour but immédiat de restaurer les pertes sanguines et d’assurer l’hémostase. Ceci ne peut être atteint de façon durable que par l’évacuation utérine rapide.

Le mode d’évacuation de l’utérus sera déterminé en fonction de l’état et de l’âge gestationnel du fœtus et de l’état maternel.

CONDUITE A TENIR EN URGENCE :

* Le traitement est mis en œuvre en urgence, en salle de travail chez une patiente préparée, chez qui on a installé :

– de larges voies d’abord veineuses.

– une sonde urinaire.

– si possible, un cathéter de mesure de la pression veineuse centrale.

* Le bilan sanguin initial comporte un groupage, une détermination de l’hématocrite et un bilan de la crase sanguine.

Compenser les pertes :

La patiente est déchoquée à l’aide de solutés de remplissage et surtout de sang frais ; actuellement on utilise essentiellement des concentrés globulaires.

Le remplissage sera fondé sur le choc et l’hématocrite plutôt que sur l’hémorragie extériorisée, le contrôle de la pression veineuse centrale permettant d’éviter les surcharges.

Assurer l’hémostase :

* Les troubles de la coagulation sont principalement combattus en apportant les facteurs déficitaires :

– sang frais et surtout du plasma frais congelé.

– fibrinogène en perfusion lente.

– dans les cas gravissimes des concentrés plaquettaires, dont l’action est immédiate mais brève, et qui peuvent être à l’origine d’iso-immunisation.

* On peut également utiliser :

– des antifibrinolytiques (Iniprol*, 1 million d’unités IV).

– l’héparinothérapie à faible dose dans les cas de CIVD ; en raison de son danger, il s’agit d’une thérapeutique peu utilisée dans ces cas d’urgence mais plutôt dans les suites.

* L’évaluation des troubles de l’hémostase sera faite d’heure en heure.

– Sont considérés comme particulièrement graves des taux de fibrinogène inférieurs à 1 gramme, et les numérations plaquettaires inférieures à 50.000.

– Dans de tels cas, il n’est pas possible d’envisager des interventions chirurgicales ou obstétricales sans faire courir de gros risques à la mère.

– Il est donc capital de compenser ces troubles avant tout geste.

TRAITEMENT OBSTÉTRICAL :

La césarienne :

La césarienne sera pratiquée sous anesthésie générale (contre-indication à la péridurale du fait du risque de troubles de la coagulation).

Elle s’impose rapidement si le fœtus est vivant, de viabilité certaine et si l’accouchement n’est pas imminent.

Si le fœtus est mort, elle peut être utile en cas de gravité de l’état maternel.

L’accouchement par voie basse :

Il peut être accepté :

* quand le fœtus est vivant :

– si l’hématome est modéré.

– s’il n’y a pas de signes de souffrance fœtale.

– si l’accouchement évolue rapidement après rupture des membranes et perfusion.

* quand le fœtus est mort ou non viable.

La révision utérine :

La révision utérine est systématique, de même que l’utilisation d’ocytociques (prévenant l’atonie utérine).

L’hystérectomie d’hémostase :

Elle est d’indication exceptionnelle. Car le myomètre, malgré son aspect souvent alarmant, récupère mieux qu’on ne le pense.

Les suites de couches :

Les thérapeutiques en suites de couches doivent comprendre une antibiothérapie du fait du haut risque infectieux de ces patientes, de même qu’un traitement anticoagulant.

Pronostic :

Le pronostic de l’hématome rétroplacentaire reste mauvais :

– la mortalité fœtale est de 30 à 60%.

– la mortalité maternelle atteint 1% du fait des complications liées aux coagulopathies de consommation, aux nécroses ischémiques, en particulier rénales.

TRAITEMENT PRÉVENTIF DES RECIDIVES :

Chez les femmes ayant un antécédent d’hématome rétroplacentaire ou de complication grave responsable d’une HTA gravidique, prévoir un traitement par : Aspégic* à 80mg/jour entre la 14e et la 35e semaine d’aménorrhée.

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