Grossesse extra-utérine

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La grossesse extra-utérine (GEU) correspond à l’implantation de trophoblaste en dehors de l’utérus, le plus souvent dans la trompe, rarement dans l’ovaire ou la cavité péritonéale.

ÉPIDÉMIOLOGIE :

On constate une augmentation de la fréquence des GEU, avec un taux qui a pratiquement triplé au cours de ces deux dernières décennies (1, 6 à 2% des grossesses).

Dans les pays développés, le problème n’est plus essentiellement lié à la mortalité maternelle, mais au risque d’infertilité.

L’avènement de la cœlioscopie, puis de l’échographie notamment par voie endovaginale, ainsi que du dosage rapide de l’hormone gonadotrophique chorionique (hCG), a complètement modifié la démarche diagnostique, le pronostic vital et le traitement de la GEU.

FACTEURS DE RISQUE :

Grossesse extra-utérine– Antécédent de maladie sexuellement transmissible.

– Sérologie positive pour les Chlamydia.

– Antécédent de chirurgie abdomino-pelvienne.

– Tabac.

– Grossesse ayant débuté sous contraception : micro-pilules, estroprogestatifs, dispositif intra-utérin.

Certaines GEU restent d’étiologie inconnue.

PHYSIOPATHOLOGIE :

Deux hypothèses principales permettent de différencier :

* les GEU organiques : le transit de l’œuf serait ralenti par des perturbations de la musculature tubaire et de la ciliation de l’épithélium. Ces anomalies seraient les séquelles de processus infectieux (salpingites, adhérences péritubaires après péritonite, appendicectomie ou intervention gynécologique).

* les GEU fonctionnelles, conséquence d’une perturbation fonctionnelle du transit tubaire (influence hormonale à l’origine d’un ralentissement du transport de l’œuf, à l’origine d’une nidation ectopique), par exemple : phase lutéale courte.

La GEU doit toujours être considérée comme une urgence chirurgicale, même si actuellement une prise en charge précoce nous permet d’adopter une attitude thérapeutique différente.

Diagnostic positif :

SYMPTOMATOLOGIE CLINIQUE :

Forme typique :

* Interrogatoire :

– douleurs pelviennes s’accentuant depuis quelques jours, latéralisées, à type de coliques.

– métrorragies, classiquement noirâtres ou sépia, généralement peu abondantes.

– retard de règles (aménorrhée).

– malaises, lipothymies…

– signes sympathiques de grossesse : nausées, vomissements, tension mammaire.

* Examen clinique :

– douleur latéralisée à la palpation abdominale.

– au toucher vaginal, l’utérus est moins gros que l’âge supposé de la grossesse, il existe une masse latéro-utérine douloureuse, et le cul-de-sac de Douglas est sensible (signant déjà un épanchement débutant).

Formes évidentes : formes compliquées :

Rupture cataclysmique de grossesse extra-utérine :

La rupture cataclysmique de GEU est une urgence chirurgicale.

Tableau classique de choc hémorragique par hémopéritoine avec :

– une tension artérielle abaissée mais pas toujours de façon nette.

– un pouls accéléré.

– une défense à la palpation abdominale.

– au TV :  » cri du Douglas « .

Hématocèle enkystée :

L’hémarocèle enkystée est une forme rare, correspondant à une rupture ancienne et évoluant à bas bruit.

Sa symptomatologie est pathognomonique de la GEU :

– à l’interrogatoire : douleurs pelviennes évoluant depuis plusieurs jours ou semaines, métrorragies, parfois épisodes syncopaux.

– à l’examen clinique : défense sous-ombilicale inconstante, cul-de-sac de Douglas bombé, hyperalgique au TV.

Formes atypiques : trompeuses :

* Les formes atypiques sont trompeuses, avec, à l’interrogatoire :

– l’absence de douleurs et de métrorragies dans les formes très précoces.

– ou bien, à l’inverse, des métrorragies abondantes de sang rouge évoquant plutôt une fausse couche (forme pseudo-abortive).

– le retard de règles est inconstant car parfois les métrorragies sont interprétées comme de  » fausses règles  » par les patientes.

– l’absence de signes sympathiques de grossesse.

* A l’examen clinique :

– palpation abdominale indolore.

– au TV, une douleur bilatérale, dans les deux culs-de-sac vaginaux, ou diffuse, ou bien encore une douleur unilatérale avec une masse controlatérale.

– bien souvent, un des culs-de-sac est sensible sans masse palpée.

L’association d’une GEU et d’une grossesse intra-utérine (GIU) est exceptionnelle en dehors de la procréation médicalement assistée (PMA). L’aggravation de la symptomatologie douloureuse ou l’existence d’une masse annexielle doivent faire penser au diagnostic devant la certitude d’une GIU.

EXAMENS COMPLEMENTAIRES :

Dosage des bêta-hCG plasmatiques :

* L’hCG est une hormone glycoprotéique complexe secrétée dans le sang maternel par le blastocyste avant même le stade d’implantation.

– Elle est composée de deux sous-unités : alpha et bêta.

– Sa présence dans le plasma peut actuellement être détectée dès le huitième jour postovulatoire.

– Elle est quantifiée de façon précise.

* La valeur de l’hCG ne renseigne pas sur le siège de la grossesse ni sur son terme ; par contre, l’évolutivité de la grossesse peut se juger sur deux dosages à 48 heures d’intervalle.

– Une grossesse anormale (non évolutive ou ectopique) doit être suspectée si l’hCG n’augmente pas d’au moins 66% en 48 heures.

– Il faut savoir que classiquement, le taux de bêta-hCG double en 48 heures si la grossesse est évolutive.

* Le résultat de ce dosage doit toujours être confronté aux images échographiques.

– Il est habituel d’observer un sac ovulaire intra-utérin pour un taux de bêta-hCG supérieur ou égal à 1.000mUI/ml lorsqu’on réalise une échographie par voie endovaginale.

– Dans le cas contraire, une GEU sera fortement suspectée.

Échographie pelvienne :

Les images échographiques doivent toujours être interprétées en fonction de l’âge gestationnel, du tableau clinique et de la valeur quantitative des bêta-hCG.

L’échographie par voie endovaginale doit toujours être précédée par une échographie réalisée par voie sus-pubienne pour ne pas méconnaître une GEU haut située non accessible par voie endovaginale.

Voie sus-pubienne :

Réalisée vessie en réplétion, l’échographie par voie sus-pubienne va rassembler un faisceau d’arguments qui seront des signes indirects de la GEU.

* Signes indirects de GEU :

– vacuité utérine qui correspond à l’absence de sac gestationnel normalement visible à partir de 5 semaines d’aménorrhée. Il faut se méfier de l’image de pseudo-sac gestationnel : image hypo-échogène de quelques millimètres de diamètre, hypotonique, dont les limites n’ont pas la netteté des contours épais de la couronne trophoblastique ; sa situation est médiocavitaire par rapport au sac gestationnel qui est plutôt excentré.

– épanchement liquidien dans le cul-de-sac de Douglas : plage anéchogène de taille variable située en arrière de l’utérus.

* Signes directs de GEU : masse latéro-utérine non spécifique, hétérogène, qui sera mieux analysée par voie endovaginale.

Voie endovaginale :

L’échographie par voie endovaginale est réalisée vessie vide.

Elle apporte des informations complémentaires par rapport à la voie sus-pubienne dans 60% des cas de suspiscion de GEU.

* Signes indirects :

– vacuité utérine confirmée, mais possibilité d’une image de pseudo-sac.

– épanchement liquidien dans le cul-de-sac de Douglas : image anéchogène rétro-utérine.

* Signes directs. La GEU peut prendre différents aspects :

– masse annexielle située à moins de 1cm de l’ovaire, en saillie par rapport aux contours ovariens.

– sac gestationnel typique en dehors de la cavité utérine : lacune ovalaire ou arrondie de diamètre variable, cerclée par un anneau dense, fortement échogène.

– masse échogène, hétérogène, correspondant à l’hématosalpinx ou à l’hématocèle enkystée si elle est à distance de l’ovaire ou en arrière de l’isthme.

Cependant, dans de nombreux cas, il n’existe ni masse latéro-utérine suspecte, ni épanchement liquidien dans le cul-de-sac de Douglas ; le seul élément aidant au diagnostic est alors la discordance entre un entre un taux de bêta-hCG égal ou supérieur à 1.000mUI/ml et l’absence de sac ovulaire intra-utérin.

Diagnostics différentiels :

Le diagnostic de GEU devra toujours être évoqué chez une femme en âge de procréer présentant des métrorragies ou des douleurs pelviennes, avec ou sans contexte d’aménorrhée.

Le dosage des bêta-hCG doit alors être systématique.

* Il pourra s’agir également :

– d’une fausse-couche spontanée.

– d’une GIU évolutive très précoce (moins de 5 semaines d’aménorrhée (SA)).

* Autres diagnostics différentiels :

– torsion d’annexe.

– salpingite.

– syndrome appendiculaire.

Démarche diagnostique :

La cœlioscopie reste l’examen décisif, mais son indication ne survient qu’au terme d’une démarche diagnostique complexe fondée sur un double principe : affirmer, puis localiser la grossesse.

Seuls quelques diagnostics très précoces avec visualisation d’un sac extra-utérin par échographie endovaginale permettent d’éviter une cœlioscopie et d’envisager un traitement médical.

* Affirmer la grossesse : par le dosage des bêta-hCG plasmatiques.

* Localiser la grossesse : grâce à l’échographie par voie endovaginale qui permet de visualiser un sac intra-utérin lorsque le taux est égal ou supérieur à 1.000mU/ml.

– Si l’échographie montre un sac intra-utérin, le diagnostic de GEU est éliminé (mais attention aux images de pseudo-sac).

– S’il existe un sac gestationnel extra-utérin ou un épanchement liquidien intrapéritonéal, le diagnostic de GEU est évident.

– Dans toutes les autres circonstances, le clinicien va hésiter entre trois éventualités : GEU, avortement spontané ou GIU de moins de 5 semaines et demi d’aménorrhée.

Il est très difficile de schématiser une démarche qui est en grande partie subjective. Néanmoins, quelques grands principes peuvent être retenus :

* si l’impression globale est plutôt en faveur d’une grossesse jeune (taux de bêta-hCG inférieur ou égal à 1.000mU/ml et patiente peu ou asymptomatique), la surveillance avec renouvellement du dosage, de l’examen clinique et de l’échographie 48 heures plus tard permet d’apprécier l’évolutivité de la grossesse et de voir apparaître ou non un sac ovulaire intra-utérin.

* si l’impression est plutôt en faveur d’une GIU avec avortement spontané, l’attitude du curetage avec examen extemporané du produit de curetage permet d’éviter quelques cœlioscopies inutiles (la présence de villosités trophoblastiques affirmant le diagnostic de GIU).

* dans tous les cas ou le doute persiste, la réalisation d’une cœlioscopie et préférable, le risque de cet examen étant infime par rapport au risque de méconnaître une GEU.

Traitement :

Le traitement de la GEU a beaucoup évolué au cours des dix dernières années. Ses objectifs sont :

– supprimer la GEU.

– réduire au maximum la morbidité thérapeutique.

– limiter le risque de récidive.

– préserver la fertilité.

De plus, grâce à une meilleure connaissance des facteurs de risque, une prise en charge précoce permet souvent de tenter un traitement conservateur.

TRAITEMENT CHIRURGICAL :

La cœlioscopie réalisée à visée diagnostique et thérapeutique est la technique de choix pour le traitement des GEU. Actuellement, 85% des GEU sont traitées par chirurgie cœlioscopique.

* Des contre-indications au traitement cœliochirurgical existent cependant, faisant préférer la laparotomie :

– hémopéritoine massif.

– état hémodynamique instable.

– GEU interstitielle.

– hématocèle enkystée.

* Les GEU précocement interrompues ou précocement dépistées permettent d’envisager soit une abstention, soit un traitement médical par méthotréxate.

Cœliochirurgie :

Traitement conservateur :  salpingotomie :

* Indications :

– chez les patientes jeunes désirant une grossesse ultérieure.

– quand la trompe atteinte n’est pas trop altérée.

– quand la trompe controlatérale présente un aspect fonctionnel défavorable.

* Technique : l’intervention consiste à ouvrir la trompe, à aspirer l’œuf et à faire la toilette péritonéale (césarienne tubaire).

* Résultats : les échecs thérapeutiques sont liés à la persistance de tissu trophoblastique actif après salpingotomie (taux d’échecs égal à 6, 7%). Ils sont dépistés par la surveillance postopératoire des bêta-hCG plasmatiques réalisée systématiquement à 48 heures.

Traitement non conservateur : salpingectomie :

* Indications :

– patiente de plus de 40 ans ne souhaitant plus d’enfant.

– trompe controlatérale saine.

– récidive homolatérale de GEU.

– GEU survenant sur une trompe pathologique antérieurement connue.

* Technique : exérèse de la trompe atteinte par électrocoagulation et section au ras de la trompe de la partie proximale à la partie distale.

* Résultats : cette technique évite le risque de GEU persistantes et de récidives.

Laparotomie :

La chirurgie peut, de la même façon, être conservatrice ou radicale.

* Elle ne reste légitime que dans trois indications :

– hémopéritoine avec instabilité hémodynamique.

– contre-indications à la cœliochirurgie: patientes : multiopérées, pelvis  » gelés « , antécédents de syndrome adhérentiel majeur avec une GEU non accessible au traitement médical.

– opérateur non expérimenté ou matériel cœlioscopique insuffisant.

* Elle peut également être proposée dans les localisations inhabituelles de GEU : interstitielles, abdominales ou ovariennes après échec du traitement médical.

TRAITEMENT NON CHIRURGICAL :

Abstention thérapeutique :

* L’abstention thérapeutique est proposée dans certains cas de suspiscion de GEU à taux de bêta-hCG très bas, chez des patientes asymptomatiques.

* Elle nécessite une compréhension et une adhésion parfaites de la patiente.

* Une diminution du taux des bêta-hCG doit être observée à 48 heures et ces dernières seront contrôlées jusqu’à négativation.

Traitement par  méthotrexate :

Indications :

– Patientes peu symtomatiques ou asymptomatiques.

– Etat hémodynamique stable et hématocrite stable.

– Taux d’hCG plasmatique inférieur ou égal à 5.000mU/ml.

– Pas d’hémopéritoine ou hémopéritoine de moins de 100cm3 à l’échographie.

– Hématosalpinx dont la taille ne doit pas dépasser 3 à 4cm.

– Absence d’activité cardiaque visible à l’échographie.

– Patientes ayant un antécédent de syndrome adhérentiel pelvien majeur.

– Contre-indication à l’anesthésie.

– Patiente obèse.

– GEU postfécondation in vitro.

– GEU de localisation extra-tubaire (interstitielle, angulaire, ovarienne ou cervicale).

– Certains cliniciens utilisent un score, incluant de plus le taux de progestérone plasmatique. Un score inférieur ou égal à 13 indique un traitement médical.

Contre-indications :

– Tableau clinique évoquant un saignement intrapéritonéal.

– Signes traduisant une forte activité trophoblastique (hématosalpinx de plus de 4cm, présence d’une activité cardiaque, hCG supérieure à 5.000mU/ml).

– Thrombopénie, insuffisance rénale, insuffisance hépatique, troubles de la coagulation. (Ce qui impose la réalisation d’un bilan préthérapeutique : NFS, plaquettes, bilan de coagulation, créatininémie, enzymes hépatiques.)

Modalités thérapeutiques :

– Voie intramusculaire : 1mg/kg ou 50mg/m2.

– Injection locale échoguidée (même posologie) quand la GEU est indiscutablement visualisée par échographie endovaginale

Surveillance :

Surveillance rigoureuse :

* clinique.

* paraclinique :

– dosage des bêta-hCG plasmatiques à J2, J5, J10, puis de façon hebdomadaire jusqu’à négativation. (Une ascension du taux est observée la première semaine avec un retour à la valeur initiale au 8e jour ; ensuite, une diminution du taux de 15% par semaine doit être observée).

– bilan sanguin à J6 (NFS, plaquettes, bilan hépatique, créatininémie).

Résultats :

* 65 à 70% de succès après une première injection de méthotrexate.

* Si la décroissance des bêta-hCG est insuffisante, et en l’absence de signe clinique ou échographique péjoratif, il est possible de réaliser une seconde injection de méthotrexate (succès après deuxième injection : 25%).

* Un traitement chirurgical de deuxième intention sera indiqué après échec de deux injections de méthotrexate ou devant l’apparition de signes cliniques en cours de traitement médical.

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