Goutte

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Physiopathologie :

L’accès goutteux est lié à la formation de cristaux d’urate de sodium.

L’accès se caractérise par 3 phases successives : déclenchement, amplification et résolution spontanée de l’inflammation.

La présence de cristaux intra-articulaires va déclencher une réaction inflammatoire de la synoviale avec phagocytose des cristaux d’urate par les polynucléaires et les macrophages du liquide articulaire et libération de substances inflammatoires.

A l’origine du phénomène, l’hyperuricémie joue un rôle déterminant dans la formation de microcristaux.

Des facteurs déclenchants comme une élévation transitoire de l’uricémie ou au contraire une baisse de l’uricémie sont possibles.

L’excès d’acide urique peut être lié soit à une augmentation de la production soit à un défaut d’élimination d’acide urique, soit aux deux.

Goutte

Le taux d’uricémie dépend des apports exogènes et de la capacité d’excrétion urinaire de l’acide urique.

La production d’acide urique est liée au catabolisme des acides nucléiques sous l’action de la xanthine-oxydase qui transforme les purines en acide urique.

Elle est également liée à la purinosynthèse de novo à partir de substances organiques.

Certaines purines synthétisées sont normalement réutilisées grâce à l’action de l’hypoxanthine- guanine phosphoribosyl-transférase (HGPRT).

En cas d’inactivité de cette enzyme, il existe alors un excès d’acide urique.

L’élimination de l’acide urique se fait essentiellement par voie urinaire.

L’hyperuricémie peut être soit primitive (idiopathique) soit secondaire.

L’hyperuricémie idiopathique est la plus fréquente, notamment chez les sujets pléthoriques.

Le mécanisme exact de l’hyperuricémie idiopathique n’est pas connu.

Parmi les hyperuricémies secondaires, on distingue :

  • les déficits enzymatiques : déficit enzymatique en HGPRT dont la forme complète est le syndrome de Lesch-Nyhan qui se traduit chez le nourrisson par une encéphalopathie, des mouvements anormaux et des comportements d’automutilation.

Dans sa forme incomplète (mutations ponctuelles du gène codant l’enzyme, situé sur le chromosome X), le déficit en HGPRT peut donner une goutte sévère tophacée chez les sujets jeunes de sexe masculin ;

  • l’insuffisance rénale chronique par défaut d’élimination ;
  • les hémopathies malignes par augmentation du catabolisme des acides nucléiques ;
  • les hyperuricémies médicamenteuses avec notamment le pyrazinamide, l’éthambutol, l’aspirine à faible dose, les diurétiques, la ciclosporine et les cytolytiques.

Diagnostic :

A – Accès goutteux aigu :

1- Examen clinique :

Le diagnostic clinique est le plus souvent facile avec une atteinte mono-articulaire dont la forme la plus classique est l’atteinte métatarsophalangienne du gros orteil, survenant habituellement chez un homme de la soixantaine : l’accès débute brutalement, souvent la nuit par une douleur de la base du premier orteil, très intense, permanente, augmentée par le moindre contact et toute tentative de mobilisation.

Il existe souvent une impotence fonctionnelle importante et une fébricule autour de 38 °C avec parfois des frissons.

Cliniquement, on retrouve des signes fluxionnaires nets avec une hyperesthésie cutanée et des signes inflammatoires locaux importants : la peau est tendue, luisante, rouge et il existe une augmentation de la chaleur locale.

Quel que soit le siège de l’accès on retrouve toujours ce début brutal et l’importance des signes inflammatoires locaux.

Les formes oligoarticulaires ou polyarticulaires sont plus rares.

Les articulations le plus souvent touchées après la métatarsophalangienne sont le genou, le pied, la cheville, la main et le coude. Il existe des localisations ténosynoviales (jambier postérieur), tendineuses (tendon d’Achille) ou des bourses séreuses (rétro-olécranienne et pré-rotulienne).

La hanche n’est qu’exceptionnellement atteinte.

Le genou est rarement atteint en premier. Au cours de la goutte idiopathique, le premier accès ne commence jamais au membre supérieur.

L’inflammation goutteuse est récidivante ; ainsi après le premier accès, il s’en produit pratiquement toujours d’autres.

Les principaux facteurs déclenchants d’une crise de goutte sont les traumatismes, la période postopératoire, les excès alimentaires et (ou) alcooliques, les premiers mois d’un traitement hypo-uricémiant, l’infarctus du myocarde.

La présentation clinique est suffisamment typique pour que le diagnostic soit évoqué rapidement et confirmé par un dosage de l’uricémie qui est élevée.

L’efficacité spectaculaire de la colchicine est un argument thérapeutique capital.

2- Examens complémentaires :

  • Le liquide articulaire, qui doit toujours être ponctionné, est inflammatoire (plus de 2 000 éléments par mm3) et montre la présence de cristaux d’urate de sodium le plus souvent intracellulaires embrochant les polynucléaires, ces cristaux sont tout à fait caractéristiques par leur aspect effilé en aiguille à bouts pointus.

En lumière polarisée compensée, ils possèdent une biréfringence négative.

La présence de cristaux d’urate de sodium dans le liquide articulaire est pathognomonique de l’accès goutteux.

  • Les radiographies standard lors des premiers accès goutteux sont normales et ne montrent aucune lésion ostéo-articulaire ; tout au plus peut-il exister un épaississement des parties molles péri-articulaires en regard de l’articulation symptomatique.
  • Les examens biologiques usuels montrent, outre l’hyperuricémie, un syndrome inflammatoire.

B – Diagnostics différentiels :

1- Arthrite septique :

C’est le principal diagnostic différentiel à évoquer, d’autant qu’il peut exister au cours d’un accès aigu goutteux, de la fièvre, un syndrome inflammatoire biologique, une hyperleucocytose et un liquide articulaire puriforme.

L’absence de microcristaux, l’inefficacité de la colchicine et l’éventuelle mise en évidence d’un germe permettent d’écarter le diagnostic d’accès goutteux.

La coexistence d’une arthrite septique et d’un accès goutteux est rare mais néanmoins possible.

2- Chondrocalcinose (« pseudo-goutte calcique ») :

La présentation clinique peut être assez proche d’un accès goutteux (accès aigu monoarticulaire rapidement résolutif sous colchicine) mais l’atteinte de la métatarsophalangienne du gros orteil est rare dans la chondrocalcinose, le terrain est différent (femme âgée) et l’examen microscopique du liquide articulaire trouve des cristaux de pyrophosphate de calcium (parallélépipèdes à bouts carrés) d’aspect bien différent des cristaux d’urate. Parfois goutte et chondrocalcinose peuvent être associées.

3- Rhumatisme inflammatoire (polyarthrite rhumatoïde, rhumatisme psoriasique) :

Le début est cependant moins brutal et les signes fluxionnaires moins nets le plus souvent l’uricémie est normale

C – Formes cliniques :

1- Goutte féminine :

La goutte chez la femme est exceptionnelle avant la ménopause.

Il faut penser alors à évoquer soit une goutte secondaire (notamment aux diurétiques dans un contexte de régime amaigrissant ou d’anorexie mentale), soit une néphropathie uratique familiale. Après la ménopause, le sex-ratio de la goutte primitive devient égal à 1.

Les femmes âgées sous diurétiques au long cours pour une hypertension artérielle ou une insuffisance cardiaque peuvent présenter des manifestations goutteuses induites, prédominants aux doigts des mains, sur des articulations souvent déjà touchées par l’arthrose (interphalangiennes proximales et interphalangiennes distales) ce qui rend le diagnostic de goutte parfois difficile.

2- Goutte de l’homme jeune :

  • Enzymopathies : le plus souvent il s’agit d’un déficit partiel en HGPRT (transmis par le chromosome X).

Le tableau associe des accès goutteux précoces et fréquents, des lithiases urinaires, une insuffisance rénale chronique, et une hyperuricémie.

D’autres déficits enzymatiques plus rares peuvent s’observer (hyperactivité de la phosphoribosyl-pyrophosphate synthétase, déficit en G6PD).

  • Néphropathie uratique familiale : l’hyperuricémie est secondaire à une hypoexcrétion urinaire d’acide urique.

3- Goutte polyarticulaire :

Il s’agit le plus souvent d’une goutte secondaire.

Le diagnostic différentiel peut alors se poser avec un rhumatisme inflammatoire mais l’existence d’une hyperuricémie, la présence de cristaux d’urate dans le liquide articulaire et l’efficacité nette et rapide de la colchicine confirment le diagnostic de goutte.

Évolution :

A – Goutte chronique :

La forme chronique se voit en l’absence de traitement hypo-uricémiant ou lors d’un traitement mal conduit ou mal observé.

On observe alors des tophus qui sont des dépôts cutanés d’acide urique ; ils sont indolores, recouverts de peau amincie, blancs jaunâtres, parfois ulcérés et laissant sourdre une boue blanchâtre crayeuse contenant des cristaux d’urate.

Ils siègent électivement en regard des articulations interphalangiennes proximales, métacarpophalangiennes, métatarsophalangiennes, sur le tendon d’Achille, sur les oreilles (hélix, anthélix ou dans la gouttière qui les sépare, mais jamais sur le tragus ni sur le lobule).

Les tophus ne se constituent le plus souvent qu’après plusieurs années d’évolution de la maladie goutteuse, lorsqu’elle n’est pas traitée.

Les arthropathies uratiques siègent aux mêmes articulations que l’inflammation goutteuse.

Elles ne se traduisent cliniquement que plusieurs années après le premier accès et en cas d’accès récidivants. Souvent l’arthropathie uratique apparaît en même temps que les tophus.

Radiologiquement elle se caractérise par un pincement de l’interligne, des géodes des extrémités osseuses correspondant à des dépôts uratiques intra-osseux.

B – Manifestations rénales de la goutte :

1- Lithiase urinaire :

Elle peut précéder l’atteinte articulaire ou la suivre ; elle est favorisée par l’hyperuricémie, l’acidité urinaire et la réduction de la diurèse.

Elle est responsable de coliques néphrétiques mais peut être également asymptomatique et évoluer à bas bruit.

Les calculs d’urate sont radiotransparents.

2- Néphropathie goutteuse :

Il s’agit d’une néphropathie interstitielle liée à la présence de dépôts d’urate dans la médullaire ; elle se traduit par une protéinurie, une hématurie, une leucocyturie et une acidose.

Elle est soit primitive soit familiale.

La néphropathie uratique familiale juvénile est transmise sur un mode autosomique dominant ; elle évolue rapidement vers l’insuffisance rénale terminale.

Traitement :

Il comprend le traitement de l’accès goutteux et le traitement hypo-uricémiant.

A – Traitement de l’accès aigu :

La colchicine (comprimés à 1 mg) est très efficace sur les symptômes aigus et constitue un test diagnostique.

Elle doit être prescrite dès le début de l’accès.

On propose souvent le premier jour 3 mg, les deuxième et troisième jours 2 mg et les jours suivants 1 mg par jour pour une durée minimale de 15 jours.

La réduction des doses doit être adaptée à la réponse thérapeutique. Il n’y a pas de contreindication à la colchicine en dehors d’une insuffisance rénale ou d’une insuffisance hépatique sévères.

En cas d’insuffisance rénale, il faut diminuer les doses de colchicine.

Ses principaux effets secondaires sont la diarrhée et les troubles digestifs (gastralgies).

En cas de diarrhée on pourra ajouter de l’Imodium (1 gélule après chaque selle diarrhéique sans dépasser 6 gélules par jour) ou fragmenter les doses.

La colchicine a une action anti-inflammatoire mais n’agit pas sur l’uricémie.

En cas de contre-indication ou d’intolérance digestive franche de la colchicine, on pourra remplacer la colchicine par un anti-inflammatoire non stéroïdien.

Le glaçage de l’articulation peut être associé à la colchicine à visée antalgique, ainsi que le repos.

Un régime hypocalorique pauvre en purines sera conseillé.

Les médicaments augmentant l’uricémie seront écartés.

Enfin il n’y a pas lieu de débuter lors du premier accès goutteux, un traitement hypo-uricémiant.

B – Traitement hypo-uricémiant :

Le but du traitement hypo-uricémiant est d’obtenir une uricémie basse au-dessous de 360 mmoles/L voire 300 dans la goutte tophacée, afin d’éliminer de l’organisme tout excès d’acide urique.

1- Classes thérapeutiques :

Il existe 2 types d’hypo-uricémiants :

  • ceux qui diminuent l’urico-synthèse : l’allopurinol (Zyloric, comprimés à 100, 200, 300 mg) qui inhibe la xanthine-oxydase; il peut être prescrit en cas d’insuffisance rénale ;
  • ceux qui augmentent l’élimination urinaire d’acide urique : les uricosuriques ou urico-éliminateurs (probénécide : Bénémide comprimé à 0,50 g) ; benzbromarone : Désuric comprimé à 100 mg); ils sont contre-indiqués en cas d’insuffisance rénale ou de lithiase urinaire.

2- Modalités de prescription et indications du traitement :

Le traitement hypo-uricémiant doit être débuté à distance de l’accès goutteux aigu (au minimum un mois) et sous couvert de colchicine (1 à 2 mg par jour) pendant au moins les 3 premiers mois du traitement, cela en raison du risque de déclenchement d’une crise lors de la baisse rapide de l’uricémie.

La survenue de crises goutteuses fait parfois croire au malade que le traitement hypo-uricémiant est non seulement inefficace mais de surcroît responsable des crises de goutte.

Il faut donc avertir les patients de la survenue possible de crises de goutte en début de traitement et leur expliquer le principe et l’intérêt du traitement hypouricémiant qui doit être poursuivi à vie.

La présence de tophus est une indication à un traitement hypo-uricémiant ; il faut dans ce cas maintenir la colchicine tant que les tophus sont présents.

Le principal traitement hypo-uricémiant utilisé est l’allopurinol (Zyloric) que l’on débute à la dose de 100 mg par jour et que l’on augmente progressivement jusqu’à normalisation de l’uricémie.

C’est un traitement à vie.

Il faut bien l’expliquer au patient en lui précisant que la prise intermittente d’allopurinol induisant des variations du taux d’acide urique peut être à l’origine d’accès goutteux.

L’insuffisance rénale n’est pas une contre-indication.

En cas d’hyperuricurie on pourra utiliser un urico-éliminateur, contre-indiqué en cas de lithiase urique et d’insuffisance rénale.

En cas de lithiase rénale il faut alcaliniser les urines avec de l’eau de Vichy.

Les indications du traitement hypo-uricémiant sont les accès goutteux récidivants, la présence de tophus et (ou) d’une arthropathie uratique, et (ou) d’une néphropathie goutteuse.

Il n’y a aucune indication à traiter une hyperuricémie asymptomatique, sauf si elle est constante et supérieure à 540 mmol/L (90 mg/L).

Lorsqu’il s’agit d’une goutte secondaire médicamenteuse, la suppression du médicament en cause est souhaitable quand elle est possible.

3- Régime alimentaire :

Des mesures hygiéno-diététiques seront systématiquement associées au traitement hypo-uricémiant : suppression des aliments très riches et réduction des aliments riches en purines (abats, bouillon de viande, sardines, anchois), régime hypocalorique en cas de surcharge pondérale, diminution voire suppression de l’alcool. Néanmoins le régime souvent difficilement accepté est incapable de guérir la plupart des goutteux.

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