Goutte

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Historique :

La goutte était déjà connue dans l’Antiquité.

Des médecins grecs, les Asclépias, lui donnaient le nom de podagre qui signifie « prise au piège par le pied ».

Parmi eux, Hippocrate notait sa prédilection pour l’homme et sa rareté chez l’enfant et chez la femme avant la ménopause.

Il insistait aussi sur l’influence néfaste de la suralimentation et sur le rôle de l’hérédité.

Au fil des siècles, les écoles de médecine romaines, byzantines, arabes apportèrent leur contribution à la description de la podagre.

C’est vers le IXe siècle que le mot goutte apparaît pour expliquer qu’un poison contenu dans les humeurs pénètre « goutte à goutte » dans les jointures.

En fait, le mot goutte concernait non seulement la podagre mais aussi d’autres maux puisqu’on parlait, par exemple, de goutte sciatique et même de goutte paralytique.

C’est en 1683 que Thomas Sydenham fit paraître une autodescription de l’accès goutteux restée célèbre à juste titre compte tenu de sa perfection et de sa minutie.

Un siècle plus tard, le Suédois Scheele découvrait l’acide urique dans des calculs urinaires, et l’Anglais Wollaston l’identifiait dans un tophus retiré de sa propre oreille.

Au XIXe siècle, la description clinique de la goutte s’acheva avec le livre d’Alfred Barring-Garrod The nature and treatment of gout and rheumatoid gout et en France avec les Cliniques de Trousseau et le Traité de Lecorché.

Simultanément, la morphologie des dépôts uratiques des goutteux était étudiée dans des travaux anatomiques de Charcot, Cornil et Ranvier.

En 1854, Garrod montra par un procédé ingénieux que le sang des goutteux contenait en excès une substance qui restait à analyser.

Ce procédé extrêmement simple consistait à plonger une fibre végétale dans du sérum de goutteux contenu dans une cupule de verre.

Goutte

Au bout de 24 heures, la fibre était incrustée de cristaux alors que le phénomène ne se produisait pas avec le sérum des non-goutteux.

Pour la première fois, était donc décelé ce poison qui pénétrait « goutte à goutte » dans les articulations, produisant leur inflammation et s’accumulant dans d’autres tissus pour former les tophus.

On donna à ce poison son nom chimique, l’acide urique, dont Fischer fait connaître la formule au début du XXe siècle.

À n’en plus douter, l’excès d’acide urique dans les humeurs était le constituant des tophus des goutteux.

Si, à la fin du XIXe siècle, on avait porté plus d’attention aux travaux de Freudweiler, on aurait compris, comme le soupçonnait Garrod, que l’accès goutteux était une inflammation articulaire aiguë due à la présence de cristaux d’urate de sodium.

Freudweiler avait en effet découvert que le liquide retiré d’une jointure enflammée par la goutte contenait des cristaux d’urate de sodium et que leur injection provoquait une inflammation locale.

Enfin, à partir de 1913, grâce aux travaux de Folin et Denis qui mirent au point une méthode de dosage de l’acide urique dans les liquides biologiques, on put montrer que nombre de goutteux sont hyperuricémiques.

En fait, le rôle de l’hyperuricémie dans le déclenchement de l’accès goutteux resta mis en doute en raison de la difficulté à reproduire expérimentalement l’inflammation tissulaire, après injection locale d’acide urique en solution.

C’est seulement en 1961 que Mac Carthy et Hollander redécouvrirent dans le liquide synovial de l’arthrite goutteuse des microcristaux d’urate de sodium dont l’injection intraarticulaire chez l’animal et l’homme reproduisait l’inflammation aiguë.

C’est grâce aux premières études isotopiques de Stetten et al qu’on découvrit que l’hyperuricémie est due dans la majorité des cas à une hyperproduction d’acide urique comme l’atteste l’hyperincorporation dans la molécule d’acide urique de la glycine et d’autres molécules entrant dans la constitution du noyau purinique.

Bien que depuis des siècles on ait reconnu le caractère souvent héréditaire de la goutte, la nature de la ou des perturbations du métabolisme des purines à l’origine de l’hyperuricémie reste inconnue, excepté dans le cas d’enzymopathies rares.

L’une d’entre elles a été décrite chez l’enfant par Lesch et Nyhan.

Trois ans plus tard, Seegmiller et al ont découvert que la maladie de Lesch et Nyhan était due à un déficit total ou quasi total d’activité d’une enzyme, l’hypoxanthine-guanine-phosphoribosyltransférase (HGPRT), déficit qui, lorsqu’il est partiel, peut être cause de goutte sévère de l’adulte jeune.

Depuis 1983, plusieurs mutations ponctuelles du gène de HGPRT à l’origine de l’enzymopathie ont été découvertes.

L’histoire de la goutte serait incomplète sans celle de son traitement, en particulier sans l’histoire de la colchicine.

C’est probablement Aretaeus de Cappadoce qui, au IIe siècle, découvrit le premier que l’hellébore blanc, plante voisine du colchique, avait sur l’accès goutteux une action spécifique qui l’emportait sur son effet purgatif.

De là, l’idée de l’employer dans la goutte. Le mot colchique semble avoir été créé par Dioscoride par référence à la contrée d’origine supposée de la plante, laquelle, selon cet auteur, se situait dans l’antique Colchis, district d’Asie mineure.

Les effets des colchiques contre les effets goutteux étaient bien connus des médecins byzantins.

Alexandre de Tralles fut un des premiers à le prescrire vers l’an 600.

Par la suite, le colchique cessa d’être utilisé probablement en raison de ses inconvénients digestifs et de sa réputation de poison.

S’il était tombé en disgrâce auprès des médecins, le colchique restait connu des botanistes et des herboristes du Moyen Âge.

Le colchique fut remis à l’honneur par le baron Anton von Storch, médecin de l’impératrice Marie-Thérèse.

Want, en 1814, montra que cette plante était le principe actif d’un remède secret répandu par un officier de l’armée napoléonienne : l’eau de Nicolas Husson.

La colchicine, l’alcaloïde du colchique, fut découverte au début du XIXe siècle par Pelletier et Caventou qui parvinrent à isoler du bulbe de la plante une substance blanche et pulvérulente qui était une forme dénaturée de la colchicine.

En 1884, Alfred Houdé isola la colchicine sous sa forme cristallisée à partir de semences de colchique, grâce à l’utilisation de solvants organiques tels que le chloroforme et l’éther de pétrole, jusque-là inconnus.

En 1924, Windans fit la première analyse de la colchicine et reconnut l’agencement tricyclique de la molécule.

De nos jours encore, la colchicine est extraite du colchique ou d’autres plantes voisines telles que Gloriosa superba, plante tropicale qui produit des quantités importantes de colchicine.

En fait, la colchicine, si elle a une action brillante contre l’inflammation goutteuse, ne fait pas diminuer l’uricémie et elle est donc incapable de modifier l’évolution naturelle de la goutte.

Le premier hypo-uricémiant efficace et bien toléré a été le probénécide, un uricosurique introduit dans le traitement de fond de la goutte en 1951 par Gutman et Yü.

Par la suite, d’autres uricoéliminateurs ont été découverts, en particulier la sulfinpyrazone et, le plus puissant, la benziodarone d’abord utilisée contre l’insuffisance coronarienne et dont Nivet et al remarquent, en 1965, l’effet hypo-uricémiant.

Cependant, la benziodarone fut à l’origine de quelques cas de dysthyroïdie en raison de la présence d’iode dans sa molécule.

C’est pourquoi cet uricosurique a été remplacé par la benzbromarone qui reste encore actuellement le meilleur uricosurique.

Les uricosuriques ont cependant l’inconvénient de favoriser la lithiase urique.

C’est pourquoi, en 1963, on accueillit avec grand intérêt l’allopurinol, analogue chimique de l’hypoxanthine dont l’action hypouricémiante résulte d’une diminution de l’uricoformation.

L’allopurinol a transformé le traitement et le pronostic de la goutte qui, de nos jours, peut être considérée comme à peu près vaincue.

Épidémiologie de l’hyperuricémie et de la goutte primitive :

Les méthodes de dosages enzymatiques (uricase) automatisées qui mesurent la production d’H2O2 générée par l’oxydation de l’urate sont d’une meilleure spécificité et d’une meilleure reproductibilité que les méthodes colorimétriques.

Néanmoins, en pratique courante, les méthodes colorimétriques adaptées à l’autoanalyseur d’exécution plus simple et dont la reproductibilité est facile à contrôler restent très utilisées.

Aux concentrations de sodium présent dans les liquides extracellulaires, la limite théorique de solubilité de l’urate monosodique dans le sérum à 37 °C qui est environ de 65 mg/L (390 µmol/L ; pour les conversions en µmol/L, le facteur de conversion est X 6, c’est-à-dire : 1 mg/L = 6 µmol/L) permettrait théoriquement une définition physicochimique de l’hyperuricémie.

Le fait que, dans les populations occidentales, la distribution des valeurs de l’uricémie soit approximativement normale, avec toutefois une tendance à s’étaler dans la zone des uricémies élevées, a incité certains à proposer une autre définition de l’hyperuricémie : valeur de l’uricémie supérieure à celle qu’on obtient en ajoutant deux écarts-types à la valeur moyenne.

Il se trouve que dans plusieurs études de population générale comme par exemple celle de Framingham, la limite supérieure de l’uricémie normale qui a été trouvée était proche de 70 mg/L (420 µmol/L) chez l’homme adulte.

En revanche chez les femmes de Framingham, l’uricémie moyenne était de 40,1 mg/L (± 9,4), c’est-à-dire inférieure d’environ 10 mg/L à celle de l’homme ; c’est donc autour de 60 mg/L que certains auteurs ont pu proposer de définir l’hyperuricémie chez la femme.

Pourtant, la femme n’aura la goutte que pour les mêmes valeurs de l’uricémie qui l’engendrent chez l’homme.

Il n’y a donc pas lieu de définir l’hyperuricémie différemment chez la femme et chez l’homme.

Au surplus cette définition statistique de l’hyperuricémie se heurte aux variations de distribution de l’uricémie selon les populations.

Dans l’étude de Framingham par exemple, 23 % des hommes avaient une uricémie égale ou supérieure à 60 mg/L, 5 % avaient une uricémie égale ou supérieure à 70 mg/L et 1 % égale ou supérieure à 80 mg/L.

En France, la distribution de l’uricémie n’a été étudiée que dans certains groupes professionnels.

L’uricémie était par exemple nettement plus élevée chez les gardiens de la paix parisiens.

Dans la population étudiée qui comprenait 23 923 sujets, l’uricémie moyenne était de 58,8 mg/L (± 11,9), égale ou supérieure à 60 mg/L chez 43,2 % d’entre eux, à 70 mg/L chez 17,6 %, à 80 mg/L chez 5,4 %.

Chez les cadres parisiens la distribution de l’uricémie était assez proche de celle rapportée chez les gardiens de la paix. Dans les populations masculines occidentales, la fréquence de l’hyperuricémie est donc assez élevée.

Elle l’est beaucoup moins chez la femme.

Ainsi, seulement 0,5 % des femmes de Framingham avaient une uricémie égale ou supérieure à 70 mg/L, très rare était celles dont l’uricémie atteignait ou dépassait 80 mg/L.

Enfin, dans certains groupes ethniques comme les Maoris de Nouvelle-Zélande, les valeurs moyennes de l’uricémie sont nettement plus élevées que dans les populations occidentales et la prévalence de la goutte est respectivement de 10 % chez l’homme et de 4 % chez la femme.

Au contraire, dans d’autres populations comme la population chinoise de Taïwan, l’uricémie moyenne est moins élevée et l’hyperuricémie est moins fréquente que dans les populations occidentales.

Parmi les nombreux facteurs influençant l’uricémie de l’adulte, il y a certes les facteurs ethniques mais aussi des facteurs anthropomorphiques sociaux influençant par exemple le poids corporel, la distribution des graisses, la pression artérielle, la consommation d’alcool et de médicaments et enfin la fonction rénale.

L’uricémie de l’enfant est nettement inférieure à celle de l’adulte, de l’ordre de 10 mg/L, elle s’élève vers 15 ans pour atteindre vers 20 ans les valeurs observées chez l’adulte.

Chez la plupart des hommes, l’uricémie est constituée au début de l’âge adulte ou même depuis la puberté.

Après 20 ans, l’uricémie peut être considérée comme stable.

L’étude longitudinale de Gresser et al montre que, chez l’homme, l’uricémie augmente assez peu avec l’âge passant de 48,6 mg/L en 1962 à 60 mg/L en 1971 et à 59 mg/L en 1989.

Chez les gardiens de la paix, elle passait de 57,9 mg/L entre 20 et 30 ans à 59,5 mg/L entre 50 et 60 ans. L’uricémie de la femme s’élève d’environ 5 mg/L vers 45 ans au voisinage de la ménopause et se stabilise ensuite.

L’analyse longitudinale de Gresser et al ne montre pas de variations significatives de l’uricémie chez la femme après la ménopause.

Compte tenu de ces données, il est certainement préférable que la définition de l’hyperuricémie soit dictée par le souci de fixer la frontière entre les concentrations plasmatiques d’urate de sodium qui font courir un risque réel de goutte et celles pour lesquelles un tel risque est nul ou très faible.

Plus de 90 % des goutteux ont une uricémie d’au moins 70 mg/L et la répétition des dosages annule presque complètement la proportion (moins de 10 %) de ceux chez qui l’uricémie se tient entre 60 et 70 mg/L.

En pratique clinique, il est donc admis de ne parler d’hyperuricémie que lorsque l’uricémie de l’homme ou de la femme est égale ou supérieure à 70 mg/L.

L’incidence annuelle de la goutte est estimée à 0,20 à 0,35 pour 1 000 personnes et a une prévalence globale de 2 à 3 pour 1 000 aux États-Unis et en Europe.

Par exemple, parmi les gardiens de la paix âgés de 35 à 44 ans, la prévalence de la goutte était de 11 pour 1 000 chez les hommes âgés de 35 à 39 ans et de 20 pour 1 000 chez ceux de 40 à 44 ans.

Quoi qu’il en soit, le risque de goutte augmente avec le degré de l’uricémie.

Il est faible pour les uricémies comprises entre 70 et 80 mg/L ; il est élevé pour les uricémies supérieures à 90 mg/L.

Le risque de goutte augmente aussi avec la durée de l’hyperuricémie.

Si importante que soit l’hyperuricémie, la goutte ne survient, en règle générale, que plusieurs années après son installation.

La goutte idiopathique ne commence habituellement qu’après 30 ans alors que l’hyperuricémie est présente depuis le début de l’âge adulte.

Parfois, cependant, l’hyperuricémie et les accès goutteux surviennent après quelques semaines seulement d’hyperuricémie induite par la pyrazinamide au cours des traitements antituberculeux.

Comme le risque de goutte est fonction non seulement du degré mais aussi de la durée de l’hyperuricémie, la prévalence de la goutte augmente avec l’âge moyen de la population étudiée.

Par exemple, dans la population masculine de Framingham elle était de 0,2 % à l’âge moyen de 44 ans et de 1,5 % 14 ans plus tard.

À l’âge de 58 ans, la prévalence de la goutte atteignait 16,7 % pour les uricémies de 70 à 79 mg/L, de 25 % pour les valeurs de 80-89 mg/L et de plus de 90 % pour les uricémies supérieures ou égales à 90 mg/L.

Dans une étude prospective menée à Boston pendant une période de 14,9 années, l’incidence de la goutte s’établissait à 4,90 % pour une uricémie supérieure ou égale à 90 mg/L, à 0,5 % pour une uricémie comprise entre 70 et 90 mg/L et à 0,1 % pour une uricémie inférieure à 70 mg/L.

Chez les gardiens de la paix parisiens dont l’âge moyen était de 45 ans, la prévalence de la goutte était de 4,9 % pour les uricémies comprises entre 70 et 80 mg/L, de 9,6 % pour les uricémies comprises entre 80 et 89 mg/L et de 30 % pour les uricémies égales ou supérieures à 90 mg/L.

Dans les populations où l’hyperuricémie est plus fréquente que dans les populations occidentales, la fréquence de la goutte l’est aussi, comme on pouvait s’y attendre.

Elle est de 10 % chez les Maoris de Nouvelle-Zélande dont l’uricémie moyenne est de 70,6 mg/L.

Comme l’hyperuricémie, la goutte est plus rare chez la femme que chez l’homme.

Aux États-Unis, la prévalence de la goutte féminine serait de 0,10 %, et la proportion des gouttes féminines par rapport à l’ensemble de la population des goutteux certainement très supérieure à 5 %.

Enfin, les études prospectives et rétrospectives évaluant les conséquences de l’hyperuricémie et de la goutte commune sur la fonction rénale montrent que l’hyperuricémie ne constitue pas de facteur de risque notable de détérioration de la fonction rénale.

Physiopathologie de l’hyperuricémie idiopathique et de la goutte primitive :

A – MÉTABOLISME DE L’ACIDE URIQUE :

1- Pool de l’acide urique :

On appelle pool de l’acide urique la quantité d’acide urique de l’organisme dans laquelle l’acide urique radiomarqué injecté par voie veineuse se dilue rapidement : c’est l’acide urique échangeable.

La technique de mesure du pool miscible de l’acide urique repose sur le principe suivant : après qu’on ait injecté à un sujet par voie veineuse une quantité définie d’acide urique marqué par de l’azote ou du carbone isotopique radioactif, l’acide urique marqué se mélange avec l’acide urique de l’organisme disponible pour le mélange, puis la radioactivité spécifique du plasma décroît exponentiellement en fonction du temps.

En ordonnées les points de cette courbe exponentielle s’alignent sur une droite : son extrapolation au temps zéro permet de calculer quelle aurait été la radioactivité spécifique si la dilution de l’acide urique marqué dans l’acide urique disponible pour le mélange avait été réalisée dès la fin de l’injection.

De cette radioactivité initiale théorique Ro, on déduit aisément, connaissant la quantité de radioactivité injectée Ri, la quantité d’acide urique « mélangeable », c’est-à-dire le pool miscible de l’acide urique.

En outre, la pente de la droite est proportionnelle au taux de renouvellement de l’acide urique dans le pool, c’est-à-dire à la quantité d’acide urique qui, dans un temps donné, sort du pool.

Chez le sujet normal, le pool miscible de l’acide urique varie selon les individus de 600 à 1 600 mg. Environ 65 % de l’acide urique du pool se renouvelle quotidiennement, les valeurs trouvées allant de 50 à 95 %.

C’est donc environ 650 mg d’acide urique qui pénètrent chaque jour dans le pool tandis qu’une même quantité en sort.

Chez le sujet normal, il n’entre dans le pool que l’acide urique nouvellement synthétisé par le foie et il ne sort du pool que de l’acide urique détruit ou éliminé dans les urines.

Le taux de renouvellement de l’acide urique correspond donc à la somme de l’uricolyse intestinale et de l’uricoélimination rénale.

Chez le goutteux, le pool miscible de l’acide urique est augmenté de 2 à 25 fois, et davantage dans la goutte tophacée ; il est habituellement de 1 600 à 4 000 mg mais il peut dépasser 30 000 mg et une partie des dépôts d’urate de sodium participe aux échanges comme le montre la présence d’acide urique marqué dans la partie superficielle des tophus après injection intraveineuse.

L’acide urique des tophus peut constituer d’ailleurs la grande majorité du pool miscible.

Le taux de renouvellement de l’acide urique du pool est augmenté lui aussi mais chez le goutteux, l’acide urique arrivant quotidiennement dans le pool peut provenir non seulement du métabolisme purinique mais aussi des dépôts uratiques.

L’hyperuricémie qui engendre la goutte primitive commune peut provenir d’une hyperuricoformation mais un déficit de l’uricoélimination rénale semble aussi y participer et chez certains goutteux, il semble même seul en cause.

2- Sources de l’acide urique :

* Purinosynthèse de novo :

Les sources de l’acide urique sont le catabolisme des acides nucléiques alimentaires, le catabolisme des acides nucléiques cellulaires, mais surtout la transformation directe en acide urique d’une partie des nucléotides puriniques issus de la purinosynthèse de novo.

Un nucléotide purinique est constitué d’une purine libre : adénine, guanine, xanthine, hypoxanthine, d’une molécule de ribose et d’une molécule de phosphate.

Les nucléotides puriniques naturels sont l’acide adénylique (AMP), l’acide guanylique (GMP), l’acide xanthylique (XMP) et l’acide inosinique (IMP) dont la purine est l’hypoxanthine.

Les acides nucléiques sont formés de nucléotides puriniques et de nucléotides pyrimidiques.

La purinosynthèse de novo, c’est-à-dire la synthèse des composés puriniques à partir de divers molécules non puriniques, s’effectue surtout dans le cytoplasme des cellules du foie.

Elle comprend plusieurs étapes.

La synthèse du phosphoribosylpyrophosphate s’effectue par fixation d’un groupe pyrophosphate détaché de l’adénosine triphosphate (ATP) sur le ribose-5-phosphate et est catabolysée par la phosphoribosylpyrophosphate- synthétase (PRS) dont on connaît au moins trois isoformes.

Trois acides désoxyribonucléiques (ADN) complémentaires numérotés 1, 2 et 3 ont été clonés et séquencés codant pour des polypeptides de longueur identique et de très grande homologie de structure.

Chaque isoforme de PRS est codé par un gène PRS séparé.

Les gènes PRS1 et PRS2 sont situés sur deux régions différentes du chromosome X (Xq22-24 et Xp22,2-22,3) et sont très largement exprimés.

Le gène PRS-3 situé sur le chromosome 7 ne semble transcrit que dans le testicule.

La mieux connue est la PRS1-érythrocytaire.

La sous-unité de l’enzyme érythrocytaire a un poids moléculaire de 34,5 kDa et peut subir une agrégation contenant 2, 4, 8, 16 et 32 sous-unités identiques, l’activité enzymatique provenant seulement des deux multimères les plus grands.

La PRS nécessite impérativement un phosphate organique comme activateur allostérique, la présence de magnésium facilite encore l’agrégation des sous-unités.

L’autre substrat, le ribose-5-phosphate ne modifie pas l’agrégation enzymatique.

Des variants humains possédant une hyperactivité ont été décrits chez des malades goutteux.

La première réaction irréversible de la purinosynthèse de novo consiste en la formation de phosphoribosylamine à partir du phosphoribosylpyrophosphate et de la glutamine.

Elle est catalysée par une amidotransférase spécifique.

L’amidotransférase humaine a deux conformations : les monomères actifs de 133 kDa sont convertis de façon réversible en dimères inactifs de 272 kDa. Les monomères et les dimères sont en équilibre en l’absence de ribose-phosphate et de nucléotide.

L’interconversion s’effectue sous l’effet du substrat qui dissocie l’enzyme en ses deux sous-unités actives.

Le rendement de la réaction est réglé principalement par le taux intracellulaire des nucléotides puriniques : la réaction est stimulée par l’abaissement de ce taux et inhibée par son augmentation, l’amidotransférase possédant deux sites allostériques de fixation des nucléotides inhibiteurs, différents du site du substrat.

L’effet inhibiteur des nucléotides est bloqué par l’augmentation de la concentration du phosphoribosylpyrophosphate.

Une fois constitué la phosphoribosylamine, l’organisme dispose en abondance de substances qui permettent l’édification de l’acide inosinique selon un processus complexe faisant intervenir différentes molécules au cours de 11 réactions.

Il s’agit de la glycine, de groupes formyls de la glutamine, de l’acide aspartique et du CO2.

C4, C5 et N7 proviennent de la glycine ; N3 et N9 proviennent de l’amide de la glutamine ; N1 provient de l’acide aspartique ; C2 et C8 proviennent de groupes formyls ; C6 vient du CO2. Notons que l’azasérine empêche la transformation du formylglycinamide ribotide (FGAR) en formylglycinamidine ribotide (FGAM).

L’activité de la purinosynthèse de novo peut être évaluée par mesure de la quantité de carbone ou d’azote isotopiques incorporés dans l’acide urique urinaire après administration de glycine-N15 ou 1-C14 ou d’un autre précurseur de purines marqués par le carbone ou l’azote isotopique.

Après administration de glycine-N15 à un sujet normal, la courbe d’incorporation atteint son maximum vers le quatrième jour puis elle diminue lentement.

Un pic précoce au deuxième jour de la courbe d’incorporation augmentée au bout de 10 jours signale une hyperpurinosynthèse de novo.

L’acide inosinique issu de la purinosynthèse de novo se transforme rapidement en acide adénylique et en acide guanylique qui sont les nucléotides puriniques de l’acide ribonucléique (ARN) et de l’ADN.

Quand ils sont formés en excès, ces nucléotides sont en partie catabolisés sans être entrés dans la constitution des acides nucléiques cellulaires, c’est pourquoi cette voie « courte » est dite « voie de sauvetage » de la purinosynthèse de novo.

La dégradation de l’acide inosinique aboutit à l’hypoxanthine, celle de l’acide xanthylique à la xanthine et celle de l’acide guanylique à la guanine. Une désaminase (la guanase) transforme la guanine en xanthine.

La transformation oxydative de l’hypoxanthine en xanthine et de la xanthine en acide urique est catalisée par une enzyme abondante dans le foie et la muqueuse intestinale : la xanthine-oxydase. Des traces d’activité enzymatiques sont détectables dans d’autres tissus mais aucune dans les leucocytes, dans les globules rouges, dans les fibroblastes en culture.

La protéine est détectable par des méthodes immunohistochimiques dans les cellules endothéliales où la xanthine-oxydase jouerait un rôle dans la défense antimicrobienne.

La xanthine-oxydase est une métalloflavoprotéine qui possède des atomes de fer et de molybdène et qui est capable d’oxyder de nombreuses variétés de purines et de pyrimidines.

C’est la forme oxydée de la xanthine-oxydase obtenue après oxydation des groupes thiols de la protéine qui est responsable de la formation de l’acide urique.

Il faut signaler que cette conversion s’accompagne de la production de radicaux libres, importants médiateurs de l’inflammation.

Chez les mammifères autres que l’homme et les singes supérieurs, une enzyme, l’uricase, transforme l’acide urique en allantoïne.

L’homme et les singes supérieurs sont dépourvus d’uricase et, chez eux, l’acide urique est le terme de la « voie de sauvetage » de la purinosynthèse.

Les concentrations sanguines d’hypoxanthine et de xanthine sont très faibles : environ 1 mg/L de xanthine et 2 mg/L d’hypoxanthine, de même que leur débit urinaire quotidien : environ 6 mg de xanthine et 10 mg d’hypoxanthine.

L’hypoxanthine et la xanthine sont en très grande partie récupérées pour la synthèse des nucléotides puriniques correspondants grâce à leur union avec le phosphoribosylpyrophosphate, la réaction étant catabolisée par une enzyme : l’HGPRT.

L’adénine dérivée de l’acide adénylique n’est pas transformée en acide urique.

Une petite partie est éliminée dans l’urine.

La presque totalité de l’adénine est réutilisée pour la synthèse de l’acide adénylique par union avec le phosphoribosylpyrophosphate grâce à une autre enzyme, l’adénine-phosphoribosyltransférase.

L’organisme possède aussi des enzymes capables de reconstituer les nucléotides puriniques à partir des purines libres mais il semble que ces réactions soient normalement très lentes.

Le phosphoribosylpyrophosphate est utilisé non seulement dans la première réaction de la purinosynthèse de novo (réaction de formation de la phosphoribosylamine) mais aussi dans la synthèse des nucléotides puriniques à partir des purines libres.

Les globules rouges jouent un rôle important dans le métabolisme des purines.

Les purines qui entrent dans le globule rouge sont rapidement transformées en nucléotides par union avec du phosphoribosylpyrophosphate grâce à la présence dans l’hématie d’HGPRT et d’adénine-phosphoribosyltransférase.

C’est dans des lysats de globules rouges que ces enzymes sont habituellement dosées. Les globules rouges sont dépourvus de xanthine-oxydase.

On peut aussi doser le phosphoribosylpyrophosphate et l’HGPRT dans les fibroblastes de la peau dont le cytoplasme contient aussi les enzymes nécessaires à la purinosynthèse de novo.

Après addition au milieu de culture d’azasérine, qui bloque la purinosynthèse de novo au stade FGAR, la quantité produite de FGAR reflète l’activité de la purinosynthèse de novo.

3- Uricolyse :

Les sorties d’acide urique du pool se font par uricolyse et uricoélimination rénale.

Une certaine quantité d’acide urique est détruite dans l’organisme humain bien qu’il soit dépourvu d’uricase.

Après injection intraveineuse d’acide urique-N15 on ne trouve dans l’acide urique urinaire qu’environ 75 % de l’isotope.

Le reste de l’acide urique injecté est catabolisé et l’azote isotopique dont il était porteur est incorporé dans l’urée et l’ammonium urinaires et dans l’azote fécal.

D’autre part, en régime apurinique, le taux de renouvellement de l’acide urique dépasse l’uricurie des 24 heures d’environ 200 mg qui sont donc détruits ou éliminés par voie extrarénale.

L’uricolyse est presque entièrement intestinale ; elle porte surtout sur l’acide urique entrant dans l’intestin avec les sécrétions digestives.

Elle est le fait des sécrétions intestinales qui sont pourvues d’uricase, et dont le rôle est prouvé par la réduction considérable de l’uricolyse intestinale à la suite de l’ingestion d’antibiotiques.

Il y a probablement aussi une uricolyse cellulaire mais de faible importance.

Les leucocytes contiennent en particulier une peroxydase capable de dégrader l’acide urique et de dissoudre les cristaux d’urate de sodium.

4- Uricoélimination rénale :

Tandis que dans le sang l’acide urique est à l’état de mono-urate de sodium, dans l’urine une importante proportion de l’acide urique est à l’état libre.

Cette proportion dépend du pH urinaire : à pH 5,8 la moitié de l’acide urique est à l’état libre, à pH 7,4 il est presque entièrement à l’état d’urate de sodium.

L’acide urique libre est 17 fois moins soluble dans l’eau que l’urate de sodium.

C’est pourquoi l’acidité urinaire qui augmente la proportion d’acide urique libre est un facteur de lithiase urique.

Il est à noter que l’acide urique est deux à trois fois plus soluble dans l’urine que dans l’eau en raison de la présence de certaines substances telles que l’urée ou les mucoprotéines urinaires.

Chez le sujet normal, la clairance de l’acide urique est en moyenne de 8 mL/min mais elle varie notablement selon les sujets.

En régime apurinique, l’uricurie varie selon les sujets de 250 à 600 mg/j.

On admet qu’en régime apurinique la limite supérieure de l’uricurie normale est de 600 mg/j.

Chez l’adulte normal, le rapport uricurie/créatininurie est en moyenne de 0,3 et il est toujours inférieur à 0,50.

L’uricurie augmente avec l’uricémie d’abord lentement puis rapidement et linéairement à partir de 90 à 100 mg/L.

À partir de ces mêmes valeurs de l’uricémie, la clairance de l’acide urique augmente rapidement.

L’uricurie et la clairance de l’acide urique augmentent aussi avec le débit urinaire.

La physiologie de l’excrétion rénale de l’acide urique est complexe et comprend plusieurs mécanismes.

Le fait que la fixation glomérulaire de l’acide urique soit quasi complète et que le rapport clairance de l’acide urique sur clairance de la créatinine soit de l’ordre de 7 à 10%implique une réabsorption tubulaire de 90 à 93 % de l’acide urique filtré.

Cependant dès 1950, l’hypothèse d’une uricosécrétion tubulaire était soulevée par Pretorius et Kirk qui découvrirent que la clairance de l’acide urique d’un sujet était supérieure à la filtration glomérulaire.

De surcroît, Gutman et al montrèrent que la clairance de l’acide urique pouvait expérimentalement être supérieure à la filtration glomérulaire lorsque des sujets recevaient de fortes doses de probénécide et une perfusion d’acide urique et de mannitol.

Enfin une autre preuve de l’uricosécrétion tubulaire est fournie par le fait que le chien dalmatien (qui comme l’homme est dépourvu d’uricase) a une clairance de l’acide urique beaucoup plus élevée que les autres chiens.

Le caractère bidirectionnel des transferts tubulaires actifs de l’acide urique (réabsorption et sécrétion) permettrait de comprendre les effets opposés selon les doses de diverses médications (acide acétylsalicylique, phénylbutazone) sur l’uricurie : elles la diminueraient à faibles doses parce que ces substances entraveraient alors exclusivement ou surtout l’uricosécrétion tubulaire, elles l’augmenteraient à fortes doses parce que leurs effets inhibiteurs sur l’uricoréabsorption l’emporteraient sur leur action inhibitrice sur l’uricosécrétion.

En résumé, il y a probablement filtration glomérulaire, complète ou presque complète de l’acide urique, réabsorption tubulaire proximale, sécrétion tubulaire probablement proximale mais siégeant peut-être aussi plus en aval dans le tubule.

L’importance respective de ces transferts tubulaires reste néanmoins impossible à préciser.

B – DE L’HYPERURICÉMIE À LA GOUTTE :

Dans plus de 90 % des cas, l’hyperuricémie est dite idiopathique, c’est-à-dire qu’elle résulte soit d’une hyperproduction d’acide urique sans perturbation identifiée du métabolisme des purines (en particulier sans perturbation enzymatique de la purinosynthèse de novo), soit d’une diminution de l’excrétion rénale de l’acide urique, soit des deux mécanismes à la fois.

L’hyperuricémie idiopathique est d’abord asymptomatique, et elle le reste le plus souvent indéfiniment.

Dans 20 à 30 % des cas elle finit par entraîner la goutte d’autant plus souvent et d’autant plus tôt qu’elle est plus élevée.

On parle alors de goutte primitive ou goutte commune.

Goutte commune :

* Goutte commune et perturbation du métabolisme de l’acide urique :

Environ 20 % des patients atteints de goutte commune ont une uricurie qui dépasse 600 mg/j en régime apurinique.

L’hyperuricémie de ces goutteux dits hyperexcréteurs résulte donc, au moins en partie, d’une hyperuricoformation.

La courbe d’incorporation dans l’acide urique urinaire de l’azote ou du carbone isotopiques marquant un corps purinoprécurseur fait la preuve de la responsabilité d’une hyperpurinosynthèse de novo chez les goutteux hyperexcréteurs.

Non seulement l’incorporation est supérieure à la normale mais la courbe a un pic très précoce qui signale la transformation directe en acide urique d’une partie excessive des nucléotides puriniques issus de la purinosynthèse de novo.

La pathogénie de cette hyperpurinosynthèse est obscure.

Soixante-dix à 80 % des sujets atteints de goutte commune sont normoexcréteurs : l’uricurie est normale en régime apurinique.

Cela signifie qu’une réduction de l’uricoélimination rénale concourt à leur hyperuricémie.

Même quand leur filtration glomérulaire mesurée par la clairance de la créatinine est normale, les goutteux ont une clairance de l’acide urique en moyenne inférieure à celle des témoins.

De surcroît, la clairance de l’acide urique des goutteux est nettement inférieure à celle des témoins dont l’uricémie a été portée expérimentalement (par ingestion d’acide ribonucléique) à la même valeur que celle des goutteux, ou encore inférieure à la clairance de l’acide urique de malades dont l’hyperuricémie provient d’une hémopathie.

En réalité, les frontières entre ces trois variétés physiopathologiques de la goutte sont imprécises, et leurs fréquences respectives sont mal fixées.

* Goutte commune et facteurs génétiques :

Le caractère héréditaire et familial de la goutte est reconnu depuis l’Antiquité.

Au moins 30 % des goutteux se connaissent au moins un parent goutteux, leur père ou un de leurs frères le plus souvent.

L’hyperuricémie asymptomatique est nettement plus fréquente chez les membres de la famille d’un goutteux que dans la population générale.

Le fait que dans la plupart des populations étudiées la distribution des valeurs de l’uricémie soit approximativement gaussienne avec une tendance à s’étaler dans les zones d’uricémie élevée est en faveur d’une hérédité plurigénique.

* Goutte commune et alimentation :

Le rôle de l’alimentation dans l’hyperuricémie est certain, quoique limité.

Les goutteux sont plus souvent obèses que les témoins.

Il y a une corrélation positive significative entre l’uricémie et le poids corporel, ou divers index pondéraux, y compris chez les sujets âgés.

Un régime de restriction purinoprotidique, lipidique et calorique entraîne une diminution de l’uricémie qui rend compte de la relative rareté de la goutte dans les pays sous-développés et de sa raréfaction pendant les périodes de guerre.

Il semble que sous régime antigoutteux, l’abaissement de l’uricémie, variable selon les sujets, soit en moyenne de 10 mg/L.

Une diminution de cet ordre de grandeur suffit pour corriger l’hyperuricémie, si elle n’atteint pas 80 mg/L, mais ce régime est insuffisant pour ramener à moins de 70 mg/L l’uricémie de la plupart des goutteux.

Inversement une élévation de l’uricémie d’environ 10 mg/L par régime hypercalorique suffit à rendre hyperuricémique, et donc expose à la goutte, les nombreux hommes dont l’uricémie est comprise entre 60 et 70 mg/L.

Les mécanismes par lesquels les habitudes alimentaires entraînent une élévation de l’uricémie sont complexes et mal connus.

Depuis l’Antiquité, la goutte est réputée favorisée par l’alcoolisme.

Une hyperuricémie quelquefois considérable dépassant 100 mg/L peut accompagner l’éthylisme aigu, et durer plusieurs jours, elle est due à une réduction de l’uricoélimination rénale probablement par hyperlactacidémie.

En revanche l’influence de l’alcoolisme chronique sur l’uricémie est plus incertaine.

* Goutte commune et maladies associées :

Les sujets atteints de goutte commune sont plus souvent atteints d’hypertension artérielle que les témoins.

Cela tient vraisemblablement au fait que différents facteurs, notamment le poids corporel, influencent la pression artérielle.

Les associations entre hyperuricémie et obésité et la corrélation significative entre uricémie et triglycéridémie persistant même à poids corporel constant, sont bien établies.

L’hyperuricémie des hypertendus et des hypertriglycéridémiques pourrait peut-être faire partie du syndrome « X » ou syndrome de Reaven.

Ce syndrome génétiquement déterminé associe une hypertension artérielle, une résistance à l’insuline avec une résistance à la captation du glucose et hyperinsulinémie, une dyslipidémie définie par une hypertriglycéridémie, et un taux plasmatique élevé du high density lipoprotein (HDL) cholestérol.

Dans ce syndrome, il y a une corrélation significative entre l’uricémie et le degré d’insulinorésistance.

De surcroît, ce syndrome X est associé à l’insuffisance coronarienne.

Goutte primitive : description clinique

A – ACCÈS GOUTTEUX :

1- Circonstances déclenchantes :

L’accès de goutte survient le plus souvent sans cause apparente.

Toutefois certains facteurs déclenchants sont parfois allégués : excès alimentaires ou alcooliques, traumatismes portant sur la jointure, parfois aussi traumatismes à distance, microtraumatismes répétés comme ceux qui résultent d’une marche prolongée, efforts musculaires intensifs, expositions au froid ou à l’humidité, infections aiguës traitées ou non par les antibiotiques.

Les médicaments hyperuricémiants, notamment les diurétiques, peuvent déclencher une crise de goutte.

À l’opposé, les accès goutteux survenant au début d’un traitement hypo-uricémiant sont une des principales causes d’interruption de ce traitement lorsque les malades ne sont pas prévenus.

Un accès goutteux peut survenir quelques jours après une intervention chirurgicale ou après un infarctus du myocarde.

La responsabilité de ces facteurs ne paraît guère douteuse même si leur mécanisme d’action est mal connu.

En fait, l’effet de certains d’entre eux, en particulier des diurétiques, s’explique par l’élévation plus ou moins importante de l’uricémie qu’ils produisent.

À l’opposé, la baisse de l’uricémie induite par un traitement hypouricémiant favorise probablement la mobilisation et la dispersion dans la cavité articulaire de dépôts uratiques intracartilagineux.

2- Accès de goutte du gros orteil :

La crise de goutte survient le plus souvent sans symptôme avantcoureur mais, quelquefois, divers prodromes, d’ailleurs souvent les mêmes pour un même malade, annoncent la crise de goutte.

Il peut s’agir de manifestations extra-articulaires : irritabilité, insomnies, céphalées, troubles digestifs divers survenant 1 à 3 jours avant l’accès proprement dit.

Beaucoup plus souvent, il existe une gêne discrète au siège de l’articulation qui va être frappée 24 à 48 heures plus tard.

On pourrait d’ailleurs considérer cette gêne initiale comme le début de la crise.

Elle a l’intérêt de prévenir la survenue de la crise proprement dite par la prise de 1 à 2 mg/j de colchicine pendant quelques jours.

Il arrive enfin que ces manifestations considérées comme prodromiques ne soient pas suivies d’accès goutteux.

L’accès de goutte du gros orteil est particulièrement caractéristique, très souvent inaugural.

Il débute brusquement et en quelques heures l’inflammation devient maximale.

La douleur est atroce faisant redouter le moindre contact et marquée par des recrudescences nocturnes qui entraînent l’insomnie.

Souvent, le malade est incapable de marcher et confiné au lit.

Le gros orteil tout entier est le siège d’un gonflement volumineux qui diffuse souvent au dos du pied.

La peau est rouge, lisse, luisante, les veines du pied et de la jambe sont souvent dilatées.

La moindre tentative de mobilisation du gros orteil est atrocement douloureuse.

Ces signes inflammatoires locaux peuvent s’accompagner de fièvre, d’hyperleucocytose avec polynucléose neutrophile.

La crise dure généralement 5 à 10 jours.

Ensuite, les signes locaux d’inflammation s’atténuent puis disparaissent.

Souvent, à la fin de la crise, la peau qui recouvre le gros orteil desquame et retrouve ensuite un aspect normal. Cette description correspond en tout point à l’autodescription historique donnée par Sydenham en 1683.

Pour illustrer l’intensité de la douleur, Sydenham utilisa des comparaisons « une déchirure des fibres, la morsure d’un chien qui rongerait les os. »

Il continuait ainsi : « la partie affectée est d’une telle sensibilité qu’elle ne peut supporter le poids des draps qui la recouvrent ni souffrir que des pas trop lourds ébranlent la chambre.

Ce supplice dure toute la nuit et s’y ajoute un besoin inquiet de tourner de-ci de-là la partie malade et d’un changement presque perpétuel de position.

Et au bout de quelques jours, tout se calme au chant du coq. »

3- Caractères généraux de l’accès goutteux :

L’accès goutteux du gros orteil est évidemment le plus typique.

Les autres accès goutteux typiques ont en commun un certain nombre de caractères.

Le premier est la brusquerie d’installation de l’inflammation goutteuse : c’est en quelques heures seulement qu’elle atteint son maximum.

Cette brusquerie d’installation est un caractère important pour la distinguer des autres arthrites, car même les arthrites septiques pyogènes commencent rarement aussi brutalement.

L’inflammation articulaire atteignant une intensité maximale en moins de 24 heures était d’ailleurs l’un des critères diagnostiques retenus par l’American College of Rheumatology.

Dans 60 % des cas environ le début de la crise est nocturne, ce qui correspond à la plupart des descriptions cliniques classiques.

Néanmoins, dans 40 % des cas, les accès commencent dans la journée.

Tous les signes cardinaux de l’inflammation locale sont au maximum dans la crise de goutte : la douleur est atroce, le gonflement est souvent volumineux et diffuse au-delà de l’articulation intéressée.

Dans quelques cas, on observe une extravasation sanguine sous-cutanée : à la rougeur s’associe un purpura, voire de petites ecchymoses.

L’intensité de la douleur reste probablement le plus remarquable de ces caractères d’inflammation goutteuse aiguë.

La douleur souvent intolérable justifie de nombreuses comparaisons effrayantes « ceux qui l’ont endurée la comparent à une sensation d’un clou qu’on enfonce dans la jointure, au déchirement des chairs par de puissantes tenailles, à la morsure d’un chien dont les dents leur broieraient les os, à une vigoureuse pression exercée à l’aide d’un étau » (Cliniques de Trousseau).

La crise de goutte s’accompagne assez souvent de fièvre.

La fièvre, qui peut être précédée de frissons, est le plus souvent modérée mais elle dépasse parfois 39 °C, elle est relativement proportionnelle à l’importance de l’inflammation articulaire, et l’accès de goutte peut être pris pour une arthrite aiguë infectieuse.

Souvent, la vitesse de sédimentation globulaire est augmentée de l’ordre de 20 à 60 mm à la première heure, elle peut dépasser 60 et même 100 mm dans les crises particulièrement intenses.

Au genou, l’inflammation goutteuse crée un épanchement articulaire assez abondant pour qu’il puisse être ponctionné facilement.

Le liquide est souvent opalin, parfois franchement trouble comme dans une arthrite à pyogènes.

Il contient généralement 5 000 à 20 000 cellules par mm3, quelquefois plus de 30 000 et même plus de 50 000.

Dans quelques cas, le liquide synovial contenait plus de 100 000 cellules par mm3 comme dans l’arthrite septique.

L’examen au microscope ordinaire du liquide synovial à l’état frais permet d’observer presque toujours des microcristaux d’urate de sodium dont les uns sont libres et les autres inclus dans les leucocytes et tout particulièrement les polynucléaires où les cristaux subissent une destruction.

Ce sont des cristaux en aiguilles aux bouts pointus ou émoussés.

Souvent, ils sont longs et ils peuvent alors embrocher le polynucléaire de part en part.

Examinés en lumière polarisée, ils possèdent une forte biréfringence négative.

Avec un compensateur rouge, les cristaux sont jaunes quand ils sont parallèles à l’axe du compensateur, et bleus quand ils sont perpendiculaires à cet axe.

La présence de microcristaux d’urate de sodium dans le liquide articulaire est pathognomonique de l’inflammation goutteuse.

Au genou, la ponction du liquide articulaire est facile, elle l’est moins aux autres jointures qu’il faut tout de même s’efforcer de ponctionner quand le diagnostic de goutte est incertain.

Il est exceptionnel que les cristaux d’urate de sodium ne soient pas décelés lorsque leur recherche est soigneuse.

Dans de rares cas, ils ne sont pas décelés en raison de leur siège para-articulaire (dans une bourse séreuse, par exemple), ou en raison de leur très petite taille.

Lorsqu’elle n’est pas traitée, la crise de goutte finit par guérir spontanément.

Les premières crises ont une durée le plus souvent de 5 à 10 jours et en tout cas presque toujours de moins de 2 semaines.

La crise de goutte ne laisse pas de séquelle.

Une dernière particularité est la sensibilité de l’arthrite goutteuse à la colchicine qui constitue un bon argument diagnostique en faveur de la goutte.

Après le premier accès il s’en produit presque toujours d’autres.

Au début, ils sont séparés habituellement par de longs intervalles, 6 mois, 1 an, 2 ans.

On cite même des sujets qui n’ont eu qu’une crise de goutte en 20 ans sans prédilection saisonnière notable. Au fil du temps, les accès goutteux tendent à devenir plus fréquents.

La goutte était certainement la cause la plus commune des arthrites aiguës récidivantes.

4- Accès goutteux atypiques :

La crise de goutte n’a pas toujours les caractères qui viennent d’être décrits.

Il est classique de décrire des accès pseudophlegmoneux.

Ce qualificatif peut s’appliquer à tous les accès suraigus intéressant une jointure superficielle, en particulier la métatarsophalangienne du gros orteil.

À l’opposé, les crises de goutte atténuées sont relativement fréquentes.

Elles peuvent être spontanément de faible intensité ou être dues à un traitement insuffisant.

La douleur devient alors supportable, le gonflement est modéré.

Après plusieurs années d’évolution, certains accès goutteux non traités ou insuffisamment traités, au lieu de guérir comme cela est classique en 5 à 10 jours, peuvent persister plusieurs semaines, et même toucher plusieurs articulations.

Ces accès polyarticulaires se prolongent parfois 2 mois, 3 mois, et même plus.

Au bout de plusieurs années se constituait une raideur douloureuse permanente ou intermittente des articulations frappées par les accès.

Encore de nos jours, et dans quelques cas rares, cette raideur douloureuse permanente a pu s’installer très rapidement dès les tout premiers accès.

5- Topographie du premier accès goutteux :

Dans environ deux tiers des cas, le premier accès frappe le gros orteil d’un seul côté.

Il peut être intéressé initialement seul ou avec d’autres articulations.

Quelquefois, le premier accès atteint une autre articulation du pied ou l’articulation tibiotarsienne.

Si on prend en compte cette atteinte du pied ou de la cheville, environ 80 % des goutteux signalent que le pied ou la cheville avaient été intéressés lors du premier accès.

Dans moins de 10 % des cas, l’inflammation goutteuse frappe initialement le membre supérieur, une articulation des doigts, le poignet ou la bourse séreuse rétroolécranienne.

Dans environ 15 % des cas, le premier accès intéresse plus d’une jointure.

Le plus souvent, cette polyarthrite goutteuse concerne les pieds et les chevilles.

Enfin, il faut signaler que les localisations extrapodales du premier accès goutteux sont souvent favorisées par une détérioration de l’articulation intéressée, soit par un traumatisme, soit par des microtraumatismes articulaires.

Un exemple donné par de Sèze et Ryckewaert illustre cette donnée : un malade étudié eut sa première crise de goutte au poignet droit un peu après avoir passé des heures à tailler ses arbres fruitiers.

6- Autres accès :

L’inflammation goutteuse marque souvent avec le temps une tendance à s’étendre aux genoux, aux articulations des doigts, aux poignets, aux coudes.

L’extension aux membres supérieurs, peu fréquente au cours des 10 premières années, était très fréquente chez les sujets dont la première crise de goutte remontait à plus de 20 ans.

Les signes classiques d’inflammation goutteuse diffèrent quelque peu selon la topographie des accès.

À intensité inflammatoire égale, la douleur est plus intense aux articulations serrées, le gonflement est beaucoup plus apparent aux articulations superficielles.

Les articulations des autres orteils : métatarsophalangiennes (la cinquième surtout) ou interphalangiennes peuvent être frappées soit en même temps que le gros orteil, soit isolément.

L’atteinte des articulations médiotarsiennes et tarsométatarsiennes qui est fréquente se signale par un gonflement du dos du pied volumineux, chaud et rouge.

La goutte aiguë est aussi une des causes de tendinite, de tendinobursite achilléenne, de talalgie plantaire.

Dans les crises atteignant la tibiotarsienne, l’inflammation peut s’étendre aux gaines tendineuses, rétromalléolaires ou antérieures.

Au genou, l’inflammation goutteuse est le plus souvent typique. Néanmoins, une fois l’inflammation disparue il n’est pas rare que le genou reste douloureux pendant plusieurs semaines et même pendant plus de 1 mois, surtout quand les crises l’ont frappé plusieurs fois.

L’inflammation goutteuse du genou peut s’étendre à la bourse séreuse prérotulienne, à celle de la patte-d’oie, aux tendons périarticulaires et il arrive que seules ces structures juxta-articulaires soient la première localisation de l’inflammation goutteuse.

L’accès de goutte est rare à la hanche.

En règle générale, l’atteinte de la hanche ne s’observait qu’à une période avancée de l’évolution au cours d’une polyarthrite goutteuse.

L’accès provoque généralement une douleur très vive et un blocage de l’articulation.

Les articulations des doigts étaient assez souvent atteintes dans les gouttes anciennes.

Toutes les articulations pouvaient être intéressées mais l’accès était habituellement monoarticulaire.

On peut aussi observer de nos jours de façon non exceptionnelle une inflammation goutteuse aiguë de la pulpe du doigt (classique panaris goutteux de Sézary).

Un accès de goutte du poignet s’observe encore dans les gouttes anciennes non traitées.

Le gonflement dorsal du poignet peut être important et surtout l’inflammation des gaines synoviales tendineuses est classique.

Dans quelques cas, la ténosynovite paraît isolée.

Au coude, l’articulation elle-même peut être atteinte mais c’est surtout la bourse séreuse rétro-olécranienne qui est intéressée.

L’inflammation goutteuse aiguë de l’épaule est très rare, peut-être encore plus rare que celle de la hanche.

De surcroît, il est important de noter que chez bon nombre de malades ayant eu une épaule douloureuse, il s’agissait en réalité d’une épaule douloureuse aiguë par tendinite calcifiante.

Si l’épaule douloureuse aiguë est réellement de nature goutteuse, elle fait partie habituellement de la polyarthrite goutteuse.

L’inflammation goutteuse peut encore frapper, exceptionnellement, la sternoclaviculaire, la temporomaxillaire, la sacro-iliaque, les articulations intervertébrales créant un lumbago goutteux ou un torticolis goutteux.

Ces localisations de la goutte aiguë sont réellement exceptionnelles et ne doivent être reconnues que si la seule colchicine les guérit très rapidement.

7- Polyarthrite aiguë goutteuse :

La goutte aiguë peut être polyarticulaire d’emblée.

Elle semble plus fréquente chez la femme que chez l’homme.

Par la suite, les crises deviennent polyarticulaires chez la moitié des goutteux environ.

La polyarthrite goutteuse intéresse rarement plus de quatre articulations.

Les articulations des membres inférieurs sont plus souvent atteintes mais celles des membres supérieurs ne sont pas épargnées notamment le poignet et les articulations des doigts.

Dans la polyarthrite aiguë goutteuse, les articulations sont parfois frappées simultanément mais beaucoup plus souvent ne sont pas atteintes en même temps : c’est l’addition ou encore la succession de monoarthrites qui caractérise la polyarthrite aiguë goutteuse.

La polyarthrite goutteuse de début est certainement moins brutale et moins intense que les accès monoarticulaires typiques ; en revanche, les signes généraux y sont plus fréquents.

8- Accès de goutte extra-articulaire :

La place de la goutte aiguë vasculaire, viscérale et nerveuse, très importante dans les traités d’autrefois, est en réalité extrêmement restreinte.

Les phlébites, les conjonctivites, iritis, pharyngites, laryngites, parotidites goutteuses n’ont en fait aucune spécificité.

L’argument qui était retenu était la relation chronologique étroite de l’une ou l’autre de ces manifestations avec un accès articulaire, qu’elle l’accompagne, le précède ou le suive immédiatement.

Dans ce dernier cas, on parlait autrefois de « goutte remontée ».

En fait l’inflammation vasculaire ou viscérale qui peut précéder l’accès de goutte peut en réalité être le facteur déclenchant de l’accès luimême, par exemple une phlébite ou une pharyngite aiguë infectieuse.

Si les manifestations aiguës de la goutte viscérale ou vasculaire deviennent de plus en plus rares et, à plus forte raison, disparaissent sous l’action des traitements hypo-uricémiants, il est raisonnable de les considérer comme en rapport avec l’hyperuricémie.

Malheureusement, cela n’a été observé qu’exceptionnellement.

Enfin, le fait qu’à l’autopsie de goutteux on n’ait trouvé qu’exceptionnellement des dépôts uratiques dans d’autres tissus que dans les articulations donne à penser que la goutte aiguë viscérale vasculaire ou nerveuse reste beaucoup plus souvent présumée que démontrée.

Pourtant, la phlébite goutteuse reste admise par beaucoup d’auteurs.

On la décrit comme une phlébite superficielle du membre inférieur, très douloureuse, très inflammatoire, peu emboligène, parfois migratrice, récidivante.

On a même observé des goutteux dont la phlébite guérissait rapidement sous colchicothérapie.

Des dépôts uratiques ont été trouvés exceptionnellement dans le péricarde ou dans les valvules cardiaques à l’autopsie de goutteux et ici encore la péricardite aiguë goutteuse, si elle existe, devrait être confirmée par la mise en évidence de cristaux d’urate de sodium dans le liquide péricardique.

L’existence de la conjonctivite goutteuse ne semble pas pouvoir être mise en doute et d’ailleurs appuyée par quelques observations de tophus goutteux de la sclère.

Quoi qu’il en soit, la goutte aiguë oculaire reste tout à fait exceptionnelle.

Certaines parotidites aiguës récidivantes semblent dues à une lithiase uratique salivaire.

L’inflammation goutteuse peut causer exceptionnellement une laryngite aiguë guérissant rapidement sous colchicine, due peut-être à une arthrite goutteuse cricoarythénoïdienne dont la preuve fut apportée par la présence d’un dépôt d’urates dans la corde vocale droite prélevé sous laryngoscopie.

Des dépôts uratiques ont aussi été décelés exceptionnellement dans les testicules, les corps caverneux, la prostate.

On a même rapporté de très rares observations de prostatite goutteuse.

Quelques observations de sciatique goutteuse, de névralgie cervicobrachiale goutteuse, on été rapportées.

Ces radiculalgies semblent dues à la compression de la racine par un dépôt uratique ou encore à l’inflammation provoquée par un dépôt proche de la racine.

9- Physiopathologie de l’accès goutteux :

La crise de goutte est une arthrite aiguë « microcristalline ».

Plusieurs étapes doivent être décrites, depuis la formation des microcristaux d’urate monosodique (UMS) jusqu’à la résolution spontanée de l’accès inflammatoire aigu.

* Formation des cristaux d’urate monosodique :

Les microcristaux d’UMS se forment lorsqu’une solution (ou un liquide biologique) devient sursaturée en urate de sodium.

Dans le plasma et le liquide synovial, ce phénomène survient à partir d’une concentration de 70 mg/L.

Toute concentration supérieure favorise le processus de cristallisation.

La solubilité des urates varie aussi selon la température et diminue ainsi dans les structures les plus froides comme les articulations périphériques.

Des facteurs de solubilisation mal connus inhibent la cristallisation dans le plasma et pourraient aussi jouer un rôle dans les liquides articulaires sursaturés en UMS.

À l’inverse, leur diminution pourrait expliquer la survenue d’accès goutteux chez des sujets normouricémiques ou, contrairement au dogme, après quelques mois ou quelques années seulement d’hyperuricémie chronique.

Des facteurs de nucléation comme la simple albumine contribuent à la formation du noyau initial autour duquel l’urate va se cristalliser.

* Survenue des accès goutteux :

Un accès goutteux peut se déclarer quand des microcristaux d’UMS se détachent de la membrane synoviale ou du cartilage (tophus intra-articulaire) et tombent dans la cavité articulaire ou lorsqu’ils se forment dans un liquide synovial en sursaturation.

Cette libération de cristaux d’UMS peut être provoquée par un traumatisme ou une diminution rapide de l’uricémie.

À l’inverse, la précipitation de cristaux peut être due à une élévation brutale de l’acide urique plasmatique ou intra-articulaire (par réabsorption d’eau libre), par une variation thermique, de pH ou de concentrations en facteurs inhibiteurs.

* Pouvoir phlogogène des microcristaux :

La réponse inflammatoire de l’articulation aux microcristaux dépend de leur taille et de leurs caractéristiques de surface, en particulier de l’opsonisation de protéines.

Les cristaux d’urate ont une forte affinité pour les immunoglobulines (Ig) de type G (IgG) et les protéines du complément qui leur confèrent un pouvoir phlogogène.

Les IgG se lient aux cristaux d’UMS selon des forces électrostatiques : le pôle Fab de la molécule d’IgG chargé positivement se lie préférentiellement au cristal, alors que le pôle Fc est dirigé vers l’extérieur.

Toutes les cellules possédant des récepteurs pour le fragment Fc des IgG comme les polynucléaires, les monocytes et les cellules synoviales peuvent être activées.

À l’inverse, il est établi que le remplacement des IgG par d’autres protéines (low density lipoprotein [LDL], ApoB) s’observe au cours de la résolution de l’accès chez l’homme et de l’inflammation uratique expérimentale chez l’animal.

* Phase initiale : déclenchement de l’accès

L’activation cellulaire débute dans la couche bordante, se propage dans la membrane synoviale puis gagne à nouveau le liquide synovial.

L’opsonisation des cristaux facilite leur phagocytose par les cellules spécialisées de la membrane synoviale, probablement de type macrophagique, porteuses de récepteurs Fc pour les IgG.

Chez le chien, cette phagocytose des cristaux injectés en intra-articulaire est l’événement le plus précocement observé dès les 5 premières minutes.

Une fois activées, ces cellules vont sécréter des cytokines qui activent les cellules endothéliales : l’expression de molécules d’adhésion leucocytaire à leur surface va contribuer au recrutement de monocytes puis de polynucléaires neutrophiles dans la membrane synoviale avant leur passage dans le liquide articulaire.

Les mastocytes sont aussi présents quelques heures après la mise en présence des cristaux et dégranulent, libérant précocement de l’histamine, amine à activité vasodilatatrice et sans doute des cytokines pro-inflammatoires et des chémokines.

Cette activation vasculaire a pour conséquence, outre le passage de leucocytes, l’extravasation de protéines de poids moléculaire de plus en plus élevé.

Cette activation manque chez l’insuffisant rénal chronique.

* Phase d’amplification :

Des cellules, au premier rang desquelles les polynucléaires neutrophiles, vont à leur tour phagocyter des microcristaux libres et produire d’autres médiateurs (radicaux libres, enzymes, cytokines…).

Les polynucléaires en particulier vont s’autolyser sous l’effet de la rupture ou la dissolution des membranes des phagolysosomes qui déversent ainsi dans le cytoplasme leur contenu enzymatique : c’est le phénomène de « perforation dit de l’intérieur » ou du « sacsuicide ».

Les médiateurs impliqués dans l’accès goutteux sont très nombreux ; leur production sous la stimulation des microcristaux d’urate est assurée par les diverses cellules, synoviocytes, monocytes et macrophages du liquide synovial, polynucléaires neutrophiles comme cela a été vérifié in vitro sur des cultures ou des explants, ex vivo dans le liquide synovial chez l’homme et enfin dans des modèles animaux.

On considère que l’interleukine 8 (IL8) est l’une des cytokines-clés de l’accès goutteux du fait de son puissant rôle chémotactique vis-à-vis des polynucléaires ; avec d’autres chémokines comme GRO-a et ENA-78, elle correspondrait pour Terkeltaub à l’ancien crystal-chemotactic factor ou CCF.

In vivo, son inhibition au moyen d’anticorps monoclonaux (arthrite du genou chez le lapin) ou dans des modèles de souris délétées (modèle de la poche à air injectée avec des microcristaux) du gène d’un de ses récepteurs, CXC-R2, interrompt l’accès aigu articulaire.

Les polynucléaires neutrophiles ainsi recrutés constituent la population cellulaire la plus importante du liquide goutteux alors que les monocytes représentent celle du tissu synovial.

La production locale et le passage systémique d’autres cytokines (IL1, IL6 et tumor necrosis factor [TNF]-a) rendraient compte des signes généraux bien connus et trompeurs : fièvre, hyperleucocytose, élévation des marqueurs biologiques de l’inflammation (vitesse de sédimentation et C reactive protein [CRP]). Le TNF-a rend compte aussi d’une partie de l’activation endothéliale in vivo.

Fait intéressant, la cinétique de production synoviale de ces diverses cytokines a été décrite dans le modèle d’arthrite goutteuse du lapin et montre une régulation en deux temps : un premier pic de TNF-a, d’IL1-b et d’IL8 est observé dès la 2e heure suivant l’injection et trouve son origine dans les cellules synoviales, tandis qu’un deuxième pic d’IL1 et d’IL8 était respectivement mesuré à la 9e et 12e heures et trouvait sa source dans les leucocytes infiltrés dans la synovite.

* Phase de résolution spontanée :

Curieusement, malgré la présence persistante de microcristaux dans le liquide articulaire, l’infiltration cellulaire polymorphe à prédominance de monocytes-macrophages et l’intense activation cellulaire, l’inflammation aiguë goutteuse va s’interrompre « spontanément ».

Plusieurs mécanismes régulateurs ont été proposés et partiellement validés in vitro et in vivo : dissolution des microcristaux par les variations de pH, modification du revêtement protéique par des lipoprotéines ou d’autres protéines encore mal caractérisées, rôle supposé des inhibiteurs naturels de l’IL1-b présents tardivement, cytokines régulatrices comme le transforming growth factor (TGF)-b, rôle inhibiteur du monoxyde d’azote sur l’inflammation uratique aiguë in vivo.

Actuellement on considère que les monocytes sont capables de déclencher une réponse inflammatoire mais qu’ils vont perdre, à la faveur de leur différenciation en macrophages, leur capacité phlogogène (perte de la production de TNF-a en réponse aux cristaux avec conservation de leur capacité de phagocytose).

Ce fait est aussi sous-tendu par l’observation d’une moindre production de cytokines par des monocytes d’hémodialysés en présence de cristaux d’urate.

Enfin dans le liquide synovial goutteux, les leucocytes sont entraînés vers la nécrose mais aussi vers l’apoptose contrairement aux cellules de polyarthrite rhumatoïde.

* Mécanismes d’activation à l’échelon cellulaire :

Dans les minutes qui suivent la mise en présence des cristaux d’urate avec des polynucléaires ou des cellules monocytiques type THP-1, se déroulent une succession d’événements intracellulaires à l’origine de l’activation de gènes pro-inflammatoires comme celui de l’IL8, par exemple ; ces observations suggèrent un mécanisme dépendant du contact cristal-membrane avant même la phagocytose des cristaux.

La place des récepteurs du Fc des IgG n’est pas bien connue.

Il pourrait aussi s’agir d’un mécanisme mettant en jeu des intégrines comme la protéine CD11b puisqu’un anticorps anti-CD11b empêche l’activation des neutrophiles par les microcristaux d’urate ou l’activation de récepteurs associés au cytosquelette.

À partir de tels événements se déclenche l’activation d’une cascade de phosphorylations de protéines qui modulent les diverses voies de signalisation pour les gènes de la réaction inflammatoire.

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