Goitres simples

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Introduction :

Le goitre « simple », dont la définition est imprécise, est la maladie endocrinienne la plus répandue au monde, qu’il soit sporadique ou endémique, diffus ou nodulaire.

Sa physiopathologie fait intervenir des phénomènes mitogènes et mutagènes et sa constitution est favorisée par des facteurs goitrogènes, représentés essentiellement, mais non exclusivement, par la carence en iode.

Il s’agit d’une affection généralement bénigne mais pouvant, après des années d’évolution, donner lieu à des complications nécessitant une intervention.

À l’échelon mondial, son traitement prophylactique repose sur l’éradication de la carence iodée qui ne sera pas totalement obtenue en l’an 2000.

Définitions :

Goitres simplesUn goitre est une augmentation de volume de la thyroïde. Parler de « goitre thyroïdien » (par opposition aux rares tératomes ovariens contenant des cellules thyroïdiennes) est un pléonasme.

Un goitre « simple » est un goitre ne s’accompagnant pas de lésions inflammatoires, de cancer ou de dysthyroïdie.

On parle de goitre endémique lorsque plus de 10 % de la population d’une région considérée est atteinte.

Dans les autres cas, il s’agit de goitres sporadiques. En fait, ces définitions prêtent à discussion.

Le volume thyroïdien normal est difficile à déterminer et dépend des régions et de leur environnement iodé : telle personne considérée comme ayant une thyroïde normale à Münich aura une hyperthrophie thyroïdienne si elle est examiné à Stockholm.

Jusque dans les années 1950, on estimait qu’une thyroïde normale devait peser entre 20 et 25 g, la limite supérieure étant de 35 g.

Plus récemment, des études réalisées dans des pays ayant un apport iodé suffisant, ont estimé que le poids normal de la thyroïde était de 10 g, avec une limite supérieure de 20 g….

Un goitre « simple » peut se compliquer de thyroïdite, de cancer et l’évolution naturelle des goitres non toxiques se fait volontiers vers l’hyperthyroïdie.

Enfin, rien ne distingue chez un patient donné un goitre sporadique d’un goitre endémique.

Seule l’épidémiologie permet de le classer.

De plus, dans une même région peuvent coexister, à quelques kilomètres près, des zones avec ou sans endémie goitreuse.

Épidémiologie :

Le goitre est la maladie endocrinienne la plus répandue dans le monde.

En 1983, on estimait qu’au niveau mondial, 320 millions de personnes en étaient atteintes, et ce chiffre était probablement sousestimé.

Dans les zones d’endémie, qui sont les zones de grande carence iodée, sa prévalence est énorme.

On estime ainsi que 39,7 % des Pakistanais résidant en zone himalayenne sont atteints et que 30 millions de Chinois sont porteurs de goitres.

En Europe, on recensait 97 millions de goitreux en 1992 et dans les pays ne bénéficiant pas d’une prévention iodée (Europe du Sud, centrale et de l’Est), la prévalence du goitre pouvait dépasser 50 % dans certaines régions.

À titre d’exemple, en 1999, l’examen systématique de 1 411 personnes représentant l’entière population d’un village du sud de l’Italie, a trouvé un goitre chez 16 % des enfants et 59,8 % des adultes.

En France, pays de déficit iodé modéré, l’étude clinique systématique des adolescents de 13 académies a montré une hypertrophie thyroïdienne chez 16,7 % d’entre eux et dépassant 20 % dans certaines régions (académies de Bordeaux, Orléans, Besançon, Tours).

L’iodurie était globalement basse (86 íg/g créatinine), mais il n’existait pas de relation entre le niveau de l’iodurie et la prévalence du goitre, suggérant le rôle d’autres facteurs goitrogènes.

Les pays ayant un apport iodé adéquat ne sont pas épargnés.

À Framingham, Massachusetts, la prévalence des goitres nodulaires non toxiques est de 4,2 %.

En Angleterre, l’examen systématique de 2 779 personnes (étude de Whickham) a trouvé un goitre chez 4,5 % des hommes et 12,1 % des femmes, la prévalence féminine de l’affection pouvant être en partie attribuée aux grossesses.

Dans les pays soumis à une prévention efficace (Suisse), le goitre n’a pas été complètement éradiqué : la carence en iode n’est pas le seul facteur goitrogène, même si elle en est le premier à l’échelon mondial.

Anatomopathologie :

Le processus essentiel conduisant à la formation d’un goitre est la prolifération des cellules épithéliales.

La classification anatomopathologique classique des goitres se fait en trois stades selon la chronologie de leur évolution naturelle.

A – GOITRE HYPERPLASIQUE :

La thyroïde est augmentée de volume de façon homogène et diffuse, souvent hypervascularisée.

Les follicules sont de petite taille, collabés et contiennent un colloïde très peu abondant.

Les cellules épithéliales sont de haute taille et disposées en colonnes.

À un stade extrême, l’importance de la cellularité et la grande taille des cellules peuvent prêter à confusion avec une prolifération maligne.

B – GOITRE COLLOÏDE :

À ce stade commence un processus d’involution et les follicules hyperplasiques recommencent à accumuler de la colloïde qui produit un aspect luisant sur les tranches de section.

L’épithélium s’aplatit progressivement et devient cubique, proche de l’épithélium d’une glande normale.

Cette accumulation de colloïde n’est pas uniforme : certains follicules sont excessivement distendus alors que d’autres restent petits et hyperplasiques.

C – GOITRE MULTINODULAIRE :

Il représente un stade avancé de l’évolution d’un goitre.

Sa principale caractéristique est l’hétérogénéité des nodules formés par les nouveaux follicules.

Cette hétérogénéité existe à tous les niveaux : aspect macroscopique, clonalité, croissance, fonction.

Elle est renforcée par l’altération du réseau vasculaire conduisant à des hémorragies focales, des dépôts d’hémosidérine, des phénomènes d’inflammation, de nécrose, de calcification et de fibrose.

On distingue deux types de goitres nodulaires : l’un porteur d’un ou plusieurs nodules mal circonscrits ou bien encapsulés ressemblant à de vrais adénomes (goitre adénomateux) ; l’autre constitué de nodules de taille et de structure très variables.

Les uns sont composés de petits follicules ou de tissu solide contenant très peu de colloïde, les autres de grands follicules avec une abondante colloïde.

Pathogénie :

Une augmentation de volume de la glande thyroïde peut provenir de la stimulation de sa croissance, diffuse ou localisée, par des facteurs de croissance intrinsèques ou extrinsèques à la glande et/ou des mutations d’oncogènes, ces deux types de stimulation (mitogenèse et mutagenèse) pouvant être associés.

A – FACTEURS DE CROISSANCE :

1- Thyroid stimulating hormone :

L’hormone thyréotrope est le premier facteur impliqué dans la croissance de la glande thyroïde.

Le raisonnement classique est le suivant : toute entrave à la synthèse des hormones thyroïdiennes (la carence iodée, par exemple) entraîne, par rétrocontrôle, une production accrue d’hormone thyréotrope stimulant à la fois la synthèse hormonale et la croissance de la glande.

Effectivement, la TSH, par l’intermédiaire de son récepteur situé sur le pôle basolatéral des thyréocytes (R-TSH : récepteur membranaire de la famille des récepteurs couplés aux protéines G) stimule la prolifération des cellules et, de manière plus puissante, leur différenciation dont dépend leur fonction.

Cependant, d’une part la TSH ne possède, en culture, qu’un effet stimulant très faible sur la croissance comparativement à son effet sur la fonction, chez l’animal comme chez l’homme : il est donc vraisemblable qu’in vivo, son action s’exerce par l’intermédiaire d’autres facteurs, notamment l’insulin-like growth factor 1 (IGF-1) ; d’autre part, son effet sur la croissance ne peut concerner que les thyréocytes et non les cellules endothéliales et les fibroblastes qui ne possèdent pas de R-TSH : la croissance de ces derniers types cellulaires qui constituent 30 % du volume thyroïdien est sous la dépendance d’autres facteurs.

De plus, dans un même goitre, il existe une hétérogénéité de diverses activités (enzymatiques, transport et organification de l’iode) contrôlées par la TSH, ce qui évoque peu une stimulation purement systémique.

Enfin, dans la grande majorité des goîtres « simples », le taux de TSH est normal, voire dans les valeurs basses de la normale.

2- Autres facteurs de croissance :

* IGF-1 :

L’IGF-1 est un peptide growth hormone (GH) dépendant, synthétisé par de nombreux tissus dont la thyroïde.

Chez des patients opérés de goitre et n’ayant pas d’augmentation des taux sériques de TSH ou d’IGF-1, les concentrations intrathyroïdiennes d’IGF-1 sont élevées de manière significativement plus importante dans les zones nodulaires que dans les zones saines, ce qui suggère une sécrétion autocrine ou paracrine contrôlant localement la croissance tissulaire induite par la TSH.

L’IGF-2, facteur de croissance essentiellement embryonnaire qui s’exprime aussi dans certaines tumeurs, pourrait également être impliqué.

Epidermal growth factor (EGF) L’EGF est un facteur de croissance qui, en culture cellulaire, active les proto-oncogènes c-fos et c-myc et phosphoryle les MAP kinases (mitogen activated protein kinases) composants critiques de la voie mitogénique ras.

Les thyréocytes produisent de l’EGF et leur membrane contient un récepteur EGF de haute affinité situé, comme le R-TSH et le symporteur sodium-iode (NIS) au pôle basolatéral de la cellule.

L’expression du récepteur à l’EGF est contrôlée positivement par la TSH et négativement par la thyroxine.

L’effet de la TSH est couplé à une augmentation de l’effet mitogène de l’EGF, ce qui suggère que la TSH induit la croissance glandulaire en potentialisant l’action d’autres facteurs de croissance.

Son rôle dans la constitution des goitres est probable et, récemment, il a été montré une augmentation de la concentration sérique de l’EGF chez des patients atteints de goitre nodulaire, se normalisant après la thyroïdectomie, cette évolution étant en faveur de l’origine thyroïdienne de l’EGF circulante.

* Fibroblast growth factor (FGF) :

In vitro, FGF exerce un effet mitogène puissant sur les thyréocytes et est capable d’induire la formation d’un goitre colloïde chez le rat.

Chez l’homme, l’expression de FGF-1, FGF-2 et du récepteur FGF-1 est augmentée dans les goitres multinodulaires comparativement au tissu thyroïdien sain.

Il est possible que la sécrétion paracrine ou autocrine de FGF, stimulée par la TSH ou coopérant avec elle, joue un rôle dans la constitution de ces goitres.

* Transforming growth factor bêta (TGFbêta) :

Les membres de la famille de TGFbêta stimulent la prolifération du tissu conjonctif mais inhibent celle des cellules épithéliales.

Sur des thyréocytes cultivés, TGFbêta1 antagonise l’effet stimulant de la TSH, de l’IGF-I et de l’EGF. Pourtant, dans les goitres nodulaires, il existe une expression exagérée des trois isoformes de TGFbêta au niveau des zones nodulaires alors qu’elle est faible au niveau des zones saines, cette hétérogénéité pouvant même se rencontrer au sein d’un même follicule.

Cette constatation paradoxale pourrait en fait être expliquée par une résistance, constitutive ou acquise, à TGFbêta des cellules folliculaires proliférantes : les cancers thyroïdiens différenciés, qui surexpriment également TGFbêta de manière uniforme, présentent une diminution de l’expression du récepteur TGFbêta1.

Ces constatations suggèrent une participation des isoformes de TGFbêta dans la modulation de la croissance anormale des cellules thyroïdiennes.

3- Immunoglobulines :

En 1980, Drexhage et al ont décrit des immunoglobulines TGI (thyroid growth-stimulating immunoglobulins) capables de stimuler, en culture, la synthèse de l’acide désoxyribonucléique (ADN) et l’incorporation cellulaire de (3H)-thymidine dans les cellules thyroïdiennes.

Ces immunoglobulines étaient trouvées dans le sérum de patients atteints de maladie de Basedow ou d’Hashimoto avec goitre et également chez des patients atteints de goitres colloïdes « simples ».

La stimulation thyroïdienne ne faisait pas intervenir l’adényl-cyclase et ne passait probablement pas par une activation du récepteur de la TSH.

Ultérieurement, les mêmes constatations ont été faites avec le sérum de patients atteints de goitres endémiques, mais ces travaux ont été contestés pour des raisons méthodologiques : il s’agissait de cultures de cellules animales, les TGI n’étaient actives qu’en présence de TSH, l’incorporation de la (3H)-thymidine pouvait se faire dans du matériel non ADN, et la contamination du milieu par d’autres facteurs de croissance était possible.

Toutes ces critiques ont été argumentées par Drexhage.

Plus récemment, d’autres travaux n’ont pas trouvé de TGI dans le sérum de patient atteints de goitres endémiques et d’hypothétiques TGI bloquantes n’existent pas chez des patients atteints de crétinisme endémique.

L’origine auto-immune des goitres reste donc débattue et l’on peut remarquer que le passage transplacentaire de TGI n’a jamais été décrit.

B – FACTEURS GÉNÉTIQUES :

1- Génomiques :

Le caractère familial des goitres sporadiques est souvent évident lors du simple interrogatoire des patients.

Chez les jumeaux homozygotes, la concordance est de l’ordre de 40 %.

La transmission se fait selon un mode vertical, ce qui suggère une susceptibilité autosomique dominante.

Le même mode de transmission a été trouvé dans une famille atteinte de cancers papillaires, dont certains membres présentaient des goitres nodulaires non cancéreux.

Dans une grande famille canadienne comportant 18 personnes atteintes de goitres, Bignell et al ont trouvé un locus de susceptibilité sur le chromosome 14, à distance du gène du récepteur de la TSH situé sur le même chromosome. Une liaison plus faible a été trouvée dans une autre famille plus petite.

D’autres formes familiales de goitres représentent des situations bien particulières.

Le syndrome de Pendred est une maladie à transmission autosomique récessive, associant un goitre avec trouble de l’organification de l’iode et une surdité neurosensorielle congénitale.

La fonction thyroïdienne est habituellement normale.

Il ne s’agit pas d’une affection exceptionnelle puisque son incidence est estimée de 7,5 à 10 pour 100 000. La maladie est liée au chromosome 7q22-31.1 et le gène a été cloné en 1997 (gène PDS).

Il code pour une protéine, la « pendrine », dont le rôle sur l’oreille interne et les cellules thyroïdiennes (sulfatation de la thyroglobuline ?) n’est pas connu.

Il est possible que la prévalence de formes mineures soit plus importante que celle reconnue et que des sujets hétérozygotes pour la mutation aient une susceptibilité accrue à la constitution d’un goitre en situation de déficit iodé comme cela a été montré dans une grande famille brésilienne.

Les entraves génétiques à la synthèse des hormones thyroïdiennes (trouble de la captation, de l’organification de l’iode, anomalies de la thyroglobuline) sont responsables typiquement de goitres congénitaux avec insuffisance thyroïdienne, comme en cas de mutation du gène de la peroxydase.

En cas de mutation du gène de la thyroglobuline, qui s’exprime à l’état homozygote, le tableau clinique peut être très variable et l’hypothyroïdie peut être discrète, voire absente.

La découverte d’une mutation de ce gène chez un patient atteint de goitre endémique suggère que des facteurs individuels pourraient expliquer en partie le fait que, soumis aux mêmes facteurs goitrogènes, les résidents ne développent pas tous la maladie avec une même intensité.

Comme la thyroglobuline et la thyroperoxydase, NIS est un élément crucial pour la synthèse des hormones thyroïdiennes.

Le gène du NIS a été cloné en 1996 et localisé sur le chromosome 19.

L’année suivante, Matsuda et al, Fujiwara et al rapportaient presque simultanément les premiers cas de mutation.

Le patient de Matsuda était porteur d’un énorme goitre révélé à l’adolescence et son statut hormonal, hypo- ou euthyroïdie, variait en fonction de l’apport d’iode dans son alimentation. Sa soeur, hétérozygote, n’avait pas d’anomalie thyroïdienne.

Le patient de Fujiwara présentait un goitre nodulaire. Les défauts du transport de l’iode sont responsables d’une maladie autosomique récessive, caractérisée par un goitre avec hypothyroïdie, la diminution de fixation du radio-iode dans la thyroïde et les glandes salivaires.

En fait, le phénotype des patients est variable.

La même mutation (T354P) a été trouvée chez sept patients japonais issus de cinq familles différentes.

Chez ces patients vivant dans un environnement iodé important, l’hypothyroïdie pouvait être majeure avec crétinisme (enfants nourris au lait artificiel) ou absente ; deux patients n’avaient pas de goitre.

Le goitre, diffus, pouvait devenir nodulaire avec l’âge. Pour les auteurs, la mutation pourrait être plus fréquente qu’il n’y paraît, y compris chez les sujets atteints de goitres endémiques.

2- Somatiques :

L’évolution naturelle des goitres se fait vers la nodularité. Les études de clonalité faites par technique d’inactivation de l’X ont montré qu’une tumeur pouvait être d’origine polyclonale, ce qui suppose la prolifération multicellulaire d’un goupe de cellules sous l’influence de facteurs de croissance intrinsèques ou extrinsèques, ou d’origine monoclonale ce qui suppose l’expansion clonale d’un seul type de cellules génétiquement altérées.

Or, dans un même goitre, les deux types de nodules peuvent coexister et les lésions clonales peuvent provenir de différentes cellules mères.

Cette constatation peut être interprétée de diverses façons.

Soit les nodules polyclonaux et monoclonaux sont de pathogénie différente, soit les nodules polyclonaux sont les précurseurs des nodules monoclonaux.

Des goupes cellulaires surstimulés ou ayant un potentiel constitutif de croissance élevé sont en effet plus sensibles à la mutagenèse, la stimulation chronique du système thyroperoxydase-H2O2, générateur de radicaux libres, pouvant favoriser ce phénomène.

Ces mutations peuvent concerner l’oncogène ras, les protéines G, le R-TSH et peut-être le NIS.

Les nodules ayant récidivé après thyroïdectomie sont essentiellement d’origine polyclonale : il est possible que la mutagenèse ne survienne qu’après un très long temps d’expansion cellulaire polyclonale.

Dans les zones de carence iodée, les goitres nodulaires ont une forte propension à devenir toxiques, surtout chez les personnes âgées.

La plupart des adénomes toxiques uniques sont dus à des mutations somatiques activatrices du R-TSH.

Des mutations activatrices de ce récepteur ont également été trouvées dans des nodules hyperfonctionnels de goitres multinodulaires et au sein d’une même thyroïde, les nodules actifs peuvent présenter des mutations différentes.

Ceci est bien en faveur du fait qu’une stimulation mitogénique chronique prolongée des cellules thyroïdiennes prédispose à des phénomènes mutationnels.

C – GOITRE MULTINODULAIRE : UNE MALADIE THYROÏDIENNE INTRINSÈQUE (STUDER)

La stimulation soutenue de la thyroïde par un facteur de croissance extrinsèque peut expliquer la formation d’un goitre diffus, mais non celle d’un goitre nodulaire. Pourtant, une stimulation chronique de la glande aboutit presque toujours à la nodularité.

Comme l’a bien établi Studer, l’explication de ce phénomène commence avec le caractère normalement très hétérogène des thyréocytes, à l’intérieur d’une même thyroïde, et même à l’intérieur d’un même follicule thyroïdien.

D’une cellule à l’autre, les potentiels d’activité métabolique et de réplication sont très différents.

Ainsi, des cellules ayant, par exemple, un contenu élevé en peroxydase et un fort potentiel de reproduction vont aboutir à la formation de nouveaux follicules uniformément hyperactifs.

Comme il a été mentionné, la distribution intracellulaire des différents facteurs de croissance et de leurs récepteurs est inégale d’un goupe de cellules à l’autre.

Récemment, Caillou et al ont montré qu’il en allait de même pour le NIS.

Dans les tissus thyroïdiens normaux, alors que la distribution du R-TSH est homogène, l’expression du NIS est limitée à une minorité de cellules.

Dans les hyperplasies nodulaires diffuses, son expression est hétérogène et souvent confinée aux cellules proliférantes situées à un pôle du follicule.

L’hyperactivité d’un goupe cellulaire, acquise lors d’une stimulation goitrogène, peut devenir constitutive indépendamment de toute mutation et se transmettre aux cellules filles alors même que le facteur goitrogène n’existe plus.

Le temps moyen de renouvellement des thyréocytes étant de 5 à 10 ans, ce processus est très lent et en pratique clinique, la constitution d’un goitre nodulaire demande généralement des années.

Enfin, comme nous l’avons vu, ces cellules hyperactives peuvent être soumises à des mutations et aboutir à la formation de nodules monoclonaux.

D – FACTEURS GOITROGÈNES :

On entend sous ce terme des facteurs d’environnement entravant le fonctionnement normal de la glande thyroïde et conduisant, au moins pendant un temps, à sa surstimulation compensatoire.

1- Carence en iode :

La carence en iode demeure un problème de santé publique majeur dans le monde.

1,5 milliard d’êtres humains sont exposés aux troubles dus à la carence iodée, ce qui représente 28 % de la population du globe.

Dans les zones de forte carence, elle est responsable en partie de goitres volontiers énormes pouvant atteindre 90 % de la population et de crétinisme catastrophique.

En dehors des zones ayant un fort apport iodé du fait d’une nourriture de provenance marine (Japon) ou en raison d’additifs alimentaires surtout consommés par le bétail et passant dans le lait (États-Unis), l’iode absorbé par l’homme provient essentiellement du sol et est apporté par l’alimentation végétale et animale.

Les zones de plus grande carence iodée se situent dans les régions exposées longtemps aux glaciers du quaternaire dont l’érosion a fait apparaître un sol rocheux pauvre en iode.

Il s’agit de l’Afrique centrale, de la chaîne himalayenne, des zones montagneuses de la Chine, de l’Extrême-Orient, de l’Amérique du Sud et de l’Indonésie, de la Nouvelle-Guinée.

L’Europe est également touchée, essentiellement l’Europe centrale et du Sud, mais aussi, à un moindre degré, l’Europe occidentale, dont la France. Les apports souhaités en iode sont de 100-150 íg/j.

Une excrétion urinaire iodée inférieure à 50 íg/24 h indique une carence en iode sévère.

La thyroïde s’adapte, au moins chez l’enfant, à ce défaut de substrat en accélérant, sous l’action de la TSH, toutes les étapes du métabolisme intrathyroïdien de l’iode et en sécrétant préférentiellement de la T3.

Il en résulte initialement un goitre hyperplasique.

Puis, au fil des années, la maladie thyroïdienne s’autonomise, des nodules se constituent tandis que la TSH baisse, ce qui suggère l’intervention d’autres facteurs de croissance non médiés par la TSH.

Cependant, dans une même zone de carence en iode, la prévalence du goitre est différente selon les régions et l’endémicité goitreuse peut persister après supplémentation iodée adéquate.

D’autres facteurs interviennent donc, peut-être génétiques, comme il a été exposé plus haut, sûrement nutritionnels.

2- Facteurs nutritionnels :

Dans la région de Darfur (Soudan de l’Ouest), exposée à la carence iodée, la prévalence du goitre est beaucoup plus importante à la campagne, où les habitants se nourrissent essentiellement de millet, qu’en ville, où l’alimentation est plus variée.

Les mêmes constatations ont été faites au Zaïre dans une île (lac Kiwu) dont les habitants se nourrissent de cassave (manioc).

Ces aliments contiennent (directement ou indirectement par l’intermédiaire de l’acide cyanhydrique) des thiocyanates qui inhibent le transport de l’iode intrathyroïdien et la thyroperoxydase. Les flavonoïdes (contenus dans une noix babassu très consommée au Brésil) et la « goitrine » (1-5-vinyl-2-thio-oxazolidone) contenue dans les crucifères du genre Brassicae (choux, navets, rutabagas et surtout fourrage pour bétail) inhibent également la thyroperoxydase.

Le haricot de soja augmente l’excrétion intestinale de thyroxine.

L’eau polluée (colibacilles, Clostridium perfringens) ou contenant des substances organiques provenant de l’humus (résorcinol, phtalates, disulfides organiques) peut aussi avoir une action antithyroïdienne et goitrogène.

La carence en sélénium, endémique en Chine et au Zaïre, a également été incriminée.

Cette carence induit en effet un déficit en glutathion peroxydase et une diminution de la protection contre le stress oxydatif généré dans la thyroïde par les niveaux élevés d’H2O2.

Or, les tentatives de supplémentation en sélénium dans les populations exposées ont conduit à une augmentation de la prévalence du goitre et de l’hypothyroïdie : le sélénium, qui est un composant essentiel de la monodéiodase de type I, induit en effet une accélération du catabolisme des hormones thyroïdiennes.

La malnutrition, rencontrée habituellement dans les populations nourries de millet ou de manioc est un autre facteur additif : elle entraîne une carence en vitamine A qui altère la structure de la thyroglobuline avec arrangement spatial anormal de la protéine et déficit en radicaux mannosylés.

Paradoxalement un fort excès d’iode, qui inhibe la sécrétion des hormones thyroïdiennes, a été rendu responsable de goitres dans certaines régions du Japon (Hokkaido).

3- Autres facteurs :

La grossesse est une situation goitrogène bien connue : dans l’Égypte ancienne, le diagnostic de grossesse pouvait être fait, d’après la légende, par la mesure du tour de cou.

La sollicitation thyroïdienne est plus importante durant cette période en raison de la stimulation de la production hépatique de TBG (thyroxine binding globulin) par les oestrogènes, de la stimulation du R-TSH par l’hCG (human chorionic gonadotrophin), de l’augmentation de l’excrétion urinaire d’iode, du métabolisme placentaire des hormones thyroïdiennes.

Dans ces conditions, une carence en iode, même modérée, contribue à la formation d’un goitre qui ne régresse pas toujours après l’accouchement.

De nombreux médicaments contiennent également des substances goitrogènes, comme les thionamides dont les propriétés antithyroïdiennes sont utilisées en thérapeutique (antithyroïdiens de synthèse).

Étude clinique :

La plupart des patients porteurs de goitre, même important, n’ont aucun trouble clinique les amenant à consulter et, généralement, c’est à l’occasion d’un bilan de santé systématique, d’un examen motivé pour une autre raison, d’une radiographie de thorax que l’hypertrophie thyroïdienne est découverte.

Parfois une gêne fonctionnelle due à la nécrose hémorragique d’un nodule, par exemple, ou beaucoup plus rarement à une compression, attire l’attention vers la thyroïde.

A – EXAMEN CLINIQUE :

La thyroïde se situe à la face antérieure du cou, et sa situation par rapport au larynx et à la trachée diffère selon les individus.

L’isthme se trouve au-dessous du cartilage cricoïde, en face des deux premiers anneaux trachéaux (position haute), du troisième et du quatrième (position basse) ou plus souvent du deuxième et troisième (position moyenne).

Chaque lobe latéral s’étend, contre la trachée, du cartilage cricoïde à la clavicule et sa partie postérieure s’insère derrière le muscle sterno-cléido-mastoïdien.

La glande est solidaire de l’axe laryngotrachéal et elle suit ses mouvements lors de la déglutition.

Une glande thyroïde normale n’est généralement pas visible, sauf lorsqu’elle est en position haute et/ou chez des jeunes filles ayant un cou long et mince en hyperlordose ce qui peut conduire à des diagnostics de goitre par excès (« syndrome de Modigliani »), et elle peut être difficile à palper, surtout chez des patients ayant un cou épais et court.

L’inspection se fait chez un sujet assis ou debout, le cou en position neutre ou en légère extension et les reliefs de la glande sont mieux visibles lors des mouvements de déglutition (réalisés avec l’aide d’un verre d’eau).

L’inspection de profil est un temps souvent négligé.

Elle permet pourtant de bien apprécier le degré de protrusion avec l’aide d’une réglette, souvent mieux que la classique mesure du tour de cou.

La palpation de la thyroïde est généralement effectuée chez un patient assis, l’examinateur se plaçant derrière, mais parfois devant le sujet.

Il est classique de demander au patient d’avaler une gorgée d’eau, mais l’intérêt de cette pratique n’a pas été évalué.

Surtout lorsqu’elle est en position basse et plonge derrière le sternum, la glande est souvent mieux accessible chez un sujet couché sur un plan dur, en évitant l’hyperextension qui met les muscles en tension : c’est la position adoptée pour l’échographie et la cytoponction.

L’examinateur précisera approximativement la taille de la thyroïde, son homogénéité, sa consistance, sa sensibilité, ses limites (en particulier par rapport à la fourchette sternale) et la palpation des aires ganglionnaires cervicales sera systématique.

En ce qui concerne la taille, il est classique de considérer qu’un lobe thyroïdien ne doit pas dépasser la longueur de la première phalange du pouce du sujet et il faut avoir conscience des limites de l’examen clinique.

Ses performances ont été analysées par plusieurs études : la reproductibilité intraexaminateur est moyenne et interexaminateur médiocre, de même que la corrélation avec l’échographie.

En fait, l’analyse clinique ne peut honnêtement classer les goitres qu’en trois catégories : absent, petit ou gros et il est bien hasardeux de vouloir donner des chiffres (volume, poids…).

L’Organisation mondiale de la santé a proposé la classification suivante, utile pour les enquêtes épidémiologiques qui ne peuvent consacrer que peu de temps à l’examen et ne disposent pas d’échographie (sauf avec la récente « thyromobile » européenne) :

– stade 0-A : pas de goitre ;

– stade 0-B : goitre uniquement palpable, non visible le cou en hyperextension ;

– stade I : goitre palpable et visible seulement en hyperextension ;

– stade II : goitre visible le cou en position normale ;

– stade III : très gros goitre visible à distance.

L’interrogatoire du patient est un temps important de cette première approche clinique, précisant la région d’origine, les antécédents familiaux, l’ancienneté et le mode évolutif du goitre, recherchant la prise de substances goitrogènes, une gêne fonctionnelle, voire des signes de compression, des signes de dysthyroïdie.

B – EXAMENS COMPLÉMENTAIRES :

Ils sont loin d’être tous nécessaires.

En pratique, deux examens doivent être demandés : le dosage de TSH et l’échographie.

Les autres examens seront proposés en fonction de l’orientation clinique.

1- Examens biologiques :

Le dosage de la TSH permet de dépister une hyper- (TSH basse) ou une hypothyroïdie (TSH élevée).

Le dosage des hormones thyroïdiennes (T4 libre, éventuellement T3 libre) n’est demandé qu’en cas d’anomalie de la TSH.

La recherche d’anticorps antithyroïdiens (anticorps antiperoxydase et antithyroglobuline) alourdit le coût de l’exploration.

Pour certains, elle devrait être systématique, même en l’absence de dysthyroïdie pour dépister une thyroïdite lymphocytaire autoimmune qui peut se présenter comme un goitre nodulaire ou pseudonodulaire euthyroïdien.

Le dosage de la thyroglobuline n’a pas d’intérêt sauf cas très particuliers (protocoles).

Son taux est proportionnel au volume du goitre et sa détermination n’apporte pas de renseignements utiles pour un patient donné.

Quant au dosage de calcitonine, dont l’intérêt à titre systématique est discuté en cas de nodule unique, il n’est pratiqué en cas de goitre multinodulaire que dans les familles à risque de cancer médullaire (index porteur d’une mutation ret).

2- Examens morphologiques :

L’échographie thyroïdienne est un examen toujours utile.

Elle mesure exactement le volume du goitre, repère les zones nodulaires et précise leur contenu liquidien, tissulaire ou mixte, d’éventuelles calcifications et adénopathies satellites.

De plus, elle permet de suivre l’évolution de manière objective lorsqu’un traitement a été entrepris, ou sans traitement.

Il s’agit toutefois d’un examen très opérateur-dépendant et le taux de reproductibilité d’un examinateur à l’autre est médiocre.

Il est donc souhaitable que, lors du suivi d’un patient, les échographies soient toujours réalisées par le même médecin.

La simple radiographie de thorax de face est utile en cas de goitre compressif et/ou plongeant.

Elle permet de visualiser la portion intrathoracique du goitre, l’éventuelle déviation et compression de la trachée.

Elle peut éventuellement être complétée, dans ces cas seulement, par un scanner cervicomédiastinal permettant de mieux voir la compression ou le refoulement de la trachée, de l’oesophage ou des vaisseaux.

La place de la scintigraphie dans l’exploration de la thyroïde est très discutée depuis quelques années.

Dans les goitres homogènes ou nodulaires, elle est utile dans quelques indications particulières : recherche d’anomalie de la captation de l’iodure (hypofixation diffuse de la glande et des glandes salivaires), de l’organification de l’iode (hyperfixation).

Elle est souvent demandée lorsqu’un goitre est devenu toxique pour distinguer une hyperthyroïdie de type basedowien survenant sur goitre nodulaire (fixation diffuse) d’un goitre nodulaire toxique (fixation exclusive au niveau d’un ou plusieurs nodules hyperactifs).

Lorsqu’il n’y a pas eu de cytoponction première ou lorsque son résultat est douteux, elle peut rassurer sur la nature d’un nodule dominant s’il est chaud, alors presque toujours bénin.

La cytoponction à l’aiguille fine est devenue un examen de premier plan dans l’exploration des nodules thyroïdiens.

Il est souvent impossible de ponctionner tous les nodules présents dans un goitre multinodulaire, mais il est nécessaire de réaliser cet examen pour le ou les nodules dominants, a fortiori s’il présente des caractéristiques cliniques inquiétantes (dureté, irrégularité, évolution rapide, antécédents d’irradiation cervicale).

Évolution et complications :

A – ÉVOLUTION NATURELLE :

Selon le concept de Studer, l’évolution spontanée d’un goitre se fait lentement vers la nodularité et la toxicité.

Pour le vérifier, il faudrait des études longitudinales impossibles à réaliser sur des dizaines d’années mais Berghout et al ont montré que les patients porteurs de goitres multinodulaires étaient plus âgés et avaient une plus grosse thyroïde que les patients ayant un goitre diffus, que plus le goitre était volumineux et nodulaire, plus la TSH était basse, et que le taux de TSH était négativement corrélé au volume de la thyroïde mesuré par échographie.

Il existait également une relation positive entre la taille de la thyroïde, l’âge et la durée d’évolution.

Dans ce rapport, l’augmentation annuelle du volume thyroïdien était estimée à 4,5 %.

B – COMPRESSION :

Un goitre à développement antérieur peut prendre des proportions importantes et ne pas être compressif s’il reste sus-sternal.

En revanche, un goitre se développant latéralement, en arrière, ou vers le bas (goitre plongeant) risque d’entraîner une compression des organes de voisinage.

Il peut alors être responsable d’une gêne fonctionnelle : sensation d’obstruction cervicale accentuée en position allongée ou lors de la flexion du cou lorsque les bras sont dressés au-dessus de la tête (signe de Pemberton), dysphagie, dyspnée, plus rarement modifications de la voix.

Une turgescence jugulaire est souvent observée, mais le classique oedème en « pèlerine » par compression cave est exceptionnel de même que le syndrome de Claude Bernard-Horner par compression du sympathique cervical.

Dans ces situations, la radiographie thoracique de face permet de voir la trachée et son éventuel déplacement et le scanner apprécie l’extension latérale, postérieure et inférieure du goitre, ses rapports avec la trachée, l’oesophage et les gros vaisseaux de la base.

C – THYROÏDITE :

Une thyroïdite subaiguë (strumite) peut survenir sur goitre comme sur thyroïde saine et se traduit par les troubles habituels : douleur cervicale antérieure, syndrome inflammatoire et thyrotoxicose transitoire.

Elle peut être dangereuse sur goitre endothoracique, l’augmentation rapide du volume de la glande risquant de créer ou de majorer une compression.

Le diagnostic est confirmé par la scintigraphie montrant l’absence de fixation (scintigraphie « blanche ») et le traitement comporte anti-inflammatoires non stéroïdiens ou surtout corticoïdes.

La nécrose hémorragique brutale d’un nodule peut simuler une thyroïdite localisée mais l’échographie et la ponction redressent le diagnostic.

D – DYSTHYROÏDIES :

1- Hypothyroïdie :

Sauf en cas de troubles congénitaux de l’hormonosynthèse, même dans un goitre constitué de multiples nodules d’allure non fonctionnelle, il existe toujours suffisamment de tissu thyroïdien pour maintenir une production d’hormone.

Lorsqu’une hypothyroïdie survient, c’est en raison de facteurs surajoutés : médicamenteux (par exemple apport massif d’iode, lithium) ou surtout thyroïdite d’Hashimoto.

D’où l’intérêt de rechercher les anticorps antithyroïdiens dont la présence incite à surveiller la TSH.

2- Hyperthyroïdies (goitre multinodulaire toxique ou maladie de Plummer) :

Les hyperthyroïdies sont en revanche très fréquentes et l’évolution naturelle des goitres nodulaires se fait, sur des décennies, vers la thyrotoxicose.

Du fait de la lenteur de l’évolution, ces hyperthyroïdies surviennent généralement chez des personnes âgées.

Sur ce terrain, une hyperthyroïdie même discrète et infraclinique risque d’entraîner des complications cardiaques : troubles du rythme supraventriculaires, voire insuffisance cardiaque.

Chez les personnes âgées, la prévalence des troubles du rythme est multipliée par trois lorsque la TSH est diminuée alors que les hormones thyroïdiennes sont encore normales.

Chez la femme ménopausée porteuse de goitre multinodulaire avec TSH basse sans élévation des hormones thyroïdiennes, il existe une diminution de la masse osseuse.

Le dosage de la TSH effondré permet le diagnostic de thyrotoxicose et celui des hormones thyroïdiennes d’en apprécier le niveau en sachant qu’il existe initialement une hypersécrétion exclusive de T3.

Que l’hyperthyroïdie soit due à une réplication excessive de thyréocytes actifs et/ou à des mutations du récepteur de la TSH, elle est surtout observée dans les pays de carence iodée.

L’apport massif d’iode, médicamenteux ou prophylactique, peut précipiter l’évolution vers la thyrotoxicose.

Dans toutes les régions du monde, la supplémentation en iode a entraîné, dans l’année qui a suivi, une augmentation de la prévalence de l’ordre de 30 % du goitre multinodulaire toxique, particulièrement dangereux dans les pays en voie de développement.

Il s’agit toutefois d’un effet secondaire transitoire et, à long terme, la prophylaxie iodée, en réduisant la prévalence des goitres, réduit celle de l’hyperthyroïdie.

À titre individuel, il est souhaitable d’éviter, si possible, l’administration de produits iodés (amiodarone) chez les patients porteurs de goitres nodulaires, d’autant plus qu’ils sont âgés.

E – CANCER :

On a longtemps estimé qu’un nodule thyroïdien isolé était plus suspect qu’un nodule dominant sur thyroïde multinodulaire.

On peut à l’inverse considérer que les phénomènes de mutagenèse auxquels sont soumis les thyréocytes dans un goitre peuvent conduire à la malignité.

La prévalence réelle des cancers dans les goitres est difficile à évaluer car basée sur des séries uniquement chirurgicales, donc comportant un biais de sélection.

De plus, les microcancers, dont le pronostic reste débattu, sont très fréquents dans les séries autopsiques.

Il n’est donc pas étonnant de les trouver dans des séries chirurgicales, d’autant plus que l’exérèse a été large et les coupes histologiques fines : de 4,8 % dans la série de Sugenoya et al, à 16,5 % dans celle de Yashamita et al.

Cependant, dans cette dernière étude qui comportait 835 patients, il existait aussi 14,2 % de cancers de taille supérieure à 10 mm, essentiellement papillaires (soit au total 30,7 % de cancers).

La prévalence des cancers « cliniques » dans les goitres nodulaires est donc au moins égale à celle observée dans les nodules uniques. Le diagnostic préopératoire est plus malaisé que lorsque le nodule est unique, car la cytoponction peut difficilement être réalisée sur toutes les zones nodulaires que comporte un goitre.

Dans la série de Yashamita, le diagnostic cytologique préopératoire n’avait été porté que dans 30 % des cas et, pour cet auteur, le meilleur élément prédictif était la présence de calcifications.

Ces données incitent à être aussi prudent devant un goitre nodulaire que devant un nodule unique et à ne pas le considérer comme une maladie obligatoirement bénigne.

Traitement :

A – GOITRES SPORADIQUES :

1- Traitement médical :

Les hormones thyroïdiennes sont utilisées pour réduire la taille des goitres sporadiques non toxiques depuis 1894 (tartines de thyroïde de mouton râpée..).

Leur utilisation a pour but de « freiner » la TSH, rendue responsable de la constitution des goitres.

Une analyse des nombreuses études cliniques rétrospectives publiées réalisée par Ross a montré un bénéfice de ce traitement dans 60 % des cas.

Cependant, ces études n’étaient pas contrôlées, les critères d’inclusion n’étaient pas toujours précisés (goitres diffus ou nodulaires, niveau initial de la TSH), l’évolution de la taille du goitre était appréciée sur des critères cliniques. De plus, la TSH est habituellement normale dans les goitres sporadiques.

Il existe seulement trois études prospectives sur ce sujet. La plus ancienne, rapporte une diminution du goitre chez 57 % des sujets traités 12 semaines par T3 contre 10 % chez les sujets sous placebo.

Cependant la TSH n’a pas été mesurée dans cette étude, l’évaluation a été faite par la palpation et une diminution de taille de plus de 10 % seulement était considérée comme un succès.

Dans la série de Berghout et al, une réduction de volume de plus de 13 % (mesuré par échographie) a été observée chez 58 % des sujets traités par lévothyroxine à dose réellement suppressive pendant 9 mois (TSH inférieure à 0,5 mU/L) ; de plus, après arrêt du traitement, le volume thyroïdien était revenu au niveau basal.

Ces résultats, qui sont modestes, ont été discutés car obtenus dans un pays (Hollande) dont l’apport iodé est assez faible.

La troisième étude, qui obtient des résultats plus favorables (réduction de taille chez la moitié des sujets traités, de plus de 50 % chez un tiers d’entre eux, aucune réduction dans le groupe placebo) a été également réalisée dans une région carencée en iode (Brésil).

Les preuves de l’efficacité du traitement freinateur apparaissent donc assez faibles.

Le traitement est indiqué lorsque le goitre est diffus, et/ou lorsqu’il existe des anticorps antithyroïdiens témoignant d’une thyroïdite de Hashimoto a minima car alors ses chances de succès sont réelles.

En cas de goitre très ancien, calcifié, fibreux, multikystique, ou lorsque la TSH est spontanément basse ou dans les valeurs basses de la normale (inférieure à 1 mU/L), ou lorsqu’il s’agit d’un sujet âgé ayant des anomalies cardiaques potentielles, le traitement freinateur n’a pas de chance d’être efficace ou est contre-indiqué.

Dans les autres cas, il peut éventuellement être essayé pendant quelques mois pour abaisser la TSH dans les valeurs basses (0,1-0,5 mU/L), soit 75 à 150 íg/j de lévothyroxine selon les sujets.

Il est habituel d’utiliser la lévothyroxine plutôt que la T3 qui occasionne des fluctuations quotidiennes du niveau hormonal et il n’est pas souhaitable de rechercher un freinage complet de la TSH étant donné le risque d’effets secondaires osseux et surtout cardiaques.

Si l’échographie de contrôle montre une diminution de volume, le traitement sera poursuivi (indéfiniment ?) avec surveillance périodique de la TSH pour dépister un éventuel passage vers la thyrotoxicose.

Si l’échographie ne montre pas d’efficacité, la poursuite du traitement n’est pas justifiée.

Le traitement par hormone thyroïdenne a longtemps été systématique après thyroïdectomie subtotale pour goitre, dans le but de prévenir les récidives.

Mais ni les études rétrospectives, ni les études prospectives récentes n’ont confirmé le bien-fondé de cette attitude : ce traitement n’est justifié que si la fonction thyroïdienne est insuffisante après l’intervention.

2- Chirurgie :

L’indication opératoire peut être portée pour des raisons esthétiques, lorsqu’un ou plusieurs nodules sont suspects ou sont devenus toxiques, et en cas de goitre compressif.

Même en l’absence de signes cliniques de compression, il est souhaitable de ne pas trop attendre lorsque le goitre est plongeant et dévie la trachée afin d’éviter la constitution d’une trachéomalacie qui peut conduire à des difficultés respiratoires postopératoires, voire à une trachéotomie.

Ces goitres plongeants sont généralement accessibles par voie cervicale et il est exceptionnel qu’une sternotomie soit nécessaire.

Les goitres ayant une forte propension à récidiver après thyroïdectomie subtotale, la thyroïdectomie totale est souvent préférée.

Elle évite de plus la discussion d’une réintervention lorsqu’un macrocancer est découvert à l’examen histologique et ne semble pas, dans des mains entraînées, comporter plus de risques (paralysie récurrentielle, hypoparathyroïdie) qu’une intervention partielle.

3- Radio-iode :

Le traitement par iode 131 est le traitement de choix des goitres multinodulaires toxiques chez les personnes âgées.

Il peut aussi constituer une alternative à la chirurgie chez des patients âgés ou atteints d’affections cardiopulmonaires contre-indiquant l’intervention.

Il permet une réduction de volume d’environ 40 % à 1 an et d’améliorer les troubles compressifs.

Les risques en sont une thyroïdite transitoire précoce, une hyperthyroïdie auto-immune après quelques mois (5 % des cas) et une hypothyroïdie à long terme (20-30 % à 5 ans).

B – GOITRES ENDÉMIQUES :

À titre individuel, le traitement curatif d’un goitre en zone d’endémie ne diffère pas de celui d’un goitre sporadique, sinon que l’iode peut être au moins aussi efficace que la thyroxine chez de jeunes patients ayant un goitre non nodulaire, comme il a été montré dans une étude randomisée (traitement par 400 íg/j d’iode versus placebo ou 150 íg de thyroxine).

Cependant, l’iode administré à des doses plus faibles (prophylaxie iodée par le sel, environ 200 íg/j), très efficace pour la prévention du goitre chez l’enfant, obtient des résultats variables lorsque l’hypertrophie thyroïdienne est déjà installée.

Le traitement prophylactique du goitre et du crétinisme endémique repose sur l’iode.

Il est ajouté à l’eau, ou surtout administré sous forme d’injections d’huile iodée dans les pays en voie de développement ou de sel iodé dans les pays industrialisés.

En Europe, la supplémentation du sel en iode est généralisée dans la plupart des pays, mais seuls quelques-uns (Suisse, Autriche, Finlande, Suède) avaient, en 1992, réussi à éradiquer la carence en iode : la quantité d’iode contenue dans le sel n’est pas toujours suffisante et, pour des raisons diététiques, l’alimentation est de moins en moins salée.

Ainsi, la Suisse a dû augmenter la concentration du sel en iode de 7,5 à 15 mg/kg, ce qui a permis, au prix d’hyperthyroïdies la première année, de faire passer l’iodurie des 24 heures du niveau minimal de 90 íg à celui souhaité de 150 íg.

Les populations devant être particulièrement ciblées pour cette prévention sont les femmes enceintes et les nourrissons : la supplémentation en iode du lait industrialisé devrait être de 10 íg/dL pour les enfants à terme et de 20 íg/dL pour les prématurés.

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