Genu recurvatum

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Introduction :

Le genu recurvatum correspond le plus souvent à un état physiologique traduisant un morphotype ou « myotype » fréquent dans la population de référence.

Il participe même au bon verrouillage du genou dans la vie quotidienne et peut être indispensable dans la pratique de certains sports comme le sprint.

On s’accorde à dire que cette attitude en recurvatum symétrique est importante à respecter.

À l’opposé, s’il devient symptomatique, excessif (au-delà de 20°) ou asymétrique par exemple, il est indispensable alors de le prendre en charge pour le corriger.

Définition :

Le genu recurvatum est défini par le degré d’hyperextension du genou obtenu au-delà de l’alignement fémorotibial sagittal égal à 180° ou zéro de référence.

Un angle fémorotibial retrouvé à 190° correspond à un recurvatum global égal à 10°.

Le genu recurvatum, bilatéral et symétrique, est banal, présent chez de nombreux sujets et généralement asymptomatique.

Il s’agit du recurvatum constitutionnel habituellement inférieur à 15°.

Genu recurvatum

Dans une population de référence de 100 sujets, Lecuire retrouve des hyperextensions de genou comprises entre 0 et 5° dans 11 % des cas, 5 à 10° dans 21 % des cas et 10 à 15° dans 8 % des cas.

De découverte fortuite ou esthétique, il ne nécessite aucune prise en charge particulière.

Toutefois, au-delà de 15° ou en cas d’apparition d’une symptomatologie, une intervention chirurgicale peut s’avérer nécessaire.

Nous distinguons, outre le recurvatum constitutionnel, les genu recurvatum d’origine osseuse et/ou ligamentaire.

L’étude radioclinique cherche à mesurer le genu recurvatum global, d’en évaluer la part osseuse (fémorale ou tibiale), puis d’en déduire la part ligamentaire en cas de recurvatum mixte.

Examen clinique :

Il est toujours réalisé de manière symétrique.

Un genu recurvatum observé de manière asymétrique est a priori considéré comme pathologique, d’où l’importance de cet examen bilatéral et comparatif.

A – MESURE DU GENU RECURVATUM :

Recherche d’une asymétrie :

– par l’examen du sujet couché sur le ventre, fémurs à plat sur le bord de la table d’examen, jambes étendues dans le vide.

L’examinateur observe la hauteur des talons et note une différence en cas de genu recurvatum asymétrique ;

– l’autre test consiste à poser les pieds du sujet sur le ventre de l’examinateur, positionné en haut de table, et d’apprécier une asymétrie dans l’hyperextension, signature d’un genu varum asymétrique.

Cette dernière méthode a notre préférence.

B – ÉTUDE DE LA MARCHE :

Le patient utilise t-il son recurvatum en appui monopodal lors du déroulé du pas ?

Cette notion est fondamentale dans la prise en charge du genu recurvatum d’origine poliomyélitique.

En effet, il faut savoir respecter cette attitude, seule garante du verrouillage du genou dans ce type d’atteinte musculaire.

Lorsque le recurvatum s’aggrave, lors du passage du pas, on parle de « bascule en recurvatum lors de l’appui monopodal ».

C – EXAMEN GÉNÉRAL DES DEUX MEMBRES INFÉRIEURS :

L’examen recherche une déformation frontale associée, en varus ou en valgus, aggravée ou non lors du passage de l’extension à l’hyperextension.

Le recurvatum-rotation interne tibiale peut aggraver un varus tibial.

On observe généralement la longueur des deux membres à la recherche d’une inégalité : vraie en cas d’épiphysiodèse, fausse en cas de recurvatum majeur où le membre semblant raccourci retrouve sa longueur normale en extension zéro.

L’inspection se poursuit par l’observation du profil du genou.

Cet examen permet de retrouver un avalement asymétrique de la tubérosité tibiale antérieure (TTA), séquelle d’épiphysiodèse. Puis les laxités sont recherchées, antérieure, postérieure ou frontale, ainsi que des signes méniscaux traduisant un très probable mécanisme traumatique.

La rotation tibiale externe est mesurée. On apprécie également l’état des formations postéroexternes par le test du recurvatum-rotation externe de Hughston.

Le patient étant étendu, l’opérateur, debout en bout de table, saisit les pieds par les gros orteils et soulève ainsi les deux membres inférieurs.

L’existence d’un recurvatum asymétrique dans cette position où le tibia est en rotation externe implique la lésion des formations ligamentaires postéroexternes.

L’examen clinique recherche encore une hyperlaxité des autres articulations (recurvatum du coude, hyperextension du pouce, laxité glénohumérale) ou, au contraire, une raideur musculaire, notamment du quadriceps et des ischiojambiers.

La raideur du quadriceps est appréciée sujet à plat ventre, donc hanche en extension sur la table, en mesurant la distance talon-fesse lors de la flexion maximale du genou.

Les ischiojambiers sont analysés par la distance talon-fesse, hanche à 90° de flexion et extension maximale de genou.

À l’issue de cet examen clinique complet, le recurvatum est mieux analysé dans sa globalité. Toutefois, il ne suffit pas et il doit être suivi d’examens complémentaires.

Bilan radiographique :

Son but est de quantifier le genu recurvatum global des deux genoux, de calculer la part osseuse dans le fémur et/ou le tibia, et de déduire, dans certains cas, la part ligamentaire.

A – RADIOGRAPHIES :

L’examen radiographique comporte :

– une goniométrie des deux membres inférieurs en appui bipodal, qui nous renseigne sur les éventuelles déformations frontales et les inégalités de longueur ;

– un grand cliché de profil, membre inférieur en hyperextension, permet de calculer le recurvatum global et ses composants osseux, fémoral ou tibial.

Le recurvatum fémoral est apprécié par la mesure de l’angle épiphysaire fémoral comparé au côté opposé pour les déformations distales.

Un cal vicieux en recurvatum est recherché également en zone métaphysodiaphysaire.

Ce recurvatum est mesuré par l’angle défini par les deux droites tangentes à la corticale antérieure du fémur de part et d’autre de la déformation osseuse.

Nous préférons, d’autant plus que la déformation est distale, la mesure comparée des deux genoux de l’angle formé par la tangente à la corticale antérieure et la ligne de Blumensaat, qui permet de quantifier le recurvatum d’origine fémorale.

Le recurvatum tibial est analysé simplement par la mesure de la pente tibiale, orientée normalement vers l’arrière et le bas, égale à 10° ± 3°.

Il faut également rechercher une déformation tibiale diaphysaire secondaire à un traumatisme à l’origine d’un tibia recurvatum.

La mesure de la pente tibiale peut être réalisée de plusieurs manières prenant comme axe tibial la crête tibiale antérieure, la corticale postérieure ou l’axe fibulaire.

Pour notre part, nous mesurons l’axe comme le suggéraient Dejour et Bonnin.

L’axe de référence tibial correspond à la bissectrice des deux droites distantes de 10 cm entre corticales antérieure et postérieure, sous la TTA :

– un cliché de profil du genou à 30° de flexion pour calculer la hauteur rotulienne par l’index de Caton-Deschamps ;

– un cliché de face en appui monopodal pour retrouver une éventuelle décoaptation fémorotibiale externe.

De plus, il peut exister une translation tibiale postérieure ; en relation directe soit avec une rupture du ligament croisé postérieur (LCP), soit due à l’inversion de la pente tibiale.

Le grand cliché de profil est réalisé pour les deux membres inférieurs afin de comparer les angles et les structures osseuses, à la recherche de cals vicieux, de séquelles de fracture ou d’épiphysiodèse.

B – TOMODENSITOMÉTRIE :

Cet examen est nécessaire lors de cals vicieux, notamment fémoraux, à la recherche de troubles de torsion.

Les mesures comparatives d’antétorsion fémorale, des calculs de la distance entra la tubérosité tibiale antérieure et le fond de la gorge trochléenne (TA-GT) et de la torsion tibiale, nous permettent une meilleure analyse des déformations autour du genou dans leur globalité afin de traiter d’autres anomalies si besoin dans le même temps opératoire.

À l’issue de cet examen radioclinique complet, l’étiologie du recurvatum est appréciée et analysée afin d’adapter au mieux sa prise en charge thérapeutique.

Étiologies. Mécanismes physiopathologiques :

A – GENU RECURVATUM CONSTITUTIONNEL :

Sa fréquence est importante puisqu’il est retrouvé dans 40 % de la population.

Il est compris entre 5 et 15°, en moyenne égal à 10°.

Il s’explique en général par une hyperlaxité constitutionnelle ligamentaire. Physiologiquement, le compartiment fémorotibial externe est plus mobile que l’interne.

Le bâillement externe existant en flexion chez tout sujet normal apparaît également en extension chez le sujet hyperlaxe.

Par ailleurs, la distension des formations postérieures permet le verrouillage du genou non plus en position d’extension 0° mais en recurvatum.

Ces notions aboutissent à une hyper-rotation tibiale externe, avec translation postérieure du plateau tibial latéral. Plus rarement, il s’associe à une hypoplasie du condyle fémoral latéral et donc à un genu valgum.

Le genu recurvatum constitutionnel est généralement asymptomatique, peut être inesthétique, motif de certaines consultations.

Toutefois, H Dejour retrouvait une certaine sensibilité de ces genoux aux ruptures du ligament croisé antérieur (LCA) et aux luxations de la rotule, surtout au-delà de 20° de recurvatum.

Il s’associe, dans un bon nombre de cas, aux instabilités rotuliennes dont il est un des facteurs favorisants.

En effet, l’hyperextension nécessaire au verrouillage du genou entraîne une pseudopatella alta.

Cette attitude rotulienne peut générer certains problèmes lors de la flexion, avec difficultés lors de l’engagement fémoropatellaire, voire instabilité rotulienne.

B – GENU RECURVATUM CONGÉNITAL :

Bien souvent bilatéral et symétrique, il n’est parfois que le témoin d’une hyperlaxité à la naissance, régressant au fil des ans à l’aide d’appareillages correcteurs maintenant une légère flexion.

Toutefois, plusieurs étiologies peuvent être incriminées.

Les anomalies graves du système neuromusculaire sont à écarter, les arthrogryposes congénitales multiples, les chondrodystrophies.

C – GENU RECURVATUM D’ORIGINE OSSEUSE :

Il s’agit de différencier les recurvatum fémoraux et tibiaux, leur part extra-articulaire et leur part articulaire.

1- Genu recurvatum extra-articulaire :

En cas de genu recurvatum extra-articulaire, les étiologies sont nombreuses.

Il s’agit fréquemment d’atteinte du cartilage de croissance de l’enfant.

Ce mécanisme crée une épiphysiodèse antérieure aboutissant à un défaut d’orientation de la pente tibiale.

L’inspection évoque le diagnostic lorsqu’elle retrouve une atrophie de la TTA, une saillie anormale asymétrique du condyle fémoral sur le segment jambier, un avalement postérieur du plateau tibial ou translation tibiale postérieure (il ne faut pas confondre cet aspect clinique avec un tableau de rupture du LCP).

Il en existe plusieurs causes :

– traumatismes par choc direct sur la TTA, décollement épiphysaire ou fracture diaphysaire irradiée en métaphyse ;

– atteintes iatrogènes, nombreuses chez l’enfant :

– traumatismes lors d’agrafages pour correction d’inégalité de longueur des membres, ou correction d’un défaut d’axe frontal ;

– traitement orthopédique par plâtre ;

– transposition de la TTA pour traitement chirurgical d’une instabilité rotulienne ;

– radiothérapie ou curetage pour tumeur osseuse de l’extrémité supérieure tibiale ;

– prise de greffon osseux tibial malencontreuse ;

– mise en place d’une traction transtibiale ;

– ostéomyélite et autre processus infectieux ;

– séquelles de maladie d’Osgood-Schlatter évoluant pour son propre compte ou traitée chirurgicalement (lors de la perforation par exemple) ;

– maladie d’Ehlers-Danlos.

Par ailleurs, nous pouvons retrouver radiologiquement un cal vicieux métaphysodiaphysaire, séquelle d’une fracture fémorale ou tibiale.

Le recurvatum est alors volontiers associé à d’autres déformations, frontales ou rotationnelles, à rechercher afin d’adapter le traitement.

2- Genu recurvatum articulaire :

– Au tibia : fractures articulaires avec impaction-enfoncement antérieure des plateaux tibiaux.

Il s’agit généralement d’une entorse grave avec atteinte du pivot central lors d’une hyperextension avec fracture du plateau par hyperpression tibiale antérieure.

– Au fémur : il s’agit essentiellement des séquelles de fractures, rarement d’une hypoplasie du condyle latéral où, dans ce cas, s’associent alors genu recurvatum et genu valgum.

D – GENU RECURVATUM LIGAMENTAIRE :

Il en existe schématiquement deux types : la distension progressive et la rupture traumatique dans le cadre d’une entorse grave complexe.

1- Distension capsuloligamentaire postérieure :

Elle peut survenir en cas d’hyperlaxité constitutionnelle ou bien s’associer à une attitude osseuse tendant vers le recurvatum.

L’atteinte des coques condyliennes postérieures, du point d’angle postéro-interne (PAPI), du point d’angle postéroexterne (PAPE), peut entraîner un recurvatum ligamentaire de près de 25°. Au-delà, il s’y associe habituellement une rupture du LCP.

On décrit alors deux cas de figures :

– le recurvatum direct qui correspond à l’atteinte bilatérale des compartiments postérieur, interne et externe, c’est l’atteinte majeure ; il y a bâillement postérieur franc ;

– l’atteinte d’un seul des compartiments qui impose un mécanisme rotationnel tibial associé au recurvatum.

L’examen clinique permet alors de distinguer, surtout en chronique, une rupture isolée du LCP ou la présence de lésions postéroexternes ou postéro-internes associées.

2- Recurvatum ligamentaire traumatique :

* Rupture du LCP associée à des lésions postéroexternes :

Aux signes de rupture du LCP s’associent :

– un tiroir postérieur exagéré en rotation externe ;

– un tiroir postérieur à 20° de flexion ;

– une rotation externe asymétrique à 30° de flexion ;

– une laxité externe asymétrique en varus forcé, proche de l’extension, et parfois un ligament latéral externe (LLE) non palpable ;

– un recurvatum test de Hughston positif : l’examinateur saisit le patient par les deux gros orteils en laissant reposer les genoux passivement dans le vide.

Le genou concerné présente un recurvatum passif associé à un varus-rotation externe.

L’examen à la marche peut retrouver une décoaptation en varusrecurvatum lors de l’appui monopodal.

* Rupture du LCP associée à des lésions postéro-internes :

Aux signes de rupture du LCP s’associent :

– un tiroir postérieur excessif en rotation interne ;

– une laxité interne en valgus en extension asymétrique.

* Pentades postérieures :

H Dejour et P Neyret décrivent les ruptures bicroisées (LCA + LCP) associées à des lésions capsulaires postérieures lors de traumatismes appuyés en hyperextension où s’associent des lésions ligamentaires complexes et une fracture-tassement tibiale antérieure à l’origine d’un recurvatum mixte (osseux et ligamentaire).

* Pentades externes :

Elles sont définies par une rupture du pivot central (LCA + LCP), c’est-à-dire bicroisée, associée à une lésion du PAPE, et notamment du poplité dans ce tableau avec recurvatum.

* Triades antéroexternes rétroligamentaires :

Elles sont caractérisées par une rupture du LCA et du PAPE.

La rupture isolée du LCA n’entraîne pas de recurvatum asymétrique.

3- Diagnostic différentiel : rupture isolée du LCP

Les signes cardinaux sont :

– un tiroir postérieur à 90° de flexion exagéré par rapport au côté sain ; ce tiroir postérieur n’est pas exagéré en rotation externe ; il est diminué en rotation interne ; il est inconstant en aigu ;

– l’avalement de la tubérosité tibiale antérieure à 90° de flexion ; il est inconstant en aigu ;

– un test de Trillat-Lachman de type arrêt dur retardé ;

– le reverse pivot shift qui est peu spécifique et a peu d’intérêt ;

– l’absence de laxité interne ou externe ;

– l’absence de rupture du LCA (absence de ressaut).

En cas de doute, l’imagerie par résonance magnétique confirme l’atteinte du LCP.

Le bilan radiographique doit être adapté à cet examen clinique.

Il comporte, en plus des clichés standards de face et de profil du genou, des clichés spécifiques :

– étude de la translation tibiale postérieure (LCP) :

– clichés comparatifs en tiroir postérieur à 90° de flexion (ce tiroir peut être réalisé par le manipulateur radiographique ou à l’aide d’un appareil type Telos) ;

– clichés de Puddu-Chambat : il s’agit d’une vue axiale à 70° de flexion visualisant la TTA ;

– étude de la translation tibiale antérieure (LCA) : clichés comparatifs en tiroir antérieur passif à 20° de flexion (Telos) ;

– en cas de suspicion d’atteinte périphérique : clichés en valgus varus forcé comparatifs à la recherche d’un bâillement de l’interligne, voire en hyperextension (extension maximale) comparative.

Il faut aussi, devant une translation tibiale postérieure asymétrique sur le cliché en appui monopodal de profil, savoir penser à une inversion de la pente tibiale responsable de cette translation postérieure.

Le LCP peut être intact.

E – GENU RECURVATUM D’ORIGINE MIXTE :

Il s’agit d’une déformation associant une distension capsuloligamentaire postérieure et un recurvatum osseux.

L’atteinte poliomyélitique en est la cause la plus classique.

La paralysie initiale du quadriceps est à l’origine d’une attitude en recurvatum à la marche, indispensable au verrouillage du genou, ce qui tend à augmenter les pressions à la partie antérieure des plateaux tibiaux par l’excès de déroulement des condyles fémoraux.

Il s’ensuit une atteinte du cartilage de croissance tibiale, une diminution de la pente tibiale, et donc un recurvatum osseux.

Parallèlement, la distension capsuloligamentaire postérieure s’aggrave, d’où l’augmentation du genu recurvatum.

Les traumatismes associant entorse grave et fracture-tassement tibiale antérieure sont également à l’origine de recurvatum mixtes. On peut citer enfin le recurvatum secondaire aux coxopathies de l’enfance.

Dans ce cas, la déformation du genou fait suite à l’attitude vicieuse développée liée à la pathologie de la hanche sus-jacente et s’inscrit dans ce que nos prédécesseurs appelaient le « genou complexe ».

Complications. Évolution :

Nous avons vu que la plupart des genu recurvatum constitutionnels restent asymptomatiques.

Dans certains cas, l’attitude en recurvatum conditionne l’apparition d’une symptomatologie à type de douleurs et parfois de syndrome rotulien avec subluxation.

Seuls quelques cas peuvent évoluer vers une pathologie rotulienne, source de douleurs, de subluxations rotuliennes, voire même d’instabilité rotulienne objective.

Le type de déformation en recurvatum varus rotation externe asymétrique est facteur d’arthrose fémorotibiale interne à terme.

Méthodes thérapeutiques :

La prise en charge d’un genu recurvatum nécessite l’étude radioclinique complète de l’anomalie et des déformations associées éventuelles.

A – MÉTHODES CONSERVATRICES :

Il s’agit essentiellement de l’utilisation d’appareillages et d’attelles qui limitent l’extension et empêchent la position en recurvatum.

Leur port quotidien est cependant contraignant.

La rééducation vise par ailleurs au renforcement des muscles fléchisseurs du genou, sans renforcer le quadriceps qui aurait tendance à aggraver le recurvatum.

Le port de talonnettes, et notamment de talons hauts, est recommandé par Noyes.

Dans le cas de recurvatum constitutionnel, bon nombre de patientes se trouvent améliorées par ces méthodes simples.

B – MÉTHODES CHIRURGICALES OSSEUSES :

1- Ostéotomie fémorale correctrice basse :

De réalisation difficile, elle vise à corriger le défaut d’axe sagittal, mais aussi bien souvent les anomalies annexes en rotation ou de valgus.

Le scanner est souvent indispensable pour la programmation préopératoire. Nous proposons une ostéotomie de soustraction postérieure.

Le geste est réalisé par voie d’abord externe.

La fixation est réalisée à l’aide d’une lame-plaque 90°.

Nous respectons généralement une charnière antérieure afin d’assurer une bonne solidité.

Il nous semble préférable de choisir cette solution plutôt que l’ouverture antérieure qui pose le problème de mise en tension du système extenseur qui s’oppose à la correction du recurvatum.

Chez l’enfant, avait été décrite et proposée une technique d’ostéotomie fémorale en « chevron », associée à une immobilisation plâtrée sans moyen d’ostéosynthèse ajoutée.

L’ostéotomie fémorale reste de pratique exceptionnelle, hormis chez l’enfant ou lors de cal vicieux fémoral supracondylien.

2- Ostéotomie tibiale haute :

Elle répond au besoin de correction d’une pente tibiale inversée.

La méthode que nous utilisons actuellement dans notre service est la technique de H Dejour, dérivée de la méthode originale de Lexter et Brett.

Il s’agit d’une ostéotomie d’ouverture antérieure sus-tubérositaire.

L’incision cutanée est antéro-interne, le long du bord interne du tendon rotulien.

Après décollement souscutané et repérage du tendon, nous préparons une baguette tibiale de 6 à 8 cm de long emportant de l’os corticospongieux afin de relever la TTA.

Les broches-guides sont alors positionnées sous contrôle ampli, dirigées d’avant en arrière, de bas en haut, situées à 4 cm de l’interligne antérieur et à 6 mm environ de l’interligne postérieur, dans la zone d’insertion des fibres du LCP, au-dessus de l’insertion tibiale des coques postérieures, ce qui permet de conserver une charnière postérieure.

L’ostéotomie est réalisée à la scie oscillante, sur broches, au-dessus de l’articulation péronéotibiale supérieure.

Il est inutile de réaliser une ostéotomie du péroné.

L’ouverture de l’ostéotomie tibiale est réalisée à l’aide de l’empilement de lames de Lambotte introduites successivement dans l’os, l’une sur l’autre, afin d’obtenir le bon degré de correction souhaité par la programmation.

Nous considérons que 1 mm d’ostéotomie d’ouverture permet d’obtenir une correction de 2° environ.

Lors de la programmation, le calcul du nombre de degrés de correction à apporter doit prendre en compte l’anomalie osseuse mesurée, mais également l’anomalie clinique et les données de l’ensemble de l’examen.

Un recurvatum osseux de 20° peut n’avoir qu’une faible traduction clinique mesurée alors à 10° et ne nécessite évidemment pas une correction de 20°, au risque d’observer un flessum, très mal vécu.

Le foyer d’ostéotomie est alors greffé à l’aide de greffons osseux iliaques corticospongieux.

Le moyen de fixation est l’agrafe de Blount.

Nous en disposons habituellement deux, à cheval sur le trait d’ostéotomie, de part et d’autre de la TTA.

La TTA est refixée à l’aide de deux vis AO 4,5 mm en prenant soin de ne pas modifier la hauteur rotulienne.

Il faut donc remonter la baguette osseuse de la hauteur de l’ouverture tibiale antérieure.

L’ostéotomie respecte une charnière tibiale postérieure, et ceci même en cas de nécessité de correction dans le plan frontal.

En effet, l’ouverture tibiale antérieure peut être associée à un certain degré de correction dans ce plan, sachant que de toute manière il ne faut pas tenter de tout corriger mais privilégier, dans ce cas, la correction du recurvatum.

Dans certains cas, en fonction des données du scanner et des mesures de la TAGT, une légère médialisation de la TTA peut être proposée. Les suites opératoires contre-indiquent l’appui pendant 2 mois.

Une rééducation par mobilisation activopassive douce et progressive jusqu’à 90° de flexion pendant 45 jours est élargie par la suite.

Une attelle de posture est maintenue durant 2 mois à 5° de flessum (type Zimmer ou résine bivalvée).

3- Autres gestes osseux :

En cas de recurvatum par épiphysiodèse, nous pouvons être amenés à proposer de rares désépiphysiodèses afin de tenter d’obtenir une correction de la pente tibiale. Certains cals fémoraux ou tibiaux extra-articulaires nécessitent des ostéotomies correctrices localisées.

C – GESTES LIGAMENTAIRES :

Ces gestes chirurgicaux tendent à lutter contre la distension capsuloligamentaire postérieure ou à retendre le plan ligamentaire afin d’éviter le recurvatum.

1- Capsulorraphie postérieure interne et externe :

Isolée, elle n’atteint pas le but escompté.

On la réalise par double voie rétroligamentaire.

Il s’agit de retendre la capsule postérieure ou coques condyliennes à son insertion fémorale.

Il existe plusieurs techniques. Les deux principales sont les suivantes :

– la première vise à désinsérer la capsule à l’os pour la réinsérer une fois retendue à un niveau plus proximal ; le moyen de fixation peut être un tunnel transosseux ou un agrafage ;

– la seconde est une retension par suture de la capsule sur ellemême en « paletot ».

La capsulorraphie est soumise à une distension secondaire ou, inversement, à l’apparition d’un flessum par tension excessive.

Le maintien d’un flessum de quelques degrés, lors de la rééducation, pendant la phase de cicatrisation (45 à 60 jours) est recommandé.

2- Réfection du point d’angle postéroexterne :

Il est constitué des muscles et du tendon poplité du ligament arqué, de la coque condylienne externe et du ligament fabellopéronier, ainsi que du ligament fibulopoplité (PFL des Anglo-Saxons).

On y associe le LLE.

Nous distinguons deux cas de figures :

– en aigu, nous pouvons réinsérer une avulsion condylienne du poplité ou du LLE, à condition que les ligaments soient en continuité, ou affronter et suturer les lésions accessibles ; en l’absence d’avulsion osseuse, les gestes ligamentaires en urgence sont parfois difficiles, voire iatrogènes ;

– en chronique, nous avons recours le plus souvent à une plastie externe.

Le plus important est d’assurer la reconstruction du LCP (± LCA selon les cas) au geste externe.

Il est possible, lorsque les ligaments sont en continuité, de retendre le complexe LLE-poplité, comme l’ont préconisé Hughston, Trillat ou Noyes, en détachant une pastille osseuse condylienne emportant leur insertion conjointe qui est réinsérée en haut et en avant.

Nous préférons, pour notre part, reconstruire le LLE, voire le tendon poplité, au moyen d’un greffon de type os-tendon rotulien-os ou os-tendon quadricipital.

Très rarement, les deux éléments, LLE et tendon du poplité, sont reconstruits dans le même temps opératoire (plastie du « grand poplité » selon Bousquet).

Ces techniques nécessitent un prélèvement controlatéral ou le recours à une allogreffe.

On peut encore utiliser les muscles de la patte-d’oie.

Le ligament fibulopoplité peut être reconstruit au moyen d’une partie du tendon du biceps (« petit poplité » de Bousquet).

Les lésions internes ou postéro-internes sont plus rares et ne nécessitent généralement pas de geste complémentaire.

La réfection isolée du PAPE donne également, comme la capsulorraphie, de mauvais résultats.

Il est impératif d’y associer un geste osseux de type ostéotomie tibiale de valgisation (OTV) en cas de genu varum, même modéré, afin de protéger les gestes ligamentaires.

Il s’agit habituellement d’une addition interne plus précise devant conduire à une discrète hypercorrection.

3- Technique dite « de la boîte de sardines » :

Nous voudrions rapporter la technique opératoire de l’intervention dite « de la boîte de sardine » pour correction des recurvatum ligamentaires décrite par Philippe Piriou et Thierry Judet et dont voici les principaux aspects techniques.

* Principe :

Il consiste en une remise en tension des coques condyliennes sans toucher à leur continuité (comme le ferait une section suivie d’une suture en « paletot ») et en modifiant le moins possible leur point d’insertion osseuse.

Il fait appel aux processus de consolidation osseuse et non à ceux de cicatrisation ligamentaire.

* Technique :

Elle comporte un double abord postérolatéral médial et latéral de 5 à 6 cm de long, centré sur la partie haute des condyles fémoraux.

Une dissection capsulaire extra-articulaire isole la partie haute des coques.

Une arthrotomie longitudinale à la jonction coque-point d’angle permet de bien individualiser l’insertion de la coque audessus des condyles.

Une baguette d’insertion osseuse de chacune des coques est découpée à la scie oscillante fine ou à l’ostéotome.

Ces deux baguettes ont une forme parallélépipédique.

Leur longueur représente toute la longueur d’insertion de la coque audessus du condyle.

Leur section est carrée, de 9 à 14mm de côté, en fonction de l’importance du flessum à corriger.

Les deux baguettes sont mobilisées et totalement séparées de leur logette de prélèvement.

Elles restent solidaires des coques (dont elles portent toute l’insertion haute).

Il est alors facile de les faire pivoter de 90° autour de leur grand axe (« ouverture en boîte de sardines »), ce qui provoque un raccourcissement théorique des coques équivalant à la taille du carré de résection de la baguette.

Chaque baguette est réenclavée dans sa logette : la stabilité spontanée est complétée par une agrafe ou une vis.

Deux points résorbables ferment les arthrotomies longitudinales.

* Suites :

Une genouillère, autorisant éventuellement le flessum, interdit l’extension au-delà de – 20° pendant les 5 premières semaines.

* Indications :

Ce sont les recurvatum ligamentaires à l’exclusion des recurvatum d’origine osseux.

Il peut s’agir :

– soit de recurvatum pur constitutionnel au-delà de 20-25° et spontanément invalidant ;

– soit de recurvatum associé à des instabilités par lésion traumatique, en particulier du LCA.

Cette technique non encore publiée a été appliquée depuis 1996 à une dizaine de genoux.

Indications :

Elles dépendent essentiellement de l’étiologie et du terrain.

A – EN CAS DE GENU RECURVATUM CONSTITUTIONNEL :

Ce type de recurvatum est généralement inférieur à 20°.

Nous proposons de surveiller cette déformation en prescrivant parfois des attelles du genou de posture et un renforcement musculaire en kinésithérapie.

Rappelons l’intérêt des talonnettes ou des talons hauts.

B – EN CAS DE GENU RECURVATUM D’ORIGINE OSSEUSE :

En fonction de la gêne ressentie et du degré de déformation (audelà de 15 à 20°), une correction chirurgicale est proposée.

Nous avons vu qu’un recurvatum fémoral est traité par ostéotomie correctrice de fermeture postérieure souvent associée à un autre type de correction, de dérotation ou fréquemment de varisation.

C – EN CAS DE DÉFORMATION TIBIALE :

– Chez l’enfant, rares sont les indications de désépiphysiodèse pour séquelles d’épiphysiodèse traumatiques ou iatrogènes.

Bien souvent, le recurvatum se corrige ; sinon, il faut attendre la maturation osseuse afin de réaliser un geste à l’âge adulte.

Des appareillages antirecurvatum ou attelles de genou simples font patienter.

Bien que mal supportées, ces orthèses permettent d’éviter l’aggravation des lésions.

– Chez l’adulte, l’ostéotomie tibiale antérieure est l’intervention la mieux codifiée.

On y associe parfois un effet de valgisation en cas de varus rotation externe.

D – EN CAS DE RECURVATUM LIGAMENTAIRE :

Les gestes ligamentaires isolés répétés difficiles ont de mauvais résultats.

Il faut toujours y associer une reconstruction du LCP et/ou du LCA.

Ainsi, lors d’un déséquilibre frontal, une OTV est systématiquement réalisée pour protéger les sutures et améliorer le score fonctionnel.

Sinon, en cas de pente tibiale insuffisante, nous corrigeons ce déséquilibre sagittal par une ostéotomie de flexion tibiale (ouverture antérieure).

E – EN CAS DE RECURVATUM MIXTE ET NOTAMMENT DANS LE CADRE DE LA POLIOMYÉLITE :

L’ostéotomie d’ouverture tibiale antérieure est associée à une retension capsuloligamentaire postérieure.

En cas de poliomyélite, la prise en charge est globale, n’ignorant pas les éventuels équin ou inégalité de longueur associés.

Conclusion :

La prise en charge du genu recurvatum nécessite une analyse radioclinique complète afin d’en déterminer la part osseuse, ligamentaire ou mixte, son étiologie, son évolutivité, les éventuelles compensations, l’utilité lors de la marche et le retentissement global sur le membre inférieur.

L’attitude thérapeutique tient compte par ailleurs, comme toujours, de l’âge du patient, de la notion de maturité osseuse chez l’enfant et du terrain.

L’indication chirurgicale s’impose généralement au-delà de 20° de déformation en cas de genu recurvatum bilatéral.

En deçà, elle prend en compte la symptomatologie, la gêne fonctionnelle, et surtout le caractère asymétrique de la déformation.

La part osseuse est bien corrigée par les diverses ostéotomies correctrices proposées.

La part ligamentaire reste difficile à traiter de manière isolée par des gestes de suture et de retension capsuloligamentaire.

Il faut bien souvent y associer d’autres gestes osseux. Des plasties plus complexes, associées à la reconstruction du LCP, font partie de l’arsenal thérapeutique.

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