Génétique et médecine prédictive en pneumologie

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Introduction :

Les découvertes de la génétique se succèdent à un rythme rapide e t modifient progressivement les conceptions nosologiques de la plupart des domaines de la médecine.

À l’évidence, cette évolution va encore s’accélérer avec, prochainement, le séquençage complet du génome humain.

En attendant que les découvertes de la génétique se traduisent en thérapies capables d’enrayer l’évolution des maladies génétiques, voire de corriger l’anomalie génique, les données que l’on possède aujourd’hui permettent cependant le développement d’une médecine prédictive capable de déceler des facteurs de risque, de proposer aux sujets exposés des conseils hygiénodiététiques ou d’éviter certaines intolérances thérapeutiques.

Génétique et médecine prédictive en pneumologieDans le domaine de la pneumologie, on peut distinguer des maladies monogéniques, ou principalement monogéniques, et des maladies multifactorielles.

Il faut aussi signaler le développement de l a pharmacogénétique qui va permettre d’adapter le traitement aux particularités de la réponse individuelle.

Maladies respiratoires principalement monogéniques :

Pour nombre de maladies monogéniques, l’étude des corrélations entre génotype et phénotype fournit des données parfois ambiguës : on peut établir certaines corrélations mais, souvent, l’expression clinique de la maladie semble dépendre en partie d’autres facteurs.

A – MUCOVISCIDOSE (« CYSTIC FIBROSIS » OU CF) :

Cette maladie autosomique et récessive, fréquente (environ 1/3 000 naissances) est un exemple particulièrement instructif.

Dans sa forme classique, cette exocrinopathie peut apparaître dès la naissance sous forme d’un iléus méconial et se manifeste plus tard par l’association d’une infection bronchopulmonaire sévère , d’une insuffisance pancréatique, d’anomalies hépatiques et d’une stérilité masculine.

Le diagnostic biologique est porté sur le test de la sueur (chlore [Cl] sudoral > 60 mEq/L).

La maladie est due à des mutations du gène CF (identifié en 7q31.2) codant pour une protéine appelée CFTR (cystic fibrosis transmembrane conductance regulator).

Cette protéine (1480 aa), exprimée au niveau de la membrane apicale de différentes cellules épithéliales, a une fonction de canal chlore et d’autres fonctions incomplètement identifiées.

Dans l’Europe du Nord, la mutation DF508 est observée sur plus de 70 % des chromosomes CF.

Elle entraîne un blocage de CFTR au niveau de son lieu de synthèse et conduit à une véritable maladie du trafic intracellulaire.

On connaît actuellement plus de 900 mutations différentes qui peuvent en partie être distinguées en mutations sévères, comme la mutation DF508, et en mutations moins graves.

La maladie peut se présenter aussi sous des formes frustes telles que l’agénésie bilatérale congénitale des canaux déférents, des formes tardives à type de bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) dépistées à l’âge adulte, ou des formes purement pancréatiques.

La constatation, chez des patients atteints de la forme classique de mucoviscidose ayant le même génotype, de différences dans la sévérité de l’infection pulmonaire conduit actuellement de nombreux laboratoires à rechercher d’autres facteurs génétiques responsables de ces différences.

Sur un plan pratique, la recherche des mutations du gène CF permet de proposer un diagnostic anténatal aux familles ayant déjà un enfant atteint de mucoviscidose, d’offrir un conseil génétique aux apparentés et d’établir un diagnostic et un conseil génétique dans les formes atypiques (formes pulmonaires t a rdives e t sinusites chroniques).

Elle intervient enfin dans les stratégies de dépistage néonatal qui vont s’imposer et qui cherchent, par un diagnostic présymptomatique et une prise en charge plus précoce, à améliorer le pronostic des enfants atteints de mucoviscidose.

B – DÉFICIT EN ALPHA 1-ANTITRYPSINE (AAT) :

C’est aussi une maladie autosomique récessive : ce déficit est associé à une augmentation importante du risque de développement d’un emphysème, surtout chez les fumeurs.

L’AAT, antiprotéase essentiellement synthétisée dans le foie, est sécrétée dans le sérum où elle est capable d’inhiber l’élastase leucocytaire.

De nombreux variants de cette glycoprotéine peuvent être séparés par des techniques d’iso-électro-focalisation, et près de 90 mutations ont été identifiées sur le gène qui se situe en 14q32.1.

La teneur en AAT peut être déterminée par méthode immunologique ou par mesure de l’activité antiélastasique.

Elle augmente dans les syndromes inflammatoires.

La plupart des variants d’AAT correspondent à de simples polymorphismes qui ne modifient ni la quantité de la protéine dans le sérum ni sa fonction (M1, M2, M3, M4…).

Certains variants (I, S, P…) s’accompagnent d’une légère baisse de concentration de la protéine (60 à 70 % de l’activité normale).

D’autres (variants Z et quelques rares variants M) s’accompagnent d’une diminution très importante d’AAT (moins de 20 % de l’activité normale) ou de sa disparition totale (variants nuls ou Q0).

Chaque allèle est exprimé et la concentration d’AAT dans le sérum est la somme de la production dirigée par les deux allèles : les hétérozygotes MZ ont donc une concentration d’AAT intermédiaire.

La forme classique du déficit en AAT est observée chez les homozygotes ZZ (pour les sujets d’origine européenne, un cas pour 2 à 7 000 naissances).

Les mutations responsables des allèles Z conduisent à la synthèse de molécules qui ont tendance à s’agréger dans le réticulum endoplasmique des cellules hépatiques.

Il s’agit aussi d’une maladie du trafic intracellulaire avec deux conséquences : une accumulation de la protéine dans le réticulum endoplasmique qui peut conduire à des altérations hépatiques et, surtout, une faible activité antiélastase du sérum, responsable du développement, à terme, d’un emphysème.

Chez les homozygotes ZZ, l’emphysème apparaît souvent avant 40 ans, plus rapidement encore chez les fumeurs.

L’expression clinique des altérations hépatiques est variable : ictère néonatal prolongé (environ 17 % des homozygotes ZZ) avec parfois évolution vers la cirrhose (dans de telles familles, on peut proposer un diagnostic anténatal), cirrhose dans plus de 25 % des cas après 50 ans, avec un risque accru de cancer hépatique.

Les hétérozygotes composites SZ peuvent présenter un tableau clinique analogue ; de même, les porteurs d’autres allèles très rares du gène de l’AAT, ou des allèles Q0 correspondant à des délétions importantes ou à des mutations non-sens.

Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la maladie est trop souvent méconnue, mais le développement de tests de biologie moléculaire, simples et rapides, pour le diagnostic des formes de déficit les plus fréquentes devrait permettre de remédier à cette insuffisance.

Enfin, des essais de traitement substitutifs par des préparation d’AAT obtenues à partir de plasmas sont actuellement en cours.

C – PROTÉINOSE ALVÉOLAIRE CONGÉNITALE :

Elle peut être liée à une anomalie du gène codant pour la glycoprotéine SP-B du surfactant.

Maladies multifactorielles :

L’existence de familles d’asthmatiques ou de bronchopathes, connue depuis longtemps, suscite actuellement de très nombreux travaux.

Ces maladies ne sont pas transmises selon un mode mendélien classique et elles appartiennent au groupe des maladies « multifactorielles » dues à l’interaction de facteurs génétiques et de facteurs environnementaux.

A – ASTHME :

Par sa fréquence et sa sévérité, il pose un problème de santé publique mondial.

Des efforts considérables de criblage du génome sont réalisés pour tenter d’identifier les gènes susceptibles de contribuer à son développement et à celui de l’hyperréactivité bronchique et de l’atopie.

Une quinzaine de loci potentiels ont été identifiés.

Parallèlement, des anomalies d’un certain nombre de gènes candidats sont activement recherchées.

Les résultats de ces travaux posent de nombreux problèmes d’interprétation souvent liés à l’hétérogénéité et à la faible taille des populations étudiées.

Il existe néanmoins de solides arguments pour un rôle du gène du récepteur adrénergique bêta2 dans la survenue de la maladie et probablement dans sa sévérité.

Il semble également que des anomalies des gènes de la sous-unité a du récepteur de l’interleukine 4 (IL4), des gènes des IL9 et 13, de la sous-unité FceR1-b du récepteur à immunoglobuline E (IgE) de haute affinité et de la platelet-activating factor (PAF)-acétylhydrolase puissent jouer un rôle.

B – BRONCHOPNEUMOPATHIES CHRONIQUES OBSTRUCTIVES :

Elles constituent aussi un réel problème de santé publique.

Le tabagisme est le principal facteur de risque des BPCO.

Cependant, le fait que seule une faible proportion de fumeurs (10 à 20 %) développe une maladie suggère que d’autres facteurs entrent en jeu.

La pollution, les infections respiratoires et certaines expositions professionnelles peuvent intervenir, mais de nombreuses données épidémiologiques laissent cependant penser que l’hérédité joue également un rôle.

L’énumération qui en est faite ici n’est pas exhaustive :

– un déficit mineur en AAT pourrait représenter l’un des facteurs intervenant dans la genèse des BPCO.

Plusieurs études ont été consacrées aux hétérozygotes pour l’allèle Z et aux sujets homozygotes ou hétérozygotes composites pour d’autres mutations.

Seul le génotype MZ constitue, semble-t-il, un facteur de risque ;

– deux mutations faux sens du gène de l’alpha-1-antichymotrypsine, responsables d’une diminution du taux sérique, ont été identifiées chez des patients atteints de BPCO mais leur rôle est controversé ;

– une mutation du gène de la glutathion-Stransférase (GSTµ1), présente chez 50 % des individus et responsable d’un déficit de cette enzyme, pourrait être à l’origine d’un accroissement du stress oxydatif ; cette délétion serait significativement plus fréquente chez les patients atteints d’emphysème (65 %) ;

– des anomalies des gènes des enzymes du métabolisme des xénobiotiques pourraient aussi expliquer une susceptibilité accrue aux effets des composés inhalés.

L’époxyde hydrolase microsomale (mEPHX) joue un rôle majeur dans le métabolisme d’époxydes hautement réactifs provenant de la fumée de cigarette et l’une des mutations de ce gène serait plus fréquente, à l’état homozygote, chez les patients atteints de BPCO.

Une mutation du gène d’un cytochrome P450 (CYP1A1), impliqué dans l’activation métabolique d’hydrocarbures aromatiques polycycliques, semble également associé au risque d’emphysème ;

– des mutations du gène CF pourraient, dans un contexte génétique particulier, influer sur le développement des BPCO.

On a aussi relevé, chez les sujets hétérozygotes DF508, une fréquence accrue de rhinosinusite chronique ;

– au total, la plus grande susceptibilité de certains individus au tabac ou aux autres facteurs de risque environnementaux dépend peut-être de la coïncidence de plusieurs polymorphismes génétiques agissant de concert.

Il est possible que les BPCO, comme l’asthme, soient en réalité des syndromes et que l’identification des facteurs de risque génétique aboutisse à leur démembrement.

C – SARCOÏDOSE :

Des résultats récents laissent penser que, dans la sarcoïdose, le polymorphisme d’un certain nombre de gènes (cytokines, TCrécepteur, ACE…) constitue un facteur de risque de la maladie.

Pharmacogénétique et maladies respiratoires :

De nombreuses études ont permis de mettre en évidence le rôle de facteurs génétiques dans la variabilité de réponses des patients asthmatiques à leur traitement.

Les sujets homozygotes pour une mutation (Gly16) du gène du récepteur bêta2-adrénergique (35 % de la population caucasienne) répondent moins bien au traitement au long cours par les b-agonistes.

Il semble également que la réponse des patients au traitement par les inhibiteurs de la 5-lipoxygénase soit partiellement déterminée par un polymorphisme de la région promotrice du gène ALOX5.

De même, certaines mutations du gène de la LTC4-synthétase conditionneraient la sensibilité à l’aspirine.

À l’avenir, le développement de méthodes permettant de détecter les anomalies responsables de la variabilité de l’efficacité thérapeutique et leur utilisation en routine permettront au clinicien de prévenir l’inefficacité thérapeutique et l’apparition d’effets indésirables.

Conclusion :

Les progrès actuels de la génétique permettent surtout un diagnostic et une prise en charge précoces des maladies bronchopulmonaires monogéniques (essentiellement mucoviscidose et déficit en AAT).

Dans les familles de ces malades, il est aussi possible d’identifier les sujets à risque, qui devront bénéficier des conseils d’un spécialiste en conseil génétique.

Cette assistance du généticien sera aussi indispensable dès que des facteurs de risque des maladies multifactorielles auront été parfaitement validés.

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