Hépatopathie alcoolique non cirrhotique

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Il existe schématiquement quatre tableaux anatomocliniques au cours de la maladie alcoolique du foie : la stéatose macrovésiculaire, la stéatose microvésiculaire, l’hépatite alcoolique aiguë et la cirrhose, stade ultime de la fibrogenèse alcoolique.  Cette stratification, souvent utilisée, est uniquement didactique, car elle ne reflète pas toujours une progression chronologique, d’autant que ces trois lésions sont souvent associées. Le plus souvent, la maladie alcoolique paraît aller de la stéatose à l’hépatite alcoolique vers la cirrhose.  Cette schématisation de la progression des lésions hépatiques liées à l’alcool a cependant été remise en cause dans de nombreux travaux. En effet, la majorité des buveurs excessifs développeront une stéatose à un moment de leur vie de consommateur.  L’histoire naturelle de l’hépatite alcoolique est mal connue, mais il semble qu’elle soit une lésion précirrhogène.

Stéatose alcoolique macrovésiculaire :

Hépatopathie alcoolique non cirrhotique– Les études effectuées chez l’homme montrent que la stéatose est une complication fréquente et précoce de l’intoxication alcoolique, retrouvée chez 30 % des buveurs excessifs ayant subi une ponction-biopsie hépatique.

– Au cours de la stéatose alcoolique, la surcharge hépatocytaire en triglycérides est due à un défaut d’oxydation des acides gras par les mitochondries, secondaire à une augmentation du rapport cytoplasmique NADH/NAD.

– Le diagnostic de stéatose est un diagnostic histologique.

Stéatose alcoolique microvésiculaire :

Le diagnostic de certitude de stéatose alcoolique microvésiculaire est histologique.

– Elle est beaucoup plus rare que la stéatose macrovésiculaire, tout au moins lorsqu’elle est pure.

– Dans la stéatose microvésiculaire, un dysfonctionnement aigu des mitochondries, lié dans certains cas à une délétion de l’ADN mitochondrial, a été évoqué.

Hépatite alcoolique aiguë :

L’hépatite alcoolique aiguë est une entité fréquente et grave dont la mortalité peut atteindre 50 % dans les formes sévères.

Le diagnostic d’hépatite alcoolique est souvent évoqué sur une présomption clinicobiologique, mais il doit être confirmé par la biopsie hépatique.

Stéatose alcoolique macrovésiculaire :

ANATOMIE PATHOLOGIQUE :

Le diagnostic de stéatose est un diagnostic histologique.

La stéatose alcoolique macrovésiculaire correspond à une accumulation hépatocytaire de triglycérides.

La stéatose macrovésiculaire est de loin la forme la plus fréquente d’atteinte hépatique liée à l’alcool.

– Il s’agit en règle générale d’une atteinte diffuse.

– L’atteinte prédomine dans la région centrolobulaire, mais n’épargne aucun territoire lorsqu’elle est massive.

– Les globules graisseux, initialement limités par une membrane, fusionnent pour constituer de grosses vacuoles refoulant le noyau à la périphérie.

La stéatose peut être isolée ou associée à une hépatite alcoolique aiguë, une fibrose ou une cirrhose.

DIAGNOSTIC POSITIF :

Signes cliniques :

La stéatose macrovésiculaire, indépendamment de son importance, est habituellement asymptomatique.

– Dans les séries hospitalières, l’hépatomégalie est le signe clinique le plus fréquemment retrouvé (70 % des cas), l’ictère est rarement observé au cours des stéatoses isolées.

– L’association d’une hyperlipidémie, d’une anémie hémolytique et d’un ictère définissent le syndrome de Zieve.

Les signes cliniques peuvent être classés en signes témoignant de l’intoxication alcoolique et en signes d’hépatopathie.

Signes témoignant de l’intoxication alcoolique

– Signes d’intoxication alcoolique aiguë : faciès rouge, agitation ou torpeur, conjonctives rouges et haleine œnolique.

– Signes d’intoxication alcoolique chronique : acné rosacée, érythème palmaire, maladie de Dupuytren et augmentation de volume des parotides.

– Signes physique de sevrage : signes adrénergiques de prédelirium tremens (agitation, tremblements, sueurs, tachycardie, hypertension artérielle), nausées, vomissements ou hallucinations dans le cadre d’un delirium tremens.

Signes d’hépatopathie

–  L’hépatomégalie est le signe le plus fréquent (70 % des cas).

–  L’ictère est rare et se voit surtout si la stéatose est associée à une hépatite alcoolique aiguë ou à une stéatose microvésiculaire massive.

Examens biologiques :

Tests hépatiques

Des anomalies des tests hépatiques sont observées dans plus de 50 % des cas :

– une augmentation modérée de la gamma-glutamyltranspeptidase, bien que non spécifique, est le signe le plus fréquemment retrouvé ;

– une augmentation modérée (le plus souvent moins de cinq fois la limite supérieure de référence) des transaminases (avec un rapport ASAT/ALAT supérieur à 1) ;

– une augmentation modérée de la phosphatase alcaline sérique ;

– une augmentation le plus souvent modérée de la bilirubine prédominant sur la fraction conjuguée  des taux élevés ne sont retrouvés qu’en cas de formes sévères (hépatite alcoolique surajoutée ou association à une stéatose microvésiculaire massive) ;

– une diminution du TP et du facteur V est exceptionnellement retrouvée et n’est observée que dans les formes sévères (hépatite alcoolique surajoutée ou association à une stéatose microvésiculaire massive).

Les perturbations du bilan biologique hépatique décrites ci-dessus ne sont cependant pas spécifiques de la stéatose chez les buveurs excessifs.

Signes biologiques d’alcoolisme

– Hépatopathie chronique : macrocytose et augmentation de la gamma-glutamyltranspeptidase (induction enzymatique).

– Hépatopathie aiguë : thrombopénie par action toxique au niveau médullaire de l’alcool, avec normalisation du taux de plaquettes 2 à 3 jours après l’arrêt de l’alcool.

Radiologie :

–  L’échographie doit être prescrite systématiquement au cours de l’exploration de perturbations du bilan biologique hépatique.

– Le diagnostic de stéatose est souvent évoqué devant l’aspect hyperéchogène du foie (augmentation du gradient d’échogénéicité foie-rein).

– L’aspect hyperéchogène est le plus souvent homogène.

– Le parenchyme peut cependant être hétérogène, faisant craindre la possibilité de lésions tumorales.

– Le scanner ou l’IRM ne sont pas des examens utiles chez les patients ayant une stéatose. Dans les formes hétérogènes, ces examens peuvent être prescrits afin d’éliminer la possibilité de lésions tumorales. La stéatose apparaît hypodense au scanner et hyperintense à l’IRM en séquence pondérée T1.

Néanmoins, quelles que soient les performances actuelles des examens radiologiques, seule une biopsie hépatique permet d’affirmer le diagnostic de stéatose macrovésiculaire.

Ponction-biopsie hépatique :

–  Le diagnostic de certitude est histologique.

– Le cytoplasme de l’hépatocyte contient des vésicules de graisse optiquement vides de 1 à 10 µm.

– Le noyau est refoulé à la périphérie par les vésicules graisseuses.

– Le degré de stéatose pour un hépatocyte et le pourcentage des hépatocytes sont très variables.

– La biopsie hépatique est réalisée par voie transpariétale ou par voie transjugulaire s’il existe des troubles de l’hémostase (thrombopénie inférieure à 50 000/mm3, taux de prothrombine inférieur à 50 % ou allongement du temps de saignement).

DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL :

Devant un bilan hépatique perturbé

Chez les patients buveurs excessifs, des perturbations du bilan hépatique doivent faire éliminer :

– une hépatopathie chronique liée au virus B, à une coïnfection virale B-D ou au virus C.

– une hépatite alcoolique aiguë.

– une hépatite médicamenteuse.

– une hépatopathie quelle qu’en soit l’étiologie.

– un obstacle sur les voies biliaires.

– une tumeur hépatique.

Bilan d’exploration

Afin d’éliminer les diagnostics ci-dessus, le bilan d’exploration de perturbations du bilan hépatique chez un buveur excessif doit comporter :

– une échographie abdominale.

– les sérologies virales B, C et delta afin d’éliminer les cirrhoses d’origine virale.

– le bilan ferrique afin d’éliminer l’hémochromatose génétique ;

– chez un sujet jeune, une cuprémie et un dosage de céruloplasmine afin d’éliminer une maladie de Wilson.

– chez un sujet jeune, un dosage de l’alpha-1-antitrypsine.

– chez une femme d’âge moyen, une recherche d’anticorps antimitochondries (de type M2) afin d’éliminer une cirrhose biliaire primitive.

– chez une femme jeune, une recherche des auto-anticorps antimuscle lisse et antiréticulum endoplasmique, afin d’éliminer une hépatite auto-immune.

ÉVOLUTION :

L’évolution est en général favorable.

Le plus souvent, la stéatose disparaît en 2 à 6 semaines chez les patients qui arrêtent de consommer de l’alcool.

TRAITEMENT :

Le seul traitement repose sur l’arrêt de l’alcool.

Stéatose alcoolique microvésiculaire :

La stéatose microvésiculaire est beaucoup plus rare que la stéatose macrovésiculaire, tout au moins lorsqu’elle est pure.

Le diagnostic de certitude est histologique.

ANATOMIE PATHOLOGIQUE :

– La présence dans les hépatocytes centrolobulaires d’une multitude de vacuoles de petite taille, laissant le noyau en position centrale, permet le diagnostic histologique de stéatose microvésiculaire.

– Elle est plus souvent associée à une stéatose macrovésiculaire et/ou à une hépatite alcoolique.

– Le diagnostic peut être difficile lorsque les vacuoles sont de très petite taille. La mise en évidence histochimique des graisses peut être utile, si l’on dispose d’un prélèvement congelé ou fixé dans le formol.

La biopsie hépatique est réalisée par voie transpariétale ou par voie transjugulaire, en fonction de l’hémostase (voir supra).

ASPECTS CLINIQUES :

– Si la présentation clinique peut être bruyante, avec ictère, anorexie, ascite et hypertension portale, elle peut toutefois être plus discrète.

– En cas de forme symptomatique, il n’y a pas de signe biologique ou clinique permettant de la différencier de l’hépatite alcoolique aiguë.

Certaines formes mortelles ont été rapportées, mais l’évolution est en règle générale favorable.

– Signes témoignant de l’intoxication alcoolique (voir chapitre “ Stéatose macrovésiculaire ”).

– Signes d’hépatopathie chronique : une hépatomégalie, un ictère et/ou une encéphalopathie se voient en cas de forme massive.

DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL :

(Voir chapitre “ Stéatose macrovésiculaire ”.)

ÉVOLUTION :

La stéatose microvésiculaire disparaît rapidement en quelques jours à l’arrêt de l’intoxication alcoolique.

TRAITEMENT :

Le seul traitement repose sur l’arrêt de la consommation d’alcool.

Hépatite alcoolique aiguë :

L’hépatite alcoolique aiguë est une entité fréquente et grave dont la mortalité peut atteindre 50 % dans les formes sévères.

Son diagnostic est souvent évoqué sur une présomption clinicobiologique, mais il doit être confirmé par une biopsie hépatique.

ANATOMIE PATHOLOGIQUE :

L’association de signes de nécrose hépatocytaire et d’un infiltrat à polynucléaires neutrophiles est nécessaire au diagnostic d’hépatite alcoolique aiguë. Les corps de Mallory sont présents dans 90 % des cas.

Ces lésions prédominent dans la région centrolobulaire :

– foyers de nécrose hépatocytaire avec ballonnisation et clarification des hépatocytes (deux signes témoignant d’une souffrance cellulaire).

– le second élément nécessaire au diagnostic histologique d’hépatite alcoolique aiguë est la présence de polynucléaires neutrophiles. Ceux-ci sont typiquement distribués autour d’hépatocytes en nécrose ou comportant des corps de Mallory.

– les corps de Mallory, formations fortement éosinophiles, sont observés dans le cytoplasme clarifié des hépatocytes, sous forme de structures denses et rubanées.

DIAGNOSTIC POSITIF :

Signes cliniques :

La présentation clinique de l’hépatite alcoolique aiguë est très variable.

Le diagnostic est suspecté chez un buveur excessif présentant :

– une hépatomégalie, signe clinique le plus fréquent (80 % des cas).

– des douleurs de l’hypocondre droit.

– un ictère.

– une fièvre modérée (température habituellement inférieure à 38,5 °C).

– une décompensation œdémato-ascitique dans les formes sévères.

Il existe des formes mineures de celle précédemment décrite, où les symptômes sont réduits, voire absents.

Examens complémentaires :

Biologie

– Les tests hépatiques biologiques montrent des anomalies assez caractéristiques :

– une élévation modérée de l’activité sérique des transaminases (classiquement inférieure à 10 fois la normale) prédominant sur l’aspartate aminotransférase (avec un rapport ASAT/ALAT supérieur à 1).

– une augmentation de la bilirubine totale prédominant sur la fraction conjuguée.

– une augmentation de la gamma-glutamyltranspeptidase, atteignant parfois 10 à 20 fois la normale.

– les phosphatases alcalines sont normales ou augmentées.

– une hyperleucocytose avec des polynucléaires neutrophiles supérieure à 80 %.

– une diminution du taux de prothrombine et du facteur V dans les formes sévères.

–  Signes biologiques d’alcoolisme :

– chronique : macrocytose.

– aigu : thrombopénie par action toxique de l’alcool au niveau médullaire.

Radiologie et ponction-biopsie hépatique

– Il n’existe pas d’anomalies radiologiques caractéristiques de l’hépatite alcoolique aiguë.

– Les faibles spécificité et valeur diagnostique des signes clinicobiologiques rendent indispensable la biopsie hépatique au diagnostic d’hépatite alcoolique aiguë.

– Celle-ci est réalisée par voie transpariétale ou par voie transjugulaire s’il existe des troubles de l’hémostase (thrombopénie inférieure à 50 000/mm3, taux de prothrombine inférieur à 50 % ou allongement du temps de saignement).

DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL :

– Une échographie doit être prescrite systématiquement afin d’éliminer un obstacle sur les voies biliaires ou une tumeur du foie.

– En cas d’hépatite alcoolique aiguë éliminer en premier lieu une angiocholite (échographie abdominale et hémocultures) et les autres causes d’hépatites (voir supra).

ÉVOLUTION :

Une étude prospective de l’évolution sur le plan histologique des patients ayant une hépatite alcoolique aiguë a retrouvé :

– l’apparition d’une cirrhose dans 40 % des cas.

– une normalisation du parenchyme hépatique dans 10 % des cas.

Le suivi des patients abstinents a retrouvé :

– dans 20 % des cas, une cirrhose.

– dans 30 % des cas, une normalisation du parenchyme hépatique.

Pronostic

Le pronostic de l’hépatite alcoolique aiguë est lié à la sévérité de l’atteinte hépatique.

Dans les formes sévères, la survie à 6 mois est de 50 % si les malades ne sont pas traités par des corticoïdes.

Evolution à court terme des formes sévères

L’hépatite est définie comme sévère si l’indice de Maddrey est égal ou supérieur à 32 (indice de Maddrey = 4,6 x [temps de Quick du malade en secondes – 12,5] + [bilirubine en µmol/17]). En pratique, cela correspond à des patients ayant une bilirubinémie totale égale ou supérieure à 100 µmol/l et un TP inférieur ou égal 50 % :

– 50 % de survie à 6 mois en l’absence de traitement et 80 % de survie à 6 mois si le malade est traité par corticoïdes.

– dans 30 % des cas survenue d’une infection bactérienne par translocation bactérienne (bacille à Gram négatif dans 80 % des cas) indépendamment de la prescription de la corticothérapie.

– dans 20 à 30 % des cas survenue d’hémorragie digestive.

TRAITEMENT :

Abstinence

La première étape de la prise en charge thérapeutique est l’abstinence.

Corticothérapie

– Dans les formes sévères, le bénéfice de survie à court terme liée à la corticothérapie a été clairement démontré. Ces formes sévères surviennent dans 90% des cas chez les patients cirrhotiques.

– La posologie actuellement recommandée est de 40 mg/j de prednisolone (Solupred*) pendant 1 mois, puis arrêt brutal sans qu’une phase de décroissance ne soit nécessaire.

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