Diarrhée chronique de l’adulte

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Les causes de la diarrhée chronique sont nombreuses mais un abord clinique méticuleux permet le plus souvent d’orienter les explorations paracliniques. En l’absence d’éléments d’orientation, l’exploration débute par des examens endoscopiques avec biopsies étagées et (ou) un examen coprologique avec dosage des graisses fécales et mesure de la clairance fécale de l’alpha-1-antitrypsine. La parasitologie des selles est utile mais la coproculture ne l’est pas (sauf chez l’immunodéprimé). Les diarrhées hydro-électrolytiques sont plus fréquentes que les diarrhées par malabsorption [de nutriments et (ou) de vitamines]. Il faut systématiquement évoquer des causes médicamenteuses et alimentaires et ne pas hésiter à arrêter les agents suspectés. Certaines causes ne se rencontrent pratiquement que chez des sujets immuno¬déprimés, aussi la reconnaissance précoce d’une immunodépression (ou d’une sérologie positive par le virus de l’immunodéficience humaine) est-elle importante.

STRATÉGIE DIAGNOSTIQUE :

Diarrhée chronique de l'adulteLa stratégie diagnostique repose sur trois notions essentielles :

– l’importance capitale de l’enquête clinique initiale qui permet souvent d’évoquer le diagnostic et d’orienter le choix des examens complémentaires.

– l’apport considérable des méthodes d’exploration morphologique (endoscopie, histologie, radiologie), qui permettent dans la majorité des cas de reconnaître l’étiologie de la diarrhée sans passer par l’étude de son mécanisme.

– le recours à l’examen chimique des selles et aux tests d’exploration fonctionnelle en cas d’échec des examens morphologiques.

La démarche diagnostique passe donc par trois étapes qu’il serait hasardeux de “ brûler ”.

– première étape (toujours) : enquête anamnestique patiente et examen clinique exhaustif.

– deuxième étape (souvent) : examen morphologique du côlon et biologie simple.

– troisième étape (parfois) : examen chimique des selles.

Première étape : enquête anamnestique et clinique :

INTERROGATOIRE :

Caractères de la diarrhée

Il convient d’apprécier les caractères de la diarrhée :

–  évolution dans le temps :

–  ancienneté (semaines, mois, années), notion de diarrhée dans l’enfance.

–  début brutal ou progressif et circonstances éventuelles.

–  évolution continue ou intermittente. En cas de diarrhée intermittente, la fréquence et la durée des épisodes diarrhéiques ainsi que le transit intercritique (normal ou constipation) doivent être précisés.

–  facteurs déclenchants ou aggravants : repas, nature des aliments (produits lactés notamment), stress, médicaments.

–  facteurs diminuants : jeûne, médicaments (ralentisseurs du transit, corticoïdes, antibiotiques, cholestyramine [Questran* ]…).

–  évolution dans la journée :

–  nombre de selles.

–  horaire des selles : diurnes et/ou nocturnes, matinales, post-prandiales.

– caractère impérieux, incontinence associée éventuelle.

–  aspect des selles :

–  consistance molle ou liquide, fécale ou exclusivement hydrique.

–  contenu homogène ou non : résidus d’aliments récemment ingérés, fragments de selles dures (scybales), sang, glaires, pus.

–  variabilité d’une exonération à l’autre.

–  couleur : normale, ou décolorée (mastic, grisâtre) ou banalement jaune ou verte.

–  caractère huileux, gras, luisant, adhérent, malodorant (stéatorrhée) ou plutôt mousseux, irritant, flottant dans la cuvette (diarrhée osmotique).

Symptomatologie associée

Signes fonctionnels digestifs

–  Douleur abdominale dont on précise :

– la topographie : variable ou fixe, épigastrique, péri-ombilicale, en cadre ou prédominant dans un flanc ou une fosse iliaque.

–  l’horaire : post-prandial (immédiat, précoce ou tardif) ou indépendant des repas (douleur permanente ou intermittente).

–  l’influence de l’exonération sur l’intensité de la douleur.

– Ballonnement, flatulences abondantes, borborygmes.

– Nausées, vomissements, dyspepsie, pyrosis.

Signes fonctionnels extra-digestifs

– Manifestations cutanées, articulaires ou oculaires (actuelles ou passées).

– Manifestations vasomotrices (flush), accès de dyspnée asthmatiforme, céphalées.

– Manifestations de dysautonomie végétative : malaise orthostatique, trouble vésicaux, trouble de la sudation.

Signes généraux

– Amaigrissement et évolution de la courbe pondérale.

– Asthénie et retentissement de la diarrhée sur la vie quotidienne.

– Anorexie ou polyphagie.

– Fièvre, frissons, sueurs nocturnes.

– Nervosisme, thermophobie, polydypsie.

Contexte général

Antécédents familiaux :

–  terrain génétique prédisposant :

– pathologie thyroïdienne.

– maladie cœliaque.

– maladies inflammatoires de l’intestin.

– spondylarthropathie .

– diabète insulinodépendant.

– polypes ou cancer colo-rectaux.

–  maladie à transmission génétique :

– polypose adénomateuse familiale ;

– néoplasie endocrine multiple (type I ou II).

Antécédents personnels :

– chirurgie digestive : gastrectomie, vagotomie, résections du grêle ou du côlon (exiger les comptes rendus opératoires).

– radiothérapie abdominale.

– infections ORL ou broncho-pulmonaires récidivantes (déficits immunitaires).

– contexte pathologique endocrinien, vasculaire, neurologique, psychiatrique.

– diabète, maladie ulcéreuse gastro-duodénale, SIDA…

Produits toxiques et mode de vie :

– médicaments : liste exhaustive des prises et relation chronologique à la diarrhée.

– ingestion d’alcool.

– séjours ou voyages dans des régions d’endémie parasitaire, origine géographique.

– facteurs de risque pour l’infection à VIH.

EXAMEN PHYSIQUE :

État général

On prendra en compte les éléments suivants :

– morphologie générale, masse grasse, épaisseur du pli cutané tricipital et circonférence musculaire brachiale.

– poids et taille, calcul de l’indice de masse corporelle.

– signes de déshydratation ou œdèmes.

– pâleur ou hyperpigmentation, ictère.

Examen systémique

L’examen systémique est rigoureux.

Examen cutanéo-muqueux :

– lésions cutanées :

– érythème noueux.

– pyoderma gangrenosum.

– bulles ou vésicules.

– urticaire pigmentaire.

– purpura.

– érythème .

– sclérodermie.

– lésions muqueuses :

– buccales (aphtes, glossite, cheilite).

– génitales (aphtes, balanite).

– anomalies des phanères :

– onychodystrophie.

– dépilation.

Examen ostéo-articulaire :

– articulations périphériques.

– axe pelvi-rachidien.

Examen neurologique :

– neuropathie périphérique.

– syndrome pyramidal.

– hypotension orthostatique.

Examen endocrinien : loge thyroïdienne.

Examen spléno-ganglionnaire.

Examen cardio-pulmonaire :

– souffle cardiaque (insuffisance tricuspidienne).

– râles bronchiques.

Examen oculaire :

– rougeur.

– larmoiement.

– cercle périkératique (iritis, uvéite, épisclérite).

Examen digestif

Examen abdominal :

– forme générale, météorisme, cicatrice, sensibilité.

– masse abdominale inflammatoire, tumorale, ganglionnaire ou vasculaire.

– hépatomégalie homogène ou nodulaire.

Examen proctologique :

– examen de la marge anale : fissure, fistule, condylomes.

–  toucher rectal :

– tonicité et contraction sphinctérienne.

– ampoule rectale (tumeur, fécalome).

– examen du doigtier au retrait.

SYNTHÈSE DE L’EXAMEN CLINIQUE :

A l’issue de cette première étape, il faut répondre à trois questions :

– s’agit-il d’une diarrhée chronique

– existe-t-il des éléments d’orientation nécessitant une approche spécifique

– faut-il passer à la deuxième étape de la stratégie ?

Est-ce une diarrhée chronique

– Il faut savoir évoquer une fausse diarrhée du constipé :

– émission de selles liquides non quotidiennes, alternant avec des épisodes de constipation (même rares).

– selles plutôt matinales, inhomogènes et de consistance variable dans la journée.

– en cas de doute, test au rouge carmin montrant un allongement du délai d’apparition de la première selle rouge et du temps total d’élimination ;

– si besoin, examen coprologique des selles de 24 heures montrant un poids moyen inférieur à 200 g sans signes d’accélération du transit.

– Il faut savoir évoquer une incontinence anale :

– évoquée en fonction de l’âge, de la notion de suintements en dehors des défécations, de l’association à une incontinence vésicale et à des troubles de la statique pelvienne.

– examen ano-rectal avec appréciation du tonus sphinctérien.

Il faut savoir évoquer aussi :

–  des émissions glaireuses ou sanglantes qui :

– orientent d’emblée vers une pathologie organique colo-rectale.

– imposent une endoscopie basse.

–  une pathomimie (adjonction d’eau ou d’urine aux selles) :

– parfois soupçonnée devant un contexte psychique.

– et reconnue par l’examen chimique des selles (osmolarité).

Présence d’éléments d’orientation indiquant une démarche spécifique

Des éléments d’orientation imposent une démarche spécifique visant :

– à confirmer directement le diagnostic.

– et éventuellement à préciser le mécanisme de la diarrhée de façon à adapter le traitement.

Ces éléments d’orientation sont :

– antécédent chirurgical digestif.

– prise médicamenteuse.

– radiothérapie abdominale.

– contexte pathologique explicatif : endocrinien, neurologique, hépato-biliaire, pancréatique, immunologique…

– contexte pathologique familial.

– séjour dans une région où sévit une endémie parasitaire.

– anomalie évocatrice de l’examen clinique.

– antécédent récent de gastro-entérite aiguë révélant une intolérance au lactose latente.

Passage à la deuxième étape de la stratégie

En l’absence d’élément d’orientation étiologique, il faut envisager le passage à la deuxième étape de façon :

–  obligatoire et rapide, s’il existe des signes d’alarme :

–  âge de début des troubles supérieur à 45 ans.

–  début récent de la diarrhée (moins de 6 mois).

–  altération de l’état général : amaigrissement, fièvre, déshydratation…

–  facultative ou retardée, s’il s’agit à l’évidence d’un syndrome de l’intestin irritable :

– l’examen clinique est strictement normal.

– il n’existe aucun contexte anamnestique évocateur ou inquiétant.

– la diarrhée est ancienne (plus de 6 mois) sans aucun signe de retentissement ni aucun signe associé extra-digestif.

– elle présente les caractères d’une diarrhée motrice (nombre élevé de selles, de volume modéré, impérieuses et post-prandiales, variables dans le temps et volontiers influencées par le stress).

Aucun examen complémentaire n’est indispensable, si ce n’est un test au rouge carmin pour confirmer le caractère moteur de la diarrhée.

– Il est licite :

– de prescrire un ralentisseur du transit type lopéramide (Imodium*).

– et d’en évaluer l’efficacité à l’occasion d’une consultation ultérieure.

– L’échec du traitement imposerait le passage à la deuxième étape.

Deuxième étape : examens paracliniques de première intention :

MODALITES :

L’objectif de la deuxième étape est triple :

– identifier une éventuelle parasitose.

– dépister des anomalies biologiques infracliniques.

– diagnostiquer une affection de l’iléon terminal ou du côlon.

Examens biologiques :

– un examen parasitologique des selles :

– est réalisé à trois reprises en quelques jours.

– avec techniques adaptées (colorations spéciales, techniques d’extraction…) en cas de contexte particulier (séjour outre-mer, immunodépression).

–  coproculture sans intérêt (sauf pour certains germes : Yersinia, Campylobacter).

–  examens sanguins de routine :

– hémogramme.

– vitesse de sédimentation, protéine C réactive.

– glycémie, ionogramme plasmatique, calcémie.

– cholestérolémie, protidémie avec électrophorèse.

– TSH.

– temps de Quick.

Coloscopie :

– l’iléo-coloscopie totale est le seul examen utile ici.

– elle doit comprendre un examen de l’iléon terminal et des biopsies orientées sur toute lésion apparente mais également sur muqueuse macroscopiquement normale ;

– une étude bactériologique et parasitologique des biopsies à l’état frais peut être demandée en fonction du contexte.

RESULTATS :

Deux situations schématiques peuvent être distinguées.

Diagnostic certain

Un diagnostic certain ou fortement suspecté oriente la démarche ultérieure.

Parasitose

Helminthiases (vers adultes ou œufs dans les selles) ou protozooses (kystes ou formes végétatives) :

– avant d’imputer le parasite identifié, il faut tenir compte de sa nature, de sa forme biologique, d’éventuelles lésions coliques associées et de l’efficacité du traitement antiparasitaire sur la diarrhée.

– les principales parasitoses en cause sont la giardiase, l’amibiase, la cryptosporidiose, la microsporidiose, la coccidiose, l’anguillulose, l’ankylostomiase, les schistosomiases.

– l’examen parasitologique des selles n’est pas toujours contributif (recours aux biopsies duodénales ou coliques en cas de forte suspicion).

Maladies organiques iléo-coliques

–  Lésions de l’iléon terminal : maladie de Crohn, lymphome, tuberculose, yersiniose, atrophie villositaire, lésions radiques, maladie de Behçet.

–  Lésions macroscopiques de colite active (érythème, œdème, fragilité muqueuse, ulcérations) ou quiescente (aspect dépoli, disparition des haustrations) :

– inflammatoires : recto-colite hémorragique, maladie de Crohn, colite inclassable.

– ischémique segmentaire ou disséminée (vascularite ?).

– infectieuse plus rarement (Campylobacter, Yersinia, Cytomégalovirus).

– iatrogène.

–  Lésions tumorales : polypose recto-colique, polype villeux, cancer.

–  Lésions sténosantes non tumorales ou compression extrinsèque (tomodensitométrie).

–  Lésions microscopiques : colite collagène, colite lymphocytaire, lésions granulomateuses.

Anomalies biologiques

–  Syndrome carentiel évoquant une malabsorption qu’il convient de confirmer par des tests dynamiques :

– microcytose ou macrocytose avec ou sans anémie.

– hypoprotidémie, hypoalbuminémie (éventuellement associée à une hypogammaglobulinémie).

– hypocalcémie.

– hypocholestérolémie.

– allongement du temps de Quick.

– Hypogammaglobulinémie sans hypoalbuminémie orientant vers un déficit immunitaire humoral primitif à préciser.

–  Baisse de la TSH (hyperthyroïdie).

Absence d’orientation diagnostique

L’absence d’orientation diagnostique impose le passage à la troisième étape, de façon :

–  obligatoire et rapide s’il existe, notamment :

– un syndrome inflammatoire biologique : augmentation de la VS, hyper-alpha-2-globulinémie, élévation de la protéine C réactive.

– des signes de retentissement : hypokaliémie, baisse de la réserve alcaline.

– des caractères de la diarrhée peu compatibles avec un syndrome de l’intestin irritable.

–  facultative ou retardée si la coloscopie et les examens biologiques sont normaux :

– en l’absence de tout contexte clinique, le diagnostic de syndrome de l’intestin irritable peut en effet être retenu avec suffisamment de sécurité devant une diarrhée bien tolérée et de type moteur (test au rouge carmin positif).

– il faut prendre le temps de traiter le patient et surtout le revoir en consultation afin d’évaluer l’efficacité du traitement.

– en cas de persistance de la diarrhée, il est licite de passer à la troisième étape.

Troisième étape : examen chimique des selles

MODALITES :

L’examen chimique des selles est ici la clé du diagnostic. Son importance ne saurait être assez soulignée, mais sa réalisation doit être parfaite.

Conditions de recueil

– Le recueil des selles est réalisé pendant 3 jours consécutifs.

– Le patient suit un régime équilibré durant la semaine qui précède le recueil et enrichi en lipides avant et pendant celui-ci (75 à 100 g/j).

– Il faut conserver les selles dans un réfrigérateur pour éviter une dessication et une fermentation excessives.

Types d’examen

Coprologie

La coprologie traditionnelle selon Goiffon est un examen essentiellement qualitatif. Elle comporte un examen microscopique et des techniques chimiques simples qui renseignent sur le fonctionnement et sur une éventuelle souffrance du côlon, déjà reconnue par la coloscopie.

Fécalogramme

Le fécalogramme de type Trémolières et Sautier est aujourd’hui l’examen de référence, car il fournit :

– des renseignements d’ordre quantitatif :

– poids frais, hydratation.

– lipides totaux, dérivés glucidiques, activité protéolytique.

– et de façon complémentaire :

– osmolarité.

– clairance de l’alpha-1-antitrypsine.

– recherche de laxatifs et de substances inabsorbables (Mg 2+, SO4 2–, PO4 3–).

– dosage des sucres.

Renseignements utiles en première intention

Poids des selles :

– plus de 300 g/24 h, confirmant la diarrhée et justifiant la poursuite des explorations ;

– moins de 200 g/24 h, remettant en question le diagnostic et invitant à limiter les examens complémentaires ou à les réorienter en fonction de la symptomatologie.

Débit fécal quotidien des graisses :

– supérieur à 6 g/24 h, définissant la stéatorrhée et orientant vers une maldigestion et/ou une malabsorption.

– une stéatorrhée mineure (6 à 14 g/24 h) peut être due à une diarrhée motrice.

Les deux grandes causes de stéatorrhée sont les affections du pancréas et de l’intestin grêle. Le seul examen des selles ne permet pas une discrimination fiable mais un taux élevé de graisses fécales oriente plutôt vers une insuffisance pancréatique exocrine (plus de 30 g/24 h).

En pratique, on distingue la diarrhée avec stéatorrhée et la diarrhée sans stéatorrhée.

DIARRHEE AVEC STEATORRHÉE :

La diarrhée avec stéatorrhée relève de deux grands mécanismes, maldigestion et malabsorption, souvent intriqués et difficilement dissociables en pratique.

Pour cette raison, il est préférable d’envisager en première intention une approche morphologique qui permettra de reconnaître la majorité des étiologies.

L’étude plus complexe des mécanismes responsables de la diarrhée n’est indiquée qu’en deuxième intention et repose sur les tests fonctionnels.

Approche morphologique

L’approche morphologique repose sur des examens simples visant à faire la preuve directe de l’étiologie indépendamment du mécanisme de la diarrhée. Ces examens sont :

– la radiographie de l’abdomen sans préparation.

– l’échographie abdominale.

– l’endoscopie digestive haute avec biopsies duodénales.

– le transit baryté de l’intestin grêle.

Deux grandes causes sont facilement identifiées : l’insuffisance bilio-pancréatique et les malabsorptions d’origine gréliques.

Stéatorrhée par insuffisance en sels biliaires ou par insuffisance pancréatique exocrine

L’insuffisance primitive en sels biliaires est facilement évoquée sur le contexte, la clinique, les tests biologiques hépatiques et l’échographie abdominale. Il s’agit :

– de l’insuffisance hépato-cellulaire (défaut de sécrétion des sels biliaires).

– des cholestases :

– prurit, ictère.

– hyperbilirubinémie conjuguée et élévation des enzymes de cholestase (phosphatases alcalines, gamma GT).

– l’échographie hépato-biliaire orientant rapidement vers l’origine extra-hépatique ou intrahépatique ;

– des fistules bilaires externes ou internes (communication entre les voies biliaires et le tube digestif).

L’insuffisance pancréatique exocrine responsable de stéatorrhée traduit la perte d’au moins 90 % de la fonction exocrine du pancréas :

– la cause en est le plus souvent évidente sinon déjà connue.

– le contexte clinique, l’ASP, l’échographie au besoin complétée par une tomodensitométrie abdominale permettent de reconnaître :

– une pancréatite chronique calcifiante.

– une tumeur du pancréas responsable d’une obstruction du canal de Wirsung.

– les résections pancréatiques, reconnues dès l’interrogatoire (compte rendu opératoire).

Stéatorrhée d’origine grélique

L’exploration morphologique de l’intestin grêle repose en 1re intention sur l’endoscopie digestive haute conduite jusqu’au 2e duodénum et sur le transit baryté du grêle. En pratique, deux grandes situations peuvent être distinguées en fonction des anomalies constatées à l’un et/ou à l’autre de ces examens morphologiques : soit le diagnostic étiologique est affirmé, soit il reste à confirmer.

L’endoscopie et les biopsies duodénales, nécessaires et suffisantes au diagnostic étiologique quand il s’agit :

– de parasitoses : Giardia intestinalis, coccidies, microsporidies, anguillules, ankylostomes ;

– d’une atrophie villositaire :

– évoquée sur l’aspect en mosaïque de la muqueuse (coloration au bleu de méthylène), l’aspect crénelé et l’effacement des valvules conniventes ; elle est confirmée et quantifiée par l’histologie ;

– les causes d’atrophie villositaire totale sont dominées par la maladie cœliaque (parfois associée à une dermatite herpétiforme) dont le diagnostic peut être étayé par la recherche d’anticorps antigliadine et antiendomysium de classe IgA et par la réponse au régime sans gluten.

– d’autres causes sont possibles : sprue collagène, sprue tropicale, entéropathie associée au lymphome, syndrome immuno-déficitaire ou origine iatrogène ;

–  infiltration de la lamina propria :

–  maladie de Whipple : maladie infectieuse systémique caractérisée par une infiltration tissulaire par des macrophages PAS positifs et par des bacilles à Gram positif en forme de bâtonnet. Les villosités sont souvent épaisses, parfois atrophiques.

–  infection intestinale à Mycobacterium avium intracellulare (SIDA) où l’aspect histologique est identique à celui de la maladie de Whipple dont elle peut être différenciée par la coloration de Ziehl (positive).

–  syndrome immunoprolifératif diffus de l’intestin grêle (IPSID) et maladie des chaînes alpha.

–  lymphome extensif parafolliculaire.

–  déficit en immunoglobulines, global ou sélectif, reconnu devant l’absence complète ou sélective en plasmocytes dans le chorion.

Le transit du grêle nécessaire et suffisant au diagnostic étiologique quand il montre des anomalies anatomiques telles que :

– résections étendues.

– anses borgnes.

– diverticule solitaire.

Le diagnostic étiologique évoqué mais devant être confirmé :

– anomalies localisées visibles sur le transit du grêle : sténoses, fistules, diverticules multiples :

– le diagnostic étiologique nécessite le recours à d’autres examens (entéroscopie, tomodensitométrie abdominale, biopsie sous laparoscopie) ou à l’exploration chirurgicale.

– les principales affections en cause sont : entérite radique, lymphome localisé, maladie de Crohn, tumeurs, compression extrinsèque…

– anomalies diffuses sur le transit du grêle dont le diagnostic étiologique repose, si la biopsie duodénale est négative :

– impérativement sur une preuve histologique intestinale obtenue par entéroscopie ou chirurgie : lymphangiectasies, maladie de Crohn diffuse, gastro-entérite à éosinophiles, entérite radique diffuse en règle reconnue sur le contexte.

– éventuellement sur d’autres examens orientés : amylose, sclérodermie systémique, dermatomyosite, mastocytose, pseudo-obstruction intestinale chronique.

Approche fonctionnelle

L’approche fonctionnelle des diarrhées chroniques avec stéatorrhée fait appel aux tests dynamiques d’exploration de la digestion et/ou de l’absorption.

Leur mise en œuvre est justifiée dans deux circonstances :

– devant une diarrhée de cause connue, mais de mécanisme physiopathologique non univoque, afin d’orienter la stratégie thérapeutique.

– devant une diarrhée dont la cause a échappé aux explorations morphologiques usuelles, afin d’orienter le choix des autres examens complémentaires, souvent complexes, invasifs et coûteux.

A défaut de stratégie univoque, il faut progresser par étape, l’ordre et la place des différents examens étant déterminés dans un souci d’innocuité, de fiabilité (sensibilité et spécificité), d’accessibilité et de coût. Il faut donc progresser “ pas à pas ”.

Contrôler la stéatorrhée

On doit surveiller étroitement les conditions de réalisation de façon à éviter un résultat faussement positif.

Examens morphologiques

On doit s’assurer de la qualité technique des examens morphologiques déjà effectués et savoir les relire attentivement car il est parfois difficile d’affirmer leur stricte normalité (transit du grêle).

Etude du transit

Il faut évoquer devant une stéatorrhée minime (moins de 14 g/j) une diarrhée motrice et la confirmer par une étude du temps de transit.

Entéropathie exsudative

On doit rechercher des signes en faveur d’une entéropathie exsudative par obstacle lymphatique (hypoprotidémie avec hypoalbuminémie et hypogammaglobulinémie, hypolipidémie, et surtout lymphopénie) :

– le diagnostic peut être facilement étayé par la mesure de la clairance fécale de l’alpha-1-antitrypsine.

Colonisation de l’intestin grêle

Il faut s’affranchir d’une colonisation bactérienne chronique du grêle (CBCG) dont la cause aurait échappé au transit du grêle :

– différentes méthodes permettent d’en faire le diagnostic :

– la plus simple est représentée par le test respiratoire au glucose avec mesure de l’hydrogène dans l’air expiré.

– l’analyse bactériologique quantitative du liquide jéjunal, de réalisation difficile, est beaucoup moins utilisée.

Intégrité des organes

On doit vérifier l’intégrité fonctionnelle des organes impliqués dans la digestion et l’absorption, en étudiant particulièrement :

– l’absorption du D-xylose par le grêle proximal (test au D-xylose).

– l’absorption de la vitamine B12 par le grêle distal (test de Schilling).

– la sécrétion pancréatique exocrine par des tests adaptés avec tubage (repas de Lundh, stimulation par hormones exogènes) ou sans tubage duodénal (PABA-test, Pancréolauryl-test). En cas d’anomalies, des examens morphologiques sensibles sont alors indiqués (échoendoscopie, wirsungographie rétrograde endoscopique) ;

– le cycle entéro-hépatique des sels biliaires (test au taurohomocholate marqué au sélénium 75).

– la sécrétion acide gastrique par le chimisme gastrique couplé au dosage de la gastrinémie. Une hypersécrétion acide associée à une hypergastrinémie non freinable par la sécrétine évoque le syndrome de Zollinger-Ellison.

Malabsorption “ illégitime ”

Il faut se résigner parfois au diagnostic de malabsorption “ illégitime ”  (J.-C. Rambaud) et, plutôt que de s’acharner, savoir attendre et surveiller.

DIARRHÉE SANS STEATORRHEE : DIARRHÉE HYDROELECTROLYTIQUE :

La diarrhée hydroélectrolytique relève d’étiologies multiples dont les mécanismes sont complexes et intriqués :

– bien souvent le diagnostic étiologique est fourni par l’anamnèse, l’examen clinique et la coloscopie.

– dans le cas contraire, l’étude du mécanisme de la diarrhée est un préalable utile à l’enquête étiologique, en soulignant d’emblée que près de 30 % des diarrhées chroniques inexpliquées sont dues à la prise reconnue ou dissimulée de laxatifs.

Les diarrhées exsudatives, dues à des lésions macroscopiques érosives souvent étendues, ont été reconnues par les examens morphologiques. Elles ne seront donc pas envisagées ici.

Etude du mécanisme de la diarrhée hydroélectrolytique

Les éléments utiles à la caractérisation de la diarrhée hydro-électrolytique sont les suivants.

L’analyse sémiologique soigneuse en précisant tout particulièrement :

– le nombre quotidien de selles et leur volume.

– l’aspect fécal ou afécal, le caractère mousseux et.

– l’horaire des exonérations.

L’évaluation du retentissement hydroélectrolytique :

– hypokaliémie.

– acidose métabolique.

– insuffisance rénale fonctionnelle.

L’interprétation correcte du fécalogramme qui doit comprendre :

– la concentration fécale en sodium (normale : 10 à 30 mEq/l) et en potassium (normale située entre 80 et 100 mEq/l).

– la mesure de l’osmolarité fécale normalement de 380 mOsm/kg, mais plus proche de l’osmolarité plasmatique (300 mOsm/kg) en cas de diarrhée. Sa mesure n’est en fait utile qu’en cas de suspicion de diarrhée factice par adjonction d’eau (selle hypotonique) ou d’urine (selle hypertonique).

– le calcul du trou osmolaire :

– il est égal à la différence entre l’osmolarité théorique (300 mOsm/l) et le double de la somme du sodium et du potassium ;

– il est normalement inférieur à 50 mOsm.

– son augmentation signe la présence en quantité anormale de substances osmotiquement actives ;

– la recherche de laxatifs (phénolphtaléine, anthraquinone), d’ions bivalents et trivalents (Mg 2+, SO4 2-, PO4 3-), de sucres réducteurs ;

– le pH fécal (normale : 7), diminué en cas de fermentation.

L’étude de l’influence du jeûne (sous perfusion) qui annule normalement le débit fécal en 48 à 72 heures.

L’étude du temps de transit :

– oro-anal par le test au rouge carmin :

– la première selle rouge est normalement émise en 8 à 24 heures.

– la dernière selle rouge en 24 à 48 heures.

– oro-cæcal par le test respiratoire au lactulose.

Mécanisme de la diarrhée

Le mécanisme de la diarrhée est fourni par la confrontation de ces différents éléments, aucun d’entre eux n’étant à lui seul absolument spécifique. En pratique et en l’absence de toute orientation clinique, les éléments les plus discriminants sont le trou osmolaire et l’épreuve du jeûne :

– un trou osmolaire supérieur à 50 mOsm oriente vers une diarrhée osmotique.

– un trou osmolaire inférieur à 50 mOsm et une épreuve de jeûne négative (arrêt de la diarrhée) orientent vers une diarrhée motrice.

– un trou osmolaire inférieur à 50 mOsm et une épreuve de jeûne positive (persistance de la diarrhée) orientent vers une diarrhée sécrétoire.

Diagnostic étiologique en fonction du mécanisme de la diarrhée hydroélectrolytique

Diarrhée osmotique

–  Caractères :

– selles mousseuses, irritantes, associées à un météorisme, des borborygmes, des flatulences abondantes et souvent des douleurs abdominales.

– volume des selles variable, parfois important.

– trou osmotique augmenté (sauf en cas d’ingestion de laxatifs salins).

– pH fécal bas.

– diarrhée cédant au jeûne (sauf en cas de prise cachée de laxatifs).

– temps de transit normal ou raccourci.

–  Eléments du diagnostic étiologique :

– interrogatoire : laxatifs osmotiques, produits diététiques ou médicamenteux contenant des substances glucidiques non ou mal absorbables, médicaments antiacides contenant du magnésium.

– recherche de sulfates et de phosphates dans les selles ;

– débit et concentration du magnésium fécal (résultat normal inférieur à 15 mmol/24 h et [C ] inférieur à 45 mmol/l).

– tests respiratoires au lactose, fructose, saccharose.

– régime d’exclusion et tests de réintroduction.

Diarrhée sécrétoire et volumogénique

Caractères :

– diarrhée abondante de volume souvent supérieur à 500 ml/24 h et parfois à 1 litre, hypokaliémie et acidose métabolique pouvant se compliquer de tubulopathie et d’insuffisance rénale fonctionnelle. La diarrhée est diurne et nocturne.

– trou osmolaire normal (inférieur à 50 mOsm/l).

– augmentation de la concentration fécale du potassium.

– diarrhée persistant au jeûne (avec un débit supérieur à 200 ml/24 h).

– temps de transit normal ou diminué.

Eléments du diagnostic étiologique :

– certaines étiologies auront été reconnues par la recherche de parasites et la coloscopie :

– atteinte de l’iléon terminal (moins de 1 mètre).

– lésions coliques mucosécrétantes.

– lésions tumorales (polypose adénomateuse, adénome villeux).

– sténoses non tumorales.

– colite microscopique.

– l’interrogatoire recherche la prise de laxatifs irritants et dresse la liste de tous les médicaments consommés.

– la recherche d’une urticaire pigmentaire à l’examen clinique.

– la recherche d’une mélanose colique (macroscopique ou microscopique).

– la recherche de phénolphtaléine dans les selles et d’anthraquinones dans les selles et les urines ;

– les dosages hormonaux : VIP, catécholamines, gastrine (couplée à une étude de la sécrétion acide gastrique), histamine.

Diarrhée motrice

Caractères :

– selles nombreuses, de faible poids (en général moins de 500 g/24 h), impérieuses, post-prandiales, souvent matinales et raremment nocturnes, contenant des résidus d’aliments récemment ingérés (fibres). La diarrhée cède souvent en début d’hospitalisation et s’avère très sensible aux ralentisseurs du transit (lopéramide).

– trou osmotique normal ou modérément augmenté.

– modification du ionogramme fécal avec augmentation du sodium (120 mEq/l) et diminution du potassium (20 mEq/l).

– stéatorrhée mineure possible.

– efficacité habituelle du jeûne sur la diarrhée.

– diminution franche du temps de transit : première selle rouge éliminée en moins de 8 heures, dernière selle rouge éliminée en moins de 24 heures ; si besoin, un test respiratoire au lactulose peut être réalisé.

Eléments du diagnostic étiologique :

– l’interrogatoire recherche une consommation d’alcool, un antécédent de chirurgie digestive, une sympathectomie lombaire, l’existence d’un diabète, la notion de troubles vasomoteurs (“ flush ”).

– l’examen recherche tout particulièrement des signes de thyrotoxicose, une anomalie de la loge thyroïdienne, une hypotension orthostatique, des anomalies neurologiques ;

– recherche d’une malabsorption iléale des sels biliaires (test au taurohomocholate marqué au sélénium 75, test de Schilling).

– dosages hormonaux : TSH, T4 libre, thyrocalcitonine, 5HIAA urinaire, sérotonine plasmatique.

Conclusion :

La diversité étiologique et la complexité physiopathologique des diarrhées chroniques ne doivent pas faire oublier les points forts de la stratégie diagnostique :

– un interrogatoire patient, méthodique et parfois inquisiteur.

– un examen clinique minutieux et exhaustif.

– une exploration morphologique de qualité, complétée par une étude histologique soigneuse.

– un examen chimique des selles bien fait et correctement interprété.

– des explorations fonctionnelles choisies pour répondre aux questions restées sans réponse.

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