Cancer de l’œsophage

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L’incidence du cancer de l’œsophage est variable d’un pays à l’autre, 4 pour 100 000 au Canada, 11 pour 100 000 en France et jusqu’à 160 pour 100 000 pour les régions à très haut risque. La fréquence de l’adénocarcinome par rapport au carcinome épidermoïde est en augmentation constante en Europe et aux États-Unis. L’association alcool-tabac est le facteur étiologique majeur pour le carcinome épidermoïde en Europe, aux États-Unis et au Japon. Le rôle du reflux gastro-œsophagien avec endobrachyœsophage est le facteur étiologique majeur pour l’adénocarcinome. Le diagnostic est assuré par la fibroscopie œsophagienne avec biopsie. Le bilan recherche les métastases à distance, l’extension locorégionale (pour évaluer la résécabilité), et l’existence de lésions associées.

ÉPIDÉMIOLOGIE :

Cancer de l'œsophageL’incidence du cancer de l’œsophage varie beaucoup d’une région à l’autre du globe.

– On distingue les régions à haut risque (Afrique du Sud, Moyen-Orient, Asie…) et les régions à risque faible (Europe).

– Néanmoins, la France fait partie des pays à risque élevé de cancer de l’œsophage avec 5 000 cas par an, soit 15 pour 1 000 000 d’habitants.

– En France, il est très fréquent dans le Calvados et l’Ille-et-Vilaine (incidence de 30 pour 100 000).

Le cancer de l’œsophage représente 15 % des cancers digestifs.

–  Il est beaucoup plus fréquent chez l’homme avec un sex-ratio de 15.

– Il prédomine en milieu rural et dans les classes sociales défavorisées, peut-être à cause des habitudes alcoolo-tabagiques et des carences alimentaires.

– Son incidence augmente avec l’âge jusqu’à 75 ans.

Le cancer de l’œsophage et un cancer des voies aéro-digestives supérieures (ORL) sont souvent associés :

– dans 10 % des cas, le cancer de l’œsophage est précédé d’un cancer ORL (métachrones) ;

– ils sont découverts simultanément dans 8 à 18 % des cas (synchrones).

ÉTIOLOGIE :

Facteurs exogènes :

Consommation d’alcool et de tabac :

– en France, 90 % des cas sont imputables à une consommation d’alcool et de tabac ;

– le risque est dose-dépendant, augmentant nettement en cas d’intoxication mixte : risque multiplié par 45 si la consommation est supérieure à 20 cigarettes par jour et de plus de 1 litre de vin par jour.

Autres facteurs :

–  alimentaires :

– le rôle des fibres de silice contenues dans la farine de millet en Chine est connu.

– le rôle de carences nutritionnelles en protéines animales, en vitamine A et C, en riboflavine, en zinc, en sélénium demande confirmation ;

– la consommation de “ sutkted ” (mélange d’opium et de résidus d’opium) est un facteur favorisant.

–  irritation thermique par boissons chaudes ou nourriture comme le thé chaud et la polenta.

–  radiations ionisantes dont le rôle est suggéré par un risque plus élevé :

– chez les survivants de l’explosion atomique d’Hiroshima ;

– si antécédent d’irradiation médiastinale (maladie de Hodgkin, cancer du sein).

–  agents infectieux :

– Papillomavirus.

– mycotoxines.

Facteurs endogènes :

Certaines lésions chroniques de l’œsophage prédisposent au cancer de l’œsophage et sont retrouvées dans environ 10 % des cas. Il s’agit :

–  des lésions cicatricielles après brûlures caustiques ou après radiothérapie :

– surtout en cas de sténose nécessitant des dilatations multiples.

– les sténoses dérivées par plastie colique semblent à l’abri de cette complication tardive.

– de l’endobrachy-œsophage (EBO), qui comporte un risque de dégénérescence faible en adénocarcinome de l’ordre de 15 % (son incidence est en augmentation) :

– c’est un mode de réparation inhabituel de l’œsophagite peptique par reflux.

– dans l’endobrachy-œsophage, les cardias anatomique et muqueux ne coïncident plus par remplacement cicatriciel de la muqueuse malpighienne par de la muqueuse glandulaire.

– du méga-œsophage (ou achalasie) par œsophagite chronique due à la stase.

– de la dysphagie sidéropénique (ou syndrome de Plummer-Vinson).

– le risque de dégénérescence n’est pas prouvé dans :

– les tumeurs bénignes.

– les diverticules.

– l’œsophagite par reflux sans endobrachy-œsophage.

Des facteurs génétiques transmis (tylose) ou acquis (oncogènes, anti-oncogènes…) jouent un rôle.

ANATOMOPATHOLOGIE :

Aspect macroscopique :

La forme la plus fréquente est ulcérovégétante (lobe d’oreille).

Les formes végétantes, ulcérées ou infiltrantes, sont plus rares.

Siège :

Le cancer de l’œsophage est situé par ordre de fréquence :

– au tiers inférieur, sous la crosse et en rapport avec l’oreillette gauche et l’aorte, dans 50 % des cas ;

– au tiers moyen, au niveau de la crosse en rapport avec la carène et les bronches souches, dans 30 % des cas ;

– au tiers supérieur, au-dessus de la crosse aortique en rapport avec la trachée, dans 20 % des cas.

Histologie :

Le type épidermoïde (malpighien) représente 90 % des cas :

– il est bien ou peu différencié ;

– il existe des formes rares à cellules fusiformes : pseudo-sarcomes.

L’adénocarcinome est plus rare :

– mais son incidence augmente dans plusieurs pays, dont la France ;

– issu de la dégénérescence d’un endobrachy-œsophage ;

– parfois difficile à différencier d’un cancer du cardia infiltrant l’œsophage ;

– existence de formes mixtes : muco-épidermoïde ou adénoïde kystique.

Les autres types sont exceptionnels : indifférenciés à petites cellules, sarcomes, lymphomes, mélanomes, métastases…

Extension :

Son mode de propagation en fait la gravité.

Extension locale

– L’extension en hauteur :

– est favorisée par la laxité de la sous-muqueuse et la richesse du réseau sanguin et

lymphatique ;

– existence de nodules de perméation fréquents à distance de la lésion primitive.

– L’extension en profondeur :

– à travers la musculeuse à la graisse médiastinale puis aux organes de voisinage : plèvre, arbre trachéo-bronchique, aorte, péricarde, veine azygos, veine pulmonaire…

– aucune séreuse ne fait obstacle à l’envahissement.

Extension lymphatique

L’extension lymphatique se fait rapidement :

– latéralement : latéro-œsophagien, intertrachéo-bronchique, récurrentiels gauches.

– vers le bas : ganglions cœliaques et coronaires stomachiques.

– vers le haut : ganglion cervicaux et sus-claviculaires.

– des relais peuvent être sautés.

Extension générale

L’extension générale se fait par voie veineuse et les métastases vers le foie, les poumons, les os, le cerveau, la peau sont plus tardives.

Classifications

Plusieurs classifications à visée pronostique ont été proposées :

– hauteur tumorale radio-endoscopique (environ 5 cm) ;

– diamètre tumoral au scanner (environ 3 cm) ;

–  TNM internationale :

– où les ganglions sus-claviculaires et cœliaques sont considérés comme des métastases (M+) pour les cancers intrathoraciques ;

– où l’extension pariétale (T) est bien appréciée par l’échoendoscopie.

Diagnostic :

CLINIQUE :

Dysphagie :

C’est une sensation de gêne à la déglutition, évocatrice d’une sténose organique si :

– elle est d’apparition récente ;

– elle est d’abord simple accrochage puis gêne élective pour les solides, rapidement évolutive.

– entraîne rapidement une dénutrition.

Elle est parfois associée à des régurgitations, des éructations douloureuses et, à un stade tardif, à une sialorrhée.

C’est un signe tardif témoignant d’un cancer déjà évolué.

Autres signes :

Paralysie de la corde vocale gauche

La paralysie de la corde vocale gauche par envahissement du nerf récurrent gauche provoque une dysphonie.

Toux à la déglutition

La toux à la déglutition est toujours péjorative avec plusieurs causes possibles :

– par fistule œso-trachéale ou œso-bronchique ;

– par fausse route par trouble de la déglutition lié à une paralysie récurrentielle ;

– par inhalation de régurgitation par sténose du tiers supérieur.

Douleur

On peut retrouver une douleur :

– dorsale interscapulaire, souvent l’expression d’une médiastinite néoplasique ;

– épigastrique transfixiante par envahissement cœliaque ;

– osseuse par métastases.

Hémorragie digestive

Une hémorragie digestive :

– est rarement responsable d’une anémie ferriprive ;

– parfois, hématémèse massive par fistule œso-aortique rapidement fatale.

Infection broncho-pulmonaire

Infection broncho-pulmonaire par fausse route ou fistule.

Dyspnée inspiratoire

Dyspnée inspiratoire par compression trachéale.

Syndrome de Claude-Bernard-Horner

Syndrome de Claude-Bernard-Horner par lésion du sympathique cervical.

D’exceptionnels cancers débutants découverts fortuitement chez les sujets porteurs d’un cancer ORL ou d’une cirrhose sont asymptomatiques.

Examen physique :

Palper :

– les creux sus-claviculaires à la recherche d’un ganglion de Troisier à gauche ;

– une éventuelle hépatomégalie métastatique.

L’auscultation recherche un frottement péricardique, un épanchement pleural.

L’examen de la cavité buccale recherche une seconde localisation.

EXAMENS COMPLEMENTAIRES :

Endoscopie digestive :

Réalisée en première intention, l’endoscopie digestive permet d’affirmer le diagnostic de cancer de l’œsophage.

Elle précisera :

– le siège de la tumeur par rapport aux arcades dentaires et au cardia.

– l’aspect macroscopique habituellement ulcérovégétant en “ lobe d’oreille ”, saignant au contact de l’endoscope, plus rarement infiltrant.

– l’aspect induré sous la pince.

– le diamètre de la lumière œsophagienne.

Elle permettra de réaliser :

– des biopsies multiples et des brossages cytologiques, si ces biopsies sont techniquement difficiles.

– les colorations au lugol ou au bleu de toluidine, permettant de rechercher des zones de muqueuse anormale à distance de la lésion principale.

Cas particulier des cancers superficiels :

– 80 % sont visibles à l’endoscopie si l’examen est attentif.

– on note une anomalie du relief (microérosion ou surélévation) et/ou de couleur (rouge ou blanche) ;

– l’utilisation de colorations améliore la rentabilité diagnostique (lugol ou bleu de toluidine).

Transit œsophagien :

Le transit œsophagien a davantage un intérêt iconographique préthérapeutique, en précisant le siège et l’étendue en hauteur de la sténose.

Il visualisera des aspects caractéristiques :

– une forme infiltrante provoquant un rétrécissement irrégulier et excentré ;

– une forme bourgeonnante responsable d’une lacune irrégulière marécageuse ;

– une forme ulcérovégétante induisant une image de niche cernée d’un ménisque.

Il faut éviter la baryte si une fistule œso-respiratoire est suspectée.

DIAGNOSTICS DIFFERENTIELS :

Ils ne posent pas de problème si une endoscopie avec biopsie est réalisée devant toute dysphagie ou anomalie œsophagienne radiologique, si minime soit-elle.

Diagnostic différentiel d’une dysphagie :

Interrogatoire

L’interrogatoire élimine :

–  les fausses dysphagies : anorexie, pathologies bucco-pharyngées, asialie, édentation, globus hystericus, dyspepsie, odynophagie.

–  les diagnostics évidents : postopératoire, caustique, corps étrangers.

Endoscopie

Une dysphagie impose une endoscopie qui permettra d’évoquer :

– un cancer ORL ou du cardia.

– une tumeur bénigne.

– une œsophagite peptique, infectieuse, médicamenteuse, radique.

– une compression extrinsèque de l’œsophage par une tumeur extrinsèque.

– un anneau ou un diverticule.

Autres examens

En cas de normalité de l’endoscopie, un transit baryté, une manométrie et/ou une échoendoscopie, pour diagnostiquer :

– les compressions extrinsèques ou tumeurs sous-muqueuses.

– les maladies motrices œsophagiennes : méga-œsophage, spasme diffus, sclérodermie.

Diagnostic différentiel d’une sténose œsophagienne radiologique ou endoscopique :

Il peut s’agir d’une sténose peptique, postradique, caustique ou médicamenteuse.

Les biopsies, ainsi que des brossages cytologiques répétés, apportent le plus souvent le diagnostic, éventuellement après dilatation.

Bilan préthérapeutique :

Le bilan préthérapeutique a pour but de répondre à trois questions, qui orienteront le patient vers la chirurgie ou un traitement palliatif :

–  résécabilité ?

–  curabilité ?

–  opérabilité ?

Tous les examens paracliniques ne sont pas systématiques, si la clinique récuse déjà le patient pour un traitement chirurgical curatif.

Ce bilan, aussi précis soit-il, sous-estime le plus souvent l’extension réelle en ne visualisant pas les métastases microscopiques lymphatiques ou à distance.

BILAN CLINIQUE :

L’examen clinique pourra déjà récuser des patients pour la chirurgie devant :

– un amaigrissement supérieur à 20 % du poids corporel habituel ;

– une toux à la déglutition faisant suspecter une fistule, des fausses routes ou une tumeur du tiers supérieur ;

– une palpation des creux sus-claviculaires à la recherche d’un ganglion de Troisier.

– un examen ORL recherchant un gros cancer associé, une paralysie récurrentielle gauche.

BILAN PARACLINIQUE :

Radiographies du thorax :

Les radiographies du thorax permettront de rechercher des images contre-indiquant la chirurgie :

– métastases pulmonaires.

– lyse costale.

– déviation trachéale.

– broncho-pneumopathie chronique.

Echographie abdominale :

Une échographie abdominale servira à rechercher des métastases hépatiques ou une ascite compliquant une cirrhose.

Endoscopie œsophagienne :

L’endoscopie œsophagienne permet un examen de l’hypopharynx à la recherche d’un cancer, d’une paralysie d’une corde vocale.

La recherche par coloration (lugol ou bleu de toluidine) d’un cancer intra-épithélial ou micro-invasif à distance de la lésion primitive peut modifier la technique chirurgicale ou le champ de l’irradiation.

Transit baryté œso-gastrique :

Le transit baryté œso-gastrique est utile à plusieurs titres :

– repérage du siège pour radiothérapeute et chirurgien.

– taille de l’estomac pour gastroplastie.

– appréciation d’un signe indirect de l’extension médiastinale : la désaxation.

– document de référence pour l’évaluation de la réponse à une radio-chimiothérapie.

– confirmation d’une fistule œso-respiratoire.

Fibroscopie trachéo-bronchique :

La fibroscopie trachéo-bronchique permet :

– de réaliser un bilan d’extension trachéo-bronchique des cancers des tiers supérieur et moyen, en recherchant un envahissement (infiltrant ou végétant).

– ou de dépister un cancer associé.

Echoendoscopie :

– L’échoendoscopie (voir figure 3) est une technique d’imagerie :

– visualisant les couches de la paroi et donc différenciant tumeurs superficielles et invasives ;

– plus fiable que le scanner pour visualiser les adénopathies médiastinales ou cœliaques et les rapports avec les vaisseaux, le péricarde, l’arbre respiratoire ;

– diagnostiquant les résurgences sous-muqueuses souvent non visibles à l’endoscopie.

– La classification échoendoscopique, fondée sur la classification TNM et l’UICC, permet d’optimiser les indications thérapeutiques.

– Ses limites sont :

– la surestimation (fibrose péritumorale, fibrose postradique, coupe oblique) ;

– la sous-estimation (envahissement microscopique) ;

– la musculaire-muqueuse n’étant pas visible, elle ne peut différencier les tumeurs muqueuses ou sous-muqueuses. Cependant, lorsque la lésion n’est pas vue (moins de 1 mm), on peut pratiquement affirmer qu’elle est limitée à la muqueuse ;

– les lésions non franchissables, 30 %.

– Des ponctions-biopsies d’adénopathie sont possibles avec un type d’échoendoscope.

Scanner thoracique :

– Le scanner thoracique :

– apprécie l’extension éventuelle aux organes de voisinage (aorte, arbre trachéo-bronchique). Si l’angle de contact entre la tumeur et l’aorte est égal ou supérieur à 90°, la non-résécabilité est probable (angle de Picus) ;

– mesure le plus grand diamètre tumoral (mauvais pronostic si >30 mm) ;

– détecte de petites métastases pulmonaires, notamment sous-pleurales.

– Quelques coupes sous-diaphragmatiques sont utiles pour rechercher :

– des adénopathies cœliaques.

– des métastases hépatiques.

Echographie des creux sus-claviculaires :

L’échographie des creux sus-claviculaires paraît un bon examen pour détecter des métastases ganglionnaires non palpées à l’examen clinique.

Autres éléments du bilan :

L’ECG, les épreuves fonctionnelles respiratoires, les gaz du sang, la biologie hépatique et rénale permettent d’apprécier le retentissement de pathologies associées fréquemment comme la maladie athéromateuse, la cirrhose éthylique, la bronchite chronique…

Une scintigraphie osseuse et/ou un scanner cérébral seront envisagés seulement si des métastases osseuses ou cérébrales sont suspectées.

EN PRATIQUE :

Résécabilité

La résécabilité en fonction de l’extension locorégionale est appréciée par :

– la clinique : dysphonie et examen de la mobilité des cordes vocales.

– le TOGD : désaxation.

– l’échoendoscopie : stade T4.

– le scanner précisant l’angle de raccordement avec l’aorte.

– la fibroscopie trachéo-bronchique : envahissement éventuel.

Curabilité

La curabilité en fonction de l’extension générale est appréciée par la recherche de métastases par :

– la clinique.

– l’échographie hépatique et sus-claviculaire.

– la radiographie pulmonaire.

– le scanner thoraco-abdominal.

– la scintigraphie osseuse ou le scanner cérébral si orientation clinique.

Opérabilité

L’opérabilité en fonction du terrain dépend de :

– la fonction respiratoire (EFR, gaz du sang, radiographies des poumons) ;

– l’état nutritionnel : poids, albuminémie, préalbuminémie. Une hyperalimentation entérale continue préopératoire par une sonde siliconée mise en place au travers de la sténose tumorale est utile chez les malades cachectiques.

– l’insuffisance hépato-cellulaire.

– la fonction cardio-vasculaire : ECG, échographie cardiaque et artériographie.

Au terme du bilan

Au terme de ce bilan :

– la majorité des patients sera récusée :

– 40 % en raison du terrain.

– 25 % en raison de l’extension.

–  moins de 35 % des patients pourront bénéficier d’une chirurgie qui sera à visée curative deux fois sur trois, soit pour 20 % des cancers.

Traitement :

METHODES ET RESULTATS :

Chirurgie :

Principes

Les principes sont :

–  enlever la tumeur en passant 5 cm au moins au-dessus du pôle supérieur macroscopique.

–  cellulectomie péritumorale et curage lymphatique : si le curage est aisé à l’étage cœliaque et médiastinal inférieur, il est difficile et dangereux dans le médiastin supérieur et le cou.

–  rétablissement de la continuité par l’estomac (côlon si antécédent de gastrectomie).

–  jéjunostomie d’alimentation qui sera utile en postopératoire.

Techniques

Les techniques : œsophagectomie subtotale associée au rétablissement de la continuité (œsophagoplastie) par estomac ou côlon selon deux techniques principalement :

–  intervention de Lewis-Santy :

– indiquée dans les tumeurs situées sous la bifurcation trachéale (inférieur).

– double voie abdominale et thoracique droite avec anastomose intrathoracique.

–  intervention d’Akiyama :

– indiquée dans les tumeurs de la moitié supérieure du thorax ;

– triple voie (abdominale, thoracique droite et cervicale) avec anastomose cervicale de l’estomac ;

–  autres techniques :

– pharyngo-laryngectomie associée si la tumeur est située à moins de 2 cm de la bouche œsophagienne ;

– œsophagectomie sans thoracotomie si insuffisance respiratoire ;

– intervention de Sweet par voie thoracique gauche plutôt pour les cancers du cardia.

Résultats

Les résultats de la chirurgie se sont améliorés pour les équipes chirurgicales et anesthésiques entraînées, avec une mortalité de 5 %, des fistules anastomotiques dans 5 % des cas, et une réduction de la durée d’hospitalisation à 15 jours.

Complications possibles

Les complications possibles sont :

– hémorragiques peropératoires.

– respiratoires postopératoires.

– infectieuses par désunion anastomotique.

– fistules puis sténoses anastomotiques.

Séquelles

Des séquelles sont possibles : dysphagie par sténose anastomotique, reflux, vomissement par pylorospasme…

Aucun traitement complémentaire (préopératoire [néo-adjuvant ] ou postopératoire [adjuvant ]) n’a prouvé son efficacité, mais la chimio-radiothérapie préopératoire pourrait augmenter la survie.

Traitements palliatifs :

Les traitements palliatifs s’adressent à la majorité des patients, plus de deux tiers d’entre eux étant récusés pour une chirurgie à visée curative, et ont pour objectif d’améliorer la qualité de la survie en palliant la dysphagie.

Traitements palliatifs endoscopiques

– Les traitements palliatifs endoscopiques ont pour objectif de restaurer ou de maintenir une perméabilité œsophagienne permettant au patient de s’alimenter par la bouche :

– le choix se fera selon la localisation et l’aspect macroscopique de la tumeur.

– la qualité de la vie doit aussi être prise en compte : alimentation, complications des traitements, nombre de séances, durée d’hospitalisation.

– Les dilatations endoscopiques sont réalisées grâce à des bougies ou olives sur fil guide :

– les complications (perforation, hémorragie) retrouvées dans 10 % des cas sont favorisées par une radiothérapie préalable.

– leurs effets brefs nécessitent des séances itératives.

– elles peuvent être le préliminaire à une photodestruction laser ou à la mise en place d’une endoprothèse.

– Les endoprothèses :

– provoquent des complications fréquentes à type de perforation, obstruction, migration.

– ont pour indications principales : les fistules œso-trachéo-bronchiques ; les lésions infiltrantes avec sténose concentrique ;

– les prothèses métalliques expansibles, parfois associées à des prothèses endobronchiques, sont plus faciles à mettre en place, avec moins de complications, mais sont plus coûteuses.

– Les indications préférentielles de la photocoagulation laser sont les tumeurs végétantes.

–  L’électrocoagulation se réalise à l’aide d’une électrode à boule ou d’une anse diathermique (courant monopolaire ou bipolaire) ou d’une sonde Bicap, et ses résultats sont voisins de ceux du laser.

– La gastrostomie endoscopique percutanée représente une alternative à la gastrostomie chirurgicale si la tumeur est franchissable par un endoscope.

– D’autres méthodes sont en cours d’évaluation, comme la photothérapie dynamique par laser colorant, l’endocuriethérapie à haut débit de dose, l’injection d’alcool absolu ou de polidocanol.

Chimiothérapie

– Les polychimiothérapies entraînent une réponse objective dans 50 % des cas.

– Les associations les plus utilisées sont :

–  5 fluoro-uracile et cisplatine.

– 5 fluoro-uracile et mitomycine C.

– La durée de réponse est faible (6 mois) et l’impact sur la durée de survie n’est pas démontré.

– La chimiothérapie n’améliore pas les résultats de la chirurgie (qu’elle soit faite pendant la période préopératoire ou la période postopératoire).

Radiothérapie

– La radiothérapie n’a aucun effet prouvé sur la survie avant ou après la chirurgie.

– Elle a une bonne efficacité palliative, surtout s’il s’agit d’une dysphagie par tumeur végétante, et antalgique sur l’envahissement cœliaque.

– Il existe une contre-indication “ classique ”, mais non réelle, en cas d’envahissement trachéo-bronchique sans fistule grâce à l’irradiation fractionnée.

Radiothérapie et chimiothérapie

– L’efficacité de la radiothérapie associée à la chimiothérapie est supérieure à la chimiothérapie ou à la radiothérapie seule en profitant d’un effet radiosensibilisant de la chimiothérapie.

– Une réponse objective est observée dans plus de 75 % des cas, avec disparition de tout tissu tumoral sur les pièces opératoires dans plus de 20 % des cas.

– Leurs indications restent à optimiser en fonction du résultat d’essais thérapeutiques en cours :

– préopératoire.

– patients inopérables ou atteints de métastases ;

– alternative à la chirurgie si tumeur localement évoluée (T3).

Chirurgie palliative

– Les moyens de la chirurgie palliative sont :

– “ bypass ” (dérivation) par côlon ou estomac monté au cou en rétrosternale excluant l’œsophage ; sa seule indication reste la fistule œso-respiratoire massive non traitable par prothèse chez le sujet jeune “ opérable ” ;

–  exérèses palliatives, qui ont peu d’indications en dehors des grosses tumeurs du tiers inférieur résécable sans thoracotomie ;

–  gastrostomie ou jéjunostomie d’alimentation, pour cancer de la bouche œsophagienne non accessible à la palliation médicale.

– Les indications sont rares, compte tenu de sa morbidité et des progrès des moyens palliatifs médicaux ou endoscopiques.

INDICATIONS :

L’exérèse chirurgicale est la seule méthode donnant une chance de guérison définitive.

Le traitement chirurgical à visée curative n’est possible que dans 20 % des cas.

Cas où la tumeur est résécable, curable et opérable :

Si le bilan oriente vers une tumeur résécable, curable et opérable, une œsophagectomie subtotale sera tentée (voir techniques dans le chapitre sur les méthodes).

En fonction du bilan préopératoire, on réalisera une chirurgie d’emblée si la tumeur paraît localisée à la paroi en échoendoscopie (T1 ou T2), une radio-chimiothérapie préopératoire si envahissement de la graisse médiastinale (T3).

Contre-indications

Les contre-indications relatives ou absolues de la chirurgie sont nombreuses :

– âge supérieur à 70 ans.

– amaigrissement supérieur à 20 % du poids corporel habituel.

– VEMS inférieur à 1,5 l et/ou hypoxémie au repos.

– insuffisance hépato-cellulaire ou cirrhose décompensée.

– infarctus récent.

– adénopathie cœliaque supérieure à 2 cm.

– métastase dont adénopathie sus-claviculaire.

– dysphonie par paralysie récurrentielle gauche.

– envahissement d’un organe de voisinage (T4).

– cancer ORL non curable associé.

Incertitudes

Les incertitudes font l’objet d’essais thérapeutiques :

– est-il préférable en cas de tumeur envahissant la graisse médiastinale (T3), régressive après deux cycles de radio-chimiothérapie, d’opérer ou de continuer la radio-chimiothérapie en terme de survie et de qualité de vie

– la radio-chimiothérapie préopératoire est-elle utile en cas de tumeur localisée à la paroi (T1 ou T2)

Cas où le patient est inopérable :

Les résultats de l’échoendoscopie et le terrain (contre-indication éventuelle à la chimiothérapie) vont orienter les indications thérapeutiques. En l’absence de contre-indication, le traitement de référence est l’association d’une radiothérapie et d’une chimiothérapie.

Stade T1 intramuqueux

– Le stade T1 intramuqueux est le seul où le traitement non chirurgical est souvent curatif.

– Les traitements locaux sont en cours d’évaluation : photothérapie dynamique par laser à colorant, endocuriethérapie à haut débit de dose, résection endoscopique.

– La radiothérapie et/ou la chimiothérapie peuvent être utilisées.

Stades T1 sous-muqueux, T2, T3, T4

– Stades T1 sous-muqueux, T2, T3, T4 : radiothérapie et/ou chimiothérapie ou traitement palliatif endoscopique.

Cas particuliers :

Envahissement trachéo-bronchiquesans fistule

L’envahissement trachéo-bronchique sans fistule ne contre-indique pas une radiothérapie fractionnée.

Fistule œso-respiratoire

Une fistule œso-respiratoire est traitée par :

–  endoprothèse ;

– “ bypass ” du côlon ou de l’estomac monté au cou en rétrosternale excluant l’œsophage si fistule œso-respiratoire massive non traitable par prothèse chez le sujet jeune “ opérable ”.

Cancer du tiers supérieur

Le cancer du tiers supérieur :

– rarement traité par œsophagectomie avec laryngectomie et seulement s’il n’existe pas d’adénopathie sus-claviculaire et si le sujet est jeune et opérable.

– oblige à un traitement palliatif difficile avec souvent nécessité d’une gastrostomie d’alimentation.

Adénocarcinome sur endobrachy-œsophage

Pour l’adénocarcinome sur endobrachy-œsophage :

– la classique non-sensibilité à la chimiothérapie et radiothérapie est remise en cause ;

– le traitement est identique au cancer épidermoïde.

SURVEILLANCE POST-THERAPEUTIQUE :

Examen clinique

Une consultation avec un examen clinique est souvent suffisante :

– est à réaliser tous les 3 mois pendant 2 ans, puis tous les 6 mois ;

– mais un bilan orienté sera prescrit selon l’apparition de symptômes : dysphagie, douleur…

Examens complémentaires

On pratique des examens complémentaires uniquement si un traitement peut être proposé en cas de récidive :

– radiographie thoracique.

– échographie hépatique.

– endoscopie (et coloration) pour détecter un cancer sur l’œsophage restant sus-anastomotique ;

– échoendoscopie pour détecter précocement une récidive péri-anastomotique.

Examen ORL

Il faut réaliser un examen ORL annuel pour dépister un cancer chez les patients en rémission à 2 ans.

ÉVOLUTION ET PRONOSTIC :

Évolution

Le décès peut survenir par dénutrition, insuffisance respiratoire aiguë, infection respiratoire, hémorragie par envahissement vasculaire…

Il survient le plus souvent par récidive mais aussi, dans les cancers superficiels, par pathologie associée à l’alcoolo-tabagisme :

– récidive le plus souvent locorégionale isolée (45 %) ;

– récidives locorégionales associées à des métastases (25 %) ;

– les métastases isolées sont tardives et donc observées dans les stades précoces (15 %) ;

– cancer ORL ou cirrhose (15 %).

La survie globale à 5 ans n’est que de 5 %.

La chirurgie à visée curative n’est possible que dans 20 % des cas avec une survie à 5 ans de seulement 20 %, témoignant de l’échec du bilan d’extension (métastases microscopiques) et du curage ganglionnaire.

L’association radio-chimiothérapie peut donner des résultats de survie similaire à la chirurgie dans certaines études : 20 % à 5 ans.

Pronostic

Le pronostic très péjoratif est expliqué :

– par la fréquence et la précocité de l’envahissement ganglionnaire, même dans les tumeurs superficielles (T1) :

– 0 % si tumeur intra-épithéliale.

– 5 % si tumeur intramuqueuse.

– 30 % si atteinte de la sous-muqueuse.

– par la difficulté et donc l’échec du curage ganglionnaire médiastinal supérieur et cervical.

Le pronostic dépend :

– de la profondeur de l’extension pariétale de la tumeur avec une survie à 5 ans de :

– 75 % si atteinte de la muqueuse (T1) avec médiane de 72 mois.

– 30 % si atteinte de la sous-muqueuse (T1) avec médiane de 49 mois.

– 20 % si atteinte de la musculeuse (T2) avec médiane de 21 mois.

– 5 % si atteinte des tissus péri-œsophagiens (T3) avec médiane de 13 mois.

– de l’existence d’un envahissement ganglionnaire : 25 % de survie à 5 ans avec médiane de 27 mois si sans envahissement ; 10 % de survie à 5 ans avec médiane de 14 mois si envahissement.

– de l’existence de métastases  : 0 % de survie à 5 ans.

– mais aussi de l’amaigrissement initial et de la radio-chimiosensibilité.

Plusieurs classifications à visée pronostique ont été proposées :

– hauteur tumorale radio-endoscopique (environ 5 cm).

– diamètre tumoral au scanner (environ 3 cm).

– TNM internationale :

– où les ganglions sus-claviculaires et cœliaques sont considérés comme des métastases (M+) pour les cancers intrathoraciques.

– l’extension pariétale (T) est bien appréciée par l’échoendoscopie.

PRÉVENTION :

La réduction de consommation de tabac à moins de 10 cigarettes par jour et de vin à moins de 1/2 litre ferait disparaître 90 % des cancers.

Le dépistage de masse est illusoire et seul un dépistage individuel par une endoscopie chez les sujets à risque est envisageable.

Aucune étude n’a démontré l’efficacité et la faisabilité du dépistage précoce chez les sujets à risque par l’endoscopie avec coloration :

– alcoolo-tabagique de plus de 50 ans.

– cancer ORL en rémission à 2 ans.

– endobrachy-œsophage.

– méga-œsophage.

– brûlure caustique.

La prévention par le traitement des lésions à risque :

– rétinoïdes (Soriatane*) si antécédents de cancer ORL.

– laser et IPP à fortes doses pour faire régresser l’endobrachy-œsophage.

– traitement chirurgical précoce du méga-œsophage ou des sténoses caustiques.

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