Fissure anale, thrombose hémorroïdaire

0
3490

La plus fréquente des affections proctologiques de l’adulte après les hémorroïdes, la fissure anale primaire est une maladie autonome acquise. Elle est le fait d’une déchirure au niveau de l’anoderme distal du canal anal, réalisant une ulcération oblongue juxtacommissurale, caractéristique par sa prédilection polaire postérieure et sa difficulté à cicatriser, associant cliniquement douleurs et contractures sphinctériennes. Les travaux modernes ont précisé sa nature ischémique sans toutefois élucider sa pathogénie et défini les multiples thérapeutiques capables d’enrayer sa chronicité et ses récidives. Elle doit être différenciée des ulcérations fissuraires margino-canalaires d’étiologie spécifique, non liées à une maladie du sphincter interne de l’anus. Représentant plus de 15% des motifs de consultation en coloproctologie, la fissure anale aiguë guérit spontanément bien que volontiers récidivante, ne s’installant dans la chronicité que dans un tiers des cas, et imposant jusqu’à ces dernières années le recours à la chirurgie.

LA FISSURE ANALE :

Fissure anale, thrombose hémorroïdaireLa fissure anale est une affection autonome, acquise, caractérisée par une perte de substance cutanée longiligne de la marge anale, réalisant une déchirure épithéliale.

Il s’agit, après la maladie hémorroïdaire, de l’affection proctologique la plus fréquente.

LA THROMBOSE HÉMORROÏDAIRE EXTERNE :

– La thrombose hémorroïdaire externe est une pathologie extrêmement fréquente.

–  Elle est due à la formation d’un caillot dans une des veines du plexus péri-anal sous-cutané, encore appelé plexus hémorroïdaire externe. Peu ou pas visible spontanément, il est situé sous l’épiderme de la marge anale.

–  Sa pathologie ne s’exprime que par des thromboses (et donc essentiellement par des douleurs). La thrombose peut intéresser l’ensemble de la circonférence de la marge de l’anus, mais le plus souvent elle réalise une tuméfaction hémisphérique en un point de la marge anale.

– La physiopathologie des thromboses hémorroïdaires externes n’est pas parfaitement élucidée.

– Au cours des constipations terminales et des efforts de poussée abdominale, l’augmentation de la pression veineuse locale, en constituant une gêne mécanique au retour veineux, pourrait favoriser la rétrodilatation du plexus hémorroïdaire externe et la survenue d’une thrombose hémorroïdaire externe.

– Outre la constipation, les autres situations s’accompagnant d’une augmentation de la pression intra-abdominale (la grossesse, l’accouchement) favorisent classiquement la survenue d’une thrombose hémorroïdaire externe.

Fissure anale :

DIAGNOSTIC :

Forme habituelle  : la fissure jeune :

Symptomatologie :

– Le patient consulte pour une douleur caractéristique, à type de déchirure, provoquée et rythmée par la défécation  :

– le passage de la selle réveille la douleur qui persiste de quelques minutes à plusieurs heures après la défécation, parfois après une brève accalmie postdéfécatoire, réalisant alors un rythme à trois temps, le syndrome fissuraire.

– les autres caractéristiques de la douleur sont très variables, y compris les irradiations qui peuvent se faire vers les fesses, les organes génito-urinaires, les cuisses.

– Les symptômes les plus habituellement associés sont  : un saignement (85 % des cas), minime, tachant le linge, un prurit marginal (60 %), une constipation réflexe (25 %).

Examen clinique :

Le diagnostic est porté dès l’inspection  :

– le déplissement doux de la marge anale chez un patient en position genu-pectorale retrouve la fissure, commissurale postérieure (90 % des cas), dont l’extrémité est effilée et remonte entre les plis radiés dans le canal anal sans déborder sur la muqueuse glandulaire ;

– l’extrémité distale est arrondie, la fissure ayant globalement la forme caractéristique d’une raquette.

– ses bords sont nets, son fond rosé. Elle déborde peu sur la marge anale et peut être difficile à voir d’autant plus que le déplissement est douloureux.

– le toucher rectal, parfois impossible du fait d’une contracture du sphincter anal, réveille la douleur postérieure et retrouve l’hypertonie sphinctérienne.

– l’examen vérifie l’absence de ganglions inguinaux et élimine les autres causes de douleurs en faisant si possible une anuscopie.

Formes cliniques :

Evolution :

–  La fissure jeune, en l’absence de traitement, va se modifier  :

– les bords deviennent épais et décollés ;

– les poussées successives, inflammatoires, finissent par engendrer au niveau du sphincter interne une myosite fibreuse, plus ou moins rétractile.

– la tonicité a tendance à diminuer et parallèlement la douleur décroît.

– Au cours de cette évolution peuvent apparaître des excroissances épithéliales  : les annexes, une infection.

–  Les annexes peuvent être soit une excroissance fibreuse au pied de la fissure, dans le canal anal (hypertrophie papillaire), soit un repli cutané, cicatriciel qui vient encapuchonner l’extrémité distale externe et qu’il faut parfois déplier pour visualiser la fissure (marisque sentinelle).

– La stase fécale est responsable d’une suppuration de la fissure qui peut aboutir à un petit abcès polaire distal qui se draine à la peau en traversant la marisque, formant une fistule anale sous-cutanée (voir schéma).

Terrain :

–  La fissure survient habituellement chez des patients constipés ou dyschésiques. Le traumatisme peut être également obstétrical.

– Une fissure peut s’observer chez l’enfant constipé ; le traitement en est résolument médical.

Topographie :

– Les fissures siègent dans 90 % des cas au niveau de la commissure postérieure, dans 10 % des cas au pôle antérieur de l’anus ; il s’agit alors le plus souvent d’une femme. Les fissures bipolaires sont rares (4 %).

– Les autres topographies (latérales) sont exceptionnelles et doivent faire rechercher une étiologie spécifique.

DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL :

Le diagnostic de fissure anale est purement clinique.

Autres causes de douleur :

– Les autres causes de douleur sont facilement éliminées à l’examen clinique ; il s’agit avant tout de la thrombose hémorroïdaire externe. L’abcès marginal est responsable d’une douleur pulsatile, permanente avec une tuméfaction douloureuse et fébrile de la marge anale.

– Certains auteurs isolent le syndrome préfissuraire ; la douleur est identique à celle d’une fissure anale mais l’examen clinique est normal, y compris le déplissement, qui peut faire apparaître une rhagade superficielle. L’évolution ultérieure vers une fissure à plus ou moins long terme est habituelle en l’absence de traitement.

Autres pertes de substances de la marge :

Les autres pertes de substances de la marge (voir encadré) peuvent être le fait  :

– d’une infection (Cytomégalovirus, HSV, chancre syphilitique, tuberculose anale), notamment en cas d’infection par le VIH ;

– une fissure symptomatique d’une autre affection  :

– cancer épidermoïde à forme fissuraire (biopsie au moindre doute) ;

– ulcération anale au cours d’une hémopathie ou d’une agranulocytose (chimiothérapie) ;

– une maladie inflammatoire de l’intestin, essentiellement la maladie de Crohn.

Dans ce cas, la fissure est volontiers non commissurale, plus large, moins douloureuse avec un socle atone, induré. Il n’y a pas d’hypertonie anale mais au contraire une hypotonie.

L’âge du patient (cancer), le contexte de troubles du transit (maladie de Crohn) et la topographie de la fissure orientent le diagnostic.

– Une affection dermatologique prurigineuse avec lésions de grattage  : eczéma, psoriasis, dermatite toxique. L’anamnèse et la biopsie cutanée permettent de faire le diagnostic.

– Certaines sténoses anales (après un traitement chirurgical ou prise chronique de laxatif) peuvent faire croire à une hypertonie sphinctérienne.

En cas de saignements :

Même si le saignement est évocateur d’une origine distale, la notion de saignement anal doit conduire à une exploration colo-rectale  : au minimum une sigmoïdoscopie, au mieux une coloscopie.

La nature des examens dépend de l’âge du patient et de la présence d’antécédents familiaux directs de lésion colique.

TRAITEMENT :

Le traitement a pour but la suppression de la douleur.

Traitement médical :

– Le traitement médical est indiqué dans tous les cas. Il est dominé par la régularisation du transit intestinal. On peut y associer  :

– des antalgiques.

– des anti-inflammatoires (sauf chez la femme enceinte).

– un topique cicatrisant (biafine, etc.), voire un anesthésique de contact.

– Exemple d’ordonnance pour fissure anale  :

– date, nom du patient.

– Lanso ;auyl*, 1 cuillère à soupe trois fois par jour pendant 1 mois.

– Efferalgan*, 2 comprimés trois fois par jour pendant 7 jours.

– sur une peau propre et sèche, appliquer une fine couche de Jonctum* crème matin et soir avec un doigtier, pendant 7 jours.

Traitement instrumental :

– Le traitement instrumental comporte  :

– une anesthésie sphinctérienne à la Xylocaïne* 2 %.

– puis injection au niveau sous-fissuraire d’une solution sclérosante de quinine urée (Kinuréa*).

– La principale complication est une infection au point d’injection avec formation d’un abcès sous-cutané.

Traitement chirurgical :

– La dilatation manuelle a été abandonnée.

– Le traitement le plus répandu est une sphinctérotomie.

– Elle a pour but de supprimer l’hypertonie sphinctérienne qui pérennise la fissure ; on effectue une section distale partielle du sphincter interne.

– Cette section prudente peut être faite sous contrôle de la vue à travers une ouverture cutanée à la marge anale réalisant la sphinctérotomie latérale interne dite de “ Parks ”.

– Les annexes sont excisées simplement dans le même temps.

– L’ablation de la fissure (fissurectomie) et le recouvrement de la plaie par un lambeau de muqueuse canalaire et rectale (anoplastie muqueuse) sont également utilisables.

Stratégie thérapeutique :

Dans tous les cas, le traitement médical est indiqué. Il est très souvent suffisant.

– Le traitement instrumental est indiqué dans les fissures typiques, jeunes, très douloureuses, avec hypertonie. Si cette sclérose ne guérit pas la maladie, elle peut permettre une résolution prolongée des symptômes.

– Dans les autres cas, la sphinctérotomie reste la méthode de référence (plus de 95 % de guérison) notamment en cas de douleurs défécatoires importantes et prolongées. Dans les fissures peu ou pas douloureuses, vieillies et/ou infectées, il est habituel de pratiquer une fissurectomie et une anoplastie muqueuse.

– L’indication thérapeutique dépend également de  :

– la nécessité d’une preuve histologique en cas de doute.

– de la coexistence d’hémorroïdes internes.

– de l’âge.

– des antécédents du patient.

– En effet, des antécédents de traumatismes obstétricaux ou un long passé d’efforts de poussée chez un patient constipé doivent rendre prudent sur les indications chirurgicales, afin d’éviter la survenue secondaire de troubles de la continence.

– Il est licite de laisser en place une fissure anale asymptomatique.

Thrombose hémorroïdaire externe :

DIAGNOSTIC :

Le diagnostic de thrombose hémorroïdaire externe est aisé. Il suffit d’une simple inspection de la marge anale.

Forme habituelle :

Symptômes :

– Typiquement le patient vient consulter pour une douleur à type de tension, d’apparition brutale et récente, siégeant à la marge anale  :

– cette douleur, volontiers extrêmement vive, est permanente, non pulsatile, non rythmée par la défécation comme pour la fissure anale ;

– elle peut néanmoins être exacerbée par le passage d’une selle ou être apparue après une selle traumatique.

– Cette douleur est contemporaine de la survenue d’une tuméfaction marginale douloureuse, spontanément et à la palpation  :

– cette tuméfaction est isolée, non réductible, et ne s’accompagne ni d’un suintement ni d’un saignement.

– il n’y a pas de rapport entre le volume de cette tuméfaction et l’intensité de la douleur qui peut être très vive, insoutenable ou, au contraire, très minime.

– A ce stade, le diagnostic est déjà très probable. On recherche  :

– des antécédents d’épisodes antérieurs identiques, de troubles de la défécation ou du transit préalables.

– la prise de médicaments laxatifs ou constipants.

Inspection :

– L’inspection de la marge anale confirme le diagnostic en montrant une tuméfaction sous-cutanée bleutée (thrombus), ferme et douloureuse à la pression. Il peut exister, notamment au début, un œdème important qui masque le caillot.

– Cette tuméfaction est située au bord de l’anus et ne prolabe pas à travers le canal anal.

– Le reste de l’examen proctologique (toucher ano-rectal et anuscopie) peut ne pas être effectué en période aiguë, à cause de la douleur.

Formes cliniques :

Évolution immédiate :

– L’évolution est spontanément favorable, la douleur disparaissant en 2 à 7 jours.

– La tuméfaction involue plus ou moins rapidement (1 à 6 semaines).

– Le sac cutané contenant la thrombose peut se nécroser ; par l’orifice ainsi formé, l’évacuation spontanée du caillot est responsable d’un saignement salvateur.

– L’évacuation spontanée est habituellement incomplète.

Évolution tardive :

– A distance, la thrombose hémorroïdaire externe peut laisser en place une séquelle cutanée, la marisque, liée à la distension localisée de l’épiderme de la marge anale. Ces replis cutanés indolores sont souvent improprement appelés hémorroïdes externes. Les marisques sont asymptomatiques.

– Lorsqu’elles sont très développées, elles favorisent une macération locale, des difficultés d’essuyage ; elles sont parfois responsables d’un suintement et d’un prurit.

Remarques :

– La thrombose peut être indolore ; c’est la persistance de la tuméfaction qui amène le patient à consulter un médecin.

– La thrombose est très volumineuse et étendue, circonférentielle. Cet aspect est fréquemment observé pendant la période du post-partum et provoque de très vives douleurs.

– La thrombose peut survenir au sein de marisques, témoins de thromboses antérieures.

DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL :

Autres causes de douleur :

– Les autres causes de douleur sont principalement les abcès de la marge et les fissures anales.

– Une thrombose peut survenir dans un plexus hémorroïdaire interne. Cette thrombose interne isolée est beaucoup plus rare. Elle n’est affirmée qu’après une anuscopie.

Autres causes de tuméfaction :

L’inspection élimine  :

– le prolapsus hémorroïdaire (voir photo) d’aspect différent, prolabé à travers l’anus, rouge framboisé et habituellement indolore (une association est possible).

– un abcès, fluctuant, marginal, fébrile, pulsatile et douloureux.

– un cancer indolore, de dureté pierreuse.

– des marisques notamment exubérantes et infiltrées au cours d’une maladie de Crohn.

– une infection virale à type de condylomes acuminés (crêtes de coq) indolores.

TRAITEMENT :

Traitement curateur de la thrombose externe :

Le traitement doit être entrepris au plus tôt, puisque son but est de supprimer la douleur avant sa résolution spontanée.

Traitement médical :

Le traitement médical est toujours indiqué.

– Il est adapté à l’importance de la douleur, à la taille de la thrombose, au terrain (femme enceinte ou allaitant notamment).

– Il associe  :

– bains de siège tièdes ;

– antalgiques courants (paracétamol).

– topiques anti-inflammatoires, éventuellement à base de corticoïdes ;

– anti-inflammatoires non stéroïdiens per os.

Traitement instrumental :

Le traitement instrumental (voir photo)  :

– complète le traitement médical  :

– est simple et peut être fait par tout praticien.

– après une anesthésie locale par infiltration d’un anesthésique dans et sur la périphérie de la thrombose (exemple  : Xylocaïne* 1 %), on effectue  :

– soit une incision verticale de la thrombose permettant l’évacuation du caillot ;

– soit une excision de l’ensemble de la tuméfaction. Cette dernière est préférable car elle évite une récidive précoce, toujours possible lors des incisions, et évite la formation d’une marisque résiduelle.

– le geste est effectué au bistouri à usage unique, avec l’aide d’une pince. L’hémostase est assurée par un pansement compressif imbibé d’un antiseptique local (Chlorhexidine* ou Bétadine*).

– outre les soins locaux simples, on peut prescrire un antalgique courant non salicylé (paracétamol, dextropropoxifène).

Traitement préventif :

– Le seul traitement préventif est la régularisation du transit intestinal, essentiellement la suppression de la constipation. Cela peut ne pas suffire et, dans certains cas, les thromboses se répètent.

– Si les thromboses sont très fréquentes, douloureuses et donc invalidantes, on peut être conduit à effectuer une excision du plexus externe en pratiquant une hémorroïdectomie chirurgicale classique.

– Les méthodes instrumentales du traitement de la maladie hémorroïdaire interne, notamment les injections sclérosantes, sont inefficaces sur la prévention des thromboses hémorroïdaires externes.

– Cette indication de l’hémorroïdectomie doit rester exceptionnelle.

Stratégie thérapeutique :

– Le traitement médical est indiqué en cas de  :

–  thromboses peu douloureuses et de taille modérée.

– thromboses œdémateuses. Dans ce dernier cas en effet une excision chirurgicale n’est pas possible à cause de la taille (atteinte circonférentielle) ou parce que le thrombus est difficilement individualisable au sein de l’œdème et le geste peut être inefficace.

– L’excision de la thrombose hémorroïdaire externe est particulièrement indiquée en cas de thrombus douloureux et visible, ou en cas de tuméfaction persistante.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.