Fractures du rocher

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Introduction :

La fracture du rocher est une affection fréquente, en rapport avec le développement de l’activité humaine : accidents de transport (automobile, motocyclette, bicyclette…), accidents de sport (ski, vélo tout terrain…).

Près de 75 % des accidents de circulation s’accompagnent d’un traumatisme crânien ; 5 % d’entre eux ont pour conséquence une fracture du rocher.

Elle est due à un traumatisme violent dont l’onde de choc va rompre le rocher, véritable clé de voûte de la boîte crânienne.

Fractures du rocherL’importance de ce traumatisme d’une part, et l’existence d’organes nobles au sein du rocher d’autre part, expliquent la richesse de la symptomatologie :

– signes encéphaliques dus aux lésions cérébrales ;

– signes otologiques associant à des degrés divers : otorragie, otoliquorrhée, surdité, vertige, paralysie faciale ;

– autres signes d’atteinte des paires crâniennes : V et VI.

Ainsi, deux stades s’individualisent :

– le stade initial ou neurochirurgical où l’état neurologique du patient est au premier plan des préoccupations, qui nécessite une prise en charge neurochirurgicale.

C’est à ce stade initial que doit impérativement être reconnue une paralysie faciale qui imposera une exploration chirurgicale du nerf dès la récupération du coma ;

– le stade secondaire est plus spécifiquement du ressort de l’oto-rhinolaryngologiste (ORL) qui doit réaliser le bilan fonctionnel otoneurologique devant une surdité, des vertiges, une paralysie faciale secondaire, une otoliquorrhée ou une otorragie.

Des progrès récents ont modifié de façon substantielle la prise en charge des traumatismes crâniens, notamment dans deux domaines très différents :

– la réanimation et la prise en charge neurochirurgicale qui permettent à de nombreux patients de passer le cap souvent létal du stade neurochirurgical ;

– l’imagerie :

– la tomodensitométrie (TDM) haute résolution qui nous fait découvrir le trait de fracture de façon précise : soit au cours du premier stade dans le bilan neurochirurgical, soit au stade secondaire dans le cadre du bilan d’un syndrome otoneurologique ;

– l’imagerie par résonance magnétique (IRM) qui apporte des informations décisives sur les lésions labyrinthiques.

Épidémiologie :

Ce sont les accidents de la circulation qui sont les plus grands pourvoyeurs de traumatismes crâniens (trois sur quatre).

Si la fréquence des accidents d’automobile a tendance à régresser, celle des deux-roues augmente.

Les accidents mettant en jeu ces derniers, particulièrement violents, atteignent surtout les adolescents (hommes de moins de 30 ans).

Des accidents de piétons touchent les sujets aux deux extrêmes de la vie (enfants et sujets âgés).

Les accidents de travail par chute ou écrasement crânien sont également de gros pourvoyeurs de fracture du rocher.

Plus rares sont les agressions et traumatismes balistiques responsables de fractures complexes.

Les fractures de la base du crâne représentent près de la moitié des fractures crâniennes : environ 50 % atteignent l’os temporal (22 % des fractures du crâne).

La fracture peut être bilatérale dans 12 % des cas.

La tête est atteinte dans plus de 75 % des accidents de la voie publique et l’oreille est l’organe sensoriel le plus fréquemment lésé.

Lésions :

A – Lésions osseuses :

Le rocher est occupé par de multiples cavités, dont certaines contiennent des organes nobles, qui sont autant de zones de faiblesse.

Il est aisé de comprendre le cheminement des traits de fracture et d’en déduire la symptomatologie.

En fonction du point d’impact sur la cavité crânienne, deux types de fractures peuvent être individualisés.

1- Fractures longitudinales (70 à 80 %) ou extralabyrinthiques :

À la suite d’un impact latéral, temporopariétal, l’onde de choc qui épargne le labyrinthe, rompt l’écaille verticale et se poursuit au niveau de la paroi antérieure de la caisse ; trois types principaux de traits de fracture peuvent être individualisés :

– le type I, dont le trait de fracture rompt l’écaille verticale, se poursuit vers l’écaille préméatique vers la paroi antérieure de la caisse, jusqu’à l’apex (ce trait de fracture passe dans un plan frontal).

Ce type de fracture peut léser le ganglion géniculé (repère Ia).

Elle peut se prolonger, plus à l’extérieur, à l’articulation temporomandibulaire ;

– le type II, dont le trait de fracture rompt l’écaille verticale, se poursuit vers l’écaille sus-méatique et la paroi antérieure de la caisse également jusqu’à l’apex, avec la même conséquence sur le nerf facial (repère Ib) ;

– le type III, dont le trait de fracture rompt l’écaille verticale, se poursuit vers l’écaille sus-méatique, l’écaille rétroméatique, se prolongeant dans la mastoïde, traversant les parois postérieure et supérieure du conduit auditif externe (CAE), la suture pétrosquameuse, jusqu’à la paroi antérieure de la caisse.

Le trait de fracture est situé dans un plan, faisant un angle de 45° avec le plan frontal (donc parfaitement parallèle à l’axe du rocher).

La fracture est associée à des lésions du nerf facial au niveau du deuxième coude et au niveau de la troisième portion du nerf.

Ce trait de fracture peut se prolonger vers le foramen lacerum et le canal carotidien, avec un risque d’accident vasculaire cérébral par dissection carotidienne ou d’hémorragie (repère Ic).

Toutes ces fractures sont responsables d’otorragie, de surdité de transmission (dans tous les cas), dues pour une part à l’épanchement de sang dans la caisse (surdité de transmission qui régressera spontanément) et éventuellement à une rupture tympanique, une fracture de la branche descendante de l’enclume, des branches de l’étrier, ou encore à une luxation incudostapédienne, incudomalléaire, ou encore stapédovestibulaire (avec surdité de perception associée due à une fistule périlymphatique).

Ces fractures entraînent une lésion du canal facial avec paralysie faciale dans 20 % des cas.

2- Fractures transversales ou translabyrinthiques :

À la suite d’un impact occipital ou d’un impact sur le vertex, l’onde de choc provenant de la base de l’occipital traverse le foramen jugulaire, se prolongeant vers l’avant et l’extérieur, et atteint la face postéro-interne du rocher, brisant le labyrinthe osseux, le plus souvent au niveau du canal semicirculaire postérieur et de l’aqueduc du vestibule (repère IIb).

Le conduit auditif interne (CAI) et la cochlée peuvent également être lésés si le trait de fracture est plus antérieur (repère IIa).

Le nerf facial est plus fréquemment atteint (50 %des fractures transversales). Il est atteint à deux niveaux principalement :

– la deuxième portion : le trait de fracture de la paroi interne de la caisse se poursuit sur la deuxième portion du canal de Fallope ;

– la première portion : le trait de fracture peut passer dans le CAI et léser la première portion, plus rarement le ganglion géniculé.

Ces fractures entraînent habituellement une destruction cochléovestibulaire et une otoliquorrhée.

Celle-ci peut provenir de la fosse postérieure, au travers du labyrinthe fracturé, et être difficile à reconnaître si une otorragie l’accompagne.

L’issue de ce liquide céphalorachidien (LCR) peut également se faire par le nez ou le rhinopharynx, via la trompe d’Eustache.

3- Fractures mixtes tympanolabyrinthiques :

Elles sont nettement plus rares. Le trait de fracture atteint l’écaille susméatique et poursuit sa direction vers le labyrinthe et le CAI.

4- Fractures partielles :

Ce sont soit des fractures de la platine, soit des fractures labyrinthiques au voisinage des fenêtres, entraînant une fistule périlymphatique.

B – Lésions labyrinthiques :

1- Lésions labyrinthiques dues à des fractures transversales :

Les lésions labyrinthiques s’observent dans près de 90 % des fractures transversales.

Si le trait de fracture est antérieur (repère IIa), passant dans le CAI et la cochlée, la lésion labyrinthique peut être associée à une atteinte du VIII et de la première portion du VII.

En cas de trajet postérieur (repère IIb), le trait de fracture passe dans le vestibule et les canaux semi-circulaires, pouvant léser la deuxième portion du VII.

Elles ont pour conséquence l’ouverture des cavités labyrinthiques vers l’oreille moyenne avec fistule périlymphatique et apparition d’air dans le labyrinthe (pneumolabyrinthe).

Elles sont souvent associées à une brèche méningée.

Les fractures transversales sont responsables de lésions du labyrinthe membraneux : hémorragie des espaces endo- et périlymphatiques et fusion des liquides endo- et périlymphatiques ; les deux compartiments hydriques ne sont plus séparés, entraînant des troubles de l’homéostasie de ces deux liquides.

Les cellules sensorielles, de même que les fibres nerveuses, peuvent être endommagées.

Ces lésions sont habituellement immédiates, définitives et complètes, rarement partielles.

La conséquence est la destruction cochléovestibulaire avec son cortège symptomatique de vertiges et de cophose.

L’atteinte peut toutefois être dissociée, la cophose étant plus fréquente.

2- Lésions labyrinthiques dues à des fractures partielles :

En cas de fracture partielle au voisinage des fenêtres (avec rupture du tympan secondaire quelquefois) ou en cas de luxation stapédovestibulaire, on observe une fistule périlymphatique.

Celle-ci est responsable d’un hydrops labyrinthique par augmentation de la différence de pression entre endo- et périlymphe (la pression de cette dernière étant diminuée).

Il est responsable d’une surdité fluctuante et de vertiges.

3- Lésions labyrinthiques en l’absence de fracture labyrinthique :

En l’absence de fracture labyrinthique ou de fistule périlymphatique (avec ou sans fracture longitudinale), on peut observer des altérations labyrinthiques regroupées sous le terme de commotion labyrinthique. Plusieurs mécanismes ont pu être évoqués.

Pour Ilberg, elle est due à des troubles de la microcirculation locale responsable d’une hypoxie entraînant des modifications de l’homéostasie endo- et périlymphatique (analogue à l’hydrops).

Mais on peut aussi penser que, lors du choc, la décélération brutale aboutit à une rupture d’une macule otolithique, avec libération d’otolithes responsables de troubles de l’équilibre et de vertiges positionnels.

Le vertige paroxystique positionnel est le plus fréquent (59 %) pour Barber.

4- Autres lésions labyrinthiques :

D’autres lésions de l’oreille interne peuvent s’observer dans les fractures longitudinales du rocher, mais également en cas de fracture partielle (promontoire ou platine) : apparition d’une surdité progressive retardée, témoin d’une fistule périlymphatique.

C – Lésions ossiculaires :

L’atteinte de l’oreille moyenne est le plus souvent la conséquence d’une fracture longitudinale.

L’onde de choc va imposer :

– une fracture des parois de la caisse, responsable soit d’un hémotympan, soit d’une déchirure tympanique et d’une otorragie ;

– un mouvement relatif de l’étrier, solidaire de l’oreille interne, et du marteau, solidaire de l’oreille externe (tympan), responsable des luxations incudomalléaire, incudostapédienne, stapédovestibulaire et des fractures ossiculaires (le plus souvent la branche descendante de l’enclume et plus rarement les branches de l’étrier).

Cinquante pour cent des fractures du rocher s’associent à une lésion ossiculaire.

Elles sont la conséquence d’une fracture longitudinale du rocher.

1- Luxations ossiculaires :

* Luxation incudostapédienne :

Elle est la lésion la plus fréquente : 82 % pour Hough.

De la simple distorsion capsuloligamentaire à la perte totale des rapports articulaires normaux, tous les intermédiaires peuvent être observés.

L’apophyse lenticulaire est déplacée généralement en avant et en dehors.

À l’origine de cette luxation articulaire, on évoque la contraction violente et simultanée des muscles de l’étrier et du marteau.

* Luxation incudomalléaire :

Elle est retrouvée dans 52 %des cas pour Hough.

Elle est souvent associée à une fracture de la longue apophyse de l’enclume, à une fracture des branches de l’étrier ou à une luxation incudostapédienne.

L’enclume, ayant perdu ses liaisons articulaires, peut subir une rotation de 180° autour de l’axe vertical et être projetée vers le tympan qui peut être perforé par la longue apophyse.

La luxation du bloc incudomalléaire est plus rare (3,7 % pour Veillon).

* Luxation stapédovestibulaire :

Elle est rare, en rapport avec une fracture transversale ou un traumatisme direct de la chaîne ossiculaire.

2- Fractures :

Celle de la branche descendante de l’enclume est la plus fréquente du fait de sa fragilité.

La fracture des branches de l’étrier est plus rare.

Elle est souvent associée à une luxation incudomalléaire ou du bloc incudomalléaire.

La fracture de la platine est plus rare encore et est en rapport avec une fracture transversale le plus souvent, ou un traumatisme direct, et s’accompagne d’une atteinte labyrinthique.

Ces lésions ossiculaires s’accompagnent d’une surdité de transmission d’au moins 30 dB.

D – Atteintes du nerf facial :

La paralysie faciale est un des symptômes majeurs de la fracture du rocher.

Cinquante pour cent des fractures transversales et 20 % des fractures longitudinales s’accompagnent d’une paralysie faciale.

La paralysie faciale est donc aussi fréquente quel que soit le type de fracture et est présente chez un quart des patients présentant une fracture du rocher.

La paralysie faciale peut être due à :

– une section totale du nerf facial si le canal de Fallope est rompu (rare) ;

– une section partielle qui est plus fréquente : fragment osseux ou spicules venant blesser le nerf ;

– une compression du nerf par une embarrure ;

– une élongation du nerf ;

– un hématome intra- ou extranerveux ;

– une commotion du nerf facial avec oedème extra- ou intranerveux.

La zone du nerf facial le plus fréquemment atteinte est le ganglion géniculé.

Pour Brodie, sur une série de 820 fractures du rocher, 27 % des paralysies faciales sont d’apparition immédiate. Les paralysies faciales secondaires (73 %) ont un délai d’apparition de 24 heures à 16 jours.

La proportion des paralysies faciales complètes est de 47 % pour les paralysies faciales immédiates, et de 22 % pour les paralysies faciales secondaires.

Le suivi des patients présentant une paralysie faciale incomplète fait apparaître une récupération complète dans tous les cas, qu’elle soit immédiate ou secondaire.

Les patients qui présentent une paralysie faciale immédiate et complète doivent être explorés chirurgicalement (décompression), car le taux de récupération spontanée est très faible (30 %).

Pour les paralysies faciales complètes secondaires, il faut s’aider des tests électriques, de l’électroneuronographie et de l’électromyographie.

Une exploration chirurgicale est indiquée si elles ne montrent aucune réponse à une stimulation de 10 mA ou si l’on observe à l’électroneurographie une dégénérescence d’au moins 90 % des fibres nerveuses, constatée dans les 6 jours qui suivent la paralysie faciale.

E – Autres lésions :

1- Lésions vasculaires :

Les lésions de la carotide interne au décours d’une fracture du rocher sont rares.

La carotide est relativement bien protégée dans sa portion pétreuse.Au contraire, elle est très exposée à la sortie du canal carotidien et à l’entrée du sinus caverneux.

Des forces de torsion et de cisaillement peuvent aboutir soit à une plaie, soit à une dissection carotidienne.

Les lésions peuvent entraîner une otorragie ou une épistaxis profuse, un accident vasculaire cérébral, conséquence d’une dissection carotidienne ou d’une thrombose, un anévrisme ou une fistule artérioveineuse.

2- Lésions encéphaliques associées :

Les traumatismes susceptibles d’entraîner une fracture du rocher sont très violents.

L’importance de la force agissant sur la masse cérébrale est proportionnelle à l’accélération/décélération de la tête (g) et à la masse cérébrale (m = 1 450 g chez l’homme) : f = mg. Elle entraîne des mouvements de translation et de rotation de l’encéphale, provoquant des lésions encéphaliques directes et des lésions de contrecoup.

La partie antéroinférieure du lobe frontal (41 %), et un peu moins celle du lobe temporal (38 %), sont les plus menacées, le cervelet est le moins menacé (2,5 %) (Pitella JEH, Gusmao SNS. Pathologia do trauma cranioencephalico. Revinter. Rio de Janeiro).

L’hémorragie intracrânienne est la complication la plus fréquente ; elle est responsable du coma et même de l’issue fatale secondaire des patients.

Ces hématomes se développent généralement dans les 48 premières heures après le traumatisme, et peuvent entraîner une symptomatologie retardée.

C’est le classique intervalle libre de l’hématome extradural.

On peut les classer en hématomes extradural, sous-dural et intracérébral.

– L’hématome extradural est le plus fréquent après fractures (Freytag, sur 205 hématomes extraduraux, a retrouvé 199 fractures).

La fracture temporale est responsable de 73 % des hématomes extraduraux : lésions de l’artère méningée moyenne.

Cet hématome extradural est le plus fréquent chez l’adulte jeune.

La symptomatologie habituellement retardée (intervalle libre) apparaît quand la compression cérébrale sous-jacente devient importante et entraîne une hypertension intracrânienne avec hernie cérébrale au travers de la tente du cervelet, comprimant le tronc cérébral.

Son évacuation est une urgence neurochirurgicale.

– L’hématome sous-dural (entre dure-mère et arachnoïde) est présent dans 10 à 30 %des traumatismes crâniens sévères (Gennarelli).

Leur gravité est la conséquence de l’important volume que peut revêtir cet hématome sousdural.

Sa symptomatologie est associée à celle des lésions intraparenchymateuses diffuses et se manifeste par un coma immédiat.

Le pronostic vital est en jeu.

– L’hématome intracérébral se constitue dans le parenchyme cérébral, le plus souvent dans le lobe frontal (50 %), le lobe pariétal (21 %), les noyaux de la base (21 %) et le lobe temporal (7 %).

La symptomatologie est identique à l’hématome sous-dural mais s’y ajoutent des signes de focalisation.

Le pronostic vital est également très péjoratif.

3- Lésions méningées :

* Clinique :

Les lésions méningées résultent soit d’une déchirure de la dure-mère apparue au moment de la fracture, suite au déplacement temporaire des deux fragments osseux (brèche ostéoméningée), soit d’un spicule osseux postfracturaire qui embroche la dure-mère.

Le LCR s’écoule au travers de cette brèche dans l’oreille moyenne puis dans le CAE ou par la trompe d’Eustache, réalisant une otoliquorrhée ou une rhinoliquorrhée.

* Localisation :

La brèche méningée peut siéger :

– pour les fractures longitudinales du rocher, au niveau du tegmen (20 %), de la paroi postérieure du rocher (méninges de la fosse postérieure) beaucoup plus rarement ;

– pour les fractures transversales, au fond du CAI ; l’issue du LCR se fait au niveau de la paroi interne de la caisse, par une fracture de cette paroi interne (le promontoire) ou par une rupture du ligament annulaire, une fracture de la platine ou une rupture du tympan secondaire.

La rhinoliquorrhée est plus fréquente puisque, dans ces fractures transversales, le tympan est souvent intact.

* Évolution :

Les brèches du tegmen ont tendance à s’obturer spontanément, soit par la formation d’un cal osseux, soit par colmatage de la brèche par la face inférieure du lobe temporal qui est en contact direct avec la méninge (absence de citerne).

Au contraire, les brèches de la face postérieure du rocher n’ont pas tendance à se tarir du fait de la présence d’une citerne empêchant le cervelet de colmater la brèche.

Les brèches translabyrinthiques ne se colmatent jamais spontanément du fait de l’absence de dure-mère dans le fond du CAI (passage des nerfs du paquet acousticofacial entouré d’arachnoïde), de la présence des citernes de LCR, et de la persistance de la déhiscence de la paroi interne de la caisse. Pour cette raison, le colmatage de la brèche est réalisé en urgence.

La liquorrhée peut être secondaire ou réapparaître secondairement à la suite d’un effort (de toux par exemple) ou être découverte à l’occasion du bilan étiologique d’une méningite.

Le bilan radiologique demandé au vu des antécédents permettra de découvrir un trait de fracture et donc la brèche.

Clinique :

Ces fractures sont caractérisées par la violence du choc responsable de la fracture pétreuse.

Ces patients ont bénéficié des progrès de l’imagerie crânienne réalisée à l’admission du blessé, et de la neuroréanimation, améliorant de façon considérable le pronostic vital.

C’est dans ce contexte que l’ORL est amené à examiner des traumatisés crâniens précocement au stade initial de la phase primaire où le pronostic vital peut être en jeu, soit plus tardivement, au stade secondaire, à l’issue du coma, où ce n’est plus le pronostic vital qui est au centre des préoccupations mais les troubles fonctionnels.

Enfin, l’ORL pourra être consulté après consolidation à la phase secondaire pour bilan et traitement des séquelles.

A – Phase primaire :

1- Stade initial :

Immédiatement après un traumatisme crânien, c’est le plus souvent dans un service de réanimation que l’ORL est amené à examiner le patient polytraumatisé.

C’est donc dans un contexte d’urgence neurochirurgicale qu’une fracture du rocher est suspectée.

* Signes encéphaliques :

Ils sont au premier plan.

La violence du choc ayant entraîné une fracture du rocher est responsable de lésions cérébrales entraînant souvent un coma.

+ Coma initial de brève durée :

Il faut craindre l’hématome extradural dont le tableau évolutif en trois temps est typique ; après une perte de connaissance brève, contemporaine du traumatisme, le sujet reprend conscience, gardant une amnésie du traumatisme, mais est asymptomatique.

Cette période est le classique intervalle libre.

À la fin de celle-ci apparaît une altération de la conscience due à l’hypertension intracrânienne accompagnée de signes de localisation en rapport avec la topographie de l’hématome.

À ce stade, l’intervention neurochirurgicale s’impose d’extrême urgence.

Elle aurait dû être proposée pendant la période asymptomatique de l’intervalle libre, c’est dire tout l’intérêt :

– du bilan scanographique des patients ayant présenté un traumatisme crânien avec perte de connaissance initiale ;

– de la surveillance d’au moins 48 heures en milieu hospitalier de ces patients présentant un traumatisme crânien avec perte de connaissance, même de durée brève.

+ Coma de longue durée d’emblée :

Ils sont dus aux autres hémorragies intracrâniennes.

Ils se caractérisent par un coma de longue durée (plusieurs heures ou jours).

Il s’agit toujours d’un traumatisme crânien sévère : hématome sous-dural, intracérébral, contusion, lésions axonales diffuses ; un bilan scanographique s’impose en urgence, même si l’indication opératoire reste exceptionnelle.

À ce stade, l’étude des potentiels évoqués auditifs peut aider au diagnostic topographique et à l’évaluation du pronostic : la disparition du potentiel III (entraînant la disparition des potentiels IV et V) est de très mauvais pronostic.

* Signes des lésions crâniennes :

+ Atteinte de la voûte :

Les signes sont :

– les plaies du cuir chevelu caractérisées par un saignement abondant ;

– les embarrures fermées et ouvertes, avec ou sans plaie craniocérébrale associée.

+ Atteinte de la base du crâne :

– Fractures de l’étage antérieur.

Elles sont évoquées devant l’association d’une ecchymose périorbitaire bilatérale, d’une épistaxis qui peut être abondante quand elle provient d’une lésion des artères ethmoïdales et d’une rhinoliquorrhée provenant de la déchirure de la dure-mère.

En cas d’épistaxis, l’auréole qui entoure la tache de sang sur le drap doit faire évoquer cette hypothèse.

L’anosmie par section des nerfs olfactifs est fréquente, mais passe inaperçue dans ce contexte, et est remarquée plusieurs jours ou semaines après le traumatisme.

La section du nerf optique peut être suspectée chez le sujet comateux, devant une mydriase unilatérale avec abolition du réflexe photomoteur, découverte très tôt après le traumatisme.

La compression du nerf entraîne les mêmes signes mais retardés ; la décompression du nerf doit être envisagée dans les plus brefs délais.

Les fistules carotidocaverneuses sont rares et souvent d’apparition retardée.

Elles sont révélées par une exophtalmie pulsatile rapidement progressive, accompagnée d’une baisse de l’acuité visuelle.

L’auscultation du globe oculaire et de la région temporale, geste simple qui doit systématiquement être réalisé, permet de découvrir le souffle systolique.

– Fractures de l’étage moyen (les signes sont décrits.

* Signes d’atteinte de l’étage moyen ou fracture pétreuse :

+ Paralysie faciale :

Les fractures du rocher se compliquent, dans 20 % des fractures longitudinales et dans 50 % des fractures transversales, d’une paralysie faciale périphérique.

La notion de paralysie faciale immédiate ou secondaire doit être recherchée par l’interrogatoire des témoins de l’accident et par l’examen du patient sur les lieux de l’accident, en soulignant le caractère péjoratif de l’apparition immédiate de la paralysie faciale (30 % de récupération spontanée).

Au stade initial d’un traumatisme crânien, elle passe souvent au second plan du tableau clinique.

La manoeuvre de Pierre Marie-Foix, réalisée et répétée dans les premières heures, permet la mise en évidence de l’asymétrie de la motricité faciale en sachant qu’elle est souvent difficile à apprécier chez un patient sous sédation ou dans un coma profond.

Le résultat (positif ou négatif) de la manoeuvre doit être consigné sur la fiche d’observation.

La paralysie est consécutive soit à un simple oedème du nerf, soit à une compression ou à un embrochage nerveux par une esquille osseuse, soit à une section plus ou moins complète du nerf.

Tant que la paralysie demeure incomplète, on peut espérer une récupération spontanée de la motricité faciale.

Une paralysie faciale totale et immédiate impose une exploration chirurgicale dans les plus brefs délais, compatible avec l’état neurologique du sujet.

Il est important de localiser la lésion du nerf.

L’électrogustométrie, le réflexe stapédien et le test de Schirmer sont peu réalisables et ont peu d’intérêt pour la localisation de la lésion nerveuse, surtout depuis les progrès considérables des explorations par TDM.

Les tests électriques ont un grand intérêt diagnostique (neurapraxie ou axonotmesis) et pronostique.

+ Otorragie :

C’est souvent un signe d’appel de l’ORL en urgence.

Elle résulte soit d’une plaie du CAE secondaire à une fracture du conduit auditif osseux, soit de l’extériorisation d’un épanchement sanguin de la caisse du tympan par une perforation tympanique, existant ou non avant le traumatisme.

L’hémotympan est rencontré dans 50 à 90 % des cas de fracture du rocher.

+ Otoliquorrhée :

L’écoulement de LCR par le CAE qui signe une brèche de la dure-mère, le plus souvent dans la région du tegmen, est un signe de gravité en raison du risque potentiel de méningite.

L’otoliquorrhée peut passer inaperçue, surtout à la phase initiale du traumatisme, car l’écoulement de LCR est masqué par l’otorragie.

Lorsque le saignement diminue, la tache laissée par l’écoulement encore sanglant est bordée d’un halo clair qui doit attirer l’attention du clinicien, tout comme l’otorragie qui s’éclaircit.

Si le tympan n’est pas perforé, le LCR s’écoulera dans le nasopharynx par la trompe d’Eustache et provoquera une rhinoliquorrhée.

L’otoliquorrhée est confirmée par le dosage du glucose dans l’écoulement ou par la recherche de glucose à la bandelette réactive, si besoin en sensibilisant la manoeuvre par la compression des veines jugulaires.

La recherche d’une fuite de LCR par transit isotopique est certes spécifique d’une brèche méningée mais peu sensible.

Si celle-ci est la conséquence d’une fracture translabyrinthique, d’une fracture platinaire ou d’une luxation stapédovestibulaire, l’intervention s’impose dès que possible. En dehors de cette situation, l’assèchement de l’otoliquorrhée est le plus souvent spontané.

Si l’écoulement n’est pas trop important et ne fait pas courir un risque d’hypotension intracrânienne (surtout chez l’enfant), il est licite d’attendre 10 à 15 jours avant d’envisager une fermeture chirurgicale de la brèche ostéoméningée.

+ Perte de substance de tissu cérébral :

L’issue de substance cérébrale par leCAEsigne une atteinte du lobe temporal et entre dans un contexte d’urgence neurochirurgicale évident.

Une fuite de LCR est habituellement associée et la TDM identifie facilement la hernie de tissu cérébral par le toit du CAE ou de la caisse du tympan.

+ Hémotympan :

C’est le signe le plus fréquent dans les fractures du rocher (50 à 90 %des cas).

+ Atteinte vestibulaire :

Le déficit vestibulaire est difficile à évaluer lors de l’examen initial, car la majorité des patients sont comateux.

Le coma fait disparaître le nystagmus vestibulaire.

+ Surdité :

L’hypoacousie est quasi constante après une fracture du rocher.

Le déficit auditif peut être transmissionnel, neurosensoriel ou mixte.

L’exploration de l’audition est souvent impossible à la phase aiguë du traumatisme.

+ Plaies vasculaires :

Les hémorragies cataclysmiques par lésions de la carotide interne, du sinus latéral ou du golfe de la jugulaire sont rares et sont le plus souvent secondaires aux plaies par arme à feu.

La dissection carotidienne est responsable d’un accident vasculaire cérébral, très rare.

+ Thrombophlébite aseptique du sinus latéral :

Elle se manifeste par un syndrome d’hypertension intracrânienne.

2- Stade secondaire :

C’est à ce stade que le patient est confié à la charge exclusive de l’ORL, puisque seuls subsistent les troubles fonctionnels, qu’il faudra caractériser par le bilan fonctionnel adapté et les traiter.

* Sémiologie analytique :

+ Paralysie faciale :

Lorsqu’un patient est examiné pour la première fois, plusieurs jours ou semaines après l’accident (par exemple, à la suite d’un coma prolongé), les notions de paralysie faciale périphérique immédiate ou secondaire ne sont pas toujours faciles à distinguer, ce qui confirme l’importance capitale de l’examen initial.

L’anamnèse de la paralysie se fonde le plus souvent sur l’interrogatoire du patient qui n’était peut être pas forcément conscient après le traumatisme.

Cette notion est pourtant très importante eu égard au pronostic et à la conduite à tenir.

+ Otoliquorrhée – rhinoliquorrhée :

Les fractures du rocher avec perforation tympanique et déchirure méningée sont une cause classique d’otoliquorrhée.

L’abondance de l’écoulement est variable et dépend souvent de la position de la tête et de l’origine de la fuite.

L’otoliquorrhée qui provient du fond du CAI (surtout dans les fractures transversales) n’a pas tendance à se tarir et doit donc bénéficier d’une fermeture chirurgicale, de même que celle provenant de la paroi postérieure du rocher (cf présence de la citerne de LCR).

Une fuite qui provient d’une brèche ostéoméningée du tegmen peut s’amender spontanément en quelques jours sans intervention chirurgicale (la face inférieure du lobe temporal venant colmater la brèche).

Le scanner permet de localiser la brèche.

Une otoliquorrhée persistant plus de 10 à 15 jours doit être traitée chirurgicalement.

Bien que la rhinoliquorrhée soit le plus souvent un signe indirect de fracture de l’étage antérieur de la base du crâne, elle peut être secondaire à une fracture du rocher, le drainage du LCR se faisant par la trompe d’Eustache si le tympan est intact.

+ Surdité :

L’hypoacousie est quasi constante après une fracture du rocher.

Le déficit auditif est de topographie variable.

– Surdité de transmission.

L’atteinte transmissionnelle peut être temporaire ou permanente.

Lorsque l’hémotympan est résorbé ou lorsque la perforation tympanique est cicatrisée, l’audiogramme se normalise en quelques semaines (3 semaines en moyenne).

Si l’hypoacousie persiste malgré la normalité du tympan, il faut envisager la possibilité d’une rupture de la chaîne des osselets.

La lésion le plus souvent rencontrée à l’exploration est une luxation incudostapédienne avec, dans plus de la moitié des cas, une luxation de l’enclume.

Les ligaments de l’enclume sont fragiles et rendent les luxations faciles, même après des traumatismes légers.

Les fractures ossiculaires sont plus rares que les luxations.

C’est la branche descendante de l’enclume qui est le plus souvent fracturée, puis les crus de l’étrier et enfin le col du marteau.

– Surdité neurosensorielle.

La proportion des surdités de perception varie suivant les études. Elle varie de 4 %dans les cas de fractures longitudinales à 95 %dans les cas de fractures transversales.

L’hypoacousie neurosensorielle accompagnant les fractures longitudinales semble être plus fréquente dans les cas où il existe une luxation de l’enclume.

Les mécanismes qui produisent un tel déficit sensoriel sont : une commotion labyrinthique avec ou sans fracture, une hémorragie dans l’oreille interne, un traumatisme du nerf auditif et la transmission de l’énergie vibratoire à l’oreille interne par l’étrier, surtout en cas de luxation de l’enclume.

Les fractures transversales s’accompagnent de manière générale d’une cophose.

+ Acouphènes :

Ils sont présents dans plus de 60 % des fractures du rocher et ont tendance à régresser dans environ 45 % des cas.

+ Vertiges :

C’est le symptôme le plus fréquent des fractures du rocher.

Les fractures transversales qui peuvent impliquer les canaux semi-circulaires, le vestibule, ou même le CAI, entraînent un déficit vestibulaire aigu total avec grand vertige rotatoire accompagné de nausées et vomissements, le plus souvent associé à une cophose.

Les vertiges sont importants pendant plusieurs jours puis disparaissent progressivement sous l’effet de la compensation vestibulaire.

Si la lésion est bilatérale, le patient se plaint d’oscillopsies et d’instabilité aggravée à l’obscurité.

Dans les fractures longitudinales, les vertiges sont plutôt de type positionnel paroxystique bénin et attribués à une cupulo- ou canalolithiase (des otolithes auraient pu être arrachés à la membrane otoconiale pendant le traumatisme).

D’autres vertiges peuvent exister, dus à :

– une fistule périlymphatique qui induit un vertige rotatoire ou une instabilité de durée brève, associée à une surdité de perception fluctuante ;

– une commotion labyrinthique responsable de vertiges itératifs qui peuvent être associés à une surdité de perception stable ;

– un hydrops labyrinthique secondaire, rencontré plusieurs années après une fracture transversale du rocher.

Cet hydrops est secondaire à l’obstruction de l’aqueduc du vestibule. La symptomatologie est identique à celle de la maladie de Ménière.

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