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Fractures du pilon tibial

Introduction :

Les fractures du pilon tibial demeurent un problème d’actualité.

En effet, leur traitement n’est pas univoque et doit prendre en compte non seulement le versant osseux nécessitant une stabilisation initiale, mais aussi l’environnement des parties molles, source de fréquentes complications cutanées ou infectieuses.

Afin d’éviter l’évolution arthrosique souvent mal tolérée avec un retentissement professionnel important, la seule possibilité thérapeutique nécessite un abord chirurgical reconstituant une surface articulaire congruente, seule garante de la meilleure restitution fonctionnelle.

Néanmoins, les complications iatrogènes doivent tempérer cette attitude, imposant une grande prudence rendue nécessaire du fait des lésions cutanées initiales liées au fort déplacement des fragments ou à leur irréductibilité en urgence, majorées par l’importance des forces vulnérantes.

Par convention, toute fracture du tibia passant par la surface articulaire tibiale portante distale doit être étiquetée fracture du pilon tibial, exception faite des fractures trimalléolaires dont le fragment malléolaire postérieur concerne moins d’un tiers de la surface articulaire.

Ces fractures du pilon tibial au fort potentiel d’instabilité sagittale se différencient sur le plan diagnostique, thérapeutique et pronostique des fractures malléolaires qui atteignent les berges latérales de la mortaise tibiopéronière et au potentiel d’instabilité frontale.

Les formes frontières existent : dans le plan frontal, ce sont les volumineux fragments malléolaires internes avec impaction ostéochondrale du coin supéro-interne par mécanisme d’adduction ; dans le plan sagittal, on peut parfois hésiter entre un simple tubercule postérieur fracturé ou un fragment plus volumineux emportant plus d’un tiers de la surface portante.

L’examen tomodensitométrique peut être utile pour départager les lésions et aider la tactique chirurgicale par le choix de la meilleure voie d’abord.

Historique :

La première véritable classification descriptive et anatomique revient à Decoulx et Razemon en 1961 : ils individualisent les fractures éclatementtassement et les fractures éclatement-torsion.

Ils insistent les premiers sur l’importance des lésions de la berge antérieure du pilon tibial.

Gay et Evrard en 1963 distinguent cinq grandes variétés descriptives de fractures du pilon tibial :

– les fractures de la marge antérieure, qui peuvent être simples, complexes, comminutives et à prédominance malléolaire ou marginale, ou éventuellement partielles (on classe ainsi les fractures qui détachent isolément la malléole interne ou le tubercule de Tillaux) ; on observe éventuellement une subluxation antérieure de l’astragale associée ; les fractures de la marge antérieure sont le plus souvent des fractures-tassements, avec refends et comminution, survenant chez un homme jeune après un traumatisme à grande énergie ;

– les fractures de la marge postérieure, les plus fréquentes, avec possibilité de subluxation postérieure de l’astragale ; elles sont généralement des fractures-séparations à trait simple et à grand déplacement, survenant chez la femme âgée après un traumatisme bénin ;

– les fractures bimarginales, souvent comminutives et à grand déplacement ;

– les fractures supramalléolaires à propagation articulaire ; elles détachent la malléole interne avec un fragment articulaire postéro-interne du plafond tibial ;

– les fractures sagittales : soit externe (cunéenne externe), soit interne (cunéenne interne) ; ce sont généralement des fractures-séparations.

Weber, en 1965, pour l’Association d’orthopédie (AO) retient trois variétés en fonction du niveau du trait par rapport à l’interligne.

Ruedi et Algower, en 1969, décrivent trois variétés de gravité croissante selon huit critères radiologiques.

Lecestre et Lortat-Jacob, en 1976, puis Siguier et Judet, en 1977, classent les fractures du pilon tibial en fracturesséparations et fractures-tassements de la même façon que les fractures des plateaux tibiaux.

Hourlier, en 1981, et Vives, en 1984, séparent les fractures complètes des fractures incomplètes selon l’existence ou non d’une continuité métaphysaire, avec des sous-groupes définis en fonction de la mise en évidence d’un trait simple ou d’une comminution.

Cette classification a été modifiée par le symposium Sofcot de 1991.

Heim, en 1990, définit deux groupes à la façon d’Hourlier et Vives : fractures complètes et incomplètes selon la continuité métaphysaire et 18 sous-groupes.

Rappel anatomique :

A – Pilon tibial :

Il est représenté par l’extrémité inférieure renflée du tibia correspondant à l’épiphyse distale, articulaire, de section quadrangulaire ; la limite supérieure est située au niveau de la jonction avec la diaphyse (qui est de section triangulaire avec une crête antérieure) dans la zone du changement de direction du bord antérieur (environ 8 cm au-dessus de l’interligne).

On lui décrit cinq faces :

– antérieure, convexe, se terminant par la marge antérieure ;

– postérieure, convexe, se terminant par la marge postérieure, plus volumineuse et qui descend plus bas que la marge antérieure, ou troisième malléole de Destot ;

– interne, prolongement de la face antéro-interne de la diaphyse, se terminant par une volumineuse apophyse : la malléole interne, sous-cutanée, avec l’insertion du ligament latéral interne à sa pointe, et dont la face profonde (externe) est cartilagineuse, verticale et triangulaire à base supérieure en continuité avec la surface articulaire horizontale du plafond tibial ;

– externe ; l’échancrure péronière correspond à la surface articulaire non cartilagineuse (seulement recouverte de périoste), concave ou plane, à la manière d’une gouttière verticale dessinée par les tubercules externes du tibia (tubercule antérieur de Tillaux-Chapput, tubercule postérieur plus volumineux) sur lesquels s’insèrent les ligaments péronéotibiaux antérieur et postérieur ; cette gouttière accueille la face interne convexe non cartilagineuse de la malléole externe et correspond donc à l’articulation péronéotibiale inférieure ;

– inférieure : plafond tibial ; purement articulaire, concave d’avant en arrière (descendant plus bas en arrière qu’en avant), avec en son milieu une crête mousse sagittale qui s’articule avec la gorge de la poulie astragalienne (articulation tibiotarsienne).

B – Éléments vasculonerveux :

Il nous semble important de préciser ces éléments en raison de leurs atteintes fréquentes à l’origine de lésions cutanées aponévrotiques importantes ; ils doivent être respectés lors des abords chirurgicaux.

En avant : l’artère tibiale antérieure (accompagnée de ses deux veines satellites et du nerf tibial antérieur), descendant juste en arrière du tendon de l’extenseur propre du gros orteil ; les branches superficielles du nerf musculocutané dans le tissu sous-cutané et antéroexterne ; l’artère péronière antérieure, plaquée à la face antérieure du péroné ; la veine saphène interne, en avant de la malléole interne.

En arrière : l’artère tibiale postérieure (accompagnée de ses deux veines satellites et du nerf tibial postérieur) descendant dans sa propre loge entre les fléchisseurs commun en dedans et propre du gros orteil en dehors ; le nerf saphène externe, en arrière des péroniers, superficiel ; l’artère péronière postérieure.

C – Vascularisation du pilon tibial :

Il est important de rappeler qu’il n’existe aucune insertion musculaire sur le pilon tibial comme sur l’astragale, rendant sa vascularisation précaire.

On rappellera les vascularisations séparées pour les zones épiphysaire et métaphysaire :

– système artériel osseux métaphysaire : plexus anastomotique périmétaphysaire avec apport direct par la tibiale postérieure et les péronières et apport indirect par la tibiale antérieure ;

– système artériel osseux épiphysaire, de trois types :

– artères épiphysaires directes issues de la tibiale postérieure et de la péronière postérieure ;

– artères capsuloépiphysaires : tibiale antérieure pour la capsule antérieure de l’articulation tibiotarsienne ou artères péronières pour l’articulation péronéotibiale inférieure ;

– artères métaphysoépiphysaires périostées, de rôle plus modeste.

D – Vascularisation cutanée :

Elle est issue de deux plexus sus-aponévrotiques :

– antérieur, issu des tibiales antérieures et péronières antérieures ;

– postérieur, issu des tibiales postérieures et péronières postérieures.

Cette disposition anatomique a donc des implications thérapeutiques évidentes, imposant une analyse parfaite des traits de fracture permettant ainsi d’en déduire la voie d’abord la moins iatrogène.

Structure osseuse et rôle biomécanique :

A – Transmission du poids du corps :

Une surface articulaire très réduite assure la transmission distale de la quasitotalité du poids du corps humain, avec par conséquent des pressions articulaires énormes.

Pour Pol Le Coeur et Lelièvre, les contraintes mécaniques sont transmises essentiellement par le tibia. Ramsay évalue la surface portante tibiotarsienne à 4 cm2.

Blaimont insiste sur le rôle de la malléole externe dans la transmission des contraintes, ce qui augmente la surface portante à 9,5 cm2.

Quarante pour cent de l’appui est assuré par les contacts malléolaires et 60 % par la surface portante tibiopéronière.

B – Complexité de l’articulation tibiotarsienne :

L’articulation tibiotarsienne est de type trochléenne ou poulie à un degré de liberté : dans la mortaise tibiopéronière s’emboîte le tenon astragalien pour donner des mouvements de flexion-extension presque pure, dans un plan oblique de 15° en dehors par rapport au plan sagittal.

Cette simplicité n’est qu’apparente et une analyse plus fine de cette articulation révèle de nombreux micromouvements associés :

– en flexion dorsale (amplitude 20°) : pour Pol

Le Coeur, la partie la plus large de l’astragale s’engage dans la mortaise tibiopéronière, d’où un écartement passif avec une horizontalisation des ligaments de la syndesmose, une élévation et une rotation interne du péroné ; pour Close et Inman, en flexion dorsale, il existe une rotation interne automatique du tibia par rapport à l’astragale avec une charge se déplaçant progressivement vers l’avant ;

– en flexion plantaire (amplitude 40°), le phénomène inverse se produit : on observe un rapprochement des malléoles (actif grâce aux péroniers latéraux), un abaissement et une rotation externe du péroné (Pol Le Coeur) ; pour Inman, il s’agit d’une rotation externe automatique du tibia ainsi qu’un déplacement de la charge vers l’arrière.

La cheville est donc un système articulaire complexe avec ses spécificités :

– contraintes de pression élevées ;

– rôle majeur de la syndesmose ;

– fonction principale de flexion-extension ;

– combinaison permanente de nombreux petits mouvements.

C – Éléments limitant les flexions :

Les éléments limitant les flexions sont :

– en flexion dorsale, un butoir osseux en avant (marge antérieure du tibia contre le col de l’astragale) et les tensions musculoligamentaires en arrière (capsule postérieure, tendon d’Achille, faisceaux postérieurs du ligament latéral externe et du ligament latéral interne) ;

– en flexion plantaire, un butoir osseux en arrière (malléole postérieure contre le tubercule postérieur de l’astragale) et les tensions musculoligamentaires en avant (capsule antérieure, muscles extenseurs de la cheville et du pied, faisceaux antérieurs du ligament latéral externe et du ligament latéral interne).

Ces éléments expliquent la limitation des amplitudes articulaires avec une perte du mouvement d’ouverture de la pince malléolaire probablement à l’origine d’une aggravation des phénomènes arthrosiques après fracture du pilon tibial.

D – Stucture osseuse et zones de solidité :

La résistance osseuse du pilon tibial est inférieure à la résistance du dôme astragalien ; l’astragale exerce donc un effet de bélier en cas de traumatisme et s’enfonce dans le pilon sans forcément subir elle-même de lésions.

La trabéculation osseuse du pilon est convergente vers le dôme astragalien et divergente vers les corticales métaphysaires ; la résistance osseuse du pilon est ainsi supérieure à celle de la métaphyse ; le pilon s’y enfonce donc lors des fractures-tassements.

Le réseau trabéculaire est aussi plus dense en arrière et en dehors qu’en avant (la corticale postérieure est plus épaisse que la corticale antérieure) alors que les stuctures capsuloligamentaires sont plus résistantes en arrière ; chez l’adulte jeune, la zone de résistance maximale est donc postérieure.

Le mécanisme lésionnel associé à une plus faible résistance du pilon explique une des grandes fréquences des fractures marginales antérieures.

En revanche, chez les sujets âgés, les fractures marginales postérieures sont plus fréquentes du fait de l’ostéoporose qui fragilise la malléole postérieure.

Mécanisme et physiopathologie :

Le mécanisme lésionnel est le plus souvent indirect par l’intermédiaire du pied, à la suite d’une chute verticale, d’un accident de circulation, d’une rotation avec pied bloqué…

Dans chaque situation traumatique, les forces vulnérantes s’exercent différemment et il peut être intéressant de les distinguer de façon schématique.

A – Différentes forces vulnérantes dans les fractures du pilon tibial :

– Une force vulnérante principale : il s’agit d’une compression axiale par la poulie astragalienne, mais pas unique car elle ne produirait qu’un type de fracture, enfoncement central du plafond tibial avec éclatement des marges et des malléoles (elle ne se voit que si le point d’impact est parfaitement centré, ce qui annule les forces de glissement associées).

– Plusieurs forces vulnérantes associées : elles déplacent la composante de compression sur la surface d’appui tibiale :

– flexion dorsale forcée : il s’agit d’une fracture marginale antérieure par impact de l’astragale sur la marge antérieure où se concentrent les contraintes dans cette position où il existe une structure osseuse plus fragile qu’en arrière (plus ou moins associée à une ostéoporose) ;

– flexion plantaire forcée : une fracture marginale postérieure par impact de l’astragale sur la malléole postérieure qui descend plus bas que la marge antérieure, donc dans ce mécanisme plus vulnérable (même si sa structure osseuse est plus dense) ;

– abduction forcée : forces de compression du côté de la flexion (la malléole péronière associée à une zone d’appui externe du plafond tibial) et forces de tension à l’opposé (malléole interne) ;

– adduction forcée : idem avec compression sur la zone interne de la surface d’appui tibiale et enfoncement à ce niveau ;

– forces de torsion ou de rotation : il s’agit d’une fracture spiroïde basse du tibia irradiant vers le plafond ;

– forces de glissement ou de translation antéropostérieure, possibles dans cette articulation de type poulie dont les marges antérieure et postérieure sont peu rétentives, et inévitables dès que les forces de compression ne sont pas parfaitement centrées ; elles peuvent ainsi conduire à une luxation tibiotarsienne antérieure ou postérieure, avec dans ce cas une fracture de la malléole postérieure et qui fait obstacle à l’effraction de la poulie astragalienne.

– Fracture de la fibula : l’importance de la pince bimalléolaire et du mouvement d’ouverture explique la fréquence de l’atteinte de la fibula en position sus-ligamentaire essentiellement dans les mécanismes par rotation ou par flexion dorsale et compression ; les fractures sous-ligamentaires sont observées dans les mécanismes en adduction avec volumineux fragment malléolaire médial ou marginomalléolaire et impaction ostéochondrale (formes frontières).

B – Conclusion :

Le traumatisme associe une force vulnérante principale (la compression) à d’autres forces accessoires dans des proportions diverses.

La somme de ces forces aboutit ainsi à :

– un enfoncement au point d’impact ;

– des déplacements et lésions associés.

Le plus souvent, on est confronté à des fractures complexes dont les mécanismes sont difficiles à préciser car résultant de plusieurs forces vulnérantes combinées et soumises à de nombreux facteurs : le niveau des contraintes, l’orientation des forces, la position du membre, les contractions musculaires, les mouvements dans la syndesmose…

Généralement, on peut néanmoins dégager une force principale qui conditionne le sens du déplacement de la fracture et par conséquent la tactique opératoire.

Il est important de souligner à nouveau que les fractures du pilon tibial se voient préférentiellement dans les traumatismes à haute énergie.

Il y a toujours plus ou moins une composante de compression axiale prédominante, responsable des lésions de séparation articulaire au niveau des surfaces, mais surtout d’enfoncement.

Ces mêmes forces de compression sont aussi responsables d’une contusion osseuse sous-chondrale ou cartilagineuse capable de se décompenser secondairement sous la forme d’une arthrose précoce postcontusionnelle.

Classifications :

A – Classification actuelle moderne des fractures du pilon tibial :

Elle a été mise au point à l’occasion du symposium de la Sofcot de 1991 consacré aux fractures du pilon tibial.

Profondément inspirée des travaux de Vives, Hourlier et De Lestang et de l’analyse de Gay et Evrard, cette classification très souple repose sur des critères simples à visée thérapeutique et pronostique issus de l’analyse statistique de la série de 706 dossiers.

Tout d’abord, elle distingue les fractures incomplètes des fractures complètes :

– dans les fractures incomplètes ou partielles, il persiste une continuité métaphysaire pour l’une des corticales, et seul un secteur de l’épiphyse est détaché et sert ainsi de base à la reconstruction épiphysaire ;

– dans les fractures complètes ou totales, l’épiphyse fracturée est séparée de la partie proximale du tibia (solution de continuité métaphysaire complète).

Ensuite, selon que la fracture est complète ou incomplète, les critères de discrimination retenus sont différents :

– dans les fractures incomplètes (43 %de la série), on décrit le trait de fracture principal et le secteur épiphysaire détaché (à la manière de Gay et Evrard) :

– fractures marginales antérieures (qu’il faut séparer en fractures à trait articulaire unique et fractures à traits articulaires multiples, qui n’ont absolument pas les mêmes implications pronostiques) ;

– fractures marginales postérieures (peu de refends articulaires du fait de la meilleure résistance osseuse de la marge postérieure) ;

– fractures sagittales (interne ou externe) ;

– fractures diaphysaires à terminaison intra-articulaire ;

– dans les fractures complètes (57 % de la série), le facteur discriminant retenu est la présence d’un déplacement antéropostérieur et son sens :

– déplacement antérieur, les plus fréquentes (homme jeune, refends, comminution, tassement) ;

– déplacement postérieur (femme d’âge moyen, refends, comminution) ;

– fractures complètes sans déplacement antéropostérieur (qui sont les moins arthrogènes car elles respectent généralement la congruence articulaire).

B – Classification de Ruedi et Heim (AO, 1982) :

Couramment utilisée par les Anglo-Saxons, elle est descriptive et à visée pronostique :

– typeA : fracture extra-articulaire (métaphysaire) ;

– typeB : fracture articulaire à trait(s) simple(s) réalisant une séparation, sans comminution épiphysaire (mais comminution métaphysaire possible : soustype B3) ;

– type C : fracture-enfoncement articulaire, avec comminution épiphysaire fréquente.

Chaque type A, B ou C est divisé en trois sous-types 1, 2 et 3.

À noter que seuls les types B et C sont véritablement des fractures du pilon tibial.

Fréquence, épidémiologie, étiologie :

Suivant les séries, la fréquence générale représente de 14 à 28 %des fractures du cou-de-pied de l’adulte.

En traumatologie sportive, si les statistiques antérieures observaient une fréquence non négligeable des fractures du pilon tibial dans la pratique du ski, celle-ci a fortement diminué en raison des progrès techniques concernant la chaussure de ski et sa coque rigide montante.

La série de 142 patients de Gay et Evrard (1963) qui fut longtemps la seule référence, puis la série de 80 fractures du pilon tibial revue par Brandeis pour sa thèse en 1982 et l’importante série de 692 patients présentée à la Sofcot en 1991 fournissent toutes les trois des critères épidémiologiques parfaitement superposables :

– âge, sexe : la fréquence maximale se situe entre 20 et 50 ans avec deux pics de fréquence (vers 25 ans, il s’agit plutot d’un homme et vers 50 ans, plutôt d’une femme) ; la prédominance masculine est globale (57 % à 65 %) et on retrouve 70 %d’actifs dont 38 %de travailleurs de force (28 %d’accident de travail) ;

– cas particulier pour la traumatologie du ski où le sex-ratio est proche de 1, avec un âge moyen de 40 ans ;

– étiologie : dans les trois séries, on retrouve les mêmes causes traumatiques avec des pourcentages très voisins, ce qui conduit à distinguer deux grands schémas lésionnels ; ce phénomène avait déjà été souligné par Gay et Evrard :

– traumatisme violent (deux tiers des cas) : chute d’un lieu élevé (dans la moitié des cas), ou accident de la voie publique (dans 25 % des cas dont 4 % de piétons) ; accidents de ski concernant plutôt des hommes jeunes et sources de fractures marginales antérieures ;

– traumatismes bénins (un tiers des cas) : chutes banales, faux-pas etc, concernant des femmes plus âgées et source de fractures marginales postérieures (ostéoporose).

Bilan clinique et radiologique :

A – Clinique :

1- Interrogatoire :

Il recherche les circonstances, le mécanisme principal du traumatisme, les antécédents…

2- Examen local :

Les complications cutanées sont fréquentes : ouverture ou très fréquemment décollement cutané, contusion, hématome, réalisant une menace par mise en tension des parties molles (très fines dans cette région) sur les reliefs osseux et par conséquent entraînant une ischémie cutanée locale avec apparition de phlyctènes précoces et risque de nécrose cutanée majeur si la réduction n’est pas obtenue rapidement.

La classification de Tscherne et Gotzen est particulièrement adaptée aux fractures du pilon :

– stade 0 : indemne ;

– stade 1 : simple contusion ;

– stade 2 : contusions étendues (peau ou muscles), phlyctènes ;

– stade 3 : nécrose, décollements, syndromes compartimentaux.

Les lésions cutanées peuvent avoir un potentiel de gravité plus grand qu’une ouverture initiale franche.

Leur présence impose au moins une réduction en urgence.

L’abord chirurgical, s’il est tenté, doit être le plus précoce possible et respecter les zones contuses.

Les complications locales trophiques peuvent devenir dramatiques et justifient pour certains auteurs le recours aux techniques chirurgicales de fixation externe associée ou non à une ostéosynthèse a minima.

Les complications vasculonerveuses sont rares.

À la palpation, on recherche les points douloureux sur les plans ligamentaires : ligament latéral interne, ligament latéral externe (la recherche de laxités est à proscrire !).

3- Examen général :

On recherche des lésions associées dans le cadre d’un polyfracturé ou d’un polytraumatisé (traumatismes à grande énergie). L’étude du terrain concerne l’âge, l’état trophique locorégional, les pathologies pouvant altérer la fonction motrice (artérite, lésions neurologiques d’origine centrale ou périphérique) associées ou non à des examens complémentaires de type doppler ou artériographique.

À noter qu’une artériopathie des membres inférieurs est une contre-indication à toute ostéosynthèse à foyer ouvert.

B – Bilan radiographique standard :

– Clichés de cheville de face et de profil : ce sont des clichés de débrouillage suffisants pour affirmer le diagnostic de fracture du pilon tibial et/ou d’un diastasis et/ou d’une fracture de la malléole externe associée.

– Clichés de jambe de face et de profil, et du pied de face et de profil : recherche de lésions ostéoarticulaires locales associées telles que prolongation du trait de fracture dans la diaphyse tibiale, fracture de l’astragale (fracture complète du corps de l’astragale ou fracture ostéochondrale du dôme), fracture du calcanéus…

C – Bilan radiographique complémentaire :

Il peut être réalisé pour une meilleure compréhension des différents traits de fractures ; il a ainsi une incidence sur la tactique chirurgicale.

Les clichés de cheville sont réalisés après réduction ou après mise en traction d’attente, de face, de profil, de trois quarts, en rotation interne de 10° pour dégager la malléole externe et le tubercule de Tillaux, ou toute autre incidence particulière.

De la bonne compréhension de la fracture dépend l’attitude thérapeutique ; un complément de bilan peut donc s’avérer nécessaire lorsque certains aspects de la fracture semblent encore obscurs après ces clichés radiologiques standards.

Ces examens plus spécialisés ne doivent pas être réalisés en routine.

Les tomographies sont avantageusement remplacées par des coupes scanner avec reconstructions 2D, mais restent utiles lorsque aucun scanner n’est disponible rapidement.

Au scanner, les reconstructions 2D frontales et sagittales apportent des renseignements précis sur l’enfoncement central de la surface articulaire du pilon, la perte de substance par tassement de l’os spongieux, la comminution épiphysaire et métaphysaire (toujours impressionnante sur les clichés de scanner mais souvent exagérée), le nombre de fragments et leur disposition respective…

Des reconstuctions 3D, en plus d’offrir de « belles » images, peuvent aider à l’analyse de la fracture en précisant l’orientation des traits de fracture et l’organisation des divers fragments entre eux.

Traitement :

Les fractures du pilon tibial demeurent un challenge difficile pour le chirurgien, imposant une grande prudence associée à une connaissance parfaite des possibilités thérapeutiques actuelles faisant une place plus grande aux procédures chirurgicales externes associées à une ostéosynthèse dite a minima.

A – Bases :

L’état de la peau conditionne le délai de prise en charge thérapeutique : s’il y a ouverture cutanée, le traitement doit être complet en urgence.

La menace cutanée est constante.

Dès que le traumatisme a été à haute énergie et un minimum déplacé, l’hématome, les décollements sont constants.

Il ne faut pas attendre l’apparition des phlyctènes.

Il faut au minimum réduire et contenir en urgence ; l’idéal est d’obtenir, comme pour toute fracture articulaire, une reconstruction la plus anatomique possible, seule garante d’un résultat fonctionnel en rapport.

Cette volonté d’obtenir une restitutio ad integrum de l’articulation tibioastragalienne est en permanence tempérée par la connaissance du grand risque de complications iatrogènes.

S’il est certain que la réduction et le maintien des fragments osseux grâce à une ostéosynthèse solide est un gage de cicatrisation des lésions cutanées et aponévrotiques, la réalisation d’un tel geste technique ne doit pas aggraver les décollements ; il doit être précis et efficace ; de sa rapidité et de sa simplicité dépend le pronostic ultérieur ; l’ostéosynthèse des fractures du pilon tibial reste un geste technique difficile dépendant en grande partie de l’expérience et de l’habileté du chirurgien.

Il doit donc mettre en balance toutes les modalités thérapeutiques en fonction du stade lésionnel et du risque de complications cutanées graves.

B – Méthodes :

1- Méthodes orthopédiques :

L’extension continue (proposée par Boehler puis Merle d’Aubigné) utilise le principe du ligamentotaxis : la réduction est assurée par la mise en tension des stuctures capsuloligamentaires et des tendons :

– mise en place d’une broche de Kirschner ou d’un clou de Steinmann transcalcanéen, éventuellement sous contrôle scopique ;

– la position de la broche a son importance ; elle est plutôt positionnée vers l’avant du calcanéum en cas de déplacement fracturaire antérieur (et inversement si le déplacement est postérieur) ;

– la traction est forte (5 à 7 kg), dans l’axe du tibia, sans rotation ;

– le membre inférieur est placé sur une attelle s’arrêtant au-dessus des malléoles ;

– il faut soulager la traction dès que la réduction est obtenue sur les contrôles radiographiques (3 kg) ; le talus doit être centré sous la pince bimalléolaire, de face comme de profil ;

– une rééducation active précoce de la cheville est entreprise pour améliorer la congruence articulaire par « modelage » des surfaces articulaires, permettant ainsi de corriger les petits défauts réductionnels articulaires ;

– la durée de la traction est de 6 semaines, puis le relais est confié à une botte plâtrée pour 4 à 6 semaines ;

– la réduction peut être améliorée par deux gestes complémentaires :

– l’ostéosynthèse première du péroné qui permet de redonner une longueur et un axe exacts ;

– la réduction percutanée au poinçon de gros fragments déplacés (sous anesthésie générale).

L’autre possibilité orthopédique consiste en la réalisation d’une contention première par un plâtre cruropédieux sans appui (ou une botte plâtrée selon le niveau de la fracture), précédée en cas de déplacement par une réduction par manoeuvres externes sous anesthésie générale (geste du « tire-botte » si le déplacement est postérieur…).

Cette méthode expose malheureusement aux déplacements secondaires avec récidive de la subluxation tibioastragalienne initiale ; en outre, elle ne permet pas de surveiller l’état cutané et expose donc aux complications sous plâtre.

2- Méthodes chirurgicales :

* Ostéosynthèse à foyer ouvert :

Comme toute fracture articulaire, les fractures du pilon tibial devraient bénéficier d’une réduction anatomique afin de rétablir la congruence tibioastragalienne.

Cette orientation chirurgicale systématique doit toutefois être tempérée par plusieurs facteurs : la peau (la zone métaphysoépiphysaire est située directement sous la peau et tout décollement intempestif peut compromettre sa vitalité) et la multiplicité des fragments.

Nous décrirons d’abord les techniques dites classiques puis la technique par voie antéroexterne proposée par certains auteurs en raison des complications de cicatrisation observées plus fréquemment sur le versant antéro-interne.

+ Ostéosynthèse première du péroné :

Il s’agit d’un temps essentiel qui restitue la longueur initiale exacte.

La voie d’abord est verticale, centrée sur le péroné et recourbée légèrement en avant vers le ligament péronéotibial antérieur.

La synthèse est confiée à une plaque tiers de tube ou à une plaque prémoulée de type Vivès (vissage 3,5) : en cas de comminution fracturaire, il faut savoir ne pas s’attarder sur la reconstruction exacte de la mosaïque diaphysaire ; peu importe, en effet, les différents fragments consolideront toujours ; en revanche, il est essentiel de retrouver la longueur exacte du péroné, la plaque pontant la zone comminutive ; la surface articulaire de la fibula doit être positionnée à sa place exacte en regard du talus.

+ Abords du pilon tibial :

Quelques impératifs de base doivent être précisés avant de décrire les principaux abords chirurgicaux :

– l’incision doit être centrée sur le fragment le plus gros ou le plus déplacé, car sa réduction exacte conditionne la totalité de la reconstruction épiphysaire ;

– il faut à tout prix éviter de traumatiser la peau avec des écarteurs agressifs et pour cela réaliser de larges incisions permettant une exposition généreuse ;

– il est nécessaire de respecter une distance minimale de 6 cm entre les deux incisions verticales ;

– l’arthrotomie est indispensable pour contrôler les surfaces cartilagineuses ;

– le matériel de synthèse ne doit pas être trop épais et ne pas faire saillie sous la peau. Les principales voies d’abord sont :

– la voie classique de l’AO ; l’incision est antéro-interne, recourbée de façon arciforme au bord antérieur de la malléole interne et se terminant au niveau du tubercule du scaphoïde ;

– une voie plus externe que nous utilisons volontiers et qui est le prolongement en distalité de la voie d’abord habituelle de la diaphyse tibiale : incision antérieure médiane, légèrement externe par rapport à la crête tibiale, verticale, recourbée en dedans au niveau du col de l’astragale ; elle laisse en dehors le pédicule tibial antérieur et l’appareil extenseur ; le rétinaculum transverse est sectionné, permettant la capsulotomie antérieure verticale médiane ; cette voie a l’avantage d’éviter les décollements intempestifs et de garder un beau lambeau couvrant la plaque d’ostéosynthèse et également d’aborder à la fois les lésions antéroexternes et malléolaires internes, en passant de part et d’autre du tendon du jambier antérieur ;

– la voie antéroexterne, décrite par Vivès, Delestang et Hourlier ; il s’agit d’une voie antéroexterne prépéronière et rétromusculaire, donnant accès à la face antéroexterne du pilon et au péroné, mais la malléole interne ne peut pas être explorée par cette voie d’abord ;

– une voie postéro-interne accessoire qui peut être réalisée en cas de dégâts postérieurs importants inaccessibles à un vissage antérieur en rappel.

+ Reconstruction du pilon tibial :

Deux grands principes se dégagent.

La méthode de l’AO consiste en un premier temps de reconstruction épiphysaire, toujours difficile.

Pour assurer une bonne réduction, les petits fragments sont plaqués sur la poulie astragalienne comme sur un moule et maintenus par de petites broches provisoires.

Le deuxième temps consiste en une reconstruction épiphysométaphysaire, en réduisant les fragments malléolaires internes et en les fixant à l’aide de broches ascendantes épiphysodiaphysaires.

À ce stade, une greffe d’os spongieux peut être effectuée si la réduction a révélé une perte de substance métaphysaire importante (autogreffe iliaque ou tibiale).

Le dernier temps consiste en une stabilisation par l’application d’une plaque d’ostéosynthèse interne ; le matériel idéal pour ce type de synthèse est la plaque mince en « trèfle » de Heim fixée par des vis corticales 3,5 et spongieuses 4 (prévue également pour le vissage cortical 4,5 sur la portion diaphysaire) ; celle-ci s’applique et prend la forme de la pièce osseuse réduite. Un gros fragment postérieur non réduit peut être vissé en rappel.

L’autre principe de reconstruction du pilon a été décrit par l’école d’Amiens : une plaque rigide anatomique « impose » automatiquement la réduction aux différents fragments que l’on vient solidariser sur elle.

D’autres plaques peuvent être employées : plaque console postérieure, en particulier dans les fractures partielles, ou vissage isolé compressif.

Une botte plâtrée complète l’immobilisation pour une durée variant de 2 à 6 semaines suivant la comminution et la qualité du montage.

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