Fractures diaphysaires des deux os de l’avant-bras chez l’adulte

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Introduction :

Les fractures diaphysaires d’un ou des deux os de l’avant-bras ont la particularité d’affecter un des maillons essentiels de la chaîne polyarticulaire du membre supérieur, doté globalement de sept degrés de liberté.

Ainsi, la survenue de telles fractures peut-elle mettre en jeu la précision d’une mécanique fine : celle du positionnement précis de la main dans l’espace, en raison du risque de perturbation des mouvements de pronosupination.

L’amplitude complète de ces rotations axiales de l’avant-bras nécessite en effet l’intégrité de nombreux composants anatomiques, certes osseux, mais aussi articulaires, ligamentaires et musculaires.

La prise en charge d’une fracture de l’avant-bras requiert un diagnostic lésionnel complet avant d’envisager une solution thérapeutique adaptée, en sachant d’emblée que le traitement de ces lésions reste quasi exclusivement chirurgical.

On admet actuellement que le pronostic de toute fracture ne dépend pas uniquement des lésions osseuses, mais bien aussi de l’état des parties molles environnantes.

Cette notion, devenue classique, se vérifie à l’avant-bras plus qu’ailleurs.

En effet, l’anatomie complexe du segment antibrachial crée des problèmes thérapeutiques spécifiques non retrouvés dans le traitement des fractures diaphysaires des autres os longs.

Rappels anatomophysiologiques :

Le squelette antibrachial est constitué de deux os longs : le radius en dehors et l’ulna en dedans.

Fractures diaphysaires des deux os de l’avant-bras chez l’adulte

En position anatomique dite de référence, c’est-à-dire en supination, les deux diaphyses, alors parallèles, délimitent un espace interosseux.

En revanche, lors de la pronation, cet espace s’efface du fait du contact entre les deux diaphyses, le radius précroisant l’ulna.

Les épiphyses de chaque os s’articulant transversalement entre elles donnent les articulations radio-ulnaire proximale et radio-ulnaire distale ; ainsi se trouve constitué un véritable cadre ostéoarticulaire radio-ulnaire de l’avant-bras.

A – RADIUS :

1- Diaphyse radiale :

Elle présente dans son ensemble une double courbure concave à la fois en avant et en dedans :

– dans le plan frontal, la diaphyse radiale apparaît globalement concave en dedans, donnant la classique courbure pronatrice du radius, courbure indispensable à l’enroulement du radius autour de l’ulna lors de la pronation, les deux os ne devant entrer en contact l’un avec l’autre, en « collision », qu’en fin de mouvement.

Une observation plus détaillée permet d’individualiser au radius trois segments : un segment proximal représenté par le col, oblique en bas et en dedans, un segment moyen oblique en bas et en dehors, et enfin un segment distal à nouveau oblique en bas et en dedans.

Le radius revêt ainsi la forme d’une manivelle, schéma devenu classique et décrit initialement par Kapandji.

En perturbant ces différentes courbures, un cal vicieux de la diaphyse radiale peut provoquer une collision prématurée des deux os de l’avant-bras, et limiter ainsi l’amplitude de la pronosupination ;

– dans le plan sagittal, la diaphyse radiale apparaît légèrement concave en avant.

Sa face antérieure, relativement plane, se prête facilement à la mise en place d’une plaque d’ostéosynthèse ;

– la forme du canal médullaire du radius est unique en son genre et ne présente pas la symétrie habituelle des canaux médullaires des os longs, avec notamment une portion centrale médiodiaphysaire rétrécie en « sablier ».

Dans son ensemble, la cavité médullaire revêt en effet la forme d’un tronc de cône, à sommet proximal et à base distale, et dont l’axe incurvé suit la courbure pronatrice de l’os.

Une telle configuration rend a priori difficile une ostéosynthèse par clou intramédullaire.

En effet, un tuteur droit classique risquerait de réduire, voire d’effacer cette courbure pronatrice ; de plus, il n’aurait qu’un contact très partiel avec les parois du canal médullaire, du moins dans toute sa moitié distale.

Une telle situation favoriserait la survenue de cals vicieux angulaires ou rotatoires.

Vouloir utiliser une ostéosynthèse endomédullaire tout en respectant la courbure diaphysaire implique d’utiliser un implant préformé, adapté à la courbure anatomique du radius.

2- Épiphyses radiales :

Elles sont très différentes l’une de l’autre :

– l’épiphyse proximale, profondément située sous les masses musculaires, porte la tête radiale entièrement recouverte de cartilage articulaire ; ce contexte anatomique exclut toute possibilité d’ostéosynthèse intramédullaire par cette extrémité ;

– l’épiphyse distale, beaucoup plus massive, et surtout plus superficielle sur ses faces dorsale et latérale, autorise en revanche l’implantation d’une broche ou d’un clou, soit par voie dorsale dans la masse osseuse du tubercule de Lister, soit par voie latérale styloïdienne, en gardant à l’esprit la présence des tendons des différents compartiments du poignet.

B – ULNA :

1- Diaphyse ulnaire :

Contrairement à ce qui est fréquemment admis, la diaphyse ulnaire n’est ni strictement rectiligne, ni fixe lors des mouvements de pronosupination :

– dans le plan frontal, la diaphyse présente une double courbure donnant la forme d’un S allongé, avec une convexité latérale dans la moitié proximale et une convexité médiale dans la moitié distale. Sommets et courbures ulnaires apparaissent finalement moins marqués mais inversés par rapport au radius ;

– dans le plan sagittal, l’ulna apparaît globalement convexe en arrière, le rayon de la courbure devenant plus petit dans le tiers distal ;

– la face postérieure de la diaphyse est marquée par une crête médiane superficielle, palpable sous la peau, et qui sépare une facette latérale d’une facette médiale, excavée et superficielle, dont l’accès aisé permet la mise en place sans difficulté d’une plaque d’ostéosynthèse.

La présence de ces facettes, uniquement dans la moitié proximale de l’os, explique sa section triangulaire dans cette portion, alors qu’il devient cylindrique dans sa moitié distale ;

– le canal médullaire ulnaire décrit une forme sinueuse, épousant les courbures décrites plus haut.

Large dans sa portion proximale, olécranienne, il devient rapidement étroit et de calibre relativement constant (autour de 4 à 6mm) dans les deux tiers distaux, où les corticales diaphysaires restent épaisses.

La réalisation de l’alésage d’un tel canal nécessite le recours à des aléseurs souples et très tranchants montés sur un guide.

En effet, des aléseurs rigides pleins sont ici à proscrire, car trop dangereux du fait du risque de fausse route.

2- Épiphyses ulnaires :

Elles sont très différentes l’une de l’autre, avec, à l’inverse du radius, une épiphyse proximale volumineuse et une distale fine :

– l’épiphyse proximale porte l’olécrane situé dans l’axe longitudinal de la diaphyse.

Extra-articulaire, le sommet olécranien demeure anatomiquement le site de prédilection pour la mise en place d’un implant intramédullaire, qu’il s’agisse de broche(s) ou de clou ;

– l’épiphyse distale porte la tête de l’ulna, entièrement recouverte de cartilage sur ses faces périphérique et distale.

Cette tête articulaire devient ainsi impliquée dans l’articulation radio-ulnaire distale, mais aussi dans l’articulation du poignet.

Ce contexte anatomique rend peu acceptable l’utilisation de cette épiphyse pour introduire un implant intramédullaire.

Bien qu’ayant été décrite, cette voie d’abord semble tout de même très agressive vis-à-vis du poignet.

C – MEMBRANE INTEROSSEUSE :

Étendue sur toute la hauteur de l’espace interosseux, la membrane interosseuse définit schématiquement la portion réellement diaphysaire de chacun des deux os.

Cette membrane est constituée de fibres disposées en deux plans croisés : un plan antérieur principal, oblique en bas et en dedans, et un plan postérieur accessoire, oblique en haut et en dedans.

La portion moyenne du plan antérieur, correspondant à sa plus grande largeur (3,5 cm), apparaît pratiquement deux fois plus épaisse pour constituer en réalité un véritable ligament interosseux assurant la part essentielle de la stabilité longitudinale des deux os de l’avant-bras, certes dans les conditions physiologiques habituelles, mais aussi et surtout après résection de la tête radiale.

La section expérimentale de ce ligament, ou en pratique clinique sa rupture, diminuent en réalité de 71 % la stabilité longitudinale du squelette antibrachial, alors que les mêmes lésions en zone proximale ou distale de la membrane ne réduisent que de 11 % cette stabilité.

Tendue à la fois en pronation et en supination, la membrane interosseuse reste l’élément passif essentiel du freinage de l’amplitude de la supination ; un cal vicieux diaphysaire rotatoire, notamment du radius, peut donc devenir responsable d’une diminution de la supination en raison d’une mise en tension prématurée de la membrane.

Au total, la membrane interosseuse assure une double fonction : si elle empêche tout diastasis entre radius et ulna, elle transmet également les forces axiales de traction ou de compression le long de l’avant-bras.

Sa rupture, secondaire à des fractures étendues de l’avant-bras, explique la survenue de conséquences fonctionnelles parfois majeures, tant au coude qu’au poignet, comme on peut en rencontrer dans le syndrome d’Essex-Lopresti, associant fracture de la tête radiale, lésion de la membrane interosseuse, atteinte de la radio-ulnaire distale.

D – ARTICULATIONS RADIO-ULNAIRES :

Fonctionnellement, le concept d’axe antibrachial ou d’articulation antibrachiale (forearm axis ou forearm joint des Anglo-Saxons) a été développé pour mettre en avant l’idée de relation entre anatomie et biomécanique du coude, de l’avant-bras et du poignet, pour en arriver à une notion d’entité anatomofonctionnelle.

Afin d’illustrer cette relation structure-fonction, Graham a proposé une analogie simple en utilisant l’image d’un seau et de son anse, assimilant le seau à l’ulna et l’anse au radius.

Les fixations de l’anse étant assimilables aux articulations radio-ulnaires proximale et distale, on comprend que leur bon fonctionnement nécessite le maintien de leur parallélisme.

Pour Bronstein, un raccourcissement du radius de 10 mm réduirait de 47 % la pronation, et de 29 % la supination.

Radius et ulna sont donc articulés entre eux par leurs extrémités : l’articulation radio-ulnaire proximale est principalement stabilisée par les ligaments annulaire et carré, mais aussi par la capsule articulaire du coude, ce qui la rend fonctionnellement liée aux articulations huméroradiale et huméro-ulnaire.

Par ailleurs, si l’articulation radio-ulnaire distale a pour stabilisateur principal le ligament triangulaire, elle est aussi renforcée en avant par un ligament ventral (dont la rétraction limite la supination) et en arrière par un ligament dorsal (dont la rétraction limite la pronation).

L’articulation radio-ulnaire distale est de plus liée au poignet par de nombreux faisceaux ligamentaires radiocarpiens ventraux et dorsaux.

Ces réalités anatomofonctionnelles permettent de mieux comprendre le pronostic fonctionnel réservé de certaines fractures diaphysoépiphysaires de l’avant-bras, mais aussi des associations lésionnelles très fréquentes (fractures diaphysaires-lésions articulaires), pourvoyeuses à terme de raideurs du coude ou du poignet, voire des deux simultanément en cas de traumatismes graves et étendus.

E – MUSCLES :

Si un grand nombre de muscles occupent les différentes loges de l’avant-bras, seuls trois d’entre eux pontent l’espace interosseux et solidarisent véritablement le radius à l’ulna pour participer aux mouvements de pronosupination : ce sont le supinateur, le rond pronateur et le carré pronateur.

Le tonus de ces trois muscles favorisant le rapprochement des deux os explique la tendance à une diminution de cet espace lors de toute fracture diaphysaire de l’avant-bras.

Il existe un réel équilibre musculaire de la pronosupination, puisque pour contrebalancer les deux pronateurs (rond et carré), on trouve deux supinateurs : le supinateur proprement dit (anciennement nommé court supinateur), doublé d’un supinateur puissant : le biceps brachial.

Par ailleurs pour chacun des deux mouvements, il existe un muscle long et un muscle court : les longs vont tirer sur le sommet de la courbure, pendant que les courts vont dérouler l’une des branches de la manivelle radiale de Kapandji.

Ainsi pour la supination, le supinateur inséré sur le col du radius va dérouler ce segment, tandis que le biceps inséré sur la tubérosité radiale tire de façon permanente sur le sommet de la courbure supinatrice.

Pour la pronation, le carré pronateur déroule l’ulna par rapport au radius, tandis que le rond pronateur inséré au sommet de la courbure pronatrice va agir par traction.

Lors d’une fracture diaphysaire des deux os de l’avant-bras, le niveau du foyer de fracture radiale détermine les déplacements en rotation des fragments diaphysaires, expliquant ainsi la sémiologie observée au poignet et à la main.

Cette explication est d’ordre anatomique ; les déplacements sont en effet directement fonction du siège du trait de fracture par rapport aux insertions musculaires sur la diaphyse radiale.

Ainsi, lors d’une fracture proximale entre les insertions du supinateur et celles du rond pronateur, l’action conjuguée du biceps et du supinateur entraîne une rotation latérale, ou supination, du fragment radial proximal, tandis que le fragment distal reste en rotation médiale, ou pronation, sous l’action du rond pronateur.

En revanche, dans le cas d’une fracture située sous l’insertion du rond pronateur, l’action combinée du biceps et du supinateur reste partiellement neutralisée par celle du rond pronateur, ce qui met le fragment proximal en très discrète supination, voire même le plus souvent en position neutre.

Étant insérés de part et d’autre de la crête postérieure de l’ulna, les tendons des fléchisseur et extenseur ulnaires du carpe laissent celle-ci superficielle et sous-cutanée.

Cette situation anatomique explique l’abord postérieur devenu classique de la diaphyse, à 3 mm en dedans de la crête ; la plaque d’ostéosynthèse ainsi enfouie sous la masse musculaire reste à distance du foyer de fracture radial.

À l’inverse, l’abord de la totalité de la diaphyse radiale est habituellement antérieur.

Décrite initialement par Henry, cette voie présente l’avantage d’être peu délabrante : en utilisant les défilés musculaires naturels de la loge antérieure de l’avant-bras, l’accès à la face antérieure plane du radius respecte au mieux en effet les structures anatomiques, tout en rendant aisée la mise en place d’une plaque vissée, et ce, malgré l’importance du volume des masses musculaires.

Épidémiologie :

Dans une étude sur l’épidémiologie des fractures chez 15 000 adultes, Singer a signalé l’incidence relativement basse des fractures diaphysaires de l’avant-bras, touchant de 0 à 4 pour 10 000 personnes par an ; en revanche, cette étude mentionne un taux nettement plus élevé de ces fractures chez les hommes de 15 à 44 ans.

Ces fractures affectent classiquement deux populations bien différentes : majoritairement des hommes jeunes de 30 ans, dont le risque de survenue est cinq fois plus élevé que pour une femme de plus de 60 ans.

Selon McQueen, l’étiologie la plus fréquente reste la chute de sa propre hauteur (35 %), suivie du choc direct (30 %), et enfin les accidents de la route (23 %), avec une répartition très inégale entre les piétons renversés (19 %), et les passagers des véhicules (4 %).

L’augmentation de la traumatologie routière est à l’origine de traumatismes à haute énergie, responsables de situations complexes de plus en plus fréquentes, associant fracas osseux et lésions des parties molles.

En définitive, 8 % seulement des fractures seraient liées au sport, et les 4 % restants secondaires à des chutes de lieux élevés et à des raisons diverses.

Mécanisme :

Deux types de mécanismes s’opposent : les chocs directs et perpendiculaires à l’avant-bras, en règle à l’origine de lésions osseuses isolées.

À l’opposé, les contraintes axiales associent à des degrés divers aux lésions osseuses, atteinte de la membrane interosseuse et dislocations radio-ulnaires.

Très souvent en cause, le choc direct est parfois difficile à retrouver, notamment dans le cadre de la traumatologie routière, où la violence du traumatisme rend le blessé incapable de fournir des précisions concernant son accident.

Plus facile à mettre en évidence et initialement décrit par Monteggia, le coup de bâton ou de matraque sur un avant-bras mis en position de protection du visage serait à l’origine de la plupart des fractures isolées de l’ulna.

L’ouverture cutanée est en règle secondaire à un traumatisme à haute énergie, mais parfois à un coup de fusil, ou encore à un accident d’airbag à l’origine de fractures bilatérales, comme cela a été décrit plus récemment.

Classifications :

A – CLASSIFICATION DES LÉSIONS OSSEUSES :

La difficulté de classer des fractures, quel qu’en soit le site, réside dans le choix des critères retenus.

Si l’intérêt théorique de ces derniers est d’apporter une valeur pronostique, ils sont en réalité rarement utilisables en pratique clinique, puisque le pronostic d’une fracture dépend finalement au moins autant du patient, du chirurgien et de la technique chirurgicale utilisée, que du type ou du mécanisme de la fracture initiale.

De nombreuses classifications ont été proposées ; certaines ont utilisé des éponymes en faisant référence aux auteurs ayant décrit certaines variétés de fractures.

Ainsi l’association fracture diaphysaire de l’ulna et luxation de la tête radiale a été décrite pour la première fois par Monteggia en1814, et est connue depuis comme la fracture de Monteggia.

De la même façon, la fracture isolée du tiers distal du radius associée à une dislocation de la radio-ulnaire distale a été individualisée par plusieurs auteurs dont Galeazzi en 1934.

La fracture isolée de la diaphyse ulnaire sans autre lésion associée a parfois été dénommée fracture par coup de bâton ou de matraque (nightstick des Anglo-Saxons).

On peut remarquer qu’il n’existe pas d’éponyme concernant les fractures des deux os de l’avant-bras. Différents auteurs ont tenté de distinguer les fractures selon le type de trait (transversal, oblique, spiroïde …), ou selon le niveau des foyers fracturaires, selon l’importance des déplacements, ou la présence ou non de comminution, de perte segmentaire de substance osseuse ou de fractures épiphysaires associées.

À ce sujet, la division en trois tiers de l’avant-bras a pu être proposée, mais cette classification semble « réductrice » pour l’étude des fractures diaphysaires proprement dites, notamment si l’on se réfère au carré épiphysaire de Heim qui nous semble bien approprié pour fixer les limites des zones diaphysaires.

Rappelons que cette méthode délimite chaque extrémité osseuse dans un carré dont les côtés latéraux et parallèles à l’axe de l’os sont de longueur égale à la largeur maximale de l’épiphyse.

Concernant les deux os de l’avantbras, il conviendra de considérer comme côté du carré la largeur globale des deux épiphyses articulées entre elles.

Finalement, bien que décriée par certains qui lui ont reproché une certaine complexité, la classification des fractures des os longs proposée par l’AO depuis 1990 reste actuellement une des plus utilisées dans de nombreuses publications.

Appliqués de la même façon pour toute fracture diaphysaire, ses principes systématiques et logiques en facilitent la reproductibilité.

Trois groupes sont individualisés : le groupe A classe les fractures simples, le groupe B les fractures à fragments intermédiaires en coin, et le groupe C réunit les fractures complexes.

Trois sous-groupes numérotés 1, 2, 3 comprennent chacun trois types différents de fractures. Les fractures simultanées des deux os sont ainsi des sous-groupes A3, B3, C3, C1(2 et 3), et C2 (2 et 3), les autres types correspondent aux fractures isolées, soit du radius, soit de l’ulna.

Si cette classification AO inclut les fractures de Monteggia ou de Galeazzi, la classification proposée par Bado en 1967 pour une analyse plus concise des fractures de Monteggia paraît toujours intéressante, car correspondant à des réalités cliniques en classant les associations lésionnelles selon le déplacement de la tête radiale.

B – CLASSIFICATION DES LÉSIONS DES PARTIES MOLLES :

1- Dans les fractures ouvertes :

Pouvoir évaluer la gravité de l’atteinte des parties molles périfracturaires est d’un intérêt pronostique évident, mais la difficulté dans ce domaine réside dans l’aggravation secondaire toujours possible des lésions observées initialement.

La classification de Gustilo, initialement proposée pour les fractures de jambe, a été par la suite étendue au reste du squelette.

En distinguant trois groupes de lésions de gravité croissante avec des sous-groupes dans le groupe 3, cette classification est théoriquement plus précise que celle de Cauchoix et Duparc.

Mais en pratique clinique, la classification de Gustilo s’avère assez délicate à utiliser en urgence et nécessite en réalité un temps d’exploration chirurgicale, ce qui fait qu’au stade clinique initial, la classification de Cauchoix reste très utilisée, notamment en France.

Tscherne a proposé une classification ajoutant aux trois stades de Gustilo un quatrième comprenant les amputations subtotales ou totales.

L’AO propose une classification toujours assez semblable à celle de Gustilo, mais en insistant plus sur les lésions d’avulsion et de décollement.

2- Dans les fractures fermées :

Plus encore que pour une fracture ouverte, l’appréciation de la gravité de l’atteinte des parties molles lors d’un traumatisme fermé de l’avant-bras demeure d’une réelle difficulté.

La classification la plus connue dans ce domaine est certainement celle d’Oestern et Tscherne, basée sur les lésions cutanéomusculaires, la gravité de la fracture, l’existence d’un décollement, de lésions vasculaires, ou la présence d’un syndrome de loge aigu.

Cette classification conserve indéniablement un intérêt pronostique.

L’AO a proposé quant à elle une classification plus orientée sur les lésions cutanées, musculaires et neurovasculaires.

Clinique :

A – BILAN DIAGNOSTIQUE INITIAL :

Selon les possibilités du blessé, l’interrogatoire s’attache à faire préciser les circonstances du traumatisme ou de l’accident afin de dégager les notions de compression appuyée ou d’énergie traumatique qui facilitent parfois le bilan lésionnel initial et l’évaluation pronostique ultérieure.

Contrairement à ce qui est souvent observé chez l’enfant qui présente habituellement des fractures incomplètes ou en bois vert, les fractures non déplacées de l’avant-bras sont rares chez l’adulte, chez qui le périoste n’est plus une réalité mécanique.

Dans le cadre des fractures simultanées des deux os, l’importance du traumatisme initial est généralement suffisante pour entraîner un déplacement cliniquement visible, ce qui rend a priori le diagnostic évident.

Le tableau associe à des degrés divers douleurs, déformation et impotence fonctionnelle de l’avant-bras.

À cette étape clinique initiale, seules les lésions d’un seul os peuvent poser des problèmes diagnostiques ; rappelons la discrétion, voire l’absence de signes cliniques d’une luxation de la tête radiale, trop souvent encore à l’origine d’oublis et d’erreurs diagnostiques…

La palpation le long de la crête postérieure ulnaire peut réveiller la sensibilité d’un foyer de fracture.

Il existe souvent un certain oedème, dont l’importance est liée à la fois au type de traumatisme initial (contusion appuyée), et au délai écoulé entre l’accident et le moment de l’examen.

Il est inutile de rechercher une crépitation qui ne peut qu’être douloureuse et aggraver les dégâts des parties molles.

Il est en revanche indispensable de tester de façon méthodique la motricité et la sensibilité du radial, du médian et de l’ulnaire ; ici encore des tests simples doivent éviter tout inconfort au patient.

Parallèlement, la recherche des pouls distaux et capillaires renseigne sur une éventuelle compression, qui peut parfois être levée par simple manoeuvre d’alignement de l’avantbras : cette manoeuvre de réduction permet de stabiliser ensuite le membre dans une attelle provisoire qui soulage rapidement le blessé.

Les fractures ouvertes doivent inciter à encore plus de vigilance dans la recherche de lésions vasculaires ou nerveuses associées ; mais il est inutile, voire dangereux, de vouloir mener aux urgences un examen clinique initial approfondi, qui ne peut que majorer le risque infectieux.

Il est préférable dans ce cas d’envelopper le membre dans un champ stérile et de poursuivre secondairement l’exploration des lésions en bloc chirurgical aseptique.

Dans tous les cas, l’examen clinique est complété d’un bilan radiographique dont on connaît les difficultés de réalisation.

Il est absolument impératif de visualiser la totalité du squelette antibrachial, avec les articulations radio-ulnaires proximale et distale, et de disposer d’incidences orthogonales, si possible de face et de profil.

Ces conditions étant rarement réunies, il ne faut pas hésiter à compléter au besoin ce bilan par de nouveaux clichés pris sous anesthésie pour permettre une analyse précise des lésions : leur type (fracture, luxation, diastasis, déplacements, troubles rotationnels…), leur nombre, leur étendue, en n’oubliant pas leur niveau : vérifier à ce sujet le coude, le poignet et la main.

L’objectif est de disposer à terme d’un bilan lésionnel complet et précis, qui seul permet d’opter pour une solution thérapeutique adaptée.

B – ÉVOLUTION :

1- Guérison :

Malgré un traitement bien conduit, les fractures diaphysaires de l’avant-bras nécessitent bien souvent un délai d’au moins 3 mois pour consolider, du moins au sens mécanique du terme, et non au sens radiologique où le terme de « consolidation » est utilisé dès l’apparition d’une image de cal, devant la densité d’une image a priori rassurante, mais qui ne correspond pas nécessairement à une réalité mécanique.

Cette situation doit être expliquée au patient pour l’inciter à une certaine prudence durant les 2 à 3 mois après ladite « consolidation » radiologique, et lui éviter une fracture itérative.

2- Complications :

La survenue d’une complication retarde toujours les délais de consolidation.

Selon leur délai d’apparition, il est classique de distinguer les complications immédiates, puis secondaires, et enfin tardives.

* Complications immédiates :

Les compressions vasculaires et nerveuses sont un risque réel des fractures de l’avant-bras, comme celles de la jambe, et pour les mêmes raisons anatomiques ; à savoir la présence de deux os, d’une membrane interosseuse, et de nombreux fascias compartimentant les loges musculaires.

La disparition des pouls périphériques peut être liée à une compression en rapport avec la déformation de l’avantbras, auquel cas une simple manoeuvre d’alignement du membre peut suffire à lever la compression et à obtenir à nouveau une circulation périphérique.

En revanche, un avant-bras tendu par l’oedème doit faire penser à un syndrome de loges, peut-être déjà présent ou en train de se développer, surtout en cas de fractures simultanées des deux os de l’avant-bras, de syndrome d’écrasement, de traumatismes par arme à feu ou à haute énergie.

Eaton et Green ont insisté sur la valeur diagnostique d’une douleur provoquée lors de l’extension passive des doigts, et d’une induration palpable du compartiment des fléchisseurs de l’avant-bras.

Ces auteurs ont également rappelé que l’absence de pouls radial n’était pas un critère de certitude diagnostique, puisqu’ils en avaient constaté l’absence seulement chez cinq patients sur une série de 19 syndromes de loges.

Le simple fait d’évoquer le diagnostic de syndrome de loges dans un contexte clinique incertain justifie une prise des mesures de pression des loges musculaires, en comparant au besoin avec le côté opposé.

Cette attitude est également fondée devant un patient inconscient ou confus chez qui on suspecte un tel diagnostic, en sachant qu’une pression égale ou supérieure à 45 mmHg devient une indication de fasciotomie.

Dans tous les cas, la confirmation d’un syndrome de loges doit être immédiatement suivie d’un geste de décompression par aponévrotomies, en n’hésitant pas à étendre la décompression en haut jusqu’au coude et en bas au poignet, jusqu’à ouvrir à ce niveau le rétinaculum des fléchisseurs du carpe.

L’ouverture de la fracture est souvent la conséquence d’un traumatisme à haute énergie qui explique la fréquence des lésions associées, certes cutanées, mais aussi vasculaires ou nerveuses.

Les vaisseaux et les nerfs peuvent être comprimés, mais on observe plus souvent dans ce contexte des lésions à type de plaies, voire de sections, qui demandent des gestes de réparation chirurgicale après repérage soigneux des extrémités vasculaires ou nerveuses.

L’ouverture des foyers de fracture a souvent pour conséquence une augmentation du délai de consolidation, en raison de la disparition des hématomes périfracturaires, mais surtout d’une certaine dévascularisation des extrémités osseuses, en rapport avec des lésions de décollement des parties molles.

Par ailleurs, l’ouverture cutanée majore à l’évidence les risques de surinfection secondaire.

Enfin des lésions majeures d’écrasement de membre, parfois audessus de toute possibilité conservatrice, peuvent exceptionnellement faire discuter une amputation d’emblée.

* Complications secondaires :

L’infection secondaire reste toujours une complication redoutable par les conséquences qu’elle peut elle-même engendrer : à savoir les retards de consolidation et les raideurs.

La survenue d’une infection à quelques semaines de l’accident initial impose un nettoyage chirurgical, mais sans ablation du matériel d’ostéosynthèse en place.

L’immobilisation plâtrée peut être à l’origine de deux types de complications, en fait liées à l’oedème périfracturaire ; la première, à cause de son augmentation initiale, à type de compression pouvant aller jusqu’à un syndrome de loges, la deuxième, à cause de sa diminution secondaire.

Il s’ensuit alors une contention de moindre qualité avec un risque de déplacement secondaire si l’immobilisation plâtrée a été le seul moyen de contention choisi.

L’importance de certains de ces déplacements explique la possibilité d’escarres sous plâtre avec risque d’infection surajoutée.

La constatation d’une paralysie secondaire est toujours redoutable, car malheureusement souvent en rapport avec le geste chirurgical.

Cette complication concerne presque toujours le nerf radial, qui peut être comprimé en postopératoire par un oedème ou un hématome lors de la traversée du supinateur, ou encore après une faute technique (nerf placé sous une plaque ou sectionné).

Si l’atteinte de sa branche motrice s’observe après abord antérieur de son tiers proximal, celle de sa branche sensitive est favorisée par un abord postérieur de sa moitié distale.

Une simple neurapraxie doit récupérer en quelques semaines : si aucun signe de récupération n’apparaît au bout de 3 mois, une exploration chirurgicale du nerf devient alors nécessaire.

* Complications tardives :

Les troubles de la consolidation sont dominés essentiellement par les pseudarthroses et retards de consolidation, et accessoirement par les cals vicieux et les synostoses.

+ Pseudarthrose et retard de consolidation :

Si de plus en plus d’auteurs insistent sur la responsabilité du tabagisme dans l’apparition d’une pseudarthrose, deux facteurs principaux semblent favoriser les pseudarthroses et retards de consolidation : le type de la fracture et la qualité du traitement initial.

Il existe ainsi un risque supérieur pour les fractures du groupe B de l’AO à fragment(s) en coin ou à troisième fragment, et les foyers comminutifs, a fortiori s’ils sont ouverts.

Souvent, il faut reconnaître qu’une pseudarthrose ou un simple retard trouvent leur explication assez logique dans un montage initial en fait inadapté ; les critiques pouvant être faites tant du choix d’un matériel d’ostéosynthèse trop instable (l’embrochage centromédullaire, largement utilisé avec succès chez l’enfant, serait plus volontiers pourvoyeur de non-consolidation chez l’adulte), que de la réalisation technique de l’ostéosynthèse (plaques trop courtes, nombre insuffisant de vis, absence de contention complémentaire après un montage précaire…).

Indépendantes du sexe et de l’âge, les pseudarthroses diaphysaires de l’ulna sont l’apanage des fractures du tiers moyen, dont on connaît la pauvreté de la vascularisation, et de celles à grand déplacement, ouvertes, ou comminutives.

La constatation d’une absence de cal, ou de son évolution très lente au terme du troisième ou quatrième mois, doit inciter à proposer rapidement une solution chirurgicale, et ne pas attendre des délais de 6 à 9 mois pour être certain de la survenue d’une consolidation radiologique.

+ Cals vicieux :

Ils sont toujours secondaires, soit à une insuffisance de réduction avant la mise en place du matériel d’ostéosynthèse, soit à un déplacement secondaire d’un foyer de fracture insuffisamment stabilisé.

Qu’ils soient rotatoires ou angulaires, ces cals vicieux peuvent entraver l’amplitude de pronosupination, et justifier alors une ostéotomie correctrice, dont l’indication, et plus encore la réalisation, demeurent souvent difficiles.

Dans le but d’évaluer les cals vicieux rotatoires des fractures des deux os de l’avant-bras, Aufauvre et al ont proposé une méthode de mesure tomodensitométrique des torsions de chaque os, en soulignant des difficultés de repères fiables pour le radius.

Des logiciels informatiques devraient permettre à l’avenir de pouvoir envisager des recalages d’images et d’exploiter ce type de données, manifestement utiles pour l’aide à la décision d’une ostéotomie correctrice.

Il convient de nuancer le rôle réellement joué par les cals vicieux, toujours visibles et parfois impressionnants sur une radiographie.

Plusieurs études expérimentales ont montré en effet qu’il existait une relative tolérance des cals vicieux angulaires diaphysaires, selon leur importance bien sûr, mais essentiellement selon leur niveau et accessoirement selon le plan de l’angulation ; ainsi une angulation de 10° radiale ou ulnaire dans n’importe quel plan n’entraînerait pas de diminution significative des rotations.

Sur le radius, les cals vicieux du tiers distal sont dangereux pour la pronation, tandis que ceux du tiers distal affectent la supination.

Sur l’ulna, les angulations du tiers moyen semblent être le plus souvent en cause.

Les cals vicieux rotatoires ont la réputation de limiter volontiers les rotations ; Tynan a montré récemment dans une étude sur pièces cadavériques qu’un cal vicieux isolé et rotatoire de 45° de l’ulna ne diminuait la pronosupination que de 20° !

L’intérêt de ces études est de rappeler que les facteurs osseux ne sont pas les seuls en cause dans une limitation de la pronosupination, et que le rôle des parties molles est souvent beaucoup plus important qu’on ne le pense.

Ceci a une incidence en pratique clinique : une rééducation fonctionnelle bien suivie doit toujours être proposée au patient avant de lui proposer une ostéotomie correctrice. ·

+ Complications rares :

Les synostoses radio-ulnaires résultent de la formation d’un pont osseux développé aux dépens de la membrane interosseuse et bloquant ainsi toute pronosupination.

Ces synostoses s’observent électivement au tiers proximal et au tiers moyen de l’avant-bras et semblent connaître plusieurs facteurs favorisants : fractures des deux os situées au même niveau, déchirure de la membrane interosseuse, fractures de Monteggia, fractures comminutives, déplacements des fragments réduisant l’espace interosseux, dislocation des articulations adjacentes, et immobilisation prolongée.

Mais à l’inverse, la mobilisation immédiate d’une fracture isolée de l’ulna, pourtant prônée par certains comme technique de traitement, a été accusée de favoriser la survenue de synostose.

Les traitements chirurgicaux sont également mis en cause, notamment après ostéosynthèse par plaques, en cas d’erreurs techniques comme une voie d’abord unique pour poser les deux plaques, un dépériostage étendu, un passage de mèches trop longues, une mise en place de vis trop longues, ou encore après apposition de greffons spongieux dans l’espace interosseux.

Citons enfin comme dernier facteur favorisant l’existence d’un traumatisme crânien.

Ces différents facteurs ne sont pas sans rappeler ceux favorisant également les ossifications hétérotopiques.

Le blocage des rotations peut être d’un réel inconfort pour le patient ; la gravité des conséquences fonctionnelles étant liée en réalité à l’angle de blocage : si un blocage en supination s’avère très invalidant et peut justifier un traitement chirurgical, la situation la plus tolérable semble être un blocage en position intermédiaire.

+ Adhérences musculaires et tendineuses :

Elles se trouvent parfois associées à des rétractions, entrant alors dans le cadre d’un syndrome séquellaire de Volkmann.

Certaines rétractions affectant les plans musculaires profonds au contact des diaphyses et de la membrane interosseuse (notamment le fléchisseur profond des doigts), peuvent nécessiter des gestes de libération étendus (type Page-Scaglietti), après un bilan des possibilités réelles de récupération fonctionnelle.

+ Fractures itératives, ou « refracture » des Anglo-Saxons :

Parfois observées après l’ablation de plaques vissées, Perren a démontré que la raison principale de ces nouvelles fractures n’était pas en rapport avec la classique stress protection attribuée à la rigidité de la plaque, mais qu’elle était bien secondaire à une reconstruction insuffisante des corticales diaphysaires en rapport avec un dépériostage trop étendu et responsable d’une souffrance vasculaire de l’os.

L’apparition récente sur le marché des nouvelles plaques LC-DCP devrait diminuer l’incidence de cette complication en autorisant un dépériostage a minima et en préservant ainsi au mieux la vascularisation osseuse.

Cette notion de dépériostage a minima a fait développer plus récemment un « fixateur interne », sorte de plaque vissée à contact minimal avec l’os afin d’en préserver au mieux la vascularisation, et dont les résultats préliminaires semblent intéressants.

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