Fracture de l’extrémité inférieure du radius chez l’adulte

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On entend par extrémité inférieure du radius la région métaphyso-épiphysaire de cet os.

Elle s’articule en dedans avec la tête de l’ulna par une petite surface cartilagineuse et distalement avec le condyle carpien (scaphoïde et lunatum) par une large surface cartilagineuse.

Les fractures de l’extrémité inférieure du radius sont très fréquentes puisqu’elles représentent environ 10 % de toutes les fractures.

Dans la population adulte, on sépare classiquement les fractures survenant avant 50 ans, le plus souvent chez l’homme à la suite d’un traumatisme à haute énergie, de celles survenant après 50 ans, le plus souvent chez la femme ostéoporotique à la suite d’un traumatisme banal.

Quoi qu’il en soit, du fait de l’augmentation du nombre de sujets âgés restés très actifs, la tendance thérapeutique actuelle est de reconstruire l’anatomie le plus fidèlement possible par la chirurgie dans la plupart des fractures déplacées et de n’accepter une consolidation en position vicieuse que chez le grand vieillard.

En effet, l’extrémité inférieure du radius appartient à la fois à l’articulation du poignet et à celle des 2 os de l’avant-bras : les cals vicieux auront des conséquences fonctionnelles parfois très invalidantes et douloureuses sur les mouvements du poignet mais aussi et surtout sur la pronosupination.

Mécanisme :

Qu’il s’agisse d’un traumatisme à haute énergie (accident de parachute, de moto, de voiture, ou chute d’un lieu élevé) ou d’une banale chute de hauteur d’homme, le mécanisme des fractures de l’extrémité inférieure du radius résulte de l’action de forces compressives produites par le poids du corps sur le poignet.

Fracture de l’extrémité inférieure du radius chez l’adulte

La main étant fixée au sol ou contre un obstacle, le dôme carpien dense résiste mieux à la compression que l’extrémité inférieure du radius ; cette dernière, recevant une soudaine compression égale au poids du corps (ou plus si l’énergie est importante) par l’intermédiaire de la partie proximale du membre supérieur, vient s’écraser contre le carpe.

Le traumatisme peut créer un spectre lésionnel très vaste allant d’une fracture bénigne non déplacée à une véritable « explosion » de l’extrémité inférieure du radius.

La fracture peut être « pure » (extra-articulaire, articulaire ou mixte) ou associée à des lésions des ligaments radiocarpiens ou radio-ulnaires.

La direction des traits de fractures dépend des forces associées aux forces compressives donc de la position de la main et de l’avant-bras au moment de l’impact (pronation ou supination de l’avant-bras, flexion ou extension, inclinaison radiale ou ulnaire du poignet).

La comminution est une caractéristique quasi constante des fractures déplacées de l’extrémité inférieure du radius.

Elle résulte des forces compressives susmentionnées.

Elle est d’autant plus importante que l’énergie est plus élevée ou que l’os est plus ostéoporotique.

Elle est plus fréquente en arrière qu’en avant car la corticale est constitutionnellement plus mince du côté dorsal de l’os. Elle est responsable d’une perte de hauteur de l’extrémité inférieure du radius par impaction osseuse.

À côté des rares fractures non déplacées, les fractures déplacées associeront donc à des degrés divers angulation sagittale, frontale et raccourcissement.

Pour être anatomique, le traitement devra prendre en considération chacun de ces déplacements élémentaires.

Diagnostic :

A – Examen clinique :

Il sera suspecté dans chacune des circonstances décrites lorsque le patient se plaint d’une douleur du poignet avec impotence fonctionnelle et attitude antalgique, la simple inspection révélant un oedème et souvent une déformation évidente (aspect en « dos de fourchette » si l’angulation sagittale se fait vers l’arrière, ou au contraire en « ventre de fourchette » si celle-ci se fait vers l’avant).

L’examen des poignets doit faire partie de l’examen de tout polytraumatisé chez lequel une fracture de l’extrémité inférieure du radius pourrait passer inaperçue du fait d’autres lésions plus évidentes.

On demandera systématiquement au patient s’il ressent des paresthésies dans le pouce, l’index et le médius ; leur existence est rare mais révèle une compression du nerf médian, liée au déplacement et à l’oedème, qui augmente le degré d’urgence du traitement.

L’ouverture cutanée en regard du foyer de fracture est très rare mais représente également une indication d’extrême urgence.

En l’absence de complications vasculo-nerveuses ou cutanées immédiates, il convient d’immobiliser provisoirement le poignet dans une attelle et d’adresser le patient au chirurgien orthopédiste.

B – Radiographies :

Ce sont les radiographies de face et de profil qui permettent d’affirmer le diagnostic et d’éliminer une luxation du poignet, qui donne un tableau clinique similaire avec toutefois un empâtement plutôt qu’une déformation du poignet.

La lecture attentive des clichés permet de classer la fracture dans l’une des 3 grandes catégories suivantes : fracture extra-articulaire à déplacement postérieur de Pouteau-Colles ou antérieur de Goyrand, fracture articulaire simple marginale antérieure, postérieure ou externe, ou fracture extra- et intraarticulaire complexe.

La classification de la fracture est importante car le pronostic et le traitement en dépendent.

L’existence d’une ostéoporose sera notée car elle modifiera les possibilités thérapeutiques et le pronostic.

Les rapports radio-ulnaires, radiocarpiens et des os de la première rangée du carpe entre eux seront également étudiés, surtout chez le sujet jeune, afin de rechercher un écart anormal faisant suspecter l’association d’une lésion ligamentaire.

L’existence d’une fracture associée de la base de la styloïde ulnaire signe la rupture du ligament triangulaire radio-ulnaire qui lui est attaché.

Une fracture associée de la tête ou du col de l’ulna distal est à noter car elle demandera un traitement spécifique.

Parfois, le degré de comminution et le nombre de fragments sont tels que la lecture des clichés ne permet pas de classer la fracture.

Il faudra alors profiter de l’anesthésie locale ou locorégionale qui sera instaurée pour la réduction pour réaliser des clichés sous traction qui « désimpacteront » la fracture et permettront son analyse et sa classification.

Traitement :

En l’absence de réduction, suivie de son maintien par des procédés divers, l’évolution spontanée d’une fracture de l’extrémité inférieure du radius se fait presque toujours vers la consolidation en position vicieuse (la pseudarthrose est en effet très rare car l’os est spongieux et bien vascularisé) ce qui a des conséquences fonctionnelles sur les mouvements du poignet et de l’avant-bras. Cette consolidation se fait en 6 semaines.

Actuellement, cela n’est accepté que chez le grand vieillard ostéoporotique pour lequel le rapport risquesbénéfices du traitement ne penche pas en faveur d’un traitement plus agressif.

Dans toutes les autres tranches d’âge, et d’autant plus que le sujet est plus jeune, le but de la thérapeutique est donc de rétablir la géométrie de l’ensemble métaphyseépiphyse du radius distal et de corriger tout décalage des surfaces articulaires sus-décrites.

En effet, toute consolidation vicieuse de l’extrémité inférieure du radius désorganise l’articulation radio-ulnaire distale et retentit sur la pronosupination.

Toute consolidation avec décalage articulaire entraîne arthrose et douleurs en quelques mois, que ce soit au niveau de la radiocarpienne (douleurs en flexion-extension) ou de la radio-ulnaire (douleurs en pronosupination).

La géométrie à reconstituer est connue par les bases de données anatomoradiologiques ; il est parfois utile de s’aider de clichés du poignet opposé s’il est sain.

Le traitement s’effectue sous anesthésie générale, ou mieux locorégionale, par bloc axillaire.

L’indispensable traction dans l’axe qu’il comporte peut être réalisée manuellement ou se faire par l’intermédiaire de doigtiers japonais et d’un contrepoids placé au-dessus du coude fléchi.

A – Méthodes :

1- Traitement orthopédique :

Le traitement dit « orthopédique » consiste en une réduction associant traction dans l’axe, correction des bascules sagittale et frontale, puis maintien de la réduction obtenue par un plâtre brachio-antibrachio-palmaire laissant le pouce et les doigts longs libres.

Ceux-ci devront être mobilisés par le patient pour éviter l’installation d’une raideur.

La régression de l’oedème peut nécessiter un changement de plâtre au bout de quelques jours, mais une grande attention est nécessaire pendant cette manoeuvre afin de ne pas perdre la réduction.

Le coude est libéré à la 3e semaine et une manchette plâtrée ou en résine est portée jusqu’à la 6e semaine.

Une rééducation fait suite à l’ablation du plâtre.

Des contrôles radiographiques auront été pratiqués à 8 jours, 3 semaines et 6 semaines.

2- Traitement chirurgical :

Les traitements chirurgicaux sont nécessairement variés car aucun d’entre eux ne peut prétendre corriger les déplacements dans tous les cas de figure.

Leur mise en oeuvre ne change pas le délai de consolidation, qui reste de 6 semaines, mais réduction et maintien sont plus performants et évitent mieux les déplacements secondaires que ne le fait le traitement orthopédique.

Les principes de réduction sous contrôle radiographique et fixation par matériel d’ostéosynthèse en sont les points communs.

  • L’embrochage percutané peut « ponter » le foyer de fracture (embrochage extrafocal) ou s’introduire dans le foyer pour faire levier sur le fragment inférieur (embrochage intrafocal).

Deux ou 3 broches sont nécessaires.

  • L’usage d’un fixateur externe arrimé par des fiches vissées dans la diaphyse du radius en proximal et dans le 2e métacarpien en distal permet d’obtenir une distraction intéressante du foyer de fracture.

La distraction ne doit pas être exagérée et doit toujours permettre l’enroulement complet des doigts dans la paume.

  • La réduction et la fixation sous arthroscopie sont intéressantes pour des fragments articulaires simples dont la réduction peut se faire ainsi au millimètre près sous contrôle d’un écran de télévision.
  • La réduction et la fixation à foyer ouvert, avec greffe osseuse éventuelle, doivent parfois être utilisées si les autres méthodes paraissent insuffisantes.

La fixation fait appel alors aux matériels précédemment cités ou à des vis ou des plaques vissées.

B – Indications :

1- Formes non compliquées :

Les indications dépendent du terrain et du type anatomique de la fracture.

Nous indiquerons l’option thérapeutique la plus fréquente dans les fractures déplacées.

Une fracture non déplacée est en effet traitée orthopédiquement.

Un déplacement minime laissant une pente radiale de face à 10 °, une pente radiale de profil à 0 ° et un index radio-ulnaire à 0 peut être toléré sans grand retentissement fonctionnel.

  • Fractures extra-articulaires : si le déplacement est postérieur (fracture de Pouteau-Colles), le traitement sera parfois orthopédique mais le plus souvent réalisé par brochage percutané ; si le déplacement est antérieur (fracture de Goyrand), le traitement fera appel à une plaque antérieure.
  • Fractures articulaires simples : pour les fractures marginales antérieure ou postérieure, on réalise un vissage à foyer ouvert ; pour les fractures marginales externes détachant un gros fragment de styloïde radiale, on réalise un brochage percutané ou sous contrôle arthroscopique.
  • Fractures articulaires complexes : les indications ne sont pas systématisables.

On retiendra que le fixateur externe corrige bien le raccourcissement ; la plaque antérieure corrige bien les déplacements antérieurs ; les broches corrigent bien les déplacements postérieurs.

Toutes les associations sont possibles et on aura recours à une greffe spongieuse ou cortico-spongieuse en cas de vide important résultant de la désimpaction d’une comminution importante.

2- Formes compliquées :

  • Complications immédiates : l’existence d’une ouverture cutanée est rare et entraîne un risque septique.

Elle nécessite un lavage soigneux au bloc opératoire.

Si l’ouverture est punctiforme, le traitement rejoint celui d’une fracture fermée après lavage.

Si l’ouverture laisse présager une perte de substance, si celle-ci est évidente ou s’accompagne d’une dévascularisation, le traitement associera la mise en place d’un fixateur externe et un geste secondaire ou immédiat de couverture ; l’existence d’un syndrome carpien aigu demande une réduction urgente pour lever la compression.

Parfois, une ouverture du canal carpien peut être envisagée mais ce geste n’est pas anodin en termes de rééducation postopératoire de l’enroulement des doigts et la décision devra être soigneusement pesée ; des lésions ligamentaires radio-ulnaires ou radiocarpiennes associées seront traitées pas brochage des pièces osseuses intéressées.

L’immobilisation permettant la cicatrisation ligamentaire est de 6 semaines et ne modifie donc pas la durée du traitement de la fracture elle-même.

  • Complications secondaires : la plus fréquente est le déplacement secondaire malgré la méthode de contention choisie.

C’est la raison pour laquelle les clichés de contrôle sont pratiqués à J8 et J21.

Il impose une 2e réduction, puis une fixation à foyer ouvert à partir de la 3e semaine ; l’algodystrophie est une complication sérieuse s’installant insidieusement dans les semaines qui suivent le traitement.

Elle comporte des douleurs diffuses régionales atteignant les doigts, un oedème, une raideur et une ostéoporose progressives.

Elle survient plus volontiers chez des sujets anxieux ou dépressifs.

La scintigraphie au technétium métastable confirme le diagnostic.

Le traitement est essentiellement kinésithérapique.

Un traitement précoce par des injections de calcitonine peut donner des résultats intéressants.

L’évolution est malheureusement souvent longue, de plusieurs mois, même traitée ; les ruptures de tendons extenseurs peuvent s’observer dans 2 circonstances : soit après brochage percutané, soit dans des fractures très peu déplacées qui créent une marche d’escalier acérée au niveau du tunnel ostéofibreux du tubercule de Lister (saillie osseuse de la face dorsale du radius distal autour de laquelle se réfléchit le tendon long extenseur du pouce).

  • Complications tardives : les pseudarthroses sont exceptionnelles et sont traitées par greffe secondaire ; les cals vicieux sont encore trop fréquents.

Ceux-ci sont d’autant mieux tolérés que le sujet est plus âgé et moins actif mais ils peuvent représenter une gêne majeure chez un jeune.

À la gêne fonctionnelle et douloureuse déjà évoquée peut s’ajouter un syndrome du canal carpien secondaire qui évoluera pour son propre compte sur le plan neurologique.

On se limitera à l’ouverture du canal carpien chez un sujet sédentaire âgé.

Chez un jeune, le traitement ostéo-articulaire du cal vicieux est nécessaire.

Il dépend de sa forme anatomique selon une classification superposable à celle des fractures fraîches : un cal extra-articulaire sera traité par ostéotomie et greffe pour rétablir la longueur du radius et retrouver des rapports radio-ulnaires satisfaisants. Un cal articulaire simple demandera une réduction par ostéotomie.

Un cal extraet intra-articulaire sera traité par ostéotomie mais sa composante articulaire demandera souvent une arthrodèse radiocarpienne partielle car l’arthrose s’est en général rapidement installée.

Quel que soit le type de cal vicieux, le fait de ne pas rétablir des rapports radioulnaires normaux demande un traitement spécifique pour rétablir la pronosupination, soit par raccourcissement de l’ulna, soit par arthroplastie radio-ulnaire distale.

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