Fracture bimalléolaire chez l’adulte

0
5001

Anatomie :

  • L’articulation talo-crurale est réalisée par le tenon talien contenu dans la mortaise tibio-fibulaire ; celle-ci est constituée de 3 éléments :

– la malléole médiale (tibiale) ;

– la malléole latérale (fibulaire) : se projetant plus bas et plus en arrière que la précédente ;

– le pilon tibial, dont la marge postérieure descend plus bas que l’antérieure, constituant ainsi ce que l’on dénomme la malléole postérieure.

  • La stabilité est assurée par :

– la congruence articulaire n’autorisant qu’un seul degré de liberté de mouvement : flexion-extension ;

– les ligaments : . le ligament collatéral latéral (LCL) : tendu de la malléole fibulaire au talus et calcaneus, . le ligament collatéral médial (LCM) : tendu de la malléole tibiale au talus, . l’union tibio-fibulaire : la membrane interosseuse et les ligaments tibio-fibulaires (inférieurs) antérieur et postérieur.

Mécanismes :

A – Définition :

Une fracture bimalléolaire intéresse les malléoles médiale et latérale, et respecte l’essentiel du pilon tibial. Une fracture équivalent de bimalléolaire correspond :

Fracture bimalléolaire chez l’adulte

– soit à l’association d’une fracture de la malléole latérale et d’une rupture du ligament collatéral médial se substituant à la fracture de la malléole médiale ;

– soit à l’association d’une fracture de la malléole médiale et d’une rupture des ligaments tibiofibulaires et de la membrane interosseuse, et d’une fracture haut située de la fibula (fracture de Maisonneuve).

B – Description :

Le traumatisme réalise un mouvement forcé du tenon dans la mortaise.

On le décrit, par convention, par le mouvement du pied (segment sous-jacent) par rapport à la jambe (segment sus-jacent).

1- Adduction :

Les fractures sous-ligamentaires (par rapport aux ligaments tibio-fibulaires) sont appelées fractures de Tillaux : le trait malléolaire latéral est horizontal, situé en dessous des ligaments tibio-fibulaires qui sont intacts ; le trait malléolaire médial est oblique en haut et en dedans, débutant au niveau de l’angle médial de la mortaise ; il n’existe pas de diastasis tibiofibulaire.

2- Abduction :

Les fractures sus-ligamentaires sont appelées fractures de Dupuytren : le trait malléolaire latéral est horizontal ou comminutif, au-dessus des ligaments tibio-fibulaires qui sont rompus ; le trait malléolaire médial est horizontal, toujours situé en dessous du niveau du plafond de la mortaise ; il existe un diastasis tibio-fibulaire.

3- Rotation (externe) :

Les fractures sont sus-ligamentaires basses ou interligamentaires : le trait malléolaire latéral est oblique ou spiroïde, au-dessus ou entre les 2 ligaments tibio-fibulaires ; le trait malléolaire médial est horizontal, toujours situé en dessous du niveau du plafond de la mortaise ; le diastasis tibio-fibulaire est possible, uniquement dans les formes sus-ligamentaires en cas de rupture des ligaments tibio-fibulaires.

En revanche, dans les formes interligamentaires, il existe un « faux » diastasis tibio-fibulaire qui est en fait « intrafibulaire ».

Diagnostic :

A – Examen clinique :

La douleur et l’impotence fonctionnelle sont souvent importantes.

La marche est rarement possible. L’interrogatoire précise la nature de l’accident, son mécanisme, les lésions associées, l’heure de la dernière ingestion, le délai écoulé, l’âge, la profession, la pratique éventuelle d’un sport, les antécédents (diabète, artériopathie des membres inférieurs, phlébite, ostéoporose).

1- Inspection :

L’inspection précise la déviation du pied en dehors (« coup de hache » externe) et une saillie interne dans les fractures par rotation ou abduction ; à l’inverse, une déviation du pied en dedans et une saillie externe dans les fractures par adduction.

Les déformations sont rapidement masquées par oedème et hématome.

2- Palpation :

Elle recherche des points douloureux exquis : de la malléole latérale ou haut situés sur la fibula ; en regard de la malléole médiale ou en dessous sur le trajet du ligament collatéral médial.

3- Recherche des complications et critères de gravité :

  • Cutanés : ecchymose, abrasion, phlyctènes, décollement, ouverture (qui expose donc l’articulation).
  • Vasculo-nerveuses : évaluation de la vascularisation distale des orteils plus que pouls distaux, difficiles à palper sur une cheville sévèrement traumatisée ; atteinte du nerf fibulaire commun (sensibilité du dos du pied et motricité des extenseurs des orteils).
  • Déplacement important : faisant craindre une luxation talo-crurale avec forte menace vasculaire et cutanée, et justifiant une réduction précoce après bilan radiographique.
  • Impaction ostéocartilagineuse tibiale ou fracture ostéochondrale du dôme du talus sur les radiographies.

B – Radiographies :

L’examen complémentaire essentiel d’une fracture bimalléolaire est la radiographie : elle doit être parfaitement bien réalisée, en urgence, chez un malade soulagé par un traitement antalgique immédiat.

Elle doit être répétée après une éventuelle réduction.

  • Le cliché de cheville de face doit se faire le pied en rotation interne de 20° pour que les rayons soient perpendiculaires à l’axe de la mortaise, et pouvoir ainsi apprécier le parallélisme entre les 3 surfaces articulaires.
  • Le cliché de cheville de profil strict complète l’incidence de face.
  • Le cliché jambe de face en entier a pour but d’objectiver une fracture haut située de la fibula (Maisonneuve).
  • Le bilan radiographique recherche : la situation et la direction des traits de fracture ; un fragment malléolaire postérieur ; une lésion ostéochondrale (impaction tibiale ou fracture du talus) ; une luxation (perte de contact des surfaces articulaires).

Évolution :

Elle est conditionnée par la qualité de la réduction obtenue par le traitement et la survenue éventuelle de complications.

La consolidation est obtenue en 3 mois sans séquelles en cas d’évolution favorable.

Mais des complications secondaires sont possibles.

  • Cutanées, d’apparition secondaire, elles font courir un risque septique important ; prévenues par immobilisation et surélévation.
  • Infectieuses surtout après fracture ouverte ; prévenues par antibioprophylaxie adaptée.
  • Non spécifiques, de décubitus et dues à l’immobilisation plâtrée (thrombophlébite, cutanées, compression) ; prévenues par la surveillance du plâtre et la prophylaxie antithrombotique systématique pendant 3 mois.
  • Osseuses avec la survenue d’une algodystrophie ; prévenues par la rééducation précoce.
  • Spécifiques du traitement orthopédique :

– déplacement secondaire : sa recherche justifie une surveillance radiographique hebdomadaire initialement ; sa survenue nécessite une reprise souvent chirurgicale ;

– pseudarthrose de la malléole médiale (par définition au-delà du 6e mois) ; à opérer si symptomatique.

  • Spécifiques du traitement chirurgical, communes à toute ostéosynthèse : nécrose cutanée, infection sur matériel, conflit avec le matériel justifiant son ablation après consolidation.
  • Complications tardives : douleurs et troubles trophiques, dominées par les cals vicieux, conséquence d’une mauvaise réduction ou d’un déplacement secondaire, elles peuvent être responsables de douleurs, d’une raideur, d’une instabilité et de troubles de la marche ; arthrose talo-crurale post-traumatique évoluant après cal vicieux ou lésion chondrale sévère.

Traitement :

La prise en charge thérapeutique initiale après bilan radiographique associe : administration d’antalgiques par voie parentérale ; en cas de fracture ouverte, une antibioprophylaxie parentérale (association céphalosporine et aminoside) et prophylaxie antitétanique en cas de non-vaccination sont associées ; réduction d’un déplacement important menaçant l’intégrité cutanée ; immobilisation au mieux par une attelle postérieure plâtrée ; surélévation du membre traumatisé pour lutter contre l’oedème ; prophylaxie antithrombotique immédiate si décision certaine de traitement orthopédique : elle couvrira systématiquement toute la période de restriction d’appui.

Le traitement définitif peut être soit orthopédique, soit chirurgical.

L’objectif est toujours la reconstitution d’une pince tibio-fibulaire de morphologie anatomique et un parfait centrage du talus de face et de profil.

Le choix est guidé par : l’état cutané, les possibilités de réduction, la stabilité prévisible selon l’analyse radiographique des traits de fractures.

A – Arguments du choix thérapeutique :

1- État cutané :

  • Une fracture ouverte est traitée chirurgicalement en urgence (délai inférieur à 6 h).
  • Un mauvais état cutané fait différer un traitement chirurgical de plusieurs jours en attendant : la diminution de l’oedème, la résorption de l’hématome, l’amélioration de la souffrance cutanée, mais rend difficile un traitement orthopédique car peut s’aggraver sous plâtre.

2- Possibilités de réduction :

La complexité des traits de fracture, ou une interposition ligamentaire (ligament collatéral médial rompu dans fracture équivalent de bimalléolaire) peut rendre impossible une réduction orthopédique. Une impaction ostéochondrale nécessite une réduction chirurgicale.

3- Stabilité prévisible :

Sont des critères d’instabilité : les lésions des moyens d’union (ligaments et membrane interosseuse), un trait malléolaire tibial atteignant le toit de la mortaise, un fragment malléolaire postérieur volumineux (on parle de fracture du pilon tibial au-delà d’un tiers de la surface articulaire sur la radiographie de profil), l’existence d’une luxation initiale.

Plus la fracture associe des critères d’instabilité, plus le traitement est volontiers chirurgical car ainsi moins menacé par les déplacements secondaires.

B – Traitement orthopédique :

Il est réalisé sous anesthésie (générale ou locorégionale) dans le cas

– le plus fréquent

– de nécessité de réduction par manoeuvre en sens inverse du déplacement sous contrôle radioscopique, suivie d’une immobilisation initiale souvent par plâtre cruro-pédieux (immobilisation des articulations sus- et sous-jacentes) pour bloquer les rotations, genou fléchi à 30° et cheville à 90°.

Il impose un contrôle radiographique et une reprise (orthopédique ou chirurgicale) en cas de déplacement secondaire, facilité par la résorption de l’oedème et des hématomes.

Le plâtre cruro-pédieux est relayé par une botte plâtrée à partir de la 6e semaine, qui peut être conservée jusqu’à la fin du 3e mois post-traumatique.

La rééducation est débutée dès l’ablation du plâtre.

L’appui n’est envisagé que lorsque la consolidation est obtenue, donc à partir du 3e mois.

C – Traitement chirurgical :

Il est réalisé en condition d’asepsie rigoureuse (chirurgie osseuse et articulaire), avec contrôles radiographiques peropératoires.

Il peut nécessiter le recours exclusif à un fixateur externe dans le cas d’une ouverture cutanée sévère (stade III de Cauchoix) ou d’une souffrance cutanée non contrôlable.

Il fait appel au mieux à une ostéosynthèse directe, dont les différents temps sont bien codifiés : ostéosynthèse de la malléole latérale restaurant la longueur normale, par vis ou broches isolées en cas de trait simple, sinon par plaque vissée ; ostéosynthèse de la malléole médiale par 1 ou 2 vis si le fragment est assez volumineux, sinon par haubanage ; ostéosynthèse par vis d’un éventuel fragment tibial postérieur s’il n’est pas anatomiquement réduit par le maintien du pied à angle droit par rapport à la jambe (contrôle radiographique de profil) ; réparation par suture d’un ligament tibio-fibulaire antérieur rompu ou d’un ligament collatéral médial en cas de fracture équivalent de bimalléolaire.

L’immobilisation postopératoire est assurée par une botte plâtrée pendant 6 à 8 semaines, puis une rééducation est débutée ainsi que la reprise d’appui lors de la consolidation.

D – Critères de réussite du traitement :

Ils sont analysés par les contrôles radiologiques de face et de profil : réduction anatomique des différents déplacements ; absence de subluxation talo-crurale ; rétablissement de la congruence avec centrage parfait du talus dans une mortaise reconstituée caractérisée par une largeur constante de l’interligne articulaire de face et de profil ; absence de diastasis tibio-fibulaire, ou talo-tibial interne par incarcération du ligament collatéral médial.

E – Rééducation et surveillance :

  • La rééducation des orteils, et du genou en l’absence de plâtre cruro-pédieux, est dynamique.

La rééducation du triceps, et du quadriceps en cas de plâtre cruro-pédieux, est statique.

  • La tolérance du plâtre est régulièrement évaluée : chaleur, coloration, mobilité active et sensibilité des orteils (compression).

L’état cutané est surveillé et une fenêtre est réalisée en cas de besoin.

  • Les radiographies de contrôle sont réalisées en cas de traitement orthopédique à J7, J15, J21, J45, J60 et J90 et à J5 après réfection du plâtre postopératoire, J45 ou 60, et J90 en cas de traitement chirurgical.
  • La surveillance biologique dépend de la prophylaxie antithrombotique : par héparine de bas poids moléculaire : numération plaquettaire bihebdomadaire jusqu’à J15, puis hebdomadaire ; par antivitamines K : dosage hebdomadaire de l’INR.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.