Exploration de la fonction du diaphragme
Cours de pneumologie
Introduction
:
Une anomalie de la fonction des muscles respiratoires en général et
du diaphragme en particulier peut être suspectée dans un grand
nombre de situations cliniques : dyspnée, ascension d’une coupole
sur un cliché thoracique, syndrome restrictif aux explorations
fonctionnelles, hypercapnie, difficultés de sevrage de la ventilation
mécanique en réanimation.
En pratique, dans ces situations, on
cherche à répondre à différentes questions : l’anomalie constatée estelle
effectivement liée à une atteinte musculaire respiratoire ?
Y a-t-il
une atteinte diaphragmatique prédominante et quelle est sa
sévérité ?
L’anomalie diaphragmatique est-elle d’origine centrale ou
périphérique ?
Quelle en est la cause ?
L’objectif de cet article n’est pas de décrire in extenso toutes les
possibilités offertes par la physiologie et la biologie pour explorer la
fonction du diaphragme en recherche, mais de faire le point sur les
méthodes disponibles pour une exploration fonctionnelle en clinique
humaine, ainsi que sur les concepts et stratégies qui régissent
actuellement cette exploration.
Ne sont pas abordées les techniques
d’exploration réservées aux études animales, ni les techniques biologiques ayant récemment permis des avancées dans la
compréhension de l’impact de maladies diverses sur la fonction
diaphragmatique.
Le champ de l’article est également
limité à l’exploration du diaphragme chez l’adulte, probablement
transposable à l’exploration chez l’adolescent et le grand enfant,
mais pas à l’exploration chez le petit enfant. Enfin, il n’est mentionné
aucun bilan à visée étiologique d’une dysfonction diaphragmatique,
rubrique qui relève d’un autre article.
Tout au long de la lecture de ce texte, il faut avoir à l’esprit trois
particularités qui sous-tendent l’exploration du diaphragme : son
anatomie et son anatomie fonctionnelle (importance de la forme du
muscle et de ses rapports avec la cage thoracique dans son action)
, son innervation (assurée exclusivement par le nerf phrénique,
relativement aisément accessible à la stimulation), et la nécessité de
sa contraction permanente pour assurer la pérennité de la
ventilation.
Pertinence clinique de l’exploration
du diaphragme :
Le diaphragme est le principal muscle inspiratoire, et le seul à
assurer 24 heures sur 24 la ventilation, donc la vie.
Les mécanismes
qui contrôlent cette contraction permanente sont nombreux et
complexes, avec autant de sources possibles de dysfonction diaphragmatique, centrales (anomalies de la commande), ou
périphériques (conduction nerveuse [racines cervicales et nerf
phrénique], transmission neuromusculaire, contractilité musculaire,
interaction diaphragme-cage thoracique [on entend par « cage
thoracique », dans ce contexte, l’ensemble gril costal et abdomen]).
Il est par conséquent facile de comprendre que l’étude de la fonction
du diaphragme soit pertinente en pathologie humaine, et les
exemples où une dysfonction diaphragmatique entraîne des
manifestations cliniques sont nombreux.
En effet, toute dysfonction
diaphragmatique peut être cause de dyspnée, de limitation des
capacités à l’effort, et, notion relativement récente mais
particulièrement importante, de troubles respiratoires pendant le
sommeil.
En faire la démonstration a donc une valeur diagnostique,
mais également thérapeutique, en pouvant faire porter, dans les
formes sévères, l’indication d’une assistance ventilatoire mécanique
nocturne.
Un bon exemple de ce concept est fourni par les liens entre
dysfonction diaphragmatique, dyspnée, hypoventilation nocturne,
désorganisation de l’architecture du sommeil, et survie au cours de
la sclérose latérale amyotrophique.
Au cours de cette affection
dégénérative motoneuronale, il a en effet été montré que si la
dysfonction musculaire respiratoire (diaphragme inclus) était
commune après une certaine durée d’évolution, il existait une
corrélation entre dyspnée et sévérité de l’atteinte diaphragmatique
, une relation entre dysfonction diaphragmatique et
anomalies du sommeil, et un impact de la dysfonction
diaphragmatique sur la survie.
Ces éléments fournissent
une explication aux bénéfices, en termes de qualité de vie et de
durée de vie, apportés dans certains cas par l’assistance ventilatoire
nocturne.
À côté de l’assistance ventilatoire nocturne,
diagnostiquer et comprendre une dysfonction diaphragmatique peut
déboucher sur un traitement étiologique (malheureusement dans un
nombre limité de cas), sur un traitement « substitutif » (stimulation
phrénique implantée dans certaines « paralysies respiratoires »
centrales), ou un traitement palliatif (plicature chirurgicale d’une
coupole paralysée, parfois efficace sur la dyspnée).
Les explorations
diaphragmatiques permettent aussi un suivi évolutif, ce qui, sans
avoir un impact thérapeutique direct, permet parfois de guider la
gestion de certaines affections chroniques.
Sans prétendre à l’exhaustivité, les explorations mécaniques et électrophysiologiques du diaphragme peuvent ainsi être utiles :
– en pneumologie, pour le diagnostic des paralysies phréniques uniou
bilatérales, périphériques et centrales, l’évaluation de la
contractilité diaphragmatique au cours des affections respiratoires
chroniques qui altèrent la géométrie thoracique (maladies
obstructives chroniques, déformations thoraciques...), le diagnostic
de complications iatrogéniques (lésions chirurgicales, myopathies
cortisoniques, bloc neuromusculaire...) ;
– en médecine interne, pour le bilan respiratoire de maladies à
impacts multiples (pouvant déterminer des atteintes pulmonaires
parenchymateuses et des atteintes neuromusculaires, comme les
maladies inflammatoires du muscle ou le lupus) ;
– en neurologie, pour l’évaluation du retentissement respiratoire des
maladies neuromusculaires périphériques (la fonction
diaphragmatique a une importance majeure dans le pronostic des
myopathies, des polyradiculonévrites, de la myasthénie, de la
sclérose latérale amyotrophique, etc) et des maladies neurologiques
centrales (il existe une dysfonction diaphragmatique au cours des
hémiplégies ; certaines formes de sclérose latérale amyotrophique
déterminent une atteinte motoneuronale supérieure, etc) ;
– en cardiologie, pour l’évaluation du rôle d’anomalies
diaphragmatiques satellites de l’insuffisance cardiaque gauche dans
un handicap à l’effort ;
– en réanimation, pour l’explication de certaines difficultés de
sevrage de la ventilation artificielle, l’évaluation pronostique de la
dépendance d’un ventilateur, le suivi d’affections neurologiques
aiguës risquant de compromettre la ventilation ;
– dans d’autres spécialités.
Rappels anatomiques et fonctionnels
sommaires :
Il n’est pas possible ici, pour des raisons d’espace, d’entrer dans le
détail ni de l’anatomie ni de l’anatomie fonctionnelle des muscles
respiratoires.
Le lecteur peut se référer pour cela à d’autres textes,
en français ou en anglais.
Pour les mêmes raisons, il n’est
pas possible d’exposer les particularités histologiques et biologiques
qui font du diaphragme un muscle squelettique à part, ni d’évoquer
les informations fondamentales apportées par la physiologie comparative et phylogénétique.
Ces informations, déterminantes
dans la compréhension des mécanismes de nombreuses affections
touchant le diaphragme et les mécanismes de compensation
correspondants, ne sont pas (encore) directement pertinentes quant
à l’exploration fonctionnelle.
A - INTERDÉPENDANCE DES DIFFÉRENTS GROUPES
MUSCULAIRES RESPIRATOIRES :
Le diaphragme est le muscle principal de l’inspiration chez
l’homme, mais il n’en est pas le seul muscle important.
L’inspiration
normale met en jeu l’action coordonnée des muscles dilatateurs des
voies aériennes supérieures, des muscles du gril costal (intercostaux parasternaux et externes, scalènes) et du diaphragme.
Cette
coordination explique la dynamique normale des différents
compartiments de la cage thoracique à l’inspiration, faite d’une
expansion synchrone du compartiment abdominal, de la partie
inférieure du gril costal et de sa partie supérieure.
En effet, la
contraction isolée du diaphragme ne provoque une expansion que
des deux premiers de ces compartiments, et une déflation du
troisième.
À l’inverse, la contraction isolée des muscles
agissant sur la partie supérieure du gril costal provoque son
expansion et une déflation abdominale. Négliger
l’interdépendance étroite des différents groupes musculaires
inspiratoires peut donc conduire à des erreurs d’interprétation.
Pour
mémoire, l’interdépendance des muscles respiratoires est d’autant
plus marquée que leur recrutement est augmenté.
Ainsi,
l’inspiration forcée augmente l’activité des muscles agissant
normalement sur le gril costal supérieur, et peut mettre en jeu divers
groupes musculaires inspiratoires dits accessoires : sternocléidomastoïdiens
au premier plan, mais également trapèzes, grands
dentelés, grands dorsaux...
Lors d’une augmentation de la
ventilation à l’exercice ou en réponse à une charge métabolique
(réponse au dioxyde de carbone [CO2]) ou mécanique (résistance ou élastance), les muscles expiratoires (abdominaux, intercostaux
internes et triangulaire du sternum) sont mis en jeu.
Ils ont une
action expiratoire en accélérant la vidange pulmonaire et en
augmentant le volume mobilisé à l’expiration, et prennent ainsi à
leur compte directement une partie du travail de la ventilation. Ils
interagissent également avec les muscles inspiratoires dont ils
facilitent ou optimisent l’action.
En effet, la contraction des
abdominaux à l’expiration amène le système respiratoire en dessous
de sa position d’équilibre, la capacité résiduelle fonctionnelle, d’où
le développement d’une force de rappel élastique d’expansion.
Le
simple relâchement des abdominaux à la fin de l’expiration suffit
alors, en libérant cette force, à faire augmenter le volume pulmonaire
(passivement, sans coût énergétique inspiratoire).
Par ailleurs, la
contraction des abdominaux peut faciliter l’action du diaphragme,
d’une part en augmentant sa longueur (donc sa force), d’autre
part en augmentant l’élastance de la paroi abdominale (ce qui
améliore la transformation de la force diaphragmatique en pression
abdominale donc l’action du diaphragme sur la partie inférieure de
la cage thoracique, et permet le maintien d’une forme et d’une
longueur diaphragmatique adéquates).
À l’état normal,
l’interdépendance du diaphragme et des abdominaux est bien
illustrée par le rôle favorable de l’activité tonique de la musculature
abdominale en position debout sur l’action du diaphragme.
Lorsque
cette activité est abolie, comme c’est le cas chez les tétraplégiques, le
passage de la position couchée à la position assise entraîne une protrusion de la paroi abdominale antérieure et un abaissement du
diaphragme.
Chez ceux de ces patients ventilés artificiellement par
stimulation phrénique implantée, ceci correspond à une réduction
du volume courant lors du passage de la position couchée à la
position assise, phénomène absent chez des sujets normaux.
B - ANATOMIE SCHÉMATIQUE DU DIAPHRAGME :
L’anatomie du diaphragme est importante au regard de sa fonction
et de son exploration (d’une part l’absence d’accessibilité du muscle
impose l’utilisation de moyens indirects d’évaluation, d’autre part
l’innervation motrice exclusive du diaphragme par le nerf phrénique
et l’accessibilité de celui-ci à diverses techniques de stimulation
permettent d’isoler la contraction du diaphragme de celle des autres
muscles inspiratoires).
Le diaphragme, constituant la limite
inférieure de la cavité thoracique en haut et la limite supérieure de la cavité abdominale en bas, peut grossièrement être décrit comme
un dôme asymétrique, descendant plus bas en arrière qu’en avant.
Il comporte une structure centrale tendineuse (le « centre phrénique
» ; pour mémoire, le terme « phrénique » vient du grec phrenos,
esprit, étymologie qui procède de la croyance homérique que le
diaphragme était le siège de l’âme, des pensées), constituant la
limite inférieure du médiastin et laissant passer des structures
digestives, vasculaires, nerveuses en provenance ou à destination
de celui-ci.
À partir de ce « centre phrénique » rayonnent des fibres
musculaires qui vont s’insérer à la périphérie, avec une orientation
à dominante verticale, sur des structures squelettiques.
En arrière,
les fibres du diaphragme dit « crural » s’insèrent sur la face
antérolatérale des vertèbres lombaires et sur l’arcade du psoas.
En
avant, les fibres diaphragmatiques s’attachent à la partie postérieure
de l’appendice xiphoïde.
Sur les côtés, le diaphragme dit « costal »
s’insère sur la face interne des six cartilages costaux inférieurs et la
partie adjacente des côtes correspondantes, définissant une zone dite
« zone d’apposition », dont la hauteur représente grossièrement le
tiers de la hauteur totale du gril costal.
Ces fibres sont situées en
dessous de la portion horizontale, tendineuse, du diaphragme.
Le
rapport intérieur de la zone d’apposition est donc la cavité
abdominale, et non la cavité thoracique.
Cet élément est
déterminant pour la compréhension de l’action du diaphragme.
C - ACTION DU DIAPHRAGME :
L’action du diaphragme ne dépend pas que de la seule force de sa
contraction, mais aussi de la transformation de cette force en
pressions thoracique et abdominale et en déplacements pariétaux.
Elle est donc déterminée par la contractilité du muscle, ainsi que
par sa configuration géométrique, ses rapports avec les différentes
composantes de la cage thoracique et les caractéristiques mécaniques
de celles-ci.
Lorsque le diaphragme se contracte, ses fibres
musculaires se raccourcissent, ce qui entraîne une descente
(mouvement de « piston ») du tendon central (et plus généralement
de la partie horizontale du dôme diaphragmatique) qui vient
appuyer sur le contenu abdominal.
Ce mouvement est inspiratoire
d’une part parce qu’il augmente le diamètre céphalocaudal de la
cavité thoracique, et d’autre part parce que la pression devient
positive dans la cavité abdominale en raison de la nature
incompressible de son contenu.
Cette pression positive est
responsable d’un déplacement vers l’avant de la paroi abdominale.
Elle est transmise à la partie inférieure du gril costal (zone
d’apposition), qui reçoit donc une poussée dirigée vers le dehors
(composante « appositionnelle »).
Celle-ci, conjuguée à l’action
directe des fibres diaphragmatiques sur leurs insertions (traction
vers le haut, composante « insertionnelle »), est responsable d’un
mouvement de rotation vers le haut des côtes autour de l’axe de
leurs articulations costovertébrales et costotransversaires, conjugué
à un mouvement angulaire du cartilage costal par rapport au
sternum, qui tend à s’élever légèrement.
La rotation des côtes
entraîne, de par leur géométrie (mouvement dit en « anse de
seau »), une augmentation du diamètre transversal du gril costal, et,
dans une moindre mesure, de son diamètre antéropostérieur.
Grâce
au lien paroi-parenchyme assuré par la plèvre, l’augmentation du
diamètre céphalocaudal de la cavité thoracique et l’augmentation
de la surface de section de la partie inférieure de la cage thoracique
entraînent une augmentation du volume pulmonaire et créent une
pression subatmosphérique dans la cavité thoracique.
Cette
dépression exerce sur la partie supérieure du gril costal une force de
nature expiratoire qui tend à réduire la surface de section de la
partie haute de la cage thoracique.
On n’observe le
mouvement paradoxal correspondant (déflation thoracique
supérieure à l’inspiration) que lorsque la contraction
diaphragmatique est isolée ou fortement prédominante sur celle des
autres muscles inspiratoires qui normalement stabilisent la cage
thoracique supérieure, voire en provoquent l’expansion.
On désigne
sous le terme « distorsion thoracique » la conjugaison d’une
expansion de la cage thoracique basse et d’une déflation de la cage
thoracique haute sous l’effet d’une contraction diaphragmatique.
À cette distorsion correspond une forte hétérogénéité de la pression
pleurale lors de l’inspiration : négative dans la partie supérieure du
thorax, elle est positive dans le récessus pleural correspondant à la
zone d’apposition.
La magnitude de la distorsion thoracique
dépend directement de la rigidité thoracique : plus celle-ci est
grande, moins la distorsion satellite d’une contraction
diaphragmatique de force donnée est importante, donc plus l’action
inspiratoire de la contraction est grande, et vice versa.
En
exploration fonctionnelle, la stimulation phrénique sélective, si elle
a l’avantage d’isoler le diaphragme des autres muscles inspiratoires,
produit une distorsion thoracique importante et a donc pour
inconvénient de ne pas étudier le fonctionnement du diaphragme
dans les conditions d’une inspiration naturelle.
D - FACTEURS INFLUENÇANT L’ACTION DU DIAPHRAGME
:
De ce qui précède, il est aisé de déduire que toute modification de
l’anatomie ou des caractéristiques mécaniques de la paroi thoracique
peut altérer la fonction du diaphragme, indépendamment de ses
propriétés contractiles intrinsèques.
Ainsi, si le compartiment
abdominal s’oppose fortement à la descente diaphragmatique
(compliance basse), la surface de la zone d’apposition varie peu
pendant l’inspiration et la pression abdominale est élevée, d’où une expansion transversale importante de la partie inférieure du thorax.
Au contraire, si la compliance de la paroi abdominale est élevée, la
contraction du diaphragme entraîne une descente plus marquée de
son dôme, une forte diminution de la zone d’apposition au cours de
l’inspiration, et une faible pression intra-abdominale, d’où une
expansion thoracique basse d’amplitude limitée.
Les situations
cliniques impliquant ce mécanisme de dysfonction diaphragmatique
incluent la chirurgie abdominale sus-ombilicale et les éventrations
abdominales, les lésions traumatiques étendues du gril costal, les
déformations thoraciques (cyphoscoliose au premier plan, qui
bouleversent totalement la géométrie et les rapports du
diaphragme), certaines lésions médullaires respectant la commande
diaphragmatique mais abolissant la contraction des muscles de la
cage thoracique ou des abdominaux (une contention abdominale
chez les patients tétraplégiques sous stimulation phrénique
augmente l’expansion thoracique inférieure).
Le second facteur qui influence de façon considérable la
transformation de la force diaphragmatique en pression et en
mouvement est le volume pulmonaire.
En effet, la longueur du
diaphragme lui est inversement proportionnelle : maximale au
volume résiduel, elle est minimale à la capacité pulmonaire totale.
La capacité du diaphragme à produire une force pour une
commande donnée est donc intrinsèquement moindre à haut qu’à
bas volume pulmonaire.
Par ailleurs, la surface de la zone
d’apposition est moindre à haut qu’à bas volume pulmonaire
, réduisant les possibilités d’expansion du gril costal inférieur
en réponse à la contraction diaphragmatique.
De ces deux
phénomènes résulte une relation inverse entre le volume pulmonaire
et la capacité du diaphragme à produire une pression abdominale
positive et une pression thoracique négative.
À
l’extrême, à la capacité pulmonaire totale, les fibres du diaphragme
costal perdent leur orientation céphalocaudale pour devenir
transversales.
Leur action insertionnelle n’a alors plus pour effet
d’entraîner une rotation vers le haut des côtes, mais devient
expiratoire en réduisant le diamètre transversal du gril costal
inférieur.
La traduction clinique de ce phénomène, observé en cas
de distension majeure (emphysème, certains asthmes sévères), est
connue sous le nom de signe de Hoover.
Ce signe n’est pas
systématiquement associé à une respiration paradoxale abdominale,
car il peut persister une certaine course diaphragmatique vers le bas,
suffisante pour augmenter la pression abdominale.
Il faut noter
que, au-delà du volume pulmonaire, la configuration abdominothoracique joue un rôle important dans la capacité du
diaphragme à transformer force en pression, et devrait
théoriquement être précisément contrôlée pour une interprétation
correcte des résultats.
La compréhension des déterminants de l’action du diaphragme est
cruciale pour une interprétation correcte des résultats des
explorations mécaniques de ce muscle.
Il est impératif de ne pas
faire l’équation entre production de pression et force, ou
contractilité.
E - COMMANDE DE LA CONTRACTION DIAPHRAGMATIQUE :
Encore une fois, il n’est pas possible d’entrer dans le détail de la
commande extrêmement complexe de la contraction du diaphragme
et des autres muscles respiratoires, et des mécanismes qui régissent
les adaptations de cette commande à diverses situations, car cela
imposerait une description du contrôle de la respiration qui est ici
hors de propos.
Le lecteur peut se référer à des ouvrages de synthèse
en français ou à des traités plus détaillés en anglais.
Pour
une bonne compréhension de l’exploration fonctionnelle du
diaphragme, il suffit d’avoir à l’esprit quelques éléments clefs.
– Premièrement, les unités motrices diaphragmatiques sont sous la
dépendance de motoneurones spinaux situés principalement, mais
pas exclusivement, au niveau du quatrième métamère cervical.
Il
existe également des motoneurones à destination diaphragmatique
au niveau des troisième et cinquième métamères.
Chez l’homme,
l’importance quantitative et topographique de ces différents groupes
n’est pas connue.
Ces informations ne sont, pour d’évidentes
raisons, disponibles que dans certains modèles animaux, où elles
ont été obtenues, par exemple, par l’étude des modifications
histologiques diaphragmatiques après sections sélectives des racines
cervicales constitutives du nerf phrénique.
– Deuxièmement, le diaphragme est exclusivement innervé par le
nerf phrénique.
Au nerf phrénique principal, dont le tronc traverse
le cou en suivant grossièrement le bord postérieur du sterno-cléidomastoïdien
avant de s’engager dans le médiastin, s’anastomose
souvent un nerf phrénique accessoire, issu de la cinquième racine
cervicale.
L’anastomose se fait à la partie initiale du trajet médiastinal du phrénique, au niveau du bord inférieur de la
clavicule.
Outre l’innervation motrice du diaphragme, le nerf
phrénique, qui est un nerf mixte, assure une innervation sensitive
qui correspond à des projections corticales limbiques
probablement impliquées dans la pathogenèse de la dyspnée, et à
des projections corticales pariétales impliquées dans le contrôle
de l’utilisation volontaire du diaphragme.
– Troisièmement, et c’est probablement le point le plus important, la
contraction diaphragmatique dépend d’une double commande,
automatique d’une part, volontaire d’autre part.
La commande
automatique rend compte de la pérennité de la ventilation et de son
adaptation homéostatique à différentes situations comme, au
premier plan, l’exercice.
Elle dépend de neurones situés dans le tronc
cérébral.
La commande volontaire, qui est sous-tendue par une
représentation tant motrice que sensitive du diaphragme
au niveau du cortex cérébral, permet l’inhibition temporaire de la
commande automatique (complète [apnée] ou partielle [adaptation
du mode ventilatoire à la phraséologie de la parole]), et l’utilisation
du diaphragme à la réalisation de manoeuvres ventilatoires
complexes (comme on demande aux patients d’en réaliser en
explorations fonctionnelles respiratoires ou lors de la prise correcte
de thérapeutiques inhalées) ou de manoeuvres extrarespiratoires.
Le diaphragme est aussi un muscle fondamental de la posture,
de la défécation, de la parturition. L’existence d’un contrôle cortical
fin du diaphragme et des autres muscles respiratoires est un
déterminant essentiel, chez l’homme, de la parole, et plus
généralement de la vocalisation.
Il faut noter que la dualité de la
commande des muscles inspiratoires n’est pas propre au
diaphragme et concerne à l’évidence les muscles dilatateurs des
voies aériennes et les muscles inspiratoires extradiaphragmatiques.
Cependant, c’est probablement pour le diaphragme
que cette commande est la plus fine, et le quantum d’informations
disponibles à son sujet est beaucoup plus important qu’au sujet des
autres muscles inspiratoires.
Méthodes disponibles
pour l’exploration du diaphragme :
A - PRÉAMBULE :
Explorer la fonction du diaphragme ne se conçoit que dans le cadre
d’une démarche générale, clinique, biologique, radiologique et
fonctionnelle.
Il ne saurait donc être question de réaliser directement
des examens très spécialisés, et encore moins de s’en contenter.
L’exploration de la fonction diaphragmatique doit être mise dans la
perspective d’une exploration fonctionnelle respiratoire « standard
», décrivant au moins sommairement les caractéristiques
mécaniques du système respiratoire dit « passif », le fonctionnement
des autres muscles respiratoires et leur commande.
L’interprétation
d’un test n’est possible que dans la perspective des autres et il
importe de s’assurer de la cohérence physiopathologique des
résultats.
Ainsi, par exemple, la constatation d’une pression statique
inspiratoire basse peut rassurer sur la validité de la mesure d’une
pression à la bouche en réponse à la stimulation phrénique lorsqu’il
existe un doute sur la validité méthodologique de cette dernière.
Inversement, des volumes pulmonaires normaux ou des pressions
statiques normales doivent faire s’interroger sur la validité de
mesures très anormales en réponse à la stimulation phrénique ; une
réponse mécanique à la stimulation phrénique normale, alors qu’il
existe des anomalies des tests faisant appel à la coopération du
patient, suggère que celle-ci est imparfaite, pour des raisons
organiques ou non.
Par ailleurs, il peut être intéressant, dans certains
cas, d’explorer un autre muscle en même temps que le diaphragme
(par exemple, enregistrement concomitant de l’électromyogramme
du diaphragme et d’un muscle de la main en réponse à une
stimulation corticale étudiant la voie corticospinale diaphragmatique
, ou bien évaluation de la force quadricipitale par
stimulation magnétique du nerf fémoral parallèlement à
l’évaluation de la contraction diaphragmatique induite par la
stimulation phrénique).
Ceci n’est cependant pas encore passé dans
la pratique.
On peut arbitrairement séparer les éléments d’exploration du
diaphragme en deux catégories, selon qu’ils sont ou non spécifiques
du diaphragme.
Certaines des techniques décrites ci-après le sont
plus en détail que d’autres, parce que mieux établies, mieux
validées.
D’autres, qui ne sont pas encore utilisées ou validées en
clinique mais qui sont prometteuses sont mentionnées, malgré des
données disponibles encore confinées au champ de la recherche.
B - EXPLORATIONS NON SPÉCIFIQUES DU DIAPHRAGME
:
1- Examen clinique
:
Comme ce devrait toujours être le cas en exploration fonctionnelle,
l’examen clinique doit être la première étape de l’évaluation du
diaphragme.
Il permet d’évaluer si la dynamique thoracique est ou
non normale.
L’observation des mouvements de la cage
thoracique et de l’abdomen renseigne sur la contribution du
diaphragme et des muscles extradiaphragmatiques à la production
du volume courant.
Une déflation inspiratoire du compartiment
abdominal (diminution de sa circonférence ou de son diamètre
antéropostérieur) concomitante d’une expansion thoracique définit
la respiration paradoxale abdominale.
Celle-ci est, en clinique,
extrêmement évocatrice d’une dysfonction diaphragmatique
majeure, paralysie complète très souvent, à tout le moins extrême
faiblesse.
Elle signifie que l’expansion thoracique, donc la
ventilation, est prise en charge par des muscles inspiratoires extradiaphragmatiques agissant sur le gril costal, et que la
contraction diaphragmatique, si elle existe, ne suffit pas à exercer
sur le contenu abdominal une force suffisante pour surmonter
l’élastance de la paroi abdominale.
Cependant, on peut observer un
asynchronisme thoracoabdominal sans faiblesse diaphragmatique en
situation de charge aiguë chez des sujets sains, indicatif d’une
charge excessive par rapport à la capacité opérationnelle
diaphragmatique.
L’existence d’une respiration paradoxale ne
préjuge pas du mécanisme de la dysfonction diaphragmatique : il
peut s’agir d’une anomalie périphérique, atrophie musculaire ou
anomalie nerveuse, mais aussi d’une anomalie centrale, abolition ou
interruption de la commande diaphragmatique sans anomalie de la
commande des muscles extradiaphragmatiques.
Par conséquent, si
une respiration abdominale paradoxale répond d’emblée
positivement à la question « y a-t-il une dysfonction
diaphragmatique ? » et rend inutile toute investigation pour le
diagnostic positif ; elle ne modifie pas la démarche
physiopathologique et étiologique.
Il faut souligner qu’une
respiration paradoxale n’a de valeur diagnostique quant à la
fonction du diaphragme que lorsqu’elle est présente dans le volume
courant.
En effet, une proportion non négligeable de sujets
parfaitement normaux ne recrutent pas ou très peu leur diaphragme
lors d’une inspiration volontaire, qui peut donc, sans qu’il n’y ait
d’anomalie diaphragmatique, être concomitante d’une déflation
abdominale.
L’absence de respiration abdominale paradoxale ne
signifie pas qu’il n’y a pas de dysfonction diaphragmatique.
L’examen clinique, une fois constatée une dysfonction
diaphragmatique, peut parfois donner des informations sur la
rapidité de sa constitution, en montrant une activité, voire un aspect
anormal des muscles du cou.
Si le diagnostic clinique d’« hypertrophie » de ces muscles peut parfois prêter à caution,
en particulier en cas de distension thoracique, il n’en reste pas moins
que chez certains malades souffrant d’affections altérant
progressivement la fonction diaphragmatique, se met clairement en
place une compensation au niveau des muscles inspiratoires du cou.
La conjonction d’une respiration paradoxale abdominale dans
le volume courant et d’une activité augmentée des muscles
inspiratoires extradiaphragmatiques est donc évocatrice de
dysfonction diaphragmatique progressive et ancienne.
2- Imagerie :
L’imagerie n’a pas un intérêt considérable pour l’exploration de la
fonction diaphragmatique.
La radiographie de thorax peut faire
suspecter une anomalie à partir d’une anomalie de position des
coupoles (asymétrie), mais elle ne permet ni d’affirmer un diagnostic
(sensibilité et spécificité probablement très faibles, n’ayant fait l’objet
d’aucune étude sérieuse), ni d’évaluer une fonction.
En effet, il existe
de très nombreuses causes de « surélévation » d’un hémidiaphragme
(anomalies pleurales, troubles de ventilation, embolie pulmonaire).
Ceci s’applique également à l’observation de la mobilité des
coupoles en scopie, que ce soit lors de la respiration calme ou lors
d’un effort de reniflement maximal (sniff-test), qui ne saurait
suffire à faire un diagnostic de paralysie phrénique ou de
dysfonction diaphragmatique, pour de nombreuses raisons (par
exemple, non-utilisation physiologique du diaphragme lors du snifftest
par de nombreux sujets, absence de validation des anomalies
scopiques par rapport à un test de référence, etc).
La constatation de
mouvements des hémicoupoles dans des directions opposées lors
d’un tel test peut très raisonnablement faire évoquer une
hémiparalysie diaphragmatique, mais là encore, de faux positifs sont
possibles (surtout en cas de conjonction d’une dysfonction
diaphragmatique et d’asymétries de la mécanique respiratoire, par
exemple) et la sensibilité et la spécificité du signe ne sont pas
connues.
La digraphie, permettant de mesurer très précisément la
course diaphragmatique sur des clichés standardisés pris en
inspiration et expiration forcées, a été très utilisée pour l’évaluation
du diaphragme chez les myopathes, mais est tombée en désuétude
(difficile à mettre en oeuvre, sensibilité non évaluée mais
probablement faible).
L’échographie, si elle a fait l’objet de beaucoup
d’intérêt, n’est pas plus validée que la radiographie simple ou que
la scopie, présente les même limites, avec en plus l’inconvénient
d’être opérateur-dépendante.
Il est possible de reconstruire le
diaphragme en trois dimensions à partir d’acquisitions scanographiques ou par imagerie en résonance magnétique.
Ces méthodes permettent une compréhension de la
physiologie du diaphragme et de la physiopathologie du
retentissement sur sa fonction, par exemple des bronchopneumopathies chroniques obstructives (BPCO),
mais elles n’ont pas actuellement de place clairement définie dans
l’exploration des patients.
Il est possible que la reconstruction
tridimensionnelle contribue dans le futur à une meilleure évaluation
des résultats, voire des indications, de la chirurgie de réduction de
volume pulmonaire dans l’emphysème.
3- Explorations fonctionnelles respiratoires
:
Il n’est pas possible d’envisager d’explorer spécifiquement la
fonction diaphragmatique sans disposer d’explorations
fonctionnelles respiratoires standards qui, sans avoir de valeur
diagnostique directe, permettent d’intégrer l’atteinte
diaphragmatique dans un contexte fonctionnel global, servent de
références simples à son suivi évolutif, et surtout permettent
d’apprécier son retentissement.
Une spirométrie normale est
compatible avec une dysfonction diaphragmatique, mais exclut que
celle-ci soit sévère.
Une atteinte diaphragmatique isolée, comme on
peut l’observer par exemple dans une paralysie phrénique bilatérale
en dehors de tout contexte de maladie neuromusculaire, entraîne
typiquement un syndrome ventilatoire restrictif avec diminution de
la capacité vitale aux dépens de la capacité inspiratoire, sans
modification du volume de réserve expiratoire, donc une diminution
de la capacité pulmonaire totale avec volume résiduel conservé.
Il
est rare qu’un tel tableau soit observé, l’atteinte diaphragmatique
s’intégrant beaucoup plus souvent dans une dysfonction musculaire
respiratoire globale touchant les muscles inspiratoires extradiaphragmatiques et les muscles expiratoires.
Le tableau
fonctionnel est alors celui d’un syndrome restrictif d’allure
neuromusculaire « banale », avec réduction de la capacité
pulmonaire totale et augmentation du volume résiduel.
La
diminution de la capacité vitale au passage en décubitus dorsal
(supérieure à 20 % ; normalement, la différence entre capacité vitale
en position assise et capacité vitale en position couchée est
minime) est réputée être un bon signe de dysfonction
diaphragmatique (mais son absence ne l’exclut pas).
Cette notion
provient de données relativement anciennes et n’a pas fait l’objet
d’études précises de validation.
Reposant sur des manoeuvres
volontaires, l’interprétation de la spirométrie en tant que reflet de la
fonction neuromusculaire respiratoire est sujette à la caution de la
compréhension, de la motivation, et de l’état neurologique du
patient.
La gazométrie artérielle est indispensable dans le bilan du
retentissement d’une anomalie musculaire respiratoire en général et
d’une dysfonction diaphragmatique en particulier. Spécificité, et
surtout sensibilité, en sont extrêmement faibles.
En effet, la pression
artérielle partielle en CO2 (PaCO2) est le résultat de l’équilibre entre
la production de CO2 et la ventilation alvéolaire.
Une
hypoventilation relative à la production de CO2 entraîne donc une
hypercapnie.
Si la production de CO2 est réduite, par exemple par
une atrophie musculaire, une ventilation réduite suffit à maintenir
l’homéostasie.
L’hypercapnie est par conséquent un signe tardif
d’atteinte neuromusculaire respiratoire, ce d’autant que la force
musculaire nécessaire à mobiliser un système respiratoire passif
(poumon et paroi) indemne d’anomalies mécaniques n’est pas très
importante.
L’hypoxémie au cours des affections neuromusculaires
respiratoires résulte de l’hypoventilation alvéolaire et non d’une
anomalie de la diffusion alvéolocapillaire ou des rapports
ventilation-perfusion.
C’est une conséquence mathématique de
l’hypercapnie, l’équation du gaz alvéolaire indiquant que la somme
pression artérielle en oxygène (PaO2) + PaCO2 est constante quelle
que soit la ventilation, à rapports ventilation-perfusion et diffusion
identiques.
L’hypoxémie est donc exceptionnelle dans les
dysfonctions diaphragmatiques, en dehors de complications directes
de l’insuffisance de mobilisation du parenchyme pulmonaire
(troubles de ventilation) et des complications fréquentes des
maladies neuromusculaires (pneumopathies d’inhalation et embolies
pulmonaires).
À la lecture des résultats de la gazométrie artérielle,
une polyglobulie, même modérée, une augmentation des
bicarbonates sanguins, même discrète, dans le contexte d’une
dysfonction diaphragmatique, et en l’absence de signes patents d’hypoventilation, doivent faire évoquer des hypoventilations
nocturnes.
Une évaluation de la capacité à l’exercice, qui peut être
un simple test de marche de 6 minutes, peut être utile pour
quantifier et donc pouvoir suivre le retentissement d’une anomalie
diaphragmatique.
Enfin, devant une dysfonction diaphragmatique
sévère, ou simplement associée à une symptomatologie clinique ou
gazométrique compatible avec des anomalies du sommeil, la
recherche d’anomalies nocturnes est cruciale.
En effet, comme cela a
été mis en avant au début de cet article, le diaphragme est, avec les
dilatateurs des voies aériennes supérieures, le seul muscle
inspiratoire dont l’activité persiste pendant toutes les phases du
sommeil, y compris le sommeil paradoxal.
Une dysfonction
diaphragmatique est donc susceptible d’entraîner hypoventilations
nocturnes ou fragmentation du sommeil.
Une oxymétrie nocturne
constitue la base de ces investigations, en sachant que l’absence
d’épisodes de désaturation profonde n’exclut pas forcément
l’existence d’anomalies parfois sévères de l’architecture du
sommeil.
Ceci peut amener à recourir à une polysomnographie, à
partir de laquelle il peut être parfaitement licite de porter une
indication de ventilation nocturne.