Ethmoïdites aiguës chez l’enfant

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Rappel embryologique et anatomique du sinus ethmoïdal :

A – EMBRYOLOGIE :

Au cours du cinquième mois du développement foetal, la capsule nasale se fissure d’avant en arrière, délimitant ainsi des bourrelets latéraux, futurs cornets de la fosse nasale.

Les sillons qui séparent ces bourrelets forment les méats fondamentaux.

Le sillon situé entre les bourrelets inférieur et moyen, futur méat moyen, est d’une grande importance embryologique : il se creuse en dehors et en haut et donne naissance à un cul-de-sac, l’infundibulum embryonnaire, véritable cellule mère des cellules ethmoïdales, des sinus frontaux et maxillaires.

Ethmoïdites aiguës chez l’enfantLes cellules ethmoïdales débutent leur croissance et leur division et, en même temps, apparaît une ossification.

À 7 mois, les différents groupes cellulaires du labyrinthe ethmoïdal sont individualisables.

À la naissance, le labyrinthe ethmoïdal est le plus développé des sinus paranasaux : les cellules sont petites, de 2 à 5mmde diamètre, sphériques, et se développent rapidement au cours des premiers mois de vie, en particulier au niveau de l’ethmoïde antérieur.

Ultérieurement, les cellules s’allongent et le développement s’étend aux autres compartiments cellulaires.

Le développement est complet entre la 11e et la 14e année. L’ossification se termine vers l’âge de 7 ans.

Les autres cavités sinusiennes paranasales ont un développement plus tardif :

– l’évolution des sinus maxillaires, de la taille d’une fève à la naissance, est subordonnée au développement du maxillaire supérieur ; leur croissance évolue jusqu’à l’âge de 15 ans ;

– les sinus frontaux se développent à partir de l’infundibulum embryonnaire ou d’une cellule ethmoïdale antérieure à l’âge de 3-4 ans ; ils sont visibles radiologiquement dès l’âge de 5 à 7 ans ;

– les sinus sphénoïdaux se forment à partir d’une cellule ethmoïdale postérieure à l’âge de 3 à 5 ans et atteignent leur développement définitif à l’adolescence.

Cette évolution chronologique distincte des cavités sinusiennes paranasales explique les atteintes différentes en fonction de l’âge :

– chez le nourrisson : tableau d’ethmoïdite isolée ;

– chez le jeune enfant : ethmoïdite parfois associée à une atteinte sinusienne maxillaire ;

– chez l’adolescent et l’adulte : tous les sinus peuvent être concernés par le processus infectieux.

B – ANATOMIE :

Sur le plan anatomique, les cellules ethmoïdales sont creusées dans les masses latérales de l’ethmoïde et sont réparties en différents groupes séparés par les racines cloisonnantes des cornets principaux et rudimentaires créant ainsi un véritable labyrinthe avec des zones de faiblesse.

Les rapports immédiats de l’ethmoïde, en dehors avec la cavité orbitaire et son contenu et en haut avec l’étage antérieur de la base du crâne, expliquent aisément la survenue de complications d’origine infectieuse :

– l’ethmoïde est séparé de l’orbite par l’unguis en avant, la lame papyracée en arrière, mince et fragile, parfois déhiscente et traversée par un réseau veineux très développé.

Le périoste orbitaire, parfois seule barrière entre l’ethmoïde et le contenu de la cavité orbitaire, est une lame fibreuse, résistante mais aisément décollable de la paroi osseuse en dehors des sutures ;

– en haut, la lame osseuse qui constitue le plancher de l’étage antérieur de la base du crâne est mince mais résistante en dehors, plus fragile en dedans au niveau de la lame criblée perforée par les filets olfactifs qui expliquent l’adhérence dure-mérienne à ce niveau.

La vascularisation, particulièrement développée chez l’enfant, contribue à la propagation de l’infection à point de départ endonasal : le réseau veineux comporte de multiples anastomoses entre les veines sinusiennes d’une part et les veines orbitaires et intracrâniennes d’autre part.

En outre, le système veineux ophtalmique, dépourvu de valvule, autorise une circulation à double sens entre orbite et cavités nasosinusiennes, téguments de la face, région ptérygoïdienne et sinus caverneux.

Le drainage lymphatique est particulier au niveau de l’orbite : dépourvu de voie lymphatique, le drainage s’effectue par l’intermédiaire des gaines vasculaires.

Au niveau sinusien, le système lymphatique communique avec celui des fosses nasales et des méninges et se draine vers les ganglions de la région rétroptérygomaxillaire et la chaîne jugulocarotidienne.

Physiopathologie de l’ethmoïdite aiguë et de ses complications :

En tenant compte des données anatomiques et embryologiques, un processus inflammatoire rhinosinusien, bien banal chez l’enfant en bas âge, est responsable d’une hyperplasie muqueuse avec oedème qui se propage aux cellules ethmoïdales dont les orifices de drainage sont de calibre réduit.

La diminution de l’activité mucociliaire entraîne une stagnation des sécrétions qui augmentent également du fait de l’hyperplasie des glandes sécrétrices de la muqueuse.

Cette stagnation prédispose à la surinfection.

L’ethmoïdite apparaît en fait en même temps que l’inflammation des fosses nasales ; elle devient « autonome » car enclose par blocage oedémateux du méat moyen.

L’extension du processus infectieux vers les sinus frontaux et maxillaires se fait par contiguïté.

A – EXTENSION ORBITAIRE :

Les complications orbitaires ont été décrites initialement par Hubert.

La propagation de l’infection vers l’orbite s’effectue par voie osseuse par les pertuis vasculaires au niveau de l’unguis ou au travers des déhiscences congénitales de la lame papyracée ou par le biais de zones de nécrose osseuse qui expliquent ainsi le décollement de la périorbite.

L’infection peut également suivre les gaines vasculaires ou se propager directement par le riche réseau veineux qui permet le passage d’emboles septiques vers l’orbite responsable alors d’un abcès intraorbitaire.

Vers l’avant, le septum orbitaire, expansion du périoste orbitaire, tendu du rebord orbitaire au tarse palpébral, permet de déterminer les atteintes préseptales et rétroseptales.

La classification de Chandler reste toujours utilisée pour décrire les différents stades anatomocliniques de l’atteinte orbitaire des sinusites ethmoïdales.

Les cinq stades de gravité croissante sont corrélés à un pronostic de plus en plus sombre pour la fonction visuelle et oculomotrice, responsable de séquelles lourdes :

– stade I : dans la cellulite périorbitaire ou préseptale, l’inflammation sinusienne entraîne une gêne au drainage veineux de l’orbite et engendre un oedème palpébral sans exophtalmie ni troubles oculomoteurs, ni modification de l’acuité visuelle ;

– stade II : la cellulite orbitaire résulte d’une diffusion de l’oedème qui infiltre la graisse orbitaire avec exophtalmie axile sans atteinte de l’oculomotricité ni de la vision ;

– stade III : l’abcès orbitaire sous-périosté avec exophtalmie déplace le globe en bas et en dehors et ophtalmoplégie partielle ; l’acuité visuelle peut être modifiée dès ce stade ;

– stade IV : l’abcès orbitaire, au sein de la graisse orbitaire, entraîne une exophtalmie importante avec ophtalmoplégie et altération visuelle ;

– stade V : c’est celui de la thrombose du sinus caverneux.

La diffusion du processus infectieux par voie hématogène entraîne une cécité avec ophtalmoplégie complète et des signes oculo-orbitaires controlatéraux avec réaction méningée et altération de l’état général.

La baisse de l’acuité visuelle est multifactorielle : compression et anoxie du nerf optique, thrombophlébite des vaisseaux rétiniens et du nerf optique, névrite optique et toxicité bactérienne locale.

Une ischémie rétinienne ou du nerf optique supérieure à 90 minutes entraîne une atteinte irréversible de la vision.

B – EXTENSION INTRACRÂNIENNE :

Elle est rarement due à une ethmoïdite isolée.

Elle est plus volontiers le fait d’une atteinte frontale ou sphénoïdale et survient donc chez le grand enfant ou l’adolescent.

L’extension du processus infectieux se fait par voie veineuse ou par le biais d’une ostéite, notamment de la paroi postérieure du sinus frontal, et diffuse à la méninge, aux espaces extra- ou sous-duraux, voire au parenchyme cérébral.

L’ostéite atteint plus rarement la voûte crânienne.

Les complications endocrâniennes sont exceptionnelles mais restent responsables d’un pourcentage de séquelles non négligeable, de l’ordre de 25 à 40 %.

Terrain :

A – FRÉQUENCE :

La fréquence des ethmoïdites de l’enfant est difficile à établir ; bon nombre d’épisodes sont traités au stade initial, non extériorisé, comme une rhinopharyngite très fébrile.

Pour Henriksson, la sinusite chez l’enfant nécessite une hospitalisation dans moins de 0,5 % des cas.

Au stade de complication, c’est-à-dire dès que l’inflammation franchit les limites de l’ethmoïde, la moyenne d’âge se situe à 6,1 an pour les oedèmes péri-orbitaires avec sinusite, entre 7 et 10,5 ans pour les stades collectés.

La répartition par tranche d’âge fait apparaître deux pics de fréquence : l’un entre 1 et 5 ans, et le second, plus important, entre 11 et 15 ans.

Les cellulites préseptales sont plus fréquentes chez l’enfant de moins de 3 ans.

L’atteinte rétroseptale est rare : 4 % des cas sur 241 cellulites de la région orbitaire ; la fréquence varie de 4 à 28% (Jackson). Pour Fearon, la cellulite rétroseptale est la plus fréquente complication.

Il a été recensé 159 complications orbitaires sur 6 770 patients atteints de sinusite en 25 ans ; 17 d’entre elles ont laissé des séquelles oculaires graves. Pour Skedros et Gutowsky, le risque d’ethmoïdite extériorisée est équivalent quelle que soit la tranche d’âge.

Pour Morgan, le risque d’abcès sous-périosté est plus fréquent chez le grand enfant de 10 à 15 ans, bien qu’il observe une diminution de fréquence des ethmoïdites avec l’âge.

Pour Samad, sur une série de 29 patients âgés de 7 mois à 12 ans, le stade I de Chandler est de loin le plus fréquent (75,8 %) ; l’abcès sous-périosté représente 17,2 %, alors que la simple cellulite orbitaire n’est retrouvée que dans deux cas, soit 6,8 % ; il n’a pas observé dans sa série d’abcès intra-orbitaire ni de thombophlébite du sinus caverneux.

L’ethmoïdite est très rare chez le nourrisson ; les formes abcédées sont exceptionnelles, mais quelques cas récents ont été signalés par Challier et Saunders.

B – SEX-RATIO :

Une prédominance masculine est relevée dans certaines études : 28 garçons pour 18 filles dans la publication de Moloney, 126 garçons pour 93 filles dans le travail d’Henriksson.

Skedros retrouve une proportion de 19 garçons pour 11 filles, porteurs d’abcès sous-périostés.

En revanche, dans le travail de Aïdan, la proportion est inverse : 17 filles pour 11 garçons.

C – FACTEURS PRÉDISPOSANTS :

L’influence saisonnière fait apparaître deux pics, en hiver et au printemps, ce qui correspond aux périodes de rhinopharyngites.

Pour Henriksson, asthme et allergies saisonnières sont des facteurs prédisposant aux sinusites aiguës ou chroniques (12 % des cas) mais de façon non significative.

Les troubles de l’immunité locale nasale et les déficits immunitaires exposeraient aux complications oculo-orbitaires au cours des sinusites pour Healy, de même que les hypogammaglobulinémies et les traitements immunosuppresseurs tels que chimiothérapies et corticothérapies.

Pour Dewever, les déficits immunitaires congénitaux ou acquis ne sont retrouvés que dans 3 % des cas.

Le rôle potentiel d’un foyer dentaire infectieux ou de l’évolution des germes dentaires n’est guère évoqué dans la littérature.

Certains auteurs évoquent le rôle favorisant de bains en piscine les jours précédant l’accident infectieux sinusien.

Bactériologie :

L’étude bactériologique des ethmoïdites n’est documentée que dans les complications oculo-orbitaires ou méningées.

Les germes en cause sont principalement des germes aérobies.

Les germes anaérobies seraient retrouvés en association dans 43 % des cas ; ils sont probablement sous-estimés en fréquence et nécessitent une recherche appropriée pour adapter le traitement antibiotique.

Certains germes semblent présenter une agressivité importante dont témoignent l’évolution rapide et les complications, mais l’augmentation des résistances aux traitements antibiotiques donnés en première intention doit être évoquée en premier lieu.

Selon l’âge, le staphylocoque doré serait le plus fréquent en période néonatale ; jusqu’à 5 ans, Haemophilus influenzae et Streptococcus pneumoniae sont prédominants ; après 5 ans, on observe le staphylocoque doré, le pneumocoque, des streptocoques du groupe A et rarement des germes anaérobies ou des bacilles à Gram négatif.

Pour certains auteurs, Haemophilus influenzae de type Ib, pneumocoque et anaérobies sont responsables des complications méningées.

Staphylococcus aureus ou S. epidermitis, streptocoques et anaérobies sont le plus souvent responsables des complications orbitaires.

Une bactériémie est fréquente chez l’enfant en bas âge : 33 % chez l’enfant de moins de 4 ans.

L’incidence diminue avec l’âge, pour atteindre 5 % chez l’adolescent.

L’existence de germes saprophytes des voies aériennes et des conjonctives rend difficile l’interprétation des prélèvements locaux.

La fibroscopie endonasale permet d’orienter le prélèvement sous le cornet moyen et semble plus performante.

D’autres germes peuvent participer au processus infectieux en devenant pathogènes dans certaines circonstances, tels que Moraxella catharralis, Eikinella corrodens ou certains streptocoques.

Pour Quinet, les prélèvements importants sont réalisés in situ ou par hémocultures et sont positifs dans 40 à 60 % des cas d’ethmoïdites avec complications orbitaires.

Clinique :

L’ethmoïdite aiguë est habituellement isolée et évolue classiquement sous deux formes : non extériorisée et extériorisée.

A – FORME NON EXTÉRIORISÉE :

Elle revêt le masque d’une affection virale banale avec rhinorrhée claire ou mucopurulente, otalgies, mais les signes généraux doivent alerter dès ce stade car la fièvre est habituellement plus élevée, aux alentours de 39 °C, et l’enfant est abattu.

Des céphalées frontoorbitaires vives et paroxystiques peuvent être alléguées chez l’enfant de plus de 5 ans, mais sont difficiles à faire préciser chez le petit enfant ou le nourrisson.

Elles seraient un des symptômes d’alerte les plus caractéristiques.

À ce stade, les signes physiques ne sont pas spécifiques et associent une rougeur de la muqueuse nasale qui est oedématiée et un aspect inflammatoire de la membrane tympanique.

La mise en évidence d’une coulée purulente au niveau du méat moyen est plus évocatrice mais difficile à visualiser chez le petit enfant, et les signes prédominent d’un côté.

On peut relever un discret oedème conjonctivopalpébral ou une douleur localisée à l’angle interne de l’oeil à la palpation.

La radiologie est rarement demandée à ce stade qui évoque avant tout une rhinopharyngite sévère.

La température est mise sur le compte de l’inflammation de l’oreille moyenne qui explique la prescription d’une antibiothérapie précoce évitant ainsi le passage à la forme extériorisée.

B – FORME EXTÉRIORISÉE :

Elle évolue en deux stades et se rapporte déjà à une phase de complication car elle correspond à une extension du processus inflammatoire et infectieux au-delà de l’ethmoïde.

1- Phase fluxionnaire :

L’oedème peut être localisé à la région prétarsale et correspond alors au stade I de la classification de Chandler.

Cette cellulite périorbitaire réalise un oedème palpébral unilatéral qui prédomine à l’angle interne de l’oeil sur la paupière supérieure essentiellement.

Une conjonctivite peut être associée mais il n’y a aucun trouble oculomoteur ni altération visuelle.

Le tableau fébrile est souvent marqué.

L’oedème peut atteindre la cavité orbitaire et réalise un tableau de cellulite orbitaire, stade II de Chandler.

Il apparaît une exophtalmie, axile, de degré variable, réductible mais douloureuse, avec chémosis et rougeur conjonctivale.

Les mouvements oculaires peuvent être limités, l’acuité visuelle est conservée mais doit être contrôlée, une baisse de l’acuité visuelle signant une progression de l’oedème.

La distinction entre ces deux phases est arbitraire et parfois difficile à établir car l’importance de l’oedème rend l’examen ophtalmologique complet difficile.

Les signes généraux sont importants.

2- Phase stade suppurée :

La fièvre est élevée à 40 °C avec frissons, altération de l’état général ; les douleurs sont souvent violentes et insomniantes.

L’abcès sous-périosté réalise un tableau trompeur évoluant comme une cellulite orbitaire avec oedème palpébral prédominant à l’angle interne, exophtalmie et diminution de la mobilité du globe oculaire dans les mouvements d’abduction.

Mais si l’exophtalmie reste réductible, l’oeil est déplacé en bas et en dehors et l’acuité visuelle est diminuée.

Au sein de l’oedème palpébral, on palpe parfois une tuméfaction à l’angle interne de l’oeil, là où la douleur est exquise.

Le phlegmon de l’orbite, stade IIII de Chandler, entraîne une exophtalmie directe mais irréductible, empêchant l’occlusion de l’oeil, douloureuse.

Le chémosis est important avec oedème parfois violacé de la paupière.

L’examen retrouve une ophtalmoplégie complète, et une diminution importante de l’acuité visuelle.

La propagation le long du canal optique ou par voie veineuse peut rendre compte d’une cécité avec abolition du réflexe photomoteur, anesthésie cornéenne, voire bilatéralisation des signes ophtalmologiques, signant l’atteinte du sinus caverneux dans un tableau d’altération majeure de l’état général, très fébrile, avec des signes méningés chez un enfant prostré, présentant des troubles du comportement.

3- Diagnostic :

En fait, la distinction entre forme fluxionnaire et collectée doit rester l’élément essentiel du diagnostic, car le pronostic et le traitement sont différents.

Trois signes doivent être recherchés : la mobilité du globe, l’exophtalmie, son type direct ou indirect et sa réductibilité, et le réflexe photomoteur, mais il faut souligner la difficulté d’un examen ophtalmologique complet et précis en urgence, en particulier chez l’enfant en bas âge et compte tenu du chémosis et de l’oedème palpébral.

L’examen clinique permet le diagnostic entre atteinte pré- et rétroseptale dans deux tiers des cas.

– L’exophtalmie est un signe particulièrement spécifique de l’atteinte rétroseptale (97,4 %).

– Il en est de même pour les troubles de l’oculomotricité (100 %), qui ne sont cependant pas très sensibles (20 %).

– L’intensité de l’oedème palpébral est variable selon la localisation : dès que l’oedème est important, avec un oeil non ouvrable spontanément, l’atteinte rétroseptale est significativement plus fréquente (p = 0,01).

Dès qu’il existe une suspicion d’atteinte rétroseptale, le bilan radiologique, et en particulier le scanner, est indispensable.

Bilan radiologique :

A – BILAN RADIOLOGIQUE STANDARD EN NEZ-FRONT :

Il met en évidence une asymétrie des deux régions ethmoïdales, argument en faveur du diagnostic d’ethmoïdite, mais n’apporte aucun argument pour confirmer une complication oculaire ou endocrânienne.

Il serait sans aucune valeur chez l’enfant de moins de 4 ans. Les radiographies standards sont d’interprétation difficile du fait de l’oedème des parties molles.

B – EXAMEN TOMODENSITOMÉTRIQUE :

Il a une place essentielle, confirmée par tous les travaux de la littérature.

Cet examen nécessite souvent une sédation chez les enfants en bas âge. Le protocole doit comporter idéalement des clichés sans et avec produit de contraste pour faire la distinction entre stade fluxionnaire et collecté.

Il permet une étude complète des cavités nasosinusiennes et précise le degré d’atteinte, inflammation ou collection, ainsi que le siège exact des lésions, avec une très bonne sensibilité, et permet de définir de façon précise le contenu de la cavité orbitaire.

Les différentes études soulignent la fiabilité de cet examen, en particulier dans les complications graves rétroseptales telles que abcès sous-périosté et abcès intraorbitaire dans lesquels le scanner n’a jamais été mis en défaut.

Il est bien entendu indispensable dès qu’il existe une exophtalmie non axile, un trouble oculomoteur ou une altération visuelle, ou en cas de complication endocrânienne.

C – IMAGERIE PAR RÉSONANCE MAGNÉTIQUE :

Elle ne semble pas avoir de place en phase aiguë en dehors des cas où est suspectée une complication endocrânienne. Aucune publication n’y fait référence.

Elle est en revanche indispensable en cas de pathologie chronique sous-jacente à distance de l’épisode aigu.

D – ÉCHOGRAPHIE :

Citée par certains auteurs américains, elle a fait l’objet d’une étude comparative avec la tomodensitométrie (TDM).

L’échographie en mode B permet de rechercher une atteinte rétroseptale avec la même sensibilité que le scanner.

Associée à un doppler couleur, elle permettrait de mettre en évidence des signes indirects de thrombose du sinus caverneux.

L’affirmation, sur l’échographie, du respect de l’espace rétroseptal aurait l’avantage de dispenser du scanner et d’orienter vers un traitement purement médical.

Le caractère opérateur dépendant est toutefois un facteur limitant.

Diagnostic différentiel :

Le diagnostic d’ethmoïdite aiguë est souvent facile dès l’examen clinique sur l’association rhinite purulente très fébrile avec céphalées et manifestations inflammatoires oculo-orbitaires unilatérales.

Le diagnostic entre les formes fluxionnaires et collectées dont la prise en charge est différente reste difficile sur les seuls arguments cliniques.

Le scanner réalisé en urgence permet de faire cette distinction essentielle.

Cependant, une tuméfaction orbitaire inflammatoire aiguë doit faire discuter :

– une atteinte sinusienne maxillaire ou frontale isolée : elle survient chez le grand enfant ou l’adolescent ;

– une conjonctivite : elle associe un oeil rouge et une élévation thermique modérée, voire absente.

Dans les formes graves, elle peut être responsable d’un oedème palpébral associé ;

– une dacryocystite : la tuméfaction reste localisée à l’angle interne de l’oeil avec issue de pus au niveau de la caroncule lacrymale.

La radiographie standard ou une TDM en cas de doute permet de confirmer l’intégrité des cellules ethmoïdales ;

– un abcès dentaire : il peut rendre compte d’un oedème jugopalpébral dans un contexte fébrile, mais l’examen clinique otorhino- laryngologique endobuccal retrouve la dent causale ;

– un furoncle de la paupière ou une cellulite cutanée secondaire à une plaie de face : ils donnent un tableau similaire à une cellulite préseptale.

Cependant, l’anamnèse redresse le diagnostic ;

– l’érysipèle dans sa forme phlegmoneuse : il peut poser un problème diagnostique.

L’examen soigneux recherche le classique bourrelet périphérique palpable.

Un scanner est réalisé au moindre doute ;

– un oedème palpébrojugal de teinte violacée, d’apparition rapide, mal limité, avec fièvre élevée : on évoque une cellulite à Haemophilus, en particulier chez l’enfant de 3 mois à 3 ans, et la radiographie des sinus innocente le sinus ethmoïdal ;

– une piqûre d’insecte : elle est diagnostiquée par l’interrogatoire et l’examen qui retrouve le point de piqûre.

L’oedème est rapidement résolutif.

Il ne faut pas méconnaître une tumeur orbitaire telle un sarcome, un lymphangiome ou la localisation orbitaire d’une leucose qui peuvent être révélés par une exophtalmie rapide avec signes inflammatoires.

La TDM contribue au diagnostic.

Traitement :

Compte tenu du risque non tant vital que fonctionnel, l’ethmoïdite aiguë nécessite une prise en charge rapide et adaptée qui comporte toujours un traitement médical.

A – TRAITEMENT LOCAL :

Il est toujours nécessaire, associant une désinfection rhinopharyngée soigneuse, des fluidifiants et des vasoconstricteurs locaux.

Des soins oculaires avec instillation d’un collyre antiseptique sont systématiquement réalisés.

B – TRAITEMENT ANTIBIOTIQUE :

Il est prescrit par voie veineuse dès qu’apparaît un oedème orbitaire.

Ce traitement est entrepris dès que les prélèvements sont effectués, mais sans en attendre les résultats.

Ce traitement probabiliste utilise une antibiothérapie à large spectre, active contre les principaux germes habituels.

Les protocoles proposés dans la littérature sont variés.

On préconise soit une céphalosporine de troisième génération seule, soit l’association amoxicilline-acide clavulanique avec adjonction éventuelle d’un aminoside.

La suspicion d’un staphylocoque, en particulier méthi-R, fait associer fosfomycine ou vancomycine.

La sensibilité inconstante des germes anaérobies fait préférer l’association d’un imidazolé.

La durée de l’antibiothérapie intraveineuse est de 7 à 14 jours, avec un relais per os possible dès que l’apyrexie est durable et après disparition des signes inflammatoires locaux, pour une durée de 10 à 12 jours.

En cas de complication endocrânienne ou d’ostéite, l’administration par voie veineuse est maintenue pendant au moins 1 mois.

Le traitement anti-inflammatoire non stéroïdien est controversé. Une corticothérapie peut être discutée secondairement à la mise en route du traitement antibiotique si l’évolution clinique est favorable.

C – TRAITEMENT CHIRURGICAL :

Il est réalisé en urgence par la majorité des équipes, dès lors qu’il existe une collection sous-périostée ou orbitaire, en raison du risque fonctionnel visuel et permet une étude bactériologique sur les prélèvements.

L’indication est posée sur les données de la clinique, en particulier l’examen ophtalmologique, et confirmée par la TDM qui confirme la collection et sa localisation précise.

Le drainage par voie externe, réalisé par une courte incision canthale interne, avec ouverture du périoste de la paroi interne d’orbite jusqu’à la lame papyracée et mise en place d’une lame laissée en place pour effectuer des lavages sans geste osseux associé, reste le traitement classique.

Pour d’autres, une ethmoïdectomie par voie externe ou endonasale doit être effectuée dans le même temps chirurgical.

Un certain nombre d’auteurs préconisent la voie endoscopique pour le drainage des abcès sous-périostés ; cette voie minimale non invasive permet d’ouvrir la lame papyracée après réalisation d’une ethmoïdectomie (Deutsch, Kessler).

Le principal argument est une résolution plus rapide des signes inflammatoires au niveau orbitaire, sans cicatrice externe, la durée d’hospitalisation étant ainsi raccourcie.

Froehlich insiste sur le fait que l’ethmoïdectomie antérieure, seule, est suffisante, et qu’elle est réalisable chez l’enfant quel que soit l’âge.

Les auteurs s’accordent sur le fait que l’opérateur doit être particulièrement entraîné à ce geste endoscopique, que les conditions anatomiques ne sont pas toujours favorables en raison de l’étroitesse des fosses nasales et du saignement lié à une pathologie inflammatoire aiguë de la muqueuse nasale.

D – INDICATIONS :

Classiquement, le traitement chirurgical est impératif dès que l’abcès est confirmé par le scanner, si l’acuité visuelle est diminuée, en cas d’ophtalmoplégie, d’aggravation de l’exophtalmie ou encore de nonrégression des signes inflammatoires après 48 heures de traitement antibiotique.

Certains auteurs proposent un traitement médical seul, même en cas d’abcès confirmé, en l’absence de baisse de l’acuité visuelle Sajjadian a rapporté récemment une série de 12 cas d’abcès sous-périostés chez l’enfant traités selon le protocole de Goodwin et Soulière avec succès, sans séquelle.

Cependant, il souligne la nécessité d’un suivi médical, en particulier ophtalmologique, extrêmement rigoureux, voire le transfert dans un centre hyperspécialisé.

Il faut rappeler la difficulté de l’examen ophtalmologique, en particulier chez l’enfant en bas âge, compte tenu de l’oedème, savoir que le risque de cécité dans les atteintes rétroseptales est de 10,5 % pour Patt, et qu’enfin une ischémie de la rétine ou du nerf optique supérieure à 90 minutes entraîne des altérations irréversibles de la vision.

Évolution :

La durée de suivi est variable après l’accident aigu et peu d’études de la littérature mentionnent l’évolution après un épisode d’ethmoïdite aiguë.

Soulière rapporte une étude de dix cas d’abcès sous-périostés avec un recul de 18 mois : la guérison était complète, clinique et radiologique.

Une enquête rétrospective menée sur 15 cas d’abcès sous-périostés a retrouvé trois asthmes, cinq rhinites allergiques et un non allergic rhinitis eosinophilic syndrom (NARES) révélés secondairement à l’épisode sinusien aigu.

Aucune mucoviscidose n’a été mise en évidence (Darmaillacq).

Allergies saisonnières, asthme et polypose sont des facteurs prédisposants mais non significatifs pour Henriksson.

Chez des sujets, enfants ou adultes, porteurs d’infections sinusiennes récidivantes, l’étude de la littérature retrouve de nombreuses variations anatomiques telles que concha bullosa, cellule de Haller, bulles ethmoïdales proéminentes, atélectasie du sinus maxillaire, déviation septale ou inversion de courbure du cornet moyen.

L’examen clinique de contrôle, à distance de l’épisode aigu, doit rechercher une anomalie endonasale et dépister une mucoviscidose, un terrain allergique ou une pathologie sinusienne chronique.

Le suivi TDM ne retrouve que de discrètes anomalies sous forme d’opacités ou d’épaississements muqueux persistant à distance de l’épisode aigu, isolés, sans symptomatologie fonctionnelle.

Pour Lusk, ces anomalies TDM sont présentes chez des enfants asymptomatiques dans 25 à 50 % des cas et sont retrouvées dans 31 à 81 % des cas chez des enfants ayant eu une infection des voies aériennes supérieures récente.

Le suivi TDM n’est donc pas licite en l’absence de symptomatologie ou d’anomalie à l’examen clinique.

Conclusion :

L’ethmoïdite aiguë de l’enfant est en règle de diagnostic facile.

L’essentiel est de reconnaître précocement une forme extériorisée et collectée par un examen clinique précis complété au moindre doute par un scanner.

Elle justifie d’un traitement médical adapté, rapidement instauré pour prévenir les complications visuelles toujours redoutables.

Le drainage chirurgical est indispensable dès lors qu’existe une baisse de l’acuité visuelle, une exophtalmie importante, une ophtalmoplégie ou une non-régression des signes physiques et généraux malgré un traitement antibiotique adéquat.

Une surveillance clinique et ophtalmologique étroite est indispensable dès la mise en route du traitement mais également à distance de l’épisode aigu pour dépister d’éventuels facteurs de récidive.

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