Maladies à prion ou encéphalopathies spongiformes transmissibles

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Introduction :

Les maladies à prion peuvent se définir comme des encéphalopathies spongiformes transmissibles (EST).

En effet elles lèsent exclusivement le système nerveux central, cerveau et moelle épinière, entraînant une destruction neuronale extensive et une spongiose cérébrale, et elles peuvent être transmises expérimentalement à l’animal de laboratoire chez lequel elles déterminent une maladie analogue.

Maladies à prion ou encéphalopathies spongiformes transmissiblesCe sont donc des maladies infectieuses puisqu’elles sont transmissibles ; ce sont aussi des maladies neurodégénératives, car il n’y a aucun phénomène inflammatoire cérébral ; et certaines sont également des maladies familiales, génétiques, à transmission mendélienne dominante.

C’est ce triple caractère, infectieux, dégénératif, et génétique, qui leur confère dans la pathologie une place à part, autonome et très originale.

Cette originalité est encore renforcée par la présence dans le tissu cérébral de dépôts d’une substance amyloïde protéique constitués par le prion.

Ces maladies, connues de longue date, sont venues au premier plan de l’actualité médicale et scientifique depuis une vingtaine d’années ; les raisons en sont diverses, biochimiques et génétiques avec les progrès considérables réalisés dans la connaissance de leur pathogénie, et surtout épidémiologiques avec l’arrivée de l’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB), et avec la description chez l’homme de formes iatrogènes, et d’une forme variante très probablement dérivée de l’ESB.

Les EST sont en effet des maladies humaines et animales, ce qui pose la question de leur transmissibilité de l’animal à l’homme, posant du même coup un problème angoissant et actuel de santé publique.

Historique :

La tremblante du mouton est connue depuis plusieurs siècles puisqu’il en est fait mention officielle dans le journal de la Chambre des Communes au Royaume-Uni en 1755.

La première maladie humaine est décrite par deux auteurs allemands, Creutzfeldt en 1920, et Jakob en 1921, qui lui donnèrent leur nom (maladie de Creutzfeldt-Jakob ou MCJ).

En 1936, un premier et considérable progrès dans la compréhension du mécanisme de ces maladies est apporté par deux vétérinaires français, Cuillé et Chelle, qui démontrèrent que la tremblante est bien une maladie infectieuse car transmissible expérimentalement.

Puis vient une longue stagnation de quelques décennies, jusqu’en 1957, année de la description en Nouvelle Guinée par Gajdusek et Zigas d’une nouvelle encéphalopathie spongiforme humaine, le kuru.

Dès lors, les connaissances vont rapidement progresser : rapprochement de la tremblante, du kuru, et de la MCJ en 1959, preuve du caractère transmissible des deux dernières en 1966 et 1968, description des formes familiales, et lancement des grandes enquêtes épidémiologiques.

Parallèlement les recherches biochimiques vont s’intensifier, notamment avec le groupe de Prusiner à San Francisco, aboutissant en 1981 à l’isolement et à la purification, à partir de dépôts amyloïdes de cerveaux de tremblante, d’une protéine hydrophobe qui représenterait le support de l’infectiosité ; cette protéine fut baptisée prion par Prusiner pour distinguer clairement cetATNC des autres agents pathogènes et notamment des virus et viroïdes.

En 1985, le gène du prion est localisé, cloné, et séquencé par le groupe de Weissmann à Zurich, permettant notamment l’étude systématique des formes familiales et le démarrage de nombreux travaux expérimentaux de biologie moléculaire.

Puis, coup sur coup, l’intérêt clinique pour ces maladies est relancé par l’apparition en 1985 des premiers cas de MCJ dus à des contaminations accidentelles de l’hormone de croissance humaine (HGH), et par l’apparition en 1986 d’une épizootie extensive chez les bovidés du Royaume-Uni, suivie une dizaine d’années plus tard par l’apparition des premiers cas d’une variante de MCJ dont les liens avec l’ESB paraissent très probables.

Ainsi s’est trouvé défini, au cours des quatre dernières décennies, un nouveau groupe autonome de maladies animales et humaines, les EST, qui ont en commun de nombreux caractères cliniques et paracliniques, mais qui, malgré une somme considérable de recherches, n’ont pas encore livré tous leurs secrets.

Principaux caractères communs des EST :

Les EST animales et humaines ont en commun un certain nombre de caractères bien particuliers :

– la longueur de la durée de l’incubation, dépassant habituellement 5 ans et pouvant aller jusqu’à plusieurs décennies ;

– une symptomatologie exclusivement cérébrale, à la fois neurologique et démentielle, avec une évolution d’une seule tenue, sans rémission, vers la mort ;

– des lésions neuropathologiques de type dégénératif associant une mort neuronale avec spongiose extensive, une activation et une prolifération gliale surtout astrocytaire, et des dépôts amyloïdes pouvant former des plaques ; il n’y a pas de signes inflammatoires centraux ou périphériques ni de lésions de démyélinisation ;

– l’absence de structures évocatrices d’un micro-organisme dans le cerveau ou la moelle ;

– l’absence de toute réponse immunitaire, que ce soit pour l’immunité humorale ou pour l’immunité cellulaire ; il n’y a en particulier aucune synthèse d’interféron ; de même les essais d’immunostimulation ou d’immunodépression ne modifient en rien les paramètres de la maladie ; cependant, le système immunitaire joue probablement un rôle essentiel lors de l’infection par voie périphérique en permettant la réplication de l’agent infectant en dehors du système nerveux central, autorisant ensuite la neuro-invasion ;

– la transmissibilité des maladies à l’animal de laboratoire à partir de filtrats de broyats d’organes infectés et surtout du cerveau, impliquant le franchissement de la barrière d’espèce ;

– l’accumulation intracérébrale d’une protéine anormale, le prion ;

– la résistance remarquable de l’agent infectant aux procédés habituels d’inactivation et de décontamination, que ce soit par les agents physiques, chimiques, ou biologiques ;

– la coexistence, pour l’apparition de la maladie, de facteurs à la fois environnementaux et génétiques, dont la résultante explique la variabilité phénotypique des maladies ; en particulier, le rôle chez l’hôte de facteurs de prédisposition ou de résistance, génétiques ou autres, paraît maintenant certain, mais reste encore mal connu.

Aspects biochimiques des EST :

L’étude des procédés d’inactivation de l’agent infectant et l’analyse des spectres ultraviolets de ses fractions purifiées ont fait suspecter, dans les années 1970, la présence d’un composant protéique qui serait le support de cette infectivité.

C’est en 1981, qu’à partir d’extraits hautement purifiés de cerveaux de hamsters inoculés avec l’agent de la tremblante du mouton, Prusiner et ses collaborateurs démontrèrent que l’infectiosité de cet agent dépendait d’une protéine hydrophobe.

En 1982, ils montrèrent que les dépôts d’amyloïdes cérébraux étaient en grande partie constitués par cette protéine, qu’il s’agissait d’une sialoglycoprotéine et qu’elle représentait le constituant fonctionnel majeur de la particule infectante, transmissible à l’animal.

Elle fut baptisée prion pour proteinaceous infectious particle, ou PrP pour protease resistant protein.

L’ultracentrifugation des homogénats de cerveau et l’exposition du sédiment ainsi obtenu à la protéinase K conduisirent à une digestion partielle de ce sédiment, d’où fut extraite une protéine de poids moléculaire (pm) égal à 27 à 30 kDa.

Cette protéine tronquée fut séquencée et une sonde d’oligonucléotide ADNc fut obtenue, ce qui permit de découvrir que cette protéine 27-30 était le produit de l’hydrolyse partielle d’une protéine plus volumineuse de 33-35 kDa dont la séquence complète fut ensuite établie.

Cette protéine 33-35 issue du cerveau d’animaux infectés fut baptisée PrPsc (pour scrapie) ou PrPres (pour sa résistance partielle à la protéinase).

Parallèlement, la mise en évidence de PrP ARN messager dans les tissus et cerveaux sains, non infectés, conduisit à la découverte d’une forme cellulaire normale de la PrP 33-35, baptisée PrPc (pour cellule).

Ainsi la PrP 33-35 existe en fait sous deux formes : l’une, la PrPres, hydrophobe et très agrégable, n’existe que dans le cerveau des animaux malades et d’une façon générale dans toutes les EST où son accumulation est l’un des caractères communs les plus marquants ; l’autre, la PrPc, est en fait la forme normale, non infectante, qui s’exprime de façon constitutionnelle dans le cerveau sain comme dans le cerveau malade, et qui se distingue de sa copie par la sensibilité à la protéinase K.

Très vite, on vérifia que ces deux « isoformes » étaient bien codées par le même gène.

La protéinase K assure l’hydrolyse complète et la solubilisation de la PrPc, alors qu’elle n’enlève que les 67 aminoacides N terminaux de la PrPres, conduisant à la PrP 27-30 sans perte de son infectiosité.

Par la suite, des études histochimiques et immunocytochimiques utilisant des anticorps spécifiques ont confirmé que les dépôts et plaques amyloïdes des cerveaux infectés étaient bien constitués par la PrPres ou prion.

La PrP 33-35 est constituée d’une chaîne polypeptidique de 253 aminoacides chez l’homme, de 254 chez le hamster et la souris, de 256 chez le mouton, de 257 chez le vison et de 269 chez la vache, indiquant une très bonne conservation de la protéine au cours de l’évolution des mammifères.

L’étude de la structure de la PrPc et de la PrPres n’a pas permis de mettre en évidence de différences dans la séquence des aminoacides, ni de modifications post-transcriptionnelles dans leur molécule ; toutes deux sont glycosylées.

Leur similitude de poids et de charge suggère qu’il suffirait d’une légère modification conformationnelle pour passer de l’une à l’autre et expliquer leurs différences.

La PrPc, protéine de surface constitutionnelle de cerveau normal, a été aussi isolée du cerveau des EST, associée à la PrPres, suggérant qu’elle pourrait en être le précurseur non pathogène ; la conversion de la PrPc en PrPres constituerait alors le noeud central de la pathogénie des EST.

Et de fait, les études structurales en dichroïsme circulaire et en spectroscopie infrarouge, et en résonance magnétique, semblent bien démontrer que PrPc et PrPres diffèrent par leur conformation spatiale secondaire : PrPc possède un contenu élevé de structures en hélices alpha (42 %) et très peu de structures en feuillets bêta plissés (3 %), alors qu’au contraire la PrPres a un contenu de 30 % d’hélices alpha et de 43 % de feuillets bêta plissés.

On peut donc penser que c’est la transformation des hélices alpha en feuillets bêta (deux hélices alpha pour quatre feuillets bêta) qui entraîne un repliement anormal de la molécule dans l’espace et qui explique le passage de la PrPc à la PrPres, et que c’est ce changement de conformation spatiale qui conditionne l’acquisition du pouvoir pathogène et de la résistance.

Ce processus de transconformation PrPc en PrPres passerait par la formation initiale d’un hétérodimère PrPc-PrPres qui serait autocatalytique, la PrPres servant en quelque sorte de moule à la PrPc, conduisant alors au transfert de la conformation spatiale pathologique et à l’accumulation progressive de PrPres, sans modification détectable de l’expression du gène et de la synthèse de PrPc normale par l’individu infecté.

Une fois la conversion initiée, le titre du prion pathologique augmente selon un processus d’amplification important et rapide, puisque chez le hamster l’inoculation d’une unité infectante aboutit à la production d’environ 109 unités infectantes dans les 130 jours qui suivent.

Cette modification allostérique, qui paraît bien confirmée par des études cinétiques marquées récentes, donne une explication compatible avec les phénomènes de barrière d’espèces dont elle serait le support moléculaire.

Une conformation « res » de la PrP faciliterait le plissement de la PrP native ayant la même séquence d’aminoacides ou une séquence proche ; au contraire, l’apparition de feuillets bêta plissés serait plus difficile à induire quand le modèle PrPres n’est pas parfaitement conforme à la PrP native, ce qui est le cas dans les changements d’espèces.

Il faut bien insister sur le fait essentiel que, lors de l’inoculation expérimentale de l’agent infectieux, la PrPres qui s’accumule dans le cerveau du receveur provient de la transformation de sa propre PrPc, et non de la PrPres du donneur qui ne sert que de modèle.

Le prion du donneur entre donc en interférence avec l’hôte, en déréglant son métabolisme et en induisant la synthèse de novo par cet hôte de son propre prion pathogène ; il s’agit d’un phénomène posttraductionnel puisque la quantité d’ARNm reste normale, de même que le débit de synthèse de la PrPc.

Ainsi pourrait s’expliquer l’absence de réaction immunitaire de l’hôte puisque c’est son propre prion qu’il synthétise.

Enfin, il n’a pas été possible jusqu’à l’heure actuelle d’expliquer la réplication de la particule infectante par une molécule informationnelle spécifique de type acide nucléique qui lui serait intimement associée.

En effet, tous les procédés visant à mettre en évidence un acide nucléique ont échoué, et ceux qui détruisent les acides nucléiques ne paraissent en rien affecter la réplication de l’agent infectieux.

Aspects génétiques des ESTH :

A – Gène :

Très vite après l’individualisation et la purification de la protéine prion en 1981, l’intérêt des généticiens se porta vers le gène codant pour cette protéine : en quelques années, il fut localisé, cloné et séquencé par Weissmann et ses collaborateurs, en 1985.

Il fut baptisé PRNP chez l’homme, Prnp chez la souris, et le PrP gène pour les autres espèces animales.

C’est un gène cellulaire simple localisé chez l’homme sur le bras court du chromosome 20 et identifié chez tous les mammifères étudiés ; on n’en connaît pas d’homologue chez les autres vertébrés.

Il semble donc être un gène apparu tardivement dans l’histoire de l’Évolution et s’être conservé sans grand changement structural chez les mammifères.

Il est constitué selon l’espèce par un promoteur, puis par deux ou trois exons (un ou deux petits et un beaucoup plus long) et par un ou deux introns séparant le ou les petits exons de l’exon principal.

Chez l’homme, il n’y a qu’un seul petit exon, codant pour la séquence 5’ leader du PrP-ARNm et dont le rôle dans la régulation de la synthèse de la PrP est encore inconnu ; un seul intron de 10 kilobases le sépare de l’exon principal.

Celui-ci contient à lui seul la partie codante de 2350 paires de bases, dont la première moitié comporte plusieurs répétitions ; il n’y a donc pas de mécanisme d’épissage alternatif pour aboutir à la synthèse de la protéine.

Le gène présente encore deux sites de N-glycosylation : l’un sur le codon 181, l’autre sur le 197, conditionnant au niveau de la PrP l’existence de trois types possibles de PrP non, mono-, ou diglycosylées, dont l’intérêt sera exposé plus loin.

B – Polymorphismes :

Il existe à l’état normal plusieurs polymorphismes dans la séquence codante du gène ; certains semblent dépourvus de signification, mais d’autres jouent probablement un rôle ; c’est le cas du codon 129 qui code soit pour la méthionine (M), soit pour la valine (V), avec dans la population générale environ 50 %de sujets hétérozygotesMV, 40 %d’homozygotesMMet 10 % de VV.

Ce polymorphisme apparemment cliniquement silencieux joue un rôle sûrement important en pathologie humaine, notamment dans les MCJ sporadiques, dans les formes infectieuses acquises et dans certaines formes familiales : il semble modifier la durée d’incubation des maladies, leur rapidité d’évolution et leur expression phénotypique, et représente donc l’un des déterminants majeurs de la prédisposition à ces maladies.

Il semble bien en effet que l’homozygotie au codon 129 constitue l’un des facteurs clés dans la susceptibilité à l’agent infectant, peut-être en induisant certaines conformations moléculaires favorisant la transition entre hélices alpha et feuillets bêta et en permettant l’apparition de structures dimériques plus stables de la protéine à la surface des neurones.

Cette action est à rapprocher de l’emplacement spatial de l’aminoacide 129 dans la molécule, dans une zone en feuillet bêta plissé particulièrement importante pour les interactions PrPc et PrPres.

C – Mutations :

Comme tout gène de structure, celui de la PrP est susceptible de subir des mutations.

Très vite, l’intérêt des généticiens se porta vers l’étude des formes familiales des EST, dont la transmission se fait selon un mode vertical autosomique dominant, de génération à génération, et jamais selon un mode horizontal.

Ces études conduisirent à la découverte en 1989 d’une mutation dominante génétiquement liée au développement d’une EST humaine, la maladie ou syndrome de Gertsmann-Straüssler-Scheincker (SGSS), puis à la découverte d’autres mutations dans les maladies familiales voisines, ces mutations ne modifiant d’ailleurs en rien le caractère expérimentalement transmissible de ces maladies.

Ainsi, à côté de la composante proprement infectieuse, se trouvaient mises en relief l’existence de la composante génétique et son importance pathogénique, comme en atteste l’apparition d’une EST chez une souris transgénique ayant reçu dans son génome plusieurs copies de la mutation équivalente du SGSS.

De nombreuses anomalies du gène ont été publiées : certains de ces génotypes correspondent à des phénotypes connus, c’est-à-dire à des maladies apparemment « standards » ; d’autres semblent déterminer au contraire une expression phénotypique un peu différente et exprimer des caractères inhabituels à la maladie.

Presque toutes les mutations individualisées sont considérées comme causales et concernent des maladies familiales ; elles sont hétérozygotes dominantes ; au contraire dans les formes sporadiques très peu de mutations ont été découvertes, et sont très probablement silencieuses.

Actuellement trois types d’anomalies du gène ont été répertoriés : des mutations ponctuelles, des insertions de séquences répétitives et, très rarement, des délétions.

Les mutations ponctuelles, les plus fréquentes, correspondent au changement d’une base dans l’ADN, entraînant le remplacement d’un aminoacide par un autre dans la séquence de la PrP (mutations faux-sens) ou l’arrêt de sa synthèse (mutations non-sens).

Actuellement, 14 points de mutations ont été publiés : ils déterminent selon les cas un phénotype MCJ, SGSS ou d’insomnie fatale familiale (IFF), avec des variations dans leur expression clinique, notamment neurologique ou démentielle, dans l’âge de début de la maladie et sa durée, et dans leur expression neuropathologique.

Les insertions de séquences répétitives octapeptidiques siègent toutes dans la partie N-terminale du gène, entre les codons 51 et 91 ; elles sont de longueur variable et comportent de 96 à 216 paires de bases, avec toujours un multiple de 24.

Leur phénotype réalise le plus souvent le SGSS, et parfois des tableaux cliniques atypiques publiés comme « démences familiales à prion ».

Les délétions sont infiniment plus rares : elles sont toutes localisées dans la région initiale du gène codant pour les octapeptides répétés et ne modifient pas le cadre de lecture.

Il est probable qu’elles correspondent à des polymorphismes neutres et qu’elles sont dépourvues de toute responsabilité dans l’initiation de la maladie.

La signification de ces mutations est discutée.

Elles jouent très probablement un rôle important dans la prédisposition aux EST.

Sont-elles à elles seules, indépendamment de tout autre facteur, suffisantes pour faire apparaître la maladie ?

La question n’est pas résolue, mais il a été montré qu’une PrP mutante peut acquérir de novo certaines propriétés de la PrPres dans des lignées de culture cellulaire non infectées ; de plus, la localisation relativement fréquente de ces mutations dans les hélices alpha situées dans la partie centrale de la PrPc qui se transformeront en feuillets bêta dans la PrPres, renforce cette hypothèse.

Mais de nombreuses inconnues persistent et des travaux très récents indiquent que le comportement de la PrPc varie en fonction de la nature de la mutation.

Ainsi, pour certaines mutations (leucine 102, sérine 198, lysine 200, arginine 217), seul l’allèle muté de la PrPc se transforme en PrPres ; pour d’autres mutations (isoleucine 210), les deux allèles muté et non muté participent à la conversion.

Il existe donc tout un jeu d’interactions dans les transmissions génétiques d’une part, et entre transmissions génétiques et infectieuses d’autre part, dont le rôle est certain mais dont la trame reste encore énigmatique ; les théories du prion devront obligatoirement en tenir compte.

Fonctions biologiques de la prion-protéine :

La PrPc normale est une sialoglycoprotéine synthétisée dans le réticulum endoplasmique, modifiée dans l’appareil de Golgi et transportée à la surface des cellules ; elle est alors fixée à la membrane cellulaire par une ancre glycosylphosphatidylinositol (GPI) située dans la partie carboxyterminale de la molécule et attachée à l’aminoacide 231.

Elle possède par ailleurs deux sites de glycosylation et deux cystéines formant un pont disulfure.

La PrPc est une protéine presque ubiquitaire, mais avec une nette prédominance cérébrale, qui s’exprime en majorité à la surface des neurones, ceux du cerveau (surtout dans le néocortex), du thalamus et de l’hippocampe, mais aussi dans les ganglions rachidiens et les axones des nerfs crâniens et périphériques ; il y en a peu dans le cervelet ; les cellules gliales en expriment de petites quantités, 20 à 50 fois moins que dans les neurones.

En microscopie électronique, on a pu montrer qu’elle était colocalisée dans le bouton synaptique avec les protéines synaptiques.

En dehors du système nerveux central, elle s’exprime principalement à la surface des lymphocytes, des monocytes-macrophages et des cellules dendritiques folliculaires du système réticuloendothélial ; on a pu en localiser dans certains viscères, tels que la rate, les reins, les poumons, le tube digestif ; il y en a très peu dans le pancréas et le foie.

Elle existe dans les plaquettes sanguines, mais pas dans les hématies. Des études ultrastructurales d’immunomarquage à l’or colloïdal ont montré que la PrPc était aussi une protéine sécrétoire dans les cellules bronchiques et gastriques.

D’autres facteurs que le gène interviennent dans l’expression de la PrPc, notamment le facteur de croissance nerveuse (NGF), alors que l’HGH, l’insulin-like growth factor I (IGF I), le facteur de croissance épidermique (EGF), et le facteur de croissance fibroblastique (bFGF) ne jouent aucun rôle.

La fonction biologique normale de la protéine prion reste encore très mal connue.

Une fonction du type récepteur de l’acétylcholine a été suspectée, mais n’est plus guère retenue ; de même un contrôle par la PrP de la mitogenèse des lymphocytes, de la croissance des cellules gliales, n’a pas été vérifié.

Les données de la transgenèse et les techniques de greffe ont permis de répondre à un certain nombre de questions, mais en posent à leur tour d’autres.

Ainsi, les expériences sur des souris transgéniques « nulles », c’est-à-dire dépourvues du gène de la Prnp (PrP o-o), ont montré que la PrPc n’est pas indispensable à la survie, puisque ces souris se développent, se comportent et se reproduisent normalement ; toutefois il a été possible de mettre en évidence chez elles un certain degré d’appauvrissement en inhibiteurs synaptiques dans les neurones GABAergiques de l’hippocampe associés aux phénomènes d’apprentissage et de mémoire à long terme, une altération des rythmes circadiens réglant les périodes d’activité et de sommeil et la réponse à la privation de sommeil, et, chez des souris âgées, un certain degré d’ataxie avec perte de cellules de Purkinje du cervelet.

Ces expériences ont aussi permis de vérifier le rôle central que joue la PrPc dans les EST, puisque ces souris nulles résistent à l’inoculation intracérébrale de doses élevées de prion et ne déclarent pas de maladie.

Ainsi, la suppression du gène préserve de la maladie et sa réintroduction restaure la sensibilité de l’animal.

Les expériences de greffe vont dans le même sens : après greffe de tissu nerveux foetal de souris exprimant normalement le gène de la PrP dans le cerveau de souris Prnp o-o, l’inoculation intracérébrale de prion entraîne la destruction de la greffe, et de la greffe seule, le reste du cerveau restant sain.

Cette expérience montre clairement que seuls les neurones exprimant la PrPc étaient susceptibles d’être détruits par le prion.

À l’inverse, chez des souris transgéniques hyperexprimant le gène de la PrP, on a vu apparaître une encéphalopathie spongiforme létale avec une neuropathie périphérique et une myosite nécrosante, mais sans qu’on ait pu détecter la présence de PrPres dans le cerveau.

Ces résultats quelque peu surprenants n’ont pas encore reçu d’explication, mais tout se passe comme si l’hyperexpression de la PrP normale pouvait elle aussi jouer un rôle pathogène.

Enfin, on a montré en 1997 qu’il existait dans les extraits des cerveaux de souris « nulles » Prnp o-o une sévère réduction du cuivre et parallèlement une diminution de l’activité superoxyde-dismutase zinc/cuivre.

Ces expériences laissent supposer que la PrPc serait une métalloprotéine cuivre de la membrane cellulaire, régulant les mouvements du cuivre dans les cellules cérébrales.

On peut donc conclure, au moins temporairement, que la présence de la protéine prion normale est indispensable au développement des EST, que son excès est probablement pathogène, et qu’elle pourrait jouer un rôle de régulation de certains rythmes circadiens et du sommeil, et un rôle de stabilisation des phénomènes d’apprentissage et de mémoire ; il est possible que toutes ces actions passent par la régulation des mouvements intracellulaires du cuivre.

Données neuropathologiques des EST :

A – Lésions :

Quel que soit le type de l’EST, chez l’homme comme chez l’animal, il existe une triade neuropathologique caractéristique et connue de longue date : la perte neuronale, la spongiose, la gliose, la présence de ces trois éléments étant pratiquement constante.

Il n’y a jamais de signes inflammatoires : pas d’infiltrats de lymphocytes et de monocytes circulants, pas d’activation des monocytes résidants du cerveau.

La déperdition neuronale cérébrale est très importante, prédominant sur les couches profondes du cortex ; elle intéresse aussi les noyaux gris, particulièrement le thalamus, et le cortex cérébelleux. L’importance de cette destruction neuronale varie avec la durée de la maladie, la topographie des lésions et le type clinique réalisé.

La spongiose est le résultat de la coalescence de petites vacuoles qui s’étendent progressivement et qui prédominent dans le neuropile ; elle est volontiers importante dans les couches médianes du cortex et microkystique dans la couche moléculaire.

Ces vacuoles en microscopie électronique (ME) sont situées dans les prolongements dendritiques et sont limitées par une membrane.

Ici encore, la répartition des lésions est variable selon les régions du cortex, expliquant le manque de fiabilité de la biopsie cérébrale, et selon la durée de l’évolution.

La prolifération gliale est essentiellement astrocytaire et parallèle à la perte neuronale ; elle est d’apparition très précoce dans le cours de la maladie, volontiers « floride », et s’accompagne d’une hyperproduction de la protéine gliofibrillaire (GFAP), marqueur spécifique des astrocytes.

Cette hyperproduction intéresse l’ensemble du système nerveux central, et s’accompagne d’une augmentation du titre d’ARNm spécifique, donc de l’expression du gène de la GFAP selon un mécanisme transcriptionnel classique.

Des travaux récents sur culture de cellules astrogliales ont montré que cette prolifération est induite par la présence du fragment peptidique 106- 126 de la PrPres, laissant penser qu’elle résulte d’un processus réactionnel à l’accumulation de PrPres.

Les dépôts amyloïdes extracellulaires sont constants, mais souvent de trop petite taille pour être identifiés par les méthodes conventionnelles, et nécessitent alors le recours aux techniques immunochimiques antiprion.

De façon variable selon le type clinique réalisé, on peut mettre en évidence des dépôts plus volumineux, les plaques amyloïdes, de morphologie diverse (type « kuru », « multicentrique » ou « floride ») et d’abondance variable ; toutes réagissent, comme les petits dépôts, aux anticorps antiprion.

B – Mécanisme et déterminisme de la mort neuronale :

Ils sont encore imparfaitement connus, mais on sait maintenant que la mort neuronale résulte d’une apoptose et non d’une nécrose inflammatoire, comme le démontrent les études histologiques et ultrastructurales chez la souris et les recherches sur cultures de neurones.

Cette apoptose semble résulter de l’effet toxique sur les neurones du fragment polypeptidique 106-126 contenu dans la partie N-terminale de la PrPres riche en feuillets bêta plissés, probablement par une activation de la production de radicaux libres.

Dans la PrPc, ce fragment semble avoir une haute propension à former des feuillets bêta plissés, stables dans la PrPres, et à polymériser spontanément in vitro sous forme de fibrilles ayant une biréfringence de type amyloïde.

Cet effet apoptogène nécessite la présence de cellules microgliales dans la culture et également celle de PrPc à la surface des cellules, puisque chez la souris « nulle » cet effet n’apparaît pas.

Ces données suggèrent donc que la mort neuronale pourrait résulter de l’interaction directe entre le peptide 106- 126 de la PrPres neuronale et la PrP des cellules microgliales, avec libération par celles-ci de cytokines et/ou de facteurs neurotoxiques.

C – Mécanismes de la neuro-invasion :

Ils commencent à être mieux connus et les expériences conduites chez l’animal depuis une vingtaine d’années ont permis de préciser un certain nombre de points essentiels.

Ainsi chez le rongeur, après inoculation sous-cutanée ou intramusculaire d’extraits purifiés de cerveaux infectés, l’infectiosité apparaît en premier lieu dans le système réticuloendothélial, rate et formations lymphoïdes (ganglions lymphatiques, amygdales, thymus, glandes salivaires), et ceci bien avant le système nerveux central, durant la phase muette, préclinique de la maladie.

Il a été prouvé en 1997 que le support de cette infectiosité était le lymphocyte B et que c’était dans cette cellule qu’avait lieu la première phase de réplication du prion ; le lymphocyte T exprime la PrPres, mais est incapable de la propager.

Cette voie principale de propagation imputable au lymphocyte B se fait par l’intermédiaire des cellules dendritiques folliculaires, cellules de soutien du système réticuloendothélial ; les immunoglobulines sécrétées par les lymphocytes B n’interviennent pas.

On notera que cette infection du système immunitaire semble n’avoir aucune conséquence fonctionnelle majeure et qu’il supporte la réplication du prion sans dommage apparent.

Puis la transmission de l’agent infectant se fait par l’intermédiaire du sang vers les divers organes et enfin vers le système nerveux central ; le transfert physique de l’agent transporté par les lymphocytes aux neurones doit faire intervenir une molécule de type ligand, probablement une protéine ayant une affinité particulière pour la PrPres.

Il est également vraisemblable que, pour une petite part, l’infection puisse remonter le long des nerfs splanchniques innervant les formations lymphoïdes.

Lorsque l’on utilise une voie de contamination orale, la propagation semble se faire par l’intermédiaire des plaques de Peyer de l’intestin, le long des nerfs viscéraux du tube digestif vers la moelle thoracique de T4 à T9, et de là vers la moelle cervicale et le cerveau par voie antérograde, puis vers la moelle lombaire par voie rétrograde ; elle ne descend pas plus loin et respecte la queue de cheval.

Les expériences d’inoculation par voie intrapéritonéale semblent aussi indiquer l’existence d’une seconde voie de transmission vers le système nerveux central, accessoire, qui ne passe pas par le système réticuloendothélial, mais qui se propage directement par les nerfs splanchniques vers la moelle.

Il est en effet possible, bien que plus difficile, d’infecter par cette voie les hamsters splénectomisés, ou des souris atteintes de déficit immunitaire combiné sévère, dépourvues de cellules B.

Quoi qu’il en soit, l’importance du système réticuloendothélial dans la genèse de la neuro-invasion reste essentielle ; elle a offert la possibilité de poser le diagnostic de tremblante chez le mouton par biopsie des ganglions lymphatiques, par biopsie de l’amygdale au stade préclinique de la maladie, permettant théoriquement d’apporter chez l’homme un moyen simple de diagnostic une fois la maladie suspectée ; cependant cet espoir, bien qu’étayé par l’étude du tissu amygdalien prélevé lors de l’autopsie chez quelques malades, a été quelque peu déçu.

Il est donc nécessaire d’attendre confirmation.

Diversité des prions et diverses souches :

Dès 1961, Pattison et Millson avaient reconnu qu’il existait des différences cliniques parmi les chèvres atteintes de tremblante, et notamment une forme apathique et une forme prurigineuse.

Ces constatations et d’autres suggéraient l’existence de diverses « souches » de l’agent de la tremblante, ce qui fut ensuite amplement confirmé par les études expérimentales du groupe de Dickinson.

Ces travaux ont montré que chaque souche possédait des caractéristiques spécifiques portant sur la durée d’incubation de la maladie expérimentale qu’elle provoquait, sur les signes cliniques et le profil neuropathologique des lésions résultant de l’atteinte de populations neuronales différentes, sur la distribution spatiotemporelle cérébrale de la PrPres, sur les propriétés physicochimiques du prion, et enfin sur les caractères de transmissibilité interespèce avec des possibilités variables de franchissement de la barrière, sans qu’on ait pu jusqu’à présent isoler de marqueurs biochimiques spécifiques.

Ainsi, un véritable profil lésionnel caractéristique, reconnaissable et reproductible, a pu être attribué à chaque souche, avec des différences structurales faibles et de minimes variations de masse moléculaire.

Il faut remarquer que ce profil spécifique reste en général inchangé lors des passages successifs chez divers animaux de même espèce, mais que l’hôte et son génotype peuvent tout de même imprimer leur influence sur les diverses souches, en particulier pour les durées d’incubation, et jouer un rôle modulateur sur l’expression phénotypique de la maladie, notamment selon la nature du codon 129.

On notera par ailleurs que la stabilité des souches est variable, certaines très stables, d’autres pouvant se modifier lors des passages successifs, et qu’il existe un phénomène de compétition entre souches dont le support moléculaire est encore inconnu, les souches à incubation longue protégeant des souches à incubation courte et empêchant ou retardant leur réplication et la maladie.

La découverte de souches diverses est, sur le plan théorique, plutôt en faveur de la présence d’une information génétique indépendante et spécifique associée à la PrPres, mais certaines expériences récentes ne sont pas incompatibles avec une explication purement transconformationnelle de ces variations.

On connaît maintenant une vingtaine de souches chez le mouton, plusieurs chez le vison et d’autres animaux, avec cependant moins de variants dans les EST animales naturelles que chez les animaux de laboratoire.

Pour l’ESB, il existe au contraire une remarquable uniformité, avec une seule souche, malgré les origines différentes des vaches malades et malgré des études à des moments variables de l’épizootie ; ses caractéristiques sont différentes des souches de tremblante.

Il est possible que son passage à forte température lors de la préparation des farines contaminantes, vraisemblablement responsables de la maladie, ait entraîné la sélection d’une souche variante de tremblante ; cependant, il peut aussi s’agir de l’amplification par le même procédé d’une souche bovine naturelle, ou encore de l’émergence spontanée d’une souche naturelle hautement infectante.

En ce qui concerne les EST humaines, les recherches sont plus récentes, mais les études de la migration électrophorétique et de la glycosylation des prions , les études de durée d’incubation et de quantification lésionnelle et les expériences de transgenèse vont aussi dans le sens d’une certaine diversité des souches responsables des maladies humaines.

Des homogénats purifiés de cerveaux de sujets atteints d’EST humaines furent soumis à l’action de la protéinase K qui clive le domaine aminoterminal de la PrPres, laissant en place le domaine carboxyterminal porteur des sites de glycosylation de la molécule ; ce dernier domaine, soumis à l’action d’anticorps monoclonaux antiPrPres, fait apparaître en western blot trois bandes de pm 20 à 30 000, di-, mono-, non glycosylées, avec quelques petites différences dans leur mobilité et leur intensité ; les proportions respectives de ces trois bandes permettent de définir quatre types de migration, correspondant chacun à un ou plusieurs types différents de maladies humaines et sans doute à des souches spécifiques et différentes de prion.

Ces travaux remarquables ont deux conséquences : d’une part, ils suggèrent que le profil de la PrPres dépendrait à la fois de sa conformation spatiale et de son niveau de glycosylation, et qu’il serait modulé à la fois par la nature de l’agent infectieux et par le génotype de l’hôte ; d’autre part, ils permettent d’envisager une nouvelle classification plus physiopathologique des EST humaines qui tiendrait compte de la nature biochimique de l’agent infectieux et des caractères génétiques des patients.

Enfin, la mise en évidence de ces différentes souches soulève la possibilité théorique de l’existence de souches endogènes naturelles non pathogènes qui, par leur présence, joueraient un rôle protecteur, comme le suggèrent certaines données expérimentales qui demandent à être confirmées.

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