Medix cours de médecine en ligne – Encyclopédie Médicale

Maladies à prion ou encéphalopathies spongiformes transmissibles (Suite)

Première partie

Théories pathogéniques :

De ce qui précède, on doit reconnaître qu’on est encore incapable de donner une explication claire et cohérente des maladies à prion.

Il semble cependant certain que le prion joue un rôle central, comme en attestent les faits suivants :

– il y a accumulation d’une protéine normale du système nerveux central, la PrPc, sous une forme pathologique, la PrPres, sans qu’il y ait de modification desARNm qui en déterminent la synthèse ;

– l’accumulation de PrPres est parallèle à la mort neuronale ;

– l’infectivité copurifie avec la PrPres ;

– l’infection est transmissible et la susceptibilité de l’hôte est codéterminée par le prion inoculé et par le gène propre de l’hôte ;

– l’ablation du gène de la PrP rend l’animal résistant à l’inoculation des EST et sa réintroduction restaure sa sensibilité ;

– une mutation du gène de la PrP peut déterminer la maladie sans infection exogène identifiable ;

– il a toujours été impossible de mettre en évidence un acide nucléique au sein de la protéine ;

– il y a de nombreuses souches de prion, notion compatible soit avec la présence d’un acide nucléique caché et l’existence de mutations à son niveau, soit avec un changement conformationnel et structural de la molécule.

La question est donc de savoir s’il y a un ATNC comportant un acide nucléique, associé à la protéine prion et responsable de l’infectiosité, ou bien si la protéine modifiée peut être par elle-même l’agent pathogène.

A – Théories de l’ATNC contenant un génome indépendant :

1- Théorie du virus conventionnel non encore isolé :

Cette théorie est maintenant abandonnée, sur le contraste entre les titres infectieux élevés et l’absence de détection de structures virales en microscopie électronique, et sur l’absence de tout signe inflammatoire et de toute réponse immunitaire.

Il en est de même pour la théorie du viroïde végétal avec un analogue animal.

2- Théorie des « scrapie associated fibrils » (SAF) :

Après avoir mis en évidence des structures fibrillaires en microscopie électronique dont on sait maintenant qu’elles sont constituées de prion, Merz et al ont montré qu’il existait entre les filaments un espace suffisant pour un acide nucléique monobrin protégé par la molécule de PrPres.

Cette hypothèse a fait l’objet de nombreuses critiques et objections, mais la discussion a été réactivée récemment par les travaux d’Ozel et Diringer, qui ont réussi à isoler à partir de fractions enrichies de SAF des particules pentagonales de structure tridimensionnelle uniforme, plus petites que les plus petits virus connus, redonnant espoir aux tenants de la théorie du virus ADN.

Ces découvertes demandent confirmation.

3- Théorie du rétrovirus :

Elle est défendue avec vigueur par certains chercheurs, et notamment par le groupe de Manuelidis, en raison de l’affinité de certains rétrovirus pour le cerveau et les membranes cellulaires sans induire de réactions inflammatoires.

La découverte de séquences d’ARN potentiellement rétrovirales copurifiant avec l’infectiosité et partiellement résistantes aux nucléases pourrait aller dans ce sens, mais ici encore, ces travaux demandent confirmation.

B – Théories de l’ATNC dépourvu de génome :

1- Théorie du prion ou de la « protéine-seule » :

Elle a été élaborée par Prusiner et al et faisait appel initialement au concept nouveau de la protéine autoréplicable infectieuse par elle-même, la PrPres stimulant sa propre synthèse puisqu’aucun acide nucléique ne pouvait être mis en évidence.

Cette hypothèse quelque peu hérétique fut actualisée ultérieurement et fait appel à la conversion post-translationnelle de la PrPc normale ou d’un précurseur en PrPres et à l’accumulation exponentielle de celle-ci.

Cette conversion ne serait pas de nature biochimique mais biophysique, conformationnelle, et serait due à la transformation des hélices alpha majoritaires dans la PrPc en feuillets bêta plissés, conduisant à une conformation spatiale nouvelle et pathologique de la molécule, allant de pair avec l’acquisition des propriétés infectieuses et pathogènes, et sans modification détectable de l’expression du gène et de la synthèse de PrPc normale par l’individu infecté. Deux modèles sont proposés pour expliquer ce changement de forme : soit la formation d’un dimère PrPc-PrPres puis d’un polymère de plus en plus riche en PrPres, soit un modèle dans lequel la PrPres servirait de moule, de matrice, à la conversion de la PrPc.

Dans les EST « infectieuses », c’est-à-dire acquises, la PrPres exogène convertirait la PrPc de l’hôte.

Dans les formes familiales, la PrPc mutée se convertirait spontanément en PrPres.

Dans les formes sporadiques, certaines molécules de PrPc se convertiraient spontanément, selon un phénomène stochastique en relation avec la propension à acquérir une conformation de type res, ou sous d’autres influences non encore connues, telles qu’une mutation somatique.

Il existe maintenant des arguments expérimentaux en faveur de cette théorie.

Les études ultrastructurales en spectroscopie infrarouge et dichroïsme circulaire, et en résonance magnétique nucléaire, ont en grande partie confirmé la réalité de ce changement structural.

La conversion a pu être observée en culture cellulaire, mais aussi et surtout in vitro en système acellulaire, c’est-à-dire en tube à essai, dans des conditions expérimentales excluant le rôle éventuel d’un acide nucléique.

Mais il reste à démontrer que cette PrPres transconformée in vitro acquiert les propriétés infectieuses.

Enfin des arguments indirects mais forts ont été apportés par la mise en évidence de phénomènes très similaires chez la levure Saccharomyces cerevisiae : cette levure peut présenter trois phénotypes selon l’utilisation de l’acide uréidosuccinique pour la régulation de son mécanisme azoté ; les deux premiers, URE 1 et 2, sont dus à des mutations mendéliennes classiques ; le troisième, [URE 3], est une forme anormale, non fonctionnelle, toxique pour la levure, qui résulte de la transconformation spatiale de URE 2, sans intervention d’acide nucléique.

Ainsi la forme altérée de URE 2 responsable du phénotype [URE 3] peut se former spontanément et convertir la forme normale de la protéine selon un processus invasif de type infectieux, purement physique, comparable à celui des EST.

Un phénomène du même type a été également reconnu avec le déterminant PSI chez la même levure.

Mais a contrario d’autres faits expérimentaux cadrent mal avec la théorie de Prusiner, qu’ils remettent partiellement en cause :

– plusieurs cas de transmission expérimentale d’EST sans accumulation de PrPres ont été rapportés ;

– une série d’expériences sur certaines races de hamsters traités par l’amphotéricine B et infectés par des cerveaux de tremblante, a permis d’observer un allongement dans la durée d’incubation et une dissociation entre la courbe d’accumulation de la PrPres et l’évolution du titre infectieux au cours du temps.

Ces faits sont en faveur du rôle lésionnel de la PrPres sur les neurones, mais tendent à remettre en cause l’identification du prion à l’agent infectieux lui-même ;

– les expériences de transmission de l’ESB à la souris donnent des résultats analogues, avec une dissociation entre infectiosité et présence de PrPres, l’infectiosité allant de pair avec la mort neuronale, et l’accumulation de PrPres avec la spongiose et la gliose ;

– enfin les toutes dernières expériences de Race et Chesebro plaident aussi en faveur d’une telle dissociation, avec, dans certaines conditions expérimentales, persistance d’une infectivité intracérébrale latente et muette, alors qu’il n’y a pas ou très peu de réplication des prions inoculés.

Tous ces faits suggèrent qu’il y aurait un agent infectieux associé à la PrPres mais indépendant, que cet agent pourrait se répliquer et se transmettre sans accumulation de PrPres, et que celle-ci ne constituerait que le facteur principal de toxicité neuronale responsable des lésions spongiformes.

Il n’y a donc à l’heure actuelle aucune preuve décisive et indiscutable de la théorie du prion, et l’identité de la PrPres et de l’agent infectieux reste à démontrer formellement.

2- Théorie des molécules chaperonnes :

Elle n’est pas en contradiction avec la théorie du prion, qu’elle pourrait en quelque sorte appuyer.

Ces molécules chaperonnes ont pour rôle de participer au repliement des protéines structurales dans des conformations aptes à leur fonction, certaines pouvant d’ailleurs être leur propre chaperon.

On peut donc supposer que le prion serait une molécule chaperonne mal repliée.

Cette hypothèse est à rapprocher de faits expérimentaux récents qui montreraient que la constitution d’un dimère PrPc-PrPres ne peut suffire à expliquer à lui seul la transconformation, et qu’un facteur complémentaire, le facteur x, est nécessaire ; la nature de ce facteur est encore inconnue, mais il pourrait s’agir d’une molécule chaperonne.

3- Théorie de l’antiprion :

L’analyse des séquences du gène codant pour la PrP a révélé qu’il pourrait être à l’origine de la synthèse d’ARN antisens, codant pour une protéine antiprion, l’interaction des deux protéines déclenchant la maladie.

Cette théorie reste pour l’instant purement spéculative et le rôle éventuel de ce transcrit ARN reste mystérieux.

C – Théories « mixtes » :

Elles essayent de concilier les précédentes.

1- Théorie du virino :

C’est l’hypothèse de l’école anglaise de Dickinson et Kimberlin.

L’agent infectieux serait un « virino », particule munie d’une information génétique, pouvant se répliquer, mais entourée de molécules protéolipidiques appartenant à l’hôte et notamment de PrPres, ce qui lui permettrait d’échapper à toute réaction immunitaire et à sa détection.

Cette théorie explique la multiplicité et la variabilité des souches de prion, la possibilité de leurs mutations, mais ici encore le support de l’information génétique n’a pas été découvert.

2- Théorie de l’holoprion :

Elle a été proposée par Weissmann pour tenter d’unifier les précédentes et notamment celles du prion et du virino : la PrPres ou « apoprion » initierait le processus neuropathologique et serait associée à un « coprion » qui pourrait être un petit acide nucléique héritable et transmissible, codé par le génome de l’hôte ou acquis, et qui serait responsable de l’infectiosité et de la diversité des souches.

Ainsi, apoprion et coprion seraient étroitement associés en un « holoprion » dont la réplication serait dépendante d’un double mécanisme, l’acide nucléique polymérisé par la machinerie cellulaire et la PrPres provenant de l’interaction PrPc-PrPres.

Mais cette théorie intéressante bute aussi sur l’impossibilité de démontrer l’existence du coprion.

Tel était l’état du problème en 1998 : aucune des diverses propositions n’est pleinement satisfaisante, certaines sont même contradictoires et aucune n’explique à elle seule toutes les données cliniques, épidémiologiques et expérimentales des maladies à prion.

De plus, les expériences de Race et Chesebro, citées plus haut, posent de nouvelles questions : elles révèlent que chez certaines espèces résistantes, l’inoculation intracérébrale de prion ne donne aucune maladie, mais laisse persister dans les cerveaux une infection potentielle, silencieuse, susceptible d’être transmise à des espèces sensibles, sans qu’il y ait de réplication locale de prion, posant ainsi le problème de l’existence de sujets « réservoirs » cliniquement silencieux, mais éventuellement dangereux pour des sujets sensibles.

EST humaines :

Elles comprennent plusieurs affections dont la moins rare est la MCJ.

Le mécanisme de leur apparition est triple, sporadique, infectieux (acquis), génétique (familial), et permet de proposer une classification relativement satisfaisante en attendant une classification fondée sur des bases de biochimie et de biologie moléculaire.

A – MCJ sporadique :

Décrite en 1920 par Creutzfeldt et en 1921 par Jakob, son unité fut ensuite remise en question par Nevin en 1960, puis réunifiée par Kirschbaum en 1968.

Le regain récent d’intérêt pour cette maladie est directement lié à la description du kuru par Gajdusek et Zigas et de sa neuropathologie par Klatzo qui avait été frappé par la similitude des lésions cérébrales avec celles de la MCJ ; la transmission expérimentale du kuru au chimpanzé allait d’ailleurs être rapidement suivie par celle de la MCJ.

Puis vinrent les grandes enquêtes épidémiologiques un peu partout dans le monde à partir de 1970-1975.

L’incidence globale de la maladie est d’environ 0,5 à 1,2 cas par million d’habitants et par an, un peu plus dans les zones urbaines, avec une distribution ubiquitaire et une fréquence stable et comparable partout dans le monde.

La forme sporadique représente environ 90 % de la totalité des cas d’EST humaines ; l’âge de début s’échelonne de 16 à 83 ans avec un net plateau entre 55 et 75 ans et une moyenne de 61 ans ; on notera l’existence d’un tout petit nombre de formes juvéniles, de 16 à 30 ans, sans autre caractère particulier, et dont l’explication est inconnue.

Il y a un petit excès de femmes, non significatif.

1- Clinique :

Une fois sur quatre, des prodromes sont remarqués dans les semaines précédant le début ou retrouvés rétrospectivement : asthénie, anxiété, troubles du sommeil et du comportement alimentaire, perte de poids.

Dans les autres cas, la maladie commence d’emblée par des symptômes attribuables à une atteinte du système nerveux central ; ces troubles s’installent le plus souvent insidieusement, mais parfois rapidement, en quelques jours.

Il existe en effet un petit nombre de cas (13 %environ) chez lesquels le début se fait assez brusquement, sans qu’il y ait eu de prodromes.

Le premier signe de la maladie peut être un épisode de confusion mentale, un vertige, une diplopie, une vision trouble, ou plus rarement une sensation d’instabilité, une maladresse des gestes, un tremblement, une parésie ou des paresthésies d’un membre.

Dans les formes habituelles à début subaigu (87 %), la maladie peut revêtir plusieurs aspects sémiologiques :

– dans 35 %des cas, ce sont des troubles mentaux qui ouvrent la scène : perte graduelle de mémoire, impossibilité de se rappeler les événements et les noms récents, difficulté à se repérer en environnement familier, un certain degré de confusion mentale ; des troubles comportementaux s’y associent souvent, un état dépressif ou agité, rarement agressif ; l’atteinte des fonctions corticales supérieures est souvent manifeste, avec difficulté à trouver les mots, à compter, à écrire correctement ;

– dans 34 % des cas, ce sont des signes proprement neurologiques qui apparaissent, avec une nette prédominance cérébelleuse : maladresse, mauvaise coordination, ataxie, nystagmus ; plus rares sont les vertiges, le tremblement, la dysarthrie.

Des troubles visuels s’y associent habituellement : diplopie, hallucinations, anomalies de la vision des couleurs, distorsion des formes ou hémianopsie ; moins fréquents sont les céphalées, les mouvements involontaires, les paresthésies ;

– enfin, dans 31 %, les signes neurologiques et mentaux apparaissent simultanément.

Ainsi se trouvent réalisés au début des tableaux cliniques assez différents, qui vont avoir en commun une aggravation lentement progressive sur quelques semaines, tandis qu’ils se complètent graduellement.

Après quelques temps d’évolution en effet, il est habituel de retrouver une détérioration mentale manifeste, un syndrome cérébelleux évident, statique et cinétique, des troubles nets de l’oculomotricité, une diplopie, un syndrome de Parinaud.

S’y associent souvent des tremblements, des mouvements involontaires variés, choréiques, athétosiques, balliques ou plus complexes, une rigidité extrapyramidale, de petits signes d’atteinte pyramidale avec vivacité des réflexes, parfois même chez quelques patients des signes d’atteinte du second neurone moteur.

Enfin, des myoclonies brusques apparaissent dans 80 à 90 %des cas, spontanées ou induites ; survenant dans ce contexte, elles sont en elles-mêmes très évocatrices, souvent associées à des décharges périodiques à l’électroencéphalogramme.

Des convulsions peuvent survenir, mais elles ne sont pas très fréquentes ; tous les types peuvent se voir : crises généralisées, crises partielles, parfois même épilepsie partielle continue.

Enfin, des troubles végétatifs sont souvent signalés : modification de l’appétit, de la soif, de la libido, épisodes récurrents d’hyperthermie, d’hypersudation, de fluctuations tensionnelles.

Puis la maladie évolue vite : le syndrome cérébelleux s’aggrave, surtout l’ataxie qui va interdire la marche en quelques mois.

Et chez ces malades devenus grabataires et incontinents, la démence se complète, souvent terminée par un stade de mutisme ; une cécité mixte, rétinienne et corticale, apparaît, et les troubles de déglutition se majorent progressivement.

La durée totale de la maladie ne dépasse pas 1 an dans 90 %des cas ; 5 %des sujets meurent dans l’année suivante ; le reste peut avoir des évolutions prolongées pendant plusieurs années.

Curieusement, la durée de vie moyenne des malades japonais paraît un peu plus longue.

Quelques formes cliniques particulières ont été décrites, avec une symptomatologie un peu atypique allant volontiers de pair avec une distribution inhabituelle des lésions neuropathologiques ; furent ainsi décrites des formes « occipitales », « thalamiques », « striatonigrales », « cérébelleuses », « amyotrophiques », « oculomotrices », « panencéphalopathiques ».

Cette possible variabilité du tableau clinique, comme celle de l’âge des malades au début, de la durée d’évolution et de l’allure évolutive, réalise finalement un continuum de profils cliniques centrés sur une forme typique avec une évolution subaiguë, une détérioration mentale progressive, une ataxie, des troubles visuels et des myoclonies. Deux facteurs jouent probablement un rôle dans ces variations : un facteur exogène imputable à l’agent pathogène et aux diverses souches de prion, un facteur endogène imputable à l’hôte et très probablement en partie génétique.

2- Examens paracliniques :

Ils ne sont pas d’un très grand secours pratique pour le diagnostic.

Les examens usuels sont normaux.

La ponction lombaire est normale ; des recherches récentes offrent toutefois un espoir avec l’identification en électrophorèse bidimensionnelle de certaines protéines anormales du liquide céphalorachidien qui seraient, sinon spécifiques, du moins très évocatrices de la maladie, notamment la protéine 14.3.3., l’énolase S100 et peut-être la protéine 130-131.

L’électroencéphalogramme est intéressant à suivre : l’élément le plus caractéristique, mais non spécifique, est l’apparition de décharges périodiques régulières, bi- ou triphasiques, généralisées, lentes, qui apparaissent après quelques temps d’évolution, durent quelques semaines, puis disparaissent tandis que le tracé s’appauvrit progressivement.

Elles coïncident souvent mais pas toujours avec des myoclonies ; leur apparition chez un sujet dément est très évocatrice mais leur absence, dans 20 à 30 % des cas, ne doit pas faire récuser le diagnostic.

L’imagerie neuroradiologique est peu contributive et ne révèle que tardivement des images non spécifiques d’atrophie cérébrale ; dans certains cas cependant, des anomalies plus précoces ont été signalées en IRM, notamment dans les noyaux gris, et parfois dans le cortex.

Finalement, le diagnostic est difficile, du moins du vivant du malade ; le diagnostic de probabilité repose sur la triade démence-myoclonies-complexes périodiques, qui est souvent tardive.

La certitude doit faire appel à l’examen direct du cerveau et à l’inoculation à l’animal.

L’examen direct devra le plus souvent attendre l’autopsie, la répartition des lésions étant variable selon les régions du cortex, expliquant le manque de fiabilité de la biopsie cérébrale ; quant à l’inoculation à l’animal, elle donne une réponse tardive plusieurs mois après l’inoculation ; elle peut être positive du vivant du malade, à partir du sang ou de l’urine par exemple, mais cette positivité est irrégulière et inconstante.

Rappelons que l’examen direct du cerveau fait appel en première approche à l’étude morphologique : la neuropathologie classique en microscopie optique reste l’examen essentiel, révélant la spongiose, une gliose volontiers floride, une raréfaction neuronale ; les plaques amyloïdes caractéristiques sont ici peu fréquentes.

Dans les cas difficiles, il faut donc faire appel à d’autres techniques plus récentes et très performantes, mais aussi plus délicates comme l’immunohistochimie, l’histoblot ou encore le western blot très sensible, et plus accessoirement à la morphologie en microscopie électronique, assez peu utilisée.

C’est en particulier la technique d’étude par western blot de la migration électrophorétique et de la glycosylation du prion qui a permis d’isoler dans les MCJ sporadiques deux types de PrPres et, en fonction du génotype du codon 129, quatre groupes de malades : le type 1 (méthionine homozygote MM) et trois types 2 (MM, valine homozygote VV et MV), avec pour chacun des caractères clinicopathologiques un peu différents, expliquant certaines des formes cliniques vues précédemment.

3- Transmission expérimentale à l’animal :

La première transmission historique remonte à 1968 chez le chimpanzé. Par la suite, de nombreuses espèces se sont avérées réceptives : chat, furet, cobaye, hamster, rat, souris, vison, singes de l’Ancien et du Nouveau Monde.

Curieusement certaines espèces sont presque complètement réfractaires, comme le mouton, la chèvre, le cochon, alors que d’autres sont très sensibles, comme le chat, les rongeurs et surtout les primates, avec des durées d’incubation variables d’une espèce à l’autre, en général de 11 à 24 mois.

Mais il faut souligner que cette transmission reste aléatoire, qu’elle varie avec la dose infectante et le mode d’inoculation ; la voie intracérébrale est de toute façon beaucoup plus régulière que les autres voies, mais la voie orodigestive est cependant possible.

Dans les aléas de cette transmission, il semble que le type de la souche humaine inoculée et la nature du polymorphisme 129 jouent des rôles importants : ainsi pour les MCJ sporadiques types 1 et 2 MM, la réussite est régulière, alors qu’elle apparaît beaucoup plus difficile pour les génotypes VV et MV.

D’autres tissus que le cerveau permettent aussi de transmettre la maladie à l’animal, mais plus difficilement ; rappelons cependant l’expérimentation de Tamai et al à partir d’une femme enceinte atteinte de MCJ sporadique et décédée peu après la naissance de son enfant : la transmission à la souris a été réussie par inoculation du cerveau, mais aussi du placenta, des leucocytes du cordon, du colostrum et du plasma.

4- Épidémiologie de la MCJ sporadique :

Son origine est inconnue et l’enquête épidémiologique est globalement négative, aucun facteur favorisant ou déclenchant indiscutable n’ayant pu être retrouvé ; l’incidence annuelle de la maladie est stable, notamment dans tous les pays européens.

Il faut toutefois signaler l’existence d’un excès d’interventions chirurgicales, surtout neurochirurgicales et ophtalmologiques, et de traumatismes physiques, par rapport à la population témoin. S’agit-il de simples coïncidences ?

De facteurs prédisposants ? Ou y a-t-il une réelle connexion avec la maladie ?

La question reste ouverte et le problème posé.

Une origine alimentaire a été envisagée, le réservoir supposé étant le mouton atteint de tremblante ; mais aucune preuve n’en a été apportée et de nombreux faits militent contre cette hypothèse.

B – EST humaines génétiques :

1- MCJ familiales :

Elles représentent 5 à 10%de la totalité des cas recensés de MCJ.

L’étude des arbres généalogiques est compatible avec un mode de transmission autosomique dominant, sans phénomène d’anticipation, ni effet préférentiel selon le sexe de l’ascendant atteint, et sans prédominance de sexe.

L’âge au moment du décès est compris entre 35 et 70 ans, avec un pic entre 43 et 59 ans, soit 5 à 10 ans plus tôt que dans les formes sporadiques, avec une relative fixité pour chaque famille. La durée d’évolution varie de 1 à 13 mois.

La clinique est assez proche de la forme sporadique et l’on peut observer en neuropathologie la présence de plaques amyloïdes plus nombreuses que dans la forme sporadique.

Il existe toutefois dans certaines familles des variations dans la sémiologie clinique comme dans la durée d’évolution et dans les signes neuropathologiques, variations déterminées par des génotypes particuliers.

Ces formes familiales répondent le plus souvent à des mutations ponctuelles dans le gène de la PrP (178 asn, 180 isoleu, 200 lys, 208 ala, 210 isoleu, 219 lys, 232 arg), plus rarement à l’insertion de séquences répétitives.

La mutation 178 asn est la plus fréquente, avec un tableau assez typique : beaucoup de myoclonies, peu d’activité électrique périodique.

On retrouve constamment un couplage de cette mutation avec une valine sur le codon 129 du côté de l’allèle muté.

La mutation 200 lys est particulièrement intéressante, car elle s’observe dans plusieurs isolats ethniques, chez les Juifs d’origine libyenne surtout, et dans deux foyers non juifs en Slovaquie et au Chili.

L’isolat juif a été particulièrement étudié et suivi dans ses migrations au cours de l’Histoire, avec une fréquence de la MCJ dix fois supérieure à la normale et une diffusion mondiale assez large ; la majorité des malades sont homozygotes pour la méthionine au codon 129.

La transmissibilité de ces formes familiales à l’animal est variable : relativement facile pour les mutations 200 et 232, plus difficile pour la mutation 180 ; la nature du polymorphisme 129 et sans doute aussi d’autres facteurs en rendent compte.

2- Syndrome de Gertsmann-Straüssler-Scheinker (SGSS) :

Décrit en 1936 comme une maladie familiale avec dégénérescence spinocérébelleuse et démence, on en connaît maintenant une cinquantaine de familles, avec une transmission autosomique dominante et une distribution ubiquitaire.

Il débute au cours de la troisième ou quatrième décennie, avec une moyenne autour de 40 ans et des extrêmes de 19 à 70 ans, et touche un à dix sujets pour 100 millions d’habitants et par an.

Toutes les formes étudiées comportent une mutation dans le gène de la PrP avec six points différents (102 leu, 105 leu, 117 val, 145 stop [seule forme sporadique connue], 198 ser, 217 arg) et une insertion dans une seule famille.

Mais la mutation de loin la plus fréquente est la mutation 102 leu que l’on retrouve dans les trois quarts des familles testées, avec un couplage méthionine 129 sur l’allèle muté et une homozygotie méthionine.

On rappellera au passage l’intérêt historique de cette mutation, puisque c’est l’introduction d’une mutation équivalente dans le génome d’une souris transgénique qui permit pour la première fois de déterminer une EST spontanée expérimentale chez l’animal ainsi modifié.

Pour les autres mutations, le couplage se fait avec une valine 129 ; ces couplages ne sont probablement pas dus au hasard.

Deux modes de début ont été individualisés :

– la forme ataxique, première décrite historiquement, commence par une ataxie, puis le syndrome cérébelleux se complète, puis apparaissent des troubles de la motilité oculaire, des signes pyramidaux et des troubles cognitifs modérés ; cette forme correspond habituellement à la mutation 102 leu ;

– la forme démentielle ou télencéphalique, plus rare, débute par une détérioration intellectuelle ; puis apparaissent un syndrome pseudobulbaire, des signes pyramidaux et plus accessoirement des myoclonies, un syndrome cérébelleux, des signes extrapyramidaux et périphériques ; mais la démence domine et dans cette forme on retrouve plus souvent la mutation 117 val.

En fait, il existe une certaine variabilité symptomatique au sein même d’une famille, d’une famille à l’autre ou d’une mutation à l’autre, certains sujets paraissant plus démentiels, d’autres plus neurologiques.

La mutation 105 leu paraît notamment un peu particulière : elle reste pour l’instant l’apanage des Japonais et entraîne une paraparésie spastique qui domine un certain temps le tableau clinique.

Cette variabilité se retrouve aussi dans l’âge de début, qui peut varier sur deux décennies dans une même famille, et dans la durée d’évolution.

Finalement, la principale caractéristique commune à ces malades est la présence constante en neuropathologie de plaques amyloïdes abondantes, uni- et surtout multicentriques, disséminées dans le cortex cérébral et prédominantes dans le cortex cérébelleux.

La transmission à l’animal a été réussie chez les petits rongeurs en 1979 et chez le chimpanzé en 1981 ; le pourcentage de réussite de ces inoculations semble varier avec la nature de la mutation, la transmission la moins aléatoire étant pour la mutation 102.

3- Insomnie fatale familiale (IFF) :

Elle fut rapportée en 1985 par Médori et al ; depuis, une dizaine de familles ont été répertoriées, avec une distribution assez ubiquitaire et une transmission autosomique dominante.

L’âge de début se situe en moyenne à 51 ans, entre 40 et 60 ans pour les trois quarts des cas, avec comme extrême 20 et 71 ans.

La durée de la maladie est en moyenne de 14 mois (6 à 32 mois).

Les caractères cliniques sont assez particuliers et pour la plupart régulièrement retrouvés en cours d’évolution.

On peut individualiser plusieurs types de présentation différente au début :

– des troubles moteurs, avec ataxie, dysarthrie ;

– des troubles du sommeil : insomnie, agitation, rêves ;

– des troubles de la mémoire et du repérage dans le temps ;

– un état progressif de confusion mentale. Puis la maladie progresse et s’enrichit en quelques semaines : l’insomnie devient complète, les troubles cognitifs s’aggravent, tandis qu’apparaissent des signes moteurs et des perturbations autonomes et endocrines.

L’ensemble aboutit en quelques mois à un état grabataire particulièrement pénible et à la mort. Plusieurs systèmes sont atteints de façon préférentielle :

– les anomalies du sommeil et de la vigilance sont très particulières : l’insomnie s’aggrave peu à peu, résistant aux hypnotiques, et notamment aux benzodiazépines et aux barbituriques ; les phases normales de sommeil sont remplacées par un état de rêve émaillé d’hallucinations, puis s’installe un état de stupeur, puis de coma ;

– la détérioration intellectuelle comporte d’abord des troubles cognitifs, une atteinte de la mémoire et des performances visuomotrices, qui interdisent rapidement tout travail professionnel ; mais l’intelligence reste globalement conservée et le syndrome démentiel reste toujours modéré et à l’arrière-plan ;

– le syndrome dysautonomique imprime une marque très spéciale à la maladie et se fait toujours dans un sens hypertonique, associant hyperhydrose et sudation exagérée, tachycardie et instabilité tensionnelle avec hypertension, fièvre, respiration irrégulière ; s’y associent fréquemment une impuissance, une perte de la libido, des troubles sphinctériens, un myosis ;

– les troubles moteurs comportent une dysarthrie précoce aboutissant bientôt à une anarthrie, une dysphagie, une ataxie, des myoclonies spontanées et provoquées, une hyperréflexie avec un signe de Babinski bilatéral ;

– l’atteinte endocrinienne enfin est présente, mais plutôt à l’arrière-plan du tableau clinique, objectivée par les dosages biologiques avec diminution du taux de l’adrenocorticotrophic hormone (ACTH), élévation du cortisol et des catécholamines, et par les perturbations des rythmes circadiens de sécrétion de l’hormone de croissance, de la prolactine et de la mélatonine, comme l’insomnie pouvait le laisser présager.

Les examens complémentaires sont dominés par les anomalies de l’électroencéphalogramme et des enregistrements de sommeil. Durant le « sommeil », il existe une diminution, puis une disparition de l’activité delta, des fuseaux de sommeil et des complexes K, associée à des phases anormales de sommeil paradoxal.

Durant l’éveil, on note un aplatissement progressif du rythme de base, un ralentissement et une perte des activités de sommeil induites par les drogues.

La tomographie avec émission de positrons, pratiquée chez quelques sujets, met en évidence un hypométabolisme limité à la région antérieure du thalamus, associé chez d’autres patients à un hypométabolisme du cortex cérébral, du cervelet et de l’hippocampe, mais toujours bien moindre que celui du thalamus.

Il n’y a pas d’informations concernant l’imagerie neuroradiologique.

Les constatations neuropathologiques sont dominées par l’atrophie thalamique ; la perte neuronale et la gliose sont majeures et sévères dans les noyaux ventral antérieur et dorsomédian, beaucoup plus discrètes dans le noyau centromédian et le pulvinar, et absentes pour le reste ; il n’y a pas de spongiose.

Dans le cortex cérébral, on note une astrogliose et une spongiose modérée ; dans le cervelet, la perte neuronale et la gliose sont modérées, mais l’olive inférieure est sévèrement atrophique. Le reste du cerveau est normal.

Il n’y a pas de plaques amyloïdes, mais le prion est retrouvé constamment dans le thalamus.

L’IFF a donc des lésions neuropathologiques discrètes, focalisées, parfois sans spongiose. Cependant, elle appartient bien au groupe des EST en raison de son association à des lésions corticales caractéristiques.

La transmissibilité à l’animal fut réussie en 1995 à partir d’extraits purifiés de thalamus.

L’étude génotypique achève de rattacher l’IFF aux EST, puisqu’on trouve constamment une mutation faux-sens 178 asn, comme dans certaines MCJ familiales, mais ici elle s’associe à une méthionine 129 sur l’allèle muté.

Cette parenté génétique repose le problème de la place de l’IFF dans les EST : entité morbide à part entière ou forme particulière deMCJfamiliale.

Plusieurs observations plaident en faveur de cette dernière proposition, avec, dans une même famille, une atteinte démentielle de type MCJ chez certains malades, une atteinte cérébelleuse chez d’autres, et une atteinte de type IFF chez d’autres encore.

On connaît d’ailleurs depuis longtemps la forme thalamique de la MCJ, mais sa sémiologie est beaucoup moins riche que l’IFF.

En conclusion, il paraît finalement difficile de tracer des frontières cliniques et neuropathologiques bien tranchées entre ces diverses EST ; il est donc plus logique d’établir une continuité dans laquelle s’inscrivent les divers types, les différences semblant étroitement associées à la biologie moléculaire et à ses diverses anomalies.

C – EST humaines acquises ou infectieuses :

1- Kuru :

Première maladie spongiforme interhumaine, le kuru contribua puissamment au regain d’intérêt porté aux EST dans les années 1960.

Il fut découvert par Zigas, qui dirigeait une équipe sanitaire australienne dans la région montagneuse orientale de la Nouvelle-Guinée, et semblait exister depuis le début du siècle selon la tradition orale.

La maladie présentait plusieurs caractères très frappants : sa localisation exclusive à une tribu isolée du district de l’Okapa, sa grande fréquence et sa gravité, puisqu’elle tuait au moins 1 % de la population chaque année et représentait plus de 50 % de la mortalité toutes causes confondues, son atteinte exclusive du système nerveux central, et sa distribution très particulière chez les femmes et les enfants avec une haute prévalence intrafamiliale.

Pour tenter d’éclaircir le problème, les autorités australiennes firent appel à une équipe médicale américaine dirigée par Gajdusek, qui entreprit une étude de terrain clinicopathologique et épidémiologique intensive portant sur 350 cas.

Le tableau clinique réalisé est très vite caractéristique et stéréotypé.

Il commence par une ataxie, puis en quelques semaines apparaissent un tremblement, une incoordination croissante et de petits troubles cognitifs et de la mémoire ; puis le syndrome cérébelleux s’aggrave rendant la marche impossible ; des myoclonies et une dysarthrie surviennent, tandis que les fonctions intellectuelles déclinent ; après quelques mois les malades deviennent grabataires, apathiques et déments.

La mort survient 3 à 6 mois après le début, avec une durée d’évolution ne dépassant jamais 1 an.

Les examens complémentaires ne sont guère contributifs ; la neuropathologie associe une déperdition neuronale extensive, une spongiose, une gliose et des plaques amyloïdes, rattachant sans ambiguïté le kuru aux EST ; la transmission expérimentale de la maladie fut d’ailleurs réussie chez le chimpanzé en 1966.

Mais le problème de sa propagation dans la tribu restait mystérieux.

C’est finalement la surveillance épidémiologique qui en donna la clé en incriminant le cannibalisme funéraire ou nécrophilie rituelle, pratique habituelle dans de nombreuses tribus mélanésiennes : seuls les femmes et les enfants consommaient le cerveau des parents décédés, hautement infectieux, les hommes se réservant les muscles, peu ou pas infectants.

De fait, l’interdiction du cannibalisme et des guerres intertribales par les autorités australiennes alla de pair avec l’extinction progressive de la maladie ; le seul point qui reste à l’heure actuelle mystérieux est celui de la première contamination : la survenue accidentelle d’un cas de MCJ sporadique au sein de la tribu peut être raisonnablement supposée.

Ainsi l’histoire du kuru, première maladie neurologique humaine transmissible, était dès lors à peu près complète et sa distribution intelligible, prouvant du même coup que la transmission pouvait se faire par voie orale et peut-être cutanéomuqueuse.

Plus tard, en 1992, un excès notable d’homozygotie au codon 129 fut démontré, avec une nette prédominance du génotype valine.

2- MCJ iatrogènes :

Ce groupe numériquement limité a pris, au cours des dernières années, une importance considérable du fait de ses répercussions sociopsychologiques et de ses conséquences pratiques.

Les cas peuvent être classés en deux sous-groupes : l’un dû à l’inoculation cérébrale directe ou de proximité de l’agent infectant, l’autre dû à son inoculation périphérique ; les voies différentes de pénétration dans l’organisme expliquent probablement les différences assez notables dans la présentation clinique et la neuropathologie.

* Sous-groupe d’inoculation cérébrale directe ou de proximité :

Dans ce groupe, la transmission de la maladie se fait lors d’une intervention chirurgicale ou neurochirurgicale, par l’intermédiaire de transplants, d’homogreffes ou d’instruments.

La maladie ressemble beaucoup à la MCJ sporadique, avec une histoire clinique courte, une présentation beaucoup plus démentielle que neurologique, un électroencéphalogramme très évocateur, une nette prédominance des lésions dans le cerveau.

Le premier cas fut rapporté en 1974 par Duffy chez une patiente qui avait reçu une greffe de cornée provenant d’une femme atteinte de MCJ non diagnostiquée. Depuis, deux nouveaux cas ont été rapportés et trois autres sont possibles.

En 1977, le pouvoir infectant de l’oeil et de la cornée fut démontré expérimentalement par transmission à l’animal.

En 1977, une MCJ fut reconnue chez deux patients épileptiques qui avaient eu 16 et 20 mois plus tôt un repérage stéréotaxique : deux des électrodes profondes avaient été utilisées quelques mois plus tôt chez une malade atteinte de MCJ et leur pouvoir contaminant fut vérifié expérimentalement.

Entre 1988 et 1997, au moins 24 sujets (et probablement plus) qui avaient reçu pour des causes variées une greffe de dure-mère, développèrent une MCJ dans un délai de 7 à 130 mois (moyenne 67 mois) ; pour la plupart la greffe provenait du même centre de préparation Lyodura en Allemagne, et la majorité des cas étaient homozygotes 129 pour la méthionine.

En 1990, un cas de MCJ fut rapporté chez un homme de 51 ans ayant eu une tympanoplastie utilisant une greffe péricardique : elle reste incertaine, le donneur étant décédé rapidement sans autopsie.

L’observation de Créange et al prête aussi à discussion : elle concerne une femme décédée de MCJ, qui avait reçu quelques mois plus tôt une greffe de foie, mais aussi des perfusions d’albumine provenant d’un pool dont un des donneurs était décédé par la suite d’une MCJ.

Ces deux cas sans certitude absolue se rapprochent d’un certain nombre d’autres cas possibles ou probables, tous apparus en milieu neurochirurgical.

Enfin, les deux observations de MCJ après embolisation artérielle par de la dure-mère lyophilisée, publiées par Antoine et al et par Defebvre et al en 1997, seraient plutôt à placer dans le sous-groupe suivant, car il est vraisemblable que la contamination ne provient pas d’un effet de contiguïté mais bien d’une origine systémique.

Quoi qu’il en soit, toutes ces observations amènent à souligner le risque potentiel de tout acte chirurgical (et nécropsique) chez les sujets atteints de MCJ pour d’autres malades et pour le personnel soignant, la remarquable résistance de l’agent infectant à la décontamination et le risque d’infection à partir des produits d’origine humaine.

* Sous-groupe d’inoculation périphérique :

Il est largement dominé par le drame de l’hormone de croissance humaine : 100 à 120 cas dans le monde (États-Unis, Royaume-Uni, France, Australie, Nouvelle-Zélande, Brésil, Pays-Bas), auxquels il faut ajouter quatre cas australiens attribués aux gonadotrophines pituitaires données comme inducteurs d’ovulation. Les premiers cas sont apparus aux États-Unis et au Royaume-Uni en 1984 ; pour la France, le premier fut reconnu en 1989, avec depuis une cinquantaine d’autres et une période de contamination s’étendant sur 18 mois entre janvier 1984 et juillet 1985, et environ 1000 enfants concernés.

Tous sont imputables au prélèvement accidentel d’hypophyses humaines contaminées, mélangées au pool commun servant à extraire l’hormone de croissance et provenant vraisemblablement de sujets en incubation silencieuse de MCJ ou de sujets atteints non diagnostiqués ; la voie de contamination est sous-cutanée ou intramusculaire.

La durée de latence de la maladie est très longue, de 18 mois à 30 ans, avec une certaine variation selon les pays, laissant malheureusement redouter de nouveaux cas dans l’avenir.

L’aspect clinique de la MCJ-HGH est très homogène et diffère de la maladie sporadique et du premier sous-groupe.

Elle rappelle beaucoup le kuru, avec un début très neurologique : ataxie, tremblement, diplopie, nystagmus, des troubles de l’humeur, de petites troubles cognitifs ; la détérioration intellectuelle et les myoclonies sont tardives.

Les complexes périodiques électriques sont inconstants et moins typiques que dans la maladie sporadique .

La durée de l’évolution, relativement longue, varie de 1 à 3 ans.

En neuropathologie, les lésions sont largement distribuées, mais prédominent dans le cervelet et les plaques sont abondantes, isolées ou multicentriques.

L’étude du polymorphisme du codon 129 est intéressante : pour la France, au cours des 6 premières années, il n’y avait que des malades homozygotes VV et MM, puis les hétérozygotes sont apparus, tandis que le génotype VV, initialement dominant, diminuait considérablement ; il est donc clair que l’homozygotie ici encore augmente le risque de transmission et diminue la période d’incubation.

Par ailleurs, l’étude du prion en western blot donne deux types de profil en fonction du génotype 129, qui ne sont probablement pas équivalents : le type 1 méthionine homozygote et le type 3 hétérozygote et valine homozygote.

Le diagnostic est difficile au début ; il s’appuie sur la notion d’un traitement par l’HGH même des années auparavant, sur la neuropathologie cérébrale et sur l’inoculation à l’animal d’extraits de cerveau, d’urine et de sang, les leucocytes pouvant être contaminants ; on note que la transmission à l’animal est facile.

Cette contamination par l’HGH pose le problème de la susceptibilité à la maladie puisqu’en France, sur environ 1 000 enfants potentiellement contaminés, seuls une cinquantaine en 1998 ont manifesté la maladie, soit 5 à 6 %.

Le polymorphisme du codon 129 joue sûrement un rôle comme on l’a vu, mais il n’est pas le seul ; d’autres possibilités ont été évoquées : souches naturelles de prion non pathogènes et protectrices, facteurs de résistance intragéniques ou même extragéniques ou encore, comme le suggèrent les expériences de Race et Chesebro, tolérance prolongée de certains sujets qui feraient une infection infraclinique silencieuse, constituant peut-être un réservoir potentiel de la maladie.

Quoi qu’il en soit ce drame rappelle ici encore le risque potentiel de tout produit d’origine humaine, la nécessité d’une utilisation raisonnée et prudente, celle de l’examen très soigneux des donneurs et le recours, lorsqu’il est possible, aux produits fabriqués par génie génétique, comme c’est le cas maintenant pour l’HGH.

3- MCJ-variante (MCJ-V) :

L’apparition en 1986 de l’ESB au Royaume-Uni, puis son extension rapide et catastrophique à une partie notable du cheptel britannique, avait dès 1988 conduit les enquêteurs à incriminer à l’origine de l’épizootie une contamination des bovins par voie alimentaire, par l’intermédiaire de la consommation de farines de viande et d’os fabriquées à partir de carcasses de mouton et sans doute aussi de bovins non utilisables pour l’alimentation humaine ; cette explication vient d’être partiellement remise en cause tout récemment, mais reste pour l’instant valable.

Très vite la question de la transmissibilité par voie alimentaire de la maladie des vaches en phase préclinique à l’homme s’est donc trouvée posée.

Jusqu’en 1994, la surveillance épidémiologique étroite des MCJ humaines avait été rassurante, puisqu’il n’y avait eu aucune augmentation notable du nombre de sujets atteints, ni modifications qualitatives de la maladie.

Mais en octobre 1995, deux cas très inhabituels furent publiés, se démarquant de la MCJ sporadique classique par leur âge au début de la maladie (16 et 18 ans), par une sémiologie initiale un peu particulière et par une neuropathologie frappante par l’abondance de plaques amyloïdes florides, relançant ainsi l’éventualité d’une contamination d’origine bovine.

Très vite d’autres cas furent repérés : on en dénombre 10 en 1996, puis 22 au Royaume-Uni et 1 en France en 1997, et au total 40 cas en 1999.

L’âge moyen au début de la maladie est de 29 ans (16-48 ans), donc nettement plus jeune que celui de la MCJ sporadique (61 ans) ; la durée moyenne de la maladie (14 mois) est proche de celle du kuru, mais plus longue que celle de la MCJ sporadique (4 mois).

Le début est marqué par des troubles psychiatriques dans la grande majorité des cas (dépression, attaques illusionnelles, hallucinations visuelles ou auditives), très souvent associés à des paresthésies et des phénomènes douloureux.

Puis 4 à 6 mois plus tard, apparaissent des troubles neurologiques : une ataxie, puis des mouvements involontaires, un syndrome pyramidal, un mutisme, des myoclonies, et tardivement une paralysie de la verticalité du regard, tandis que se développe une démence progressive.

Les décharges périodiques électriques manquent habituellement ; le liquide céphalorachidien est normal, avec cependant dans quelques cas la présence de la protéine 14.3.3. en électrophorèse.

L’imagerie est peu contributive. L’étude du gène de la PrP ne révèle aucune mutation, mais tous les malades ont un génotype homozygote au codon 129 pour la méthionine.

La neuropathologie enfin est très particulière par son unité, par l’étendue des lésions habituelles des EST avec cependant une répartition inhabituelle et une prédominance dans le cervelet et les noyaux gris ; mais l’anomalie la plus caractéristique est la présence de nombreuses plaques amyloïdes distribuées extensivement dans le cerveau et le cervelet, d’aspect particulièrement floride, souvent multicentriques, avec un halo de spongiose.

Finalement, toutes ces atypies cliniques, électriques et neuropathologiques donnent à ces malades une grande unité et permettent de constituer un groupe très homogène, la MCJ variante (MCJ-V).

Cette homogénéité est encore renforcée par l’étude du prion en western blot qui révèle un tracé électrophorétique caractéristique, différent des autres souches de MCJ, de type 4.

Dès lors, l’apparition récente de ce groupe, sa coïncidence spatiale (le Royaume-Uni) et temporelle (1994) avec l’ESB, son délai supposé d’apparition compatible avec une incubation de plusieurs années et l’existence d’une souche unique et originale de prion comme l’ESB, ne pouvaient pas ne pas relancer la possibilité d’une relation entre les deux, c’est-à-dire d’une contamination humaine probablement par voie alimentaire, comme le kuru, avec franchissement naturel de la barrière d’espèce et exposition d’une partie importante de la population.

Bien qu’il n’y ait pas encore de certitude absolue, des arguments très convaincants ont été apportés au cours des 3 dernières années :

– des arguments indirects, tirés de l’étude de la phylogenèse de la protéine prion, montrant que les ancêtres des hominidés et du « bos taurus » n’ont que deux aminoacides de différence pour la PrP, laissant supposer une certaine parenté structurale entre les deux PrP et un franchissement plus facile de la barrière d’espèce ;

– des arguments expérimentaux, montrant que la maladie clinique de macaques infectés par l’ESB et l’étude neuropathologique de leurs cerveaux offrent une franche similitude avec la MCJ-V, avec un tracé électrophorétique du prion de type 4.

Les travaux de Bruce et al et de Collinge et al, publiés fin 1997, renforcent encore la suspicion.

Les premiers montrent bien que l’inoculation intracérébrale à la souris d’extraits de cerveaux provenant directement de l’ESB, indirectement d’animaux infectés par l’ESB, et de la MCJ-V, entraîne une maladie identique ayant une remarquable unité de durée d’incubation et un profil lésionnel cérébral superposable, permettant d’incriminer une seule et même souche de prion ; il existe au contraire de nettes différences avec l’inoculation témoin de la tremblante et de la MCJ sporadique.

Les seconds utilisent des souris transgéniques humanisées, c’est-à-dire ayant reçu dans leur génome le gène humain de la PrP ; ces souris inoculées par l’ESB et par la MCJ-V, déclarent des maladies de même durée d’incubation, de clinique similaire, d’une grande ressemblance neuropathologique ; pour toutes, le tracé du prion en western blot est identique, du type 4.

Il est donc maintenant à peu près certain que la MCJ-V est en fait l’ESB humaine, avec les conséquences sociopsychologiques et de santé publique que l’on imagine.

Un point important reste très énigmatique : pourquoi si peu de cas, en 1999 tout au moins, près de 15 ans après le début de l’ESB, alors qu’une partie importante de la population britannique a dû être exposée ?

Les mêmes hypothèses que pour la MCJ-HGH peuvent être formulées : facteurs de protection génétiques (codon 129) ou même extragénétiques, rôle hypothétique de souches naturelles protectrices de prion auxquelles une fraction notable de la population aurait pu être exposée antérieurement, infection infraclinique latente, autres facteurs encore inconnus. Un début de réponse pourrait être apporté par les expériences in vitro de Raymond et al publiées en 1997.

Les auteurs ont montré qu’en système acellulaire (c’est-à-dire en tube à essai), la conversion de la PrPc en présence de PrPres-ESB variait avec l’espèce dont provenait la PrPc : aucune conversion pour la PrPc de hamster, espèce résistante à l’inoculation d’ESB ; conversion facile pour la PrPc de mouton ou de souris, espèces très sensibles à l’ESB ; conversion limitée mais possible pour la PrPc humaine, pouvant expliquer une longue, voire très longue durée d’incubation.

Ainsi, la nature de la conformation moléculaire de la PrPres contaminante et de la PrPc de l’hôte pourrait expliquer la variabilité de la barrière d’espèce, comme on l’avait déjà proposé antérieurement, et aussi la variabilité entre individus d’une même espèce.

4- MCJ possiblement professionnelles :

Depuis que la transmissibilité des EST a été prouvée expérimentalement, la question s’est trouvée posée de savoir s’il existait un risque de transmission accidentel des EST animales et humaines au sein des professions exposées.

La plupart des grandes enquêtes épidémiologiques n’ont pas trouvé de surreprésentations professionnelles et se veulent donc rassurantes ; ces populations « à risques » concernent surtout les fermiers et éleveurs, le personnel médical, paramédical et vétérinaire, et les familles et proches des malades.

* Fermiers et éleveurs :

Concernant les personnes exposées directement à l’ESB, l’enquête de Cousens et al en 1997 note une augmentation d’incidence relativement nette depuis 1990 au Royaume-Uni, avec une vingtaine de cas contre les six attendus ; ce petit nombre de cas, non significatif, ne permet pas de conclure, mais soulève tout de même l’éventualité d’une transmission par contact de l’animal à l’homme, bien que la présentation des malades, l’aspect neuropathologique et l’étude des souches du prion soient rassurants, tous les cas recensés présentant les caractéristiques de la MCJ sporadique.

Il semble donc en définitive que cette relative augmentation ne soit pas due à l’ESB, mais à d’autres facteurs qui restent à déterminer.

Néanmoins, ces faits invitent à maintenir une surveillance épidémiologique étroite.

* Contamination interhumaine :

Elle reste elle aussi spéculative, avec trois couples atteints et cinq observations de sujets non apparentés vivant en contact avec des familles de MCJ.

* Personnel médical et paramédical :

Les études cas-témoin ne montrent pas non plus d’argumentation significative du risque.

Toutefois ici encore, le nombre de cas recensés paraît un peu élevé : il y a neuf médecins et chirurgiens, quatre dentistes, deux techniciens de laboratoire et 18 infirmières.

Ainsi, même s’il n’y a aucune preuve de contamination professionnelle, il faut insister sur l’impérieuse nécessité de prendre un maximum de précautions dans les soins aux malades, comme dans la réalisation des autopsies et des examens anatomopathologiques.

5- Problème du risque transfusionnel :

Les données précises et indiscutables sur le risque transfusionnel sont encore peu nombreuses et pour la plupart expérimentales.

On ne peut donc actuellement que regrouper les faits provenant de l’expérimentation animale d’une part et des études épidémiologiques d’autre part.

Il existe une « virémie » chez l’animal de laboratoire contaminé comme chez l’homme, présente pendant une bonne partie de la période d’incubation et durant toute la maladie.

Cependant, sa mise en évidence expérimentale est irrégulière, avec un fort pourcentage d’échecs, et ne peut se faire que par inoculation intracérébrale, la voie périphérique ayant toujours échoué.

Les supports de l’infectivité semblent bien être les leucocytes et spécialement les lymphocytes, peut-être les plaquettes, mais ni les hématies, ni le plasma, ni les immunoglobulines ; les titres infectieux sont variables et le plus souvent très faibles.

Un certain nombre de sujets atteints de la MCJ sporadique et de la MCJ-V ont été donneurs de sang réguliers ou occasionnels avant leur maladie ; une partie notable des receveurs a été retrouvée et aucun n’a présenté secondairement la maladie malgré un recul conséquent pour la plupart, aussi bien dans l’enquête de la Croix-Rouge américaine que dans l’enquête européenne.

Par ailleurs, les essais de transfusion de sang de MCJ sporadique au chimpanzé se sont soldés par des échecs.

Parmi les malades atteints de MCJ, le pourcentage de sujets ayant reçu une transfusion éventuellement contaminante avant leur maladie n’est pas plus élevé que dans la population générale et la maladie est de type sporadique ; il n’y a pas plus de cas de MCJ dans les régions où les dons de sang provenant de « donneursMCJ » ont été distribués.

Seul Klein rattache sans ambiguïté quatre cas australiens de MCJ à des transfusions, mais sans aucun argument formel.

L’observation de Créange et al est cependant troublante, avec l’apparition d’une MCJ de profil iatrogène chez un sujet ayant reçu une greffe de foie et d’abondantes perfusions d’albumine dont certains lots provenaient d’un sujet décédé ultérieurement de MCJ.

Enfin, aucun cas de MCJ n’a été recensé parmi les malades recevant régulièrement des produits d’origine sanguine pour des maladies hémolytiques chroniques (thalassémie, drépanocytose), pour des maladies de l’hémostase telles que l’hémophilie ou pour des déficits immunitaires congénitaux ou acquis (sida, hémodialysés, greffés de moelle, etc) ; en particulier, il n’y a eu aucun cas de MCJ signalé parmi les hémophiles suivis depuis 40 ans à Los Angeles.

Telles sont les constatations actuelles.

On peut dire en conclusion que:

– le risque potentiel et théorique de contamination à partir de produits d’origine sanguine n’est pas nul, mais qu’il est mathématiquement très faible ;

– il n’y a actuellement pas de preuve expérimentale de son existence lorsque la contamination a lieu par voie systémique et non cérébrale ;

– le risque tient très probablement aux leucocytes, mais ni aux hématies, ni au plasma, d’où la nécessité de déleucocyter le mieux possible les prélèvements.

Il faut cependant rester vigilant, prolonger la surveillance épidémiologique des receveurs de sang potentiellement contaminants, comme des receveurs potentiellement exposés tels que les polytransfusés, faire appel au maximum aux dérivés obtenus par génie génétique pour l’utilisation des facteurs de coagulation, comme ce fut le cas pour l’HGH, et bien sûr exclure du don du sang un certain nombre de catégories de sujets qui seront définies au chapitre suivant.

Ces précautions devraient suffire pour abaisser le risque, sinon à zéro, du moins dans des proportions sécurisantes pour la population.

Résistance du prion et risques de transmission accidentelle : précautions et recommandations

A – Résistance du prion. Procédés de décontamination :

La PrPres, à la différence de la PrPc normale, possède un certain nombre de propriétés bien particulières qui lui confèrent une résistance remarquable, avec conservation du pouvoir infectieux qui lui est associé.

La première indication de la stabilité et de la résistance inhabituelle du priontremblante remonte à 1946, lors de la contamination de quelques centaines de moutons par la tremblante à l’occasion d’une vaccination contre le loopinghill ; ce vaccin avait pourtant subi une exposition prolongée à la formaline.

De même, un séjour de 3 ans dans le sol d’une pâture soumise à des différences notables de température et à des variations climatiques n’avait en rien altéré le pouvoir infectant du prion-tremblante. Le prion résiste à de nombreux agents physiques : températures extrêmes, dessiccation, chaleur même au-delà de 130 °C, ultrasons, radiations ionisantes ; il offre un spectre de sensibilité très atypique aux rayonnements ultraviolets et résiste aussi aux variations de gravité.

Il résiste à de nombreux agents chimiques : formol, chlorure de lithium, désoxycholate de sodium, octylglucoside, sulfobétaïne, propionolactones, permanganate de potassium, détergents non ioniques.

L’action du sodium dodecyl sulfate, des dérivés iodés, des dérivés phénoliques est relativement efficace mais n’assure pas une stérilisation complète.

Le trempage pendant 1 heure dans l’acide formique peut assurer une assez bonne sécurité, de même que l’urée 6 ou 8 molaire.

Il résiste enfin à des agents biologiques : protéases, nucléases, phospholipases.

Ces résistances multiples aux procédés habituels de stérilisation imposent donc un certain nombre de règles qu’il est impératif d’appliquer à la lettre.

La décontamination interviendra après nettoyage minutieux éliminant tout matériel biologique.

De nombreuses méthodes ont été étudiées ; seules les trois suivantes doivent être retenues :

– passage à l’autoclave à une température de 134 °C pendant au moins 30 minutes, notamment pour les objets métalliques ;

– traitement par l’hypochlorite de soude 1 heure à 20 °C, à une concentration d’au minimum 2 % de chlore libre (eau de Javel à 12° fraîchement diluée au demi), notamment pour les objets non métalliques ;

– traitement par la soude 1 N pendant plus de 1 heure à 20 °C, notamment pour le matériel métallique ou non, sauf l’aluminium.

De nouvelles techniques sont actuellement à l’étude : porous load autoclaving, gravity displacement autoclaving.

B – Nature du risque :

Il existe un risque de transmission accidentelle des maladies à prion.

Ce risque émane bien sûr des malades eux-mêmes, de leurs organes et tissus lors d’éventuelles manipulations de laboratoire ou chirurgicales, mais peut-être aussi des sujets en phase préclinique de la maladie, malheureusement indétectables à l’heure actuelle ; le même risque existe bien sûr pour les animaux de laboratoire et les manipulations expérimentales.

Ainsi, tous les produits provenant de sujets « à risques » doivent être considérés comme potentiellement vecteurs des agents infectants, ce qui conduit à définir plusieurs catégories de sujets :

– les patients chez qui un diagnostic ferme de maladie à prion a été posé ;

– la famille des malades atteints d’une des maladies à prion actuellement reconnues ;

– les malades traités par des produits susceptibles d’être vecteurs de prion, tels que les hormones hypophysaires extractives d’origine humaine ou bovine, les produits d’origine placentaire, mais aussi les porteurs de greffe de dure-mère ou de cornée et les sujets ayant subi une intervention neurochirurgicale ou une exploration cérébrale invasive ;

– les malades atteints d’une encéphalopathie subaiguë ou d’une démence mal étiquetée. Bien entendu, tous ces sujets doivent être exclus du don d’organes ou de tissus, comme du don du sang.

Il faut encore rappeler le risque potentiel de tout produit biologique d’origine humaine, ce qui ne doit pas conduire à leur exclusion, mais à leur emploi bien pesé et calculé.

Recommandations pratiques :

Elles conduisent à renforcer ces précautions de prudence, surtout s’il existe une suspicion ou a fortiori une certitude de maladie à prion, et seront modulées en fonction des situations et des gestes susceptibles d’être contaminants, pour les patients comme pour les soignants et les techniciens.

1- En milieu chirurgical :

Ces recommandations sont particulièrement importantes dans le domaine de la neurochirurgie et de la chirurgie ORL, ophtalmologique et stomatologique, car le matériel est en contact avec le système nerveux et l’oeil.

Il en est de même pour le milieu obstétrical.

Les chirurgiens, aides et anesthésistes doivent porter deux paires de gants, un tablier protecteur en plastique à usage unique, des bottes et des lunettes de protection fermées sur le côté.

Le matériel susceptible de recevoir des projections (tables, moteurs, pédales…) doit être soit décontaminé comme défini plus haut, soit protégé par des matériaux destructibles par incinération après chaque intervention.

Le matériel d’aspiration doit être à usage unique, éliminé sous double emballage et incinéré.

Les appareils et instruments ayant été en contact direct avec le malade (matériel d’anesthésie, de réanimation, de stéréotaxie, sondes, cathéters, canules, bistouris, pinces, aiguilles, électrodes, tonomètres…) sont, s’ils doivent être réutilisés, stérilisés selon l’un des procédés décrits. S’ils ne peuvent pas l’être, ils peuvent être réutilisés après décontamination pour le même patient, mais doivent impérativement être incinérés ensuite.

Tous les déchets, linges, compresses sont hermétiquement emballés et incinérés.

2- En salle d’autopsie :

Le cerveau doit être coupé en dernier afin d’éviter de contaminer par d’éventuels prions tous les organes examinés.

Les opérateurs doivent porter des gants métalliques sur une paire de gants et être protégés comme les chirurgiens.

En fin d’autopsie, les instruments sont décontaminés selon les procédés exposés plus haut.

Le matériel de protection, ainsi que les tables et plans de travail sont nettoyés à l’eau de Javel à 12° fraîchement diluée au demi.

Les prélèvements à congeler sont disposés dans des sacs plastiques superposés, bien étiquetés et rangés dans une boîte plastique étiquetée, placée dans un compartiment réservé d’un congélateur à – 80 °C.

Les prélèvements formolés sont manipulés avec précaution, car ils restent infectieux. Les autres prélèvements, lisiblement identifiés, sont placés dans des récipients fermés dont la surface externe a été décontaminée par l’eau de Javel à 12°.

3- Au laboratoire :

Dans les laboratoires de biologie médicale ou de biochimie, les conditions de sécurité pour la protection du personnel doivent être clairement indiquées et l’éventualité de prélèvements provenant de patients atteints ou suspects de maladies à prion bien précisée.

Dans les laboratoires d’anatomopathologie et de neuropathologie, les précautions doivent être particulièrement draconiennes.

Les opérateurs doivent porter des gants métalliques sur une paire de gants, des lunettes de protection fermées sur le côté et un tablier protecteur à usage unique.

Le matériel à usage unique est choisi de préférence ; il sera jeté dans des containers spéciaux avant d’être incinéré.

Les lames supports de prélèvement et les organes fixés sont considérés comme infectieux et stockés dans des endroits spéciaux fermant à clé et étiquetés.

Les fractions d’organes non fixées sont congelées dans des congélateurs spéciaux fermant à clé et étiquetées.

Après fixation, les échantillons à inclure en paraffine, toujours infectieux, peuvent être décontaminés sans altérer la qualité de la lecture, en les plaçant 1 heure dans l’acide formique pur et en les lavant 2 heures dans du formol à 4 % avant de les inclure.

Sans cette précaution, les échantillons restent infectieux ; ni les techniques histologiques, ni le temps n’altèrent notablement leur infectiosité et toutes les manipulations doivent être faites avec des gants.

Tous les appareils en contact doivent être décontaminés.

Les rasoirs de microtomes sont essuyés au xylène, puis passés au Poupinel à 175 °C pendant au moins 2 heures.

Les rasoirs du cryostat sont rincés à l’eau, immergés dans l’alcool à 70° pendant 15 minutes, puis dans une solution du glutaraldéhyde à 2,5 %et enfin passés au Poupinel à 175 °C pendant 2 heures.

Les couteaux de verre sont préférés au diamant pour la coupe à l’ultramicrotome et jetés après usage s’il existe une forte suspicion d’EST à la microscopie optique.

Après préparation des échantillons, les plans de travail et les lunettes sont nettoyés minutieusement avec un linge à usage unique imprégné d’eau de Javel à 12° et les plans de travail rincés à l’eau et nettoyés avec un détergent.

Enfin, les déchets d’origine humaine doivent être incinérés d’où qu’ils proviennent.

4- En cas d’hospitalisation d’un malade atteint d’une maladie à prion avérée ou suspectée :

Une chambre isolée est indispensable.

Avant et après les soins, les mains sont lavées soigneusement avec un savon antiseptique sans brossage.

Une surblouse et des gants non stériles doivent être utilisés pour la toilette et le change des patients, comme pour les prélèvements ; on y ajoute des lunettes de protection pour tout geste pouvant entraîner la projection de sang ou de liquide céphalorachidien.

Le matériel de prélèvement et de soins doit être à usage unique et collecté, après utilisation, dans un récipient hermétique qui ne quittera la chambre du malade que pour être évacué vers l’incinérateur ; il en est de même pour les pansements.

Le matériel d’examen (électrodes percutanées ou implantables, matériel ophtalmologique, neurologique, aiguilles…) doit être, sauf impossibilité, à usage unique et incinéré après usage.

À défaut, ce matériel est décontaminé selon l’un des procédés décrits plus haut et réservé au seul patient, comme les appareils de mesure.

Les échantillons biologiques sont manipulés avec des gants, transportés sous emballage protégé et étiquetés.

Le sol est nettoyé avec des détergents et désinfecté à l’eau de Javel ; toute tache de sang ou de liquide biologique est laissée en contact avec de l’eau de Javel à 12° fraîchement diluée au demi.

Après le départ du malade, le mobilier et les sanitaires sont désinfectés à l’eau de Javel.

Le transfert des malades vers des services spécialisés doit toujours être précédé d’une information précise permettant de prendre les mesures nécessaires pour recevoir le malade.

5- En cas d’accident professionnel :

Les circonstances de survenue doivent être précisément documentées et l’accident déclaré comme accident de travail.

En cas de coupure ou de piqûre, il est recommandé de laver soigneusement sans brosser, de décontaminer à l’eau de Javel à 12° diluée au demi pendant 5 à 10 minutes, puis de rincer abondamment.

En cas de projection oculaire, un lavage immédiat, abondant et prolongé, à l’eau ou au sérum physiologique est effectué.

Essais thérapeutiques :

Ils sont pour l’instant extrêmement réduits et limités à quelques faits expérimentaux indiquant certaines pistes possibles.

En culture cellulaire, le rouge Congo paraît capable d’inhiber l’accumulation de PrPres, sans effet apparent sur le métabolisme normal de la PrPc ; son mécanisme d’action n’est pas encore clairement défini : interférence avec la formation de PrPres ou avec la stabilisation de sa structure.

Ces faits pourraient laisser espérer un effet possible des médicaments antiamyloïdes.

In vivo, les polyanions semblent s’opposer à l’accumulation de PrPres et prolonger la vie des animaux inoculés et traités ; l’emploi des glycansulfates de type pentosanpolysulfate est actuellement à l’étude.

Les molécules de type héparine, et notamment celles de bas poids moléculaire, s’avèrent elles aussi capables d’inhiber la synthèse de PrPres dans les cultures cellulaires infectées, et même de leur redonner un phénotype normal. Il n’y a pas de publication sur leur effet in vivo et rien pour l’instant ne prouve que ces molécules pourront passer la barrière hémocérébrale.

On peut encore rappeler les effets expérimentaux de l’administration d’amphotéricine B ou de ses dérivés chez le hamster infecté, avec retard dans l’accumulation de PrPres et dans l’apparition des signes cliniques de la maladie. Ici encore ces résultats demandent à être confirmés.

Rappelons enfin, pour terminer, que le diagnostic prénatal des maladies familiales comportant une mutation est théoriquement possible, mais qu’il pose des problèmes éthiques délicats, ces maladies n’apparaissant que tardivement dans la vie.

À la lumière des très nombreux travaux publiés, des immenses progrès réalisés en biochimie et en génétique moléculaire et de l’expérience clinique accumulée au cours des trois dernières décennies, il est maintenant possible de conclure à l’existence d’un nouveau groupe autonome et original de maladies cérébrales progressives, répondant à des critères bien définis, et dont, en dépit de mécanismes divers, l’unité profonde est devenue indéniable à l’heure actuelle.

Ces maladies comportent des différences cliniques parfois importantes, une variabilité neuropathologique parfois notable, une épidémiologie diverse avec la possibilité de formes sporadiques, génétiques, iatrogènes ; mais elles ont en commun les caractères fondamentaux suivants : une longue, parfois très longue durée d’incubation préclinique complètement asymptomatique ; une atteinte clinique dégénérative progressive du système nerveux central caractérisée par une évolution rapide, par l’apparition constante, bien que parfois tardive, d’une démence, associée à des signes neurologiques dont très souvent une ataxie ; des lésions neuropathologiques affectant d’abord et en priorité la substance grise avec prédominance d’une spongiose des neurones et de leurs prolongements, entraînant une mort et une dépopulation neuronales ; s’y associent une prolifération astrocytaire et l’accumulation constante de protéine prion, maximale au niveau du cerveau, réalisant parfois des plaques amyloïdes, alors qu’il n’y a jamais de signes inflammatoires ; une absence de réponse immunitaire décelable ; et enfin une transmissibilité sur un mode infectieux à l’animal, quel que soit le mécanisme de départ, sporadique, génétique, acquis.

L’individualisation de ces EST, ou plus largement de ces maladies à prion, a aussi le mérite, indépendamment de l’intérêt scientifique majeur qu’elle suscite et que représente le concept de prion, de rappeler le danger potentiel de tous les produits d’origine humaine et la nécessité impérieuse de leur utilisation raisonnée, prudente et parcimonieuse.

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