Emphysème pulmonaire Grands syndromes anatomocliniques

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Introduction :

Il existe de très nombreuses formes de destruction emphysémateuse du poumon, qui se traduisent par des tableaux cliniques éminemment variés.

Plusieurs remarques préalables s’imposent :

– le seul dénominateur commun qui rassemble ces tableaux est histopathologique.

En effet, les grandes caractéristiques physiopathologiques, à commencer par le trouble ventilatoire obstructif, ne sont ni constantes, ni spécifiques ;

– le rôle pathogène du tabac est accablant, et l’emphysème est principalement observé chez les patients atteints de bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO).

Emphysème pulmonaire Grands syndromes anatomocliniquesDans cette situation, les destructions emphysémateuses varient fortement d’un patient à l’autre, tant par leur étendue que par la nature des lésions élémentaires.

Il existe en effet, plusieurs variétés d’emphysème souvent intriquées entre elles ;

– ces lésions emphysémateuses sont souvent associées à d’autres désordres structuraux qui intéressent les bronches cartilagineuses et membraneuses.

La contribution de ces derniers aux conséquences physiopathologiques dépasse souvent celle de l’emphysème. Déterminer ces contributions respectives est devenu un problème pratique, en particulier chez tout candidat à la chirurgie de réduction volumétrique ;

– il est aujourd’hui plus facile de s’accorder sur les caractéristiques cliniques et physiopathologiques de cette affection, car l’examen tomodensitométrique du poumon nous donne facilement un reflet fidèle des destructions emphysémateuses.

En définitive, le mot « emphysème » ne désigne pas une maladie, mais simplement l’une des composantes anatomiques observées en cas de BPCO.

Les « grands syndromes anatomocliniques » que nous décrirons dans cet article doivent être considérés comme des « types de description idéalisés ».

Nous verrons que la pratique nous confronte en fait à un vaste continuum de « formes hybrides ».

Définitions et nosologie :

En 1959, le Ciba Guest Symposium a ainsi défini l’emphysème : « affection caractérisée par l’augmentation des espaces aériens distaux par dilatation ou par rupture des parois alvéolaires ».

En 1961 et 1962, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) puis l’American Thoracic Society (ATS) ont repris cette définition, en exigeant la destruction du tissu alvéolaire.

Dans cet article, nous nous référerons à la définition de l’American Thoracic Society : « L’emphysème pulmonaire est un état caractérisé par un élargissement anormal et permanent des espaces aériens situés audelà des bronchioles terminales, et accompagné d’une destruction des cloisons interalvéolaires sans remaniement fibrotique majeur ».

A – REMARQUES SUR LA DÉFINITION DE L’ATS :

Il existe souvent, chez les fumeurs, des remaniements fibreux des cloisons interalvéolaires, alors que l’emphysème domine le panorama histopathologique.

Nous verrons que cette fibrose avec accumulation de collagène est tout à fait habituelle dans les lésions d’emphysème centrolobulaire les plus caractéristiques, et que certains modèles animaux permettent d’observer que le remodelage de la matrice extracellulaire peut se faire à la fois sur le mode fibreux et emphysémateux.

Les cloisons interalvéolaires normales sont fenêtrées.

Ces pores font communiquer les espaces interalvéolaires.

Ils augmentent en nombre et en taille avec l’âge.

Chez le sujet âgé, ces pores peuvent en imposer pour des ruptures, et un élargissement des canaux alvéolaires est commun chez le vieillard.

La transformation emphysémateuse pourrait donc être considérée comme une simple accentuation du vieillissement.

Est-il légitime d’exiger, avec l’OMS et l’ATS, une destruction des cloisons interalvéolaires et non une simple distension, comme cela avait été proposé lors du Ciba Guest Symposium ?

Aujourd’hui, la rupture des cloisons paraît être l’événement primordial, la distension étant un phénomène secondaire.

Il faut donc faire de cette rupture un critère majeur.

B – AFFECTIONS NE CORRESPONDANT PAS À LA DÉFINITION DE L’ATS :

1- Emphysème paracicatriciel :

Il est en marge de la définition, car il juxtapose des lésions fibreuses à des foyers emphysémateux, parfois bulleux.

Il est observé lors de l’évolution d’une tuberculose stérilisée, d’une sarcoïdose chronique, d’une silicose…

Ces états n’ont pas de correspondance radioclinique ou physiopathologique précise, en raison de la variabilité des étendues respectives de l’emphysème et de la fibrose.

2- Distensions alvéolaires sans rupture des parois :

Elles seront également écartées de cette étude.

Il s’agit des supposés emphysèmes compensateurs postpneumonectomie, de certaines distensions post-maladie asthmatique, et de certains états congénitaux (trisomie 21).

C – TYPES D’EMPHYSÈME RÉPONDANT À LA DÉFINITION DE L’ATS :

Seuls trois grands types d’emphysème répondent à la définiton de l’ATS.

Ils sont le corrélat anatomique des grands syndromes cliniques que nous décrirons.

Les premières descriptions ont été faites, en post mortem, par l’analyse de fines coupes sagittales de poumon entier montées sur feuille de papier (coupe de Gough- Wentworth).

Bien que cette technique de quantification par la seule macroscopie ne soit pas parfaitement satisfaisante, ces travaux ont permis dès la fin des années 1960, d’extraire du « complexe bronchopneumopathie chronique obstructive », les grands syndromes anatomocliniques aujourd’hui reconnus.

Il s’agit de l’emphysème panlobulaire, des emphysèmes en foyers, dont le principal est l’emphysème centrolobulaire, et de l’emphysème paraseptal.

Emphysème panlobulaire (EPL) :

A – ANATOMIE :

Il s’agit d’une maladie étendue à l’ensemble des cloisons interalvéolaires.

Lors d’une nécropsie, le grand volume des poumons et leur non-affaissement spontané à l’ouverture du thorax apparaissent.

Laennec avait remarqué que ce non-affaissement persistait après la section des bronches les plus distales.

Il démontrait ainsi que l’obstacle à l’écoulement de l’air est le fait des propriétés intrinsèques du tissu pulmonaire, et non la conséquence de sténoses de ces bronches.

Après fixation des poumons entiers, les lésions apparaissent diffuses, mais prédominent en général au niveau des lobes inférieurs.

Les atteintes initiales intéressent d’abord les sacs et les canaux alvéolaires, puis il existe une destruction et une distension relativement uniformes de l’ensemble de l’acinus, incluant les bronchioles respiratoires.

Des éléments bulleux sont fréquemment observés.

Les lésions associées sont typiquement modestes :

– la vascularisation pulmonaire distale est détruite, là où le tissu alvéolaire est lui-même détruit ;

– les parois des gros troncs bronchiques et leurs armatures cartilagineuses sont souvent atrophiques, sans phénomène inflammatoire ou fibreux important ;

– les bronches membraneuses apparaissent relativement préservées avec peu de sténoses ou de tortuosités.

Les phénomènes inflammatoires restent discrets.

B – PATHOGÉNIE :

1- Balance protéase/antiprotéase :

En 1963, Laurell et Erikson ont mis en évidence l’association entre l’emphysème panlobulaire et le déficit grave en alpha1-antitrypsine (alpha1-AT).

Deux ans plus tard, Gross mettait au point un modèle animal (hamster) en injectant par voie intratrachéale des protéases à activité élastasique (papaïne).

Cette injection était suivie de phénomènes inflammatoires intenses mais éphémères, puis on observait l’installation progressive (sur plus de 6 semaines) de lésions pulmonaires proches de l’emphysème panlobulaire humain.

À cette destruction enzymatique de l’élastine, succède la resynthèse rapide d’une trame conjonctive quantitativement suffisante, mais organisée selon un réseau anarchique.

Cette resynthèse limite mais n’évite pas l’aggravation des lésions emphysémateuses.

Ainsi est née la première « balance élastase/antiélastase » qui a largement dominé les hypothèses pathogéniques jusqu’à la fin des années 1990.

Les faits qui ont alors contribué à crédibiliser cette théorie sont les suivants :

– la fumée de la cigarette est le principal facteur étiologique de l’emphysème.

Il induit une accumulation de polynucléaires neutrophiles riches en sérine-élastases au contact du tissu alvéolaire ;

– cette sérine-élastase injectée par voie intratrachéale est capable d’induire, comme la papaïne et l’élastase pancréatique, un emphysème chez l’animal ;

– la fumée de la cigarette est capable d’inactiver par oxydation l’alpha1-AT, principal inhibiteur de l’élastase du polynucléaire.

Les fumeurs et particulièrement ceux qui développent une BPCO ont des taux sériques élevés de peptides d’élastine.

Il était donc habituel de considérer que l’emphysème était la conséquence d’une élastinolyse. Mais cette première théorie, qui donnait un rôle central au polynucléaire, n’était pas satisfaisante :

– la théorie découlait d’un modèle expérimental trop brutal ;

– elle supposait des phénomènes inflammatoires majeurs, bien éloignés de l’observation humaine (inflammation modérée, avec accumulation de macrophages plutôt que de polynucléaires) ;

– l’augmentation de la destruction de l’élastine n’est pas clairement démontrée lors de l’évolution de l’emphysème humain : toutes les études sur les marqueurs de son catabolisme ne sont pas concordantes.

2- Faits nouveaux :

Ces dernières années, de nouveaux modèles animaux, reposant sur plusieurs lignées de souris génétiquement modifiées, ont bousculé cette première théorie.

Il est en effet possible d’établir des lignées de souris chez lesquelles un gène défini est délété (lignées knock-out) ou au contraire chez lesquelles un gène défini est introduit (lignées knock-in).

Ces manipulations permettent le développement de modèles expérimentaux instructifs.

* Métalloélastases macrophagiques :

Ces modèles permettent de réévaluer le rôle de certaines métalloélastases, particulièrement celles qui appartiennent à la vaste famille des métalloprotéinases matricielles (MMP).

Ainsi :

– lorsqu’on observe les conséquences d’une inhalation prolongée de fumée de cigarette chez les souris sauvages dont les macrophages et les polynucléaires neutrophiles ont un équipement enzymatique normal, on constate le recrutement et l’accumulation de cellules inflammatoires et la survenue d’un emphysème ;

– la même expérience sur une lignée de souris génétiquement modifiées, rendues déficientes en une métalloélastase particulière (la MMP-12 -/-), ne provoque ni emphysème ni recrutement de macrophages.

Il est possible par instillation intratrachéale de protéine P-1, de rétablir le recrutement de macrophages.

Mais ces cellules déficientes ainsi recrutées n’induisent aucun emphysème ;

– en revanche, chez les souris dont les polynucléaires neutrophiles sont privés de la sérine-élastase, la fumée de cigarette induit toujours un emphysème ;

– l’extrapolation de ces résultats à l’homme est hasardeuse.

En effet, les dosages de cette MMP 12 dans le tissu pulmonaire ou les macrophages humains ne montrent pas d’augmentation de cette protéase chez les emphysémateux.

Mais les grandes différences de répertoires enzymatiques entre les deux espèces interdisent toutes conclusions hâtives.

Il apparaît donc probable que les MMP jouent un rôle central dans la pathogénie des emphysèmes induits par la fumée de cigarettes, au moins dans ce modèle murin.

Mais ce modèle est probablement trop simple : le macrophage humain a des activités protéolytiques très étendues, intéressant également les autres composants du tissu conjonctif, incluant le collagène.

Les MMP peuvent de plus dégrader l’alpha1-AT, l’élastase du polynucléaire, et les inhibiteurs tissulaires des métalloprotéases (TIMPS).

* Collagénases des cellules résidentes :

La protéolyse médiée par les cellules résidentes est une piste complémentaire susceptible d’agir en l’absence de phénomène inflammatoire important, ce qui est conforme aux données anatomopathologiques.

+ Métalloprotéases matricielles des pneumocytes II :

Lorsque le gène d’une métalloprotéase matricielle à action collagénolytique (la MMP-1) est transfecté dans l’oeuf fertilisé, les souris issues de cette manipulation développent un EPL pur.

La MMP-1 n’ayant pas d’activité sur les fibres d’élastine intactes, ce modèle bouscule le paradigme de ces 30 dernières années, qui réduisait la théorie à trois acteurs : élastine, élastase et alpha1-AT.

Le problème de la responsabilité des fibres collagènes est donc posé.

Ces dernières confèrent une certaine stabilité au réseau conjonctif périalvéolaire, et en cas de destruction de ce réseau collagène, l’action conjointe de l’élastinolyse et de l’étirement mécanique pourrait contribuer à la distension des espaces aériens.

Plusieurs arguments suggèrent un rôle pour les collagénases, en particulier la MMP-1 :

– dans ce modèle murin, la MMP-1, présente dès la période embryonnaire, peut favoriser le développement d’un réseau conjonctif anormalement fragile ;

– chez l’homme adulte, cette protéase ne semble pas inerte, puisque l’on observe une hyperexpression de son acide ribonucléique (ARN) messager dans les tissus pulmonaires des BPCO par rapport aux sujets sains ;

– par immunohistochimie, on retrouve la MMP-1 associée aux pneumocytes II des emphysémateux, et non chez les sujets contrôles (fumeurs ou non).

+ Cellules musculaires lisses :

Il est aussi tentant d’incriminer la cellule musculaire lisse sécrétrice d’une part de la cathepsine S, protéase cystéinée à activité élastinolytique, et d’autre part de son inhibiteur tissulaire la cystatine C.

* Remodelage de la matrice extracellulaire :

La resynthèse du tissu conjonctif est aussi impliquée dans la genèse de certains emphysèmes.

Ce point est illustré chez l’animal et chez l’homme par l’existence de maladies génétiques du tissu conjonctif avec survenue d’un EPL évolutif.

Chez l’animal, il est possible d’entraver la synthèse des fibres élastiques (substances lathyrogènes, carence en cuivre), avec alors resynthèse insuffisante d’élastine et constitution d’un emphysème.

Une resynthèse insuffisante doit encore être évoquée devant la raréfaction des cellules interstitielles résidentes.

Longtemps, il a été postulé que la disparition des cellules résidentes de l’interstium était la conséquence de la perte de leur support conjonctif.

Un fait expérimental permet peut-être d’inverser ce postulat : chez le rat, le blocage pharmacologique des récepteurs du VEGF (vascular endothelial growth factor), induit l’apoptose des cellules alvéolaires, puis conduit à l’emphysème.

Inversement, l’acide tout-transrétinoïque est capable de limiter les effets de l’emphysème élastase-induit chez le rat.

Cet analogue de la vitamine A favorise chez l’animal déficient la formation de néosepta interalvéolaires et la synthèse de la protéine D du surfactant.

L’acide transrétinoïque limite le catabolisme de l’élastine en réduisant l’induction et l’activation des MMP-1 et MMP-3 du fibroblaste.

Les rétinoïdes sont en cours d’expérimentation dans l’emphysème humain.

3- Évolution des théories :

Si le « volet catabolisme » du tissu conjonctif a gardé une place importante, il ne se résume plus à une balance élastases/ antiélastases, mais à une plus large action protéases/antiprotéases, qui concerne l’ensemble de la matrice extracellulaire.

La principale cellule « maléfique » était le polynucléaire neutrophile armé d’une sérine-élastase, et ceci reste probablement valable pour le cas particulier des rares déficits majeurs en alpha1-AT.

Aujourd’hui, pour les emphysèmes les plus communs, les macrophages et les cellules résidentes armés des MMP paraissent les principaux responsables de l’agression enzymatique du tissu conjonctif.

Le remodelage de l’ensemble de la matrice extracellulaire incluant sa resynthèse est aujourd’hui mis en avant.

Le mode de régulation du subtil équilibre entre protéolyse et remodelage est soumis à spéculation. Quelques faits méritent d’être discutés :

– les phénomènes inflammatoires, par nature discrets lors de l’EPL, pourraient participer à l’induction de ce déséquilibre. Ainsi, dans un modèle murin transgénique, l’interféron gamma (cytokine de type TH 1, issue des lymphocytes CD8) stimule la production de diverses protéases (MMP-12, MMP-9, cathépsine), inhibe la synthèse de l’inhibiteur leucocytaire des protéases, et favorise la survenu d’un emphysème ;

– une lignée de souris transgénique illustre encore le rôle des cellules résidentes et des cytokines, et met en lumière la frontière étroite entre remaniements fibreux et emphysémateux.

Le génome de cette lignée a été modifié par l’introduction d’une construction associant le gène du PDGF-B (platelet-derived growth factor) et le promoteur du SPC (protéine C du surfactant).

Les conséquences de cette manipulation sont complexes, avec de grandes variations interindividuelles.

Le PDGF-B est effectivement localement hyperexprimé, principalement par les pneumocytes II.

La maladie pulmonaire associe de discrets foyers inflammatoires à des remaniements alvéolaires variables d’un animal à l’autre, et d’un territoire pulmonaire à l’autre, mais intriquant toujours dégâts fibreux et emphysémateux.

C – ÉTIOLOGIES :

Le rôle du tabagisme est accablant, mais tous les autres polluants inhalés favorisent la survenue d’une BPCO, avec un emphysème anatomique de type et d’étendue variables.

Les facteurs individuels qui expliquent pourquoi certains sujets développent un EPL alors que d’autres restent indemnes ou développent une autre forme de BPCO, restent pour la plus part encore inconnus.

1- Déficits en alpha1-antitrypsine :

* Alpha1-antitrypsine : généralités

L’alpha1-AT est une glycoprotéine sérique essentiellement synthétisée par le foie, mais également par les macrophages et les polynucléaires.

La molécule est fragile, en effet la méthionine de son site actif peut être inactivée irréversiblement par les oxydants.

Son gène est situé sur le chromosome 14 (segment 14q32.1). Elle appartient à la famille des serpines, qui regroupe les inhibiteurs des diverses sérine-protéases.

Ces inhibiteurs agissent en « substrats mortels » selon un mécanisme commun.

Le contact des sites actifs de la protéase et de son inhibiteur s’accompagne du clivage de l’acide aminé-clef présent au site actif de l’inhibiteur (en l’occurrence la méthionine 358 pour l’alpha1-AT) par sa protéase (en l’occurrence la sérine-élastase du polynucléaire neutrophile).

Cette réaction déstabilise violemment la structure quaternaire de l’inhibiteur, qui se replie aussitôt sur sa protéase-cible, qui se trouve ainsi piégée.

Le polymorphisme génétique de cette molécule est très important, avec plus de 90 allèles.

Le phénotype peut être déterminé dans certains laboratoires par la biologie moléculaire.

En routine, l’électrophorèse bidimensionnelle ou l’isoélectrofocalisation sont principalement utilisés.

Selon la vitesse de migration électrophorétique de la molécule, les allèles sont désignés par des lettres de l’alphabet allant de F (fort) à S (slow) en passant par M (médium), la lettre Z désigne l’allèle dont la migration est la plus lente.

Cette électrofocalisation est cependant insuffisante pour séparer tous les variants, soulignant l’importance de la biologie moléculaire.

Chez 90 % des sujets, les deux gènes parentaux autosomiques codominants régissent la synthèse d’une glycoprotéine normale définissant le phénotype PiMM (protease inhibitor MM).

Le taux sérique est alors de l’ordre de 150 à 250 mg/100 mL.

Parmi les allèles M, il existe plusieurs variantes moléculaires : les deux allèles M1 (ala 213) et M1 (val 213) de même mobilité, et les allèles M2 et M3, qui représentent ensemble plus de 95 % des variants d’alpha1-AT à taux sérique normal.

* Déficits majeurs incomplets :

Les déficits majeurs mais incomplets (taux inférieur à 50 mg/100 mL) sont exceptionnels (0,04 à 0,06 % de la population générale) et correspondent en général à un phénotype PiZZ.

Le gène Z diffère de la forme normale M1 par une mutation ponctuelle d’un codon GAG modifié en AAG.

Ceci se traduit par la substitution d’un acide aminé Glu342 en Lys, mais le site actif reste normal.

Après glycolysation, les molécules s’accumulent dans le réticulum des hépatocytes.

Ce milieu est propice à la polymérisation des molécules mutées.

Il en résulte une surcharge hépatocytaire et une excrétion insuffisante.

Cette accumulation est visible sur une biopsie hépatique tant en microscopie optique (inclusions PAS +) qu’électronique.

Il en résulte un risque de cirrhose.

Ces molécules de type Z forment avec l’élastase du neutrophile des complexes relativement lâches.

Mais la baisse de l’activité antiprotéase du sérum reflète davantage la diminution quantitative de l’alpha1-AT que le déficit qualitatif.

Ces déficits ZZ s’accompagnent occasionnellement d’une cirrhose d’évolution parfois rapide dès l’enfance, ailleurs d’évolution insidieuse et découverte à l’âge adulte. Plus d’une fois sur deux, on observe un EPL.

La maladie survient le plus souvent chez un sujet de sexe masculin, fumeur ou ex-fumeur.

La dyspnée d’effort révèle l’affection vers 25-40 ans.

L’évolution est régulière, confrontant le patient à la transplantation pulmonaire ou à la mort pendant la quatrième, la cinquième ou la sixième décennie de sa vie.

Ces notions reposent en fait sur de courtes séries hospitalières sujettes à de nombreux biais.

Une vision plus épidémiologique du problème démontre que le tabagisme est un cofacteur important, voire déterminant.

En effet, les sujets ZZ non fumeurs ne développent pas toujours un emphysème, ou celui-ci sera tardif.

En moyenne le sujet non fumeur PI MM voit son volume expiratoire maximal seconde (VEMS) diminuer de 35 mL/an, ce qui est peu différent des 45 mL observés chez le sujet PI ZZ non fumeur, et contraste avec la perte annuelle de 70 mL du sujet PI ZZ fumeur.

En fait, les variations interindividuelles sont considérables, et d’autres facteurs que le tabac jouent un rôle important dans l’expression clinique du génotype Pi ZZ.

Ces facteurs peuvent être environnementaux (nuisances professionnelles…) ou génétiques.

Le phénotype ne correspond pas toujours à un EPL pur, on observe parfois une BPCO plus banale, voire des dilatations diffuses des bronches.

* Autres déficits majeurs :

D’autres déficits majeurs ont été décrits, avec des taux sériques effondrés (< 10 % de la valeur normale) mais non nuls.

La migration de la molécule peut être normale (migration M, génotype Malton) ; ces déficits comportent un risque d’EPL mais aussi de cirrhose.

Il existe plusieurs variétés de déficits complets (déficits nul/nul) avec une alpha1-AT sérique indétectable et un EPL majeur, et encore plus précoce (souvent avant 20 ans) que chez les patients PiZZ.

Ceci suggère que le faible taux d’alpha1-AT observé chez les sujets PiZZ (un cinquième de la valeur normale) joue un rôle protecteur incomplet, mais non négligeable.

Les cirrhoses sont inconnues en cas de déficit complet.

* Déficits intermédiaires :

Les taux intermédiaires (souvent de l’ordre de 80 à 150 mg/100 mL) correspondent à des phénotypes variés, Pi MZ, MS, SS…

L’allèle S est assez fréquent (2 % de tous les allèles et davantage chez les sujets originaires de la péninsule ibérique).

La mutation S (Glu264 en Val) est la plus fréquente, responsable chez les homozygotes d’une baisse de 40 % de la synthèse, sans accumulation intrahépatocytaire.

Si ces déficits intermédiaires sont plus fréquents que les déficits majeurs, leur responsabilité dans la genèse des emphysèmes est faible. Une large étude danoise a particulièrement étudié la responsabilité du phénotype Pi MZ.

Cette étude montre que la chute du VEMS chez les sujets MZ est significativement plus rapide que chez les MM (en particulier chez les non-fumeurs, mais cette différence, quoique significative, est très faible.

D’autres déficits quantitativement un peu plus importants (50 à 100 mg/100 mL) réclament d’avantage d’attention, en particulier chez les fumeurs.

Il s’agit souvent d’hétérozygotes composites (sujets SZ…).

2- Emphysème et maladie dite de système :

Le pronostic d’une hémosidérose d’évolution initialement simple peut être assombri par la survenue tardive d’un EPL.

Le syndrome de MacDuffie (vascularite cutanée, hypocomplémentémie), parfois cliniquement proche du lupus, peut se compliquer d’un emphysème d’allure panlobulaire.

Un discret emphysème panlobulaire a souvent été observé à l’autopsie systématique de patients décédés d’un lupus érythémateux aigu disséminé.

3- Pathogénie ischémique par obstruction de la microvascularisation :

Une pathogénie ischémique par obstruction de la microvascularisation pulmonaire pourrait aussi conduire à la rupture des septa interalvéolaires et à un EPL.

Cette hypothèse pourrait expliquer les emphysèmes observés dans le cadre de certaines maladies générales avec microvascularite ou chez les toxicomanes après l’injection intraveineuse répétée d’impuretés (talc, coton…).

Ces incidents sont fréquents chez certains toxicomanes, trompés par leurs revendeurs, ou après transformation artisanale de produit à usage oral ou nasal en préparation « injectable ».

Ces impuretés embolisent la microvascularisation pulmonaire, où elles déclenchent une réaction granulomateuse avec une fibrose alvéolaire et/ou une oblitération vasculaire et/ou des lésions emphysémateuses.

Les conséquences pulmonaires sont donc variées : hypertension artérielle pulmonaire, pneumopathies interstitielles diffuses, et emphysème.

Cet emphysème, souvent de type panlobulaire, est peut-être la conséquence d’une rupture ischémique des cloisons interalvéolaires ou de la sécrétion de protéases par le granulome.

Le fait que ces sujets soient le plus souvent fumeurs (tabac, cannabis) ne doit pas faire écarter cette étiologie particulière.

Après une première évaluation, l’emphysème paraît souvent pur, mais la granulomatose peut être soupçonnée par la découverte de micronodules, ou d’un aspect en verre dépoli à l’examen tomodensitométrique.

4- Pneumopathies d’hypersensibilité :

Le suivi longitudinal des patients atteints de pneumopathies d’hypersensibilité, particulièrement les poumons fermiers, permet d’observer aussi bien la survenue d’un emphysème diffus que d’un tableau de « fibrose ».

5- Maladies génétiques du conjonctif :

Rarement l’anamnèse (cas familiaux) ou l’examen clinique oriente vers une maladie génétique du tissu conjonctif.

Le risque d’EPL est important dans le contexte du syndrome cutis laxa, maladie de l’ensemble des fibres élastiques.

Dans le contexte d’une maladie d’Ehlers-Danlos (type IV) ou celui d’une maladie de Marfan, on observe parfois des bulles, des pneumothorax, ou des anomalies des relations pression/volume, mais un EPL anatomique diffus est rare.

6- Infection par le virus de l’immunodéficience humaine :

Une étude contrôlée chez des sujets fumeurs a mis en évidence l’augmentation de l’incidence de l’emphysème chez les patients séropositifs avant la survenue de toutes infections opportunistes.

Le rôle des lymphocytes cytotoxiques est évoqué.

7- Autres raisons :

En fait, plus de neuf fois sur dix, l’emphysème reste inexpliqué.

Un passé tabagique est fréquent ; mais aucune maladie sous-jacente n’est identifiée.

D – PHYSIOPATHOLOGIE DE L’EMPHYSÈME PANLOBULAIRE :

Seules certaines caractéristiques très classiques qui traduisent directement les désordres anatomiques seront mises en avant.

La physiopathologie des BPCO en tant que telle, ne sera pas détaillée ici.

1- Distension :

L’augmentation de la capacité pulmonaire totale (CPT) est en relation directe avec la distension alvéolaire et l’importance des territoires bulleux.

Ceci a pour corollaire une modification de la configuration thoracoabdominale : le diaphragme perd sa convexité naturelle, a tendance à s’aplatir, voire à devenir concave vers le haut.

Son efficacité mécanique est donc amoindrie, et le patient est obligé d’utiliser ses muscles respiratoires accessoires.

2- Trouble ventilatoire obstructif (TVO) :

Le TVO emphysémateux reflète principalement la perte des propriétés élastiques du parenchyme pulmonaire.

La pression de rétraction élastique (P el) représente la contribution du parenchyme pulmonaire à l’expulsion de l’air.

Celle-ci est par essence effondrée dans l’EPL, surtout aux bas volumes.

Le substratum anatomique est complexe, la seule perte des attaches bronchiolaires ne semble pas suffisante pour expliquer le TVO.

En effet, les tentatives de corrélation entre le TVO et la destruction des cloisons interalvéolaires ont souvent été des échecs, suggérant le rôle non exclusif de ce mécanisme, et la responsabilité de l’ensemble de la trame conjonctive.

3- Diminution de la surface d’échange sans effet shunt :

La diminution de la capacité de transfert de l’oxyde de carbone est bien corrélée avec la destruction emphysémateuse.

Cette destruction concerne autant le tissu alvéolaire que la vascularisation.

En principe, il n’y a donc que peu d’inégalité du rapport ventilation/perfusion, et peu d’effet shunt.

C’est pourquoi l’hypoxémie de repos est typiquement absente au cours de l’emphysème panlobulaire pur.

Mais elle peut apparaître à l’exercice ou plus tardivement au repos, lorsque la surface d’échange est considérablement réduite et qu’il existe une hypoventilation alvéolaire globale.

4- Conséquences hémodynamiques :

Une hypertension artérielle pulmonaire (HTAP) sévère apparaît plus rare en cas d’EPL que dans les BPCO usuelles. Initialement elle apparaît à l’exercice.

Elle est évidemment en relation avec l’augmentation des résistances pulmonaires, mais celle-ci traduit ici davantage la destruction diffuse de la vascularisation pulmonaire que la muscularisation artérielle et artériolaire secondaire à la vasoconstriction hypoxémique que l’on rencontre dans les BPCO usuelles avec emphysème centrolobulaire.

L’HTAP des emphysémateux est d’ailleurs en relation statistique plus étroite avec la capacité de transfert du monoxyde de carbone, qu’avec l’hypoxémie.

La chirurgie de réduction volumétrique ne modifie pas clairement la pression artérielle pulmonaire moyenne, en effet :

– l’HTAP peut se majorer, en réponse aux résections parenchymateuses ;

– ailleurs l’HTAP peut diminuer en réponse à la correction de l’inflation et à l’amélioration de l’élasticité pulmonaire ;

– mais la chirurgie améliore plus constamment la pression capillaire, l’index cardiaque au repos et à l’exercice. Une élévation de la PAP reste compatible avec une amélioration de l’index cardiaque et des performances à l’exercice.

Un tableau différent, le syndrome de « tamponnade gazeuse » a été décrit chez les emphysémateux.

L’expiration s’accompagne, chez les grands emphysémateux, d’une augmentation des pressions intrathoraciques, qui compromet le remplissage du coeur.

Le débit cardiaque est alors bas, n’augmente guère à l’exercice, et s’effondre lors de la manoeuvre de Valsalva.

Ce syndrome est rarement observé en cas d’emphysème modéré.

Peut-être faut-il lui attribuer un rôle important dans la genèse de la dyspnée observée chez certains grands emphysémateux, atteints de formes caricaturales, avec bulles volumineuses ou distension majeure, coeur en goutte, syncope d’effort et chute de la pression artérielle lors de la manoeuvre de Valsalva.

5- Compensation inspiratoire et l’hyperinflation dynamique :

La distension et la limitation à l’expiration appellent des phénomènes adaptatifs.

Il s’agit :

– de l’allongement du temps expiratoire, avec limitation du temps inspiratoire ;

– d’une majoration dynamique de l’inflation pulmonaire.

D’après les courbes débit-volume, on constate que les débits expiratoires sont plus importants à haut volume pulmonaire.

Il est donc logique pour limiter cette obstruction, de déplacer la boucle ventilatoire vers les hauts volumes (en particulier à l’exercice et lors des poussées d’insuffisance respiratoire).

Pour lutter contre le TVO, le patient cherche donc à ventiler à plus haut volume, afin de « retendre » les attaches bronchiolaires retardant ainsi le collapsus expiratoire des bronches.

Mais cette parade trouve rapidement ces limites :

– en effet, si l’effort inspiratoire commence à de plus hauts volumes, alors que le poumon n’a pas encore retrouvé sa position d’équilibre (la force de rétraction élastique du poumon ne s’est pas encore équilibrée avec la force d’expansion de la paroi thoracique), il faut alors surmonter d’abord cette charge élastique.

Ce n’est qu’après avoir fourni ce premier travail (il peut représenter la moitié du travail ventilatoire) que l’effort commence à produire une inspiration effective ;

– de plus, cette distension dynamique accentue la position géométriquement défavorable du diaphragme.

6- Dyspnée des emphysémateux :

La recherche d’une explication physiopathologique unique et simple à la dyspnée a suscité beaucoup d’interrogations.

Il peut paraître utopique de rechercher une explication unique à ce symptôme majeur, qui reflète une telle diversité de désordres ventilatoires et hémodynamiques.

En effet, les tentatives de corrélations entre chacun des paramètres fonctionnels classiques (épreuves fonctionnelles traditionnelles, donnés des échanges gazeux, V O2 max…), et la dyspnée à l’exercice évaluée de diverses façons (échelle visuelle analogique, échelle de Borg, test de marche sur 6 minutes…) ont donné de très médiocres résultats.

De meilleures corrélations ont été tirées des index de distension, ou de ceux qui en découlent (capacité inspiratoire …).

E – DIAGNOSTIC DE L’EMPHYSÈME PANLOBULAIRE :

1- Présentation clinique :

Lorsqu’il est pur, l’EPL représente le type le plus rare de BPCO (moins de 10 %).

Il peut avoir une traduction radioclinique caricaturale, réalisant alors le tableau du pink-puffer (malade rose et poussif ou type A).

Il s’agit le plus souvent d’un sujet de sexe masculin, longiligne, maigre, fumeur ou ancien fumeur.

La maigreur est parfois étiquetée « constitutionnelle », ailleurs, elle s’installe rapidement (10 % du poids total en 2 ans) et est alors de mauvais pronostic.

La dyspnée d’effort ouvre la scène clinique, et l’interrogatoire confirme que l’hypersécrétion bronchique (toux, expectoration) est au second plan ou même absente.

Cette dyspnée d’installation insidieuse devient progressivement invalidante, confinant le patient à son domicile au cours des dernières années de sa vie.

L’inspection est alors caractéristique :

– le thorax est distendu en tonneau avec un sternum projeté en avant et une cyphose dorsale ;

– les muscles respiratoires accessoires (sterno-cléido-mastoïdiens et scalènes) sont hypertrophiés et leur mise en jeu est visible.

Lors de l’inspiration, on observe souvent la diminution paradoxale du diamètre inférieur du thorax, contrastant avec l’expansion de la partie supérieure (signe de Hoover).

Il existe une plongée inspiratoire du cartilage thyroïde dans le médiastin (signe de Campbell).

L’ampliation thoracique est brève et de faible amplitude, l’expiration prolongée.

La dyspnée diminue lorsque le patient se penche en avant.

Cette position augmente ainsi la pression intraabdominale, ce qui redonne de la courbure et de l’efficacité au diaphragme.

Tout ceci traduit directement les modifications de la configuration thoracoabdominale ;

– le patient expire souvent à travers ses lèvres pincées, afin de retarder le collapsus expiratoire des bronches en augmentant la pression intrabronchique ;

– la cyanose est tardive. La SpO2 de repos est longtemps normale, mais chute souvent à la marche.

À l’examen, le thorax est sonore à la percussion.

L’auscultation montre une diminution diffuse du murmure vésiculaire.

L’expiration est habituellement silencieuse. Lors d’une manoeuvre d’expiration forcée et complète, ont observe un temps expiratoire prolongé (parfois plus de 10 secondes ; moins de 4 secondes à l’état physiologique).

Il est facile par la palpation cervicale d’apprécier l’hypertrophie et la mise en jeu des muscles respiratoires accessoires.

Les signes de coeur pulmonaire chronique sont tardifs.

En revanche, on peut observer lors d’une manoeuvre de Valsalva, une chute de la pression artérielle suggérant le syndrome de « tamponnade emphysémateuse ».

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