Medix cours de médecine en ligne – Encyclopédie Médicale

Diplopie

Introduction :

Les mouvements oculaires sont au service de la vision.

Cette vision binoculaire impose au système oculomoteur la contrainte de maintenir les axes visuels face à l’image fixée.

La correspondance sensorielle est ainsi servie par la correspondance motrice.

L’atteinte d’un muscle ou d’un nerf oculomoteur, ou plus rarement certaines atteintes des voies supra- ou internucléaires, va perturber les correspondances motrice et sensorielle et être responsable d’une diplopie.

La diplopie est donc la perception d’un même objet dans deux endroits différents de l’espace visuel.

Devant ce trouble visuel, le praticien doit répondre aux trois questions suivantes :

– quelle est la topographie de l’atteinte oculomotrice responsable de la diplopie ?

– quelle est l’étiologie de cette atteinte ?

– que peut-on proposer au patient ?

Rappel anatomique :

Les muscles oculomoteurs assurant la motilité oculaire extrinsèque sont au nombre de six par oeil ; les quatre muscles droits : supérieur (DS), inférieur (Dinf), interne (Dint) et externe (DE) forment un cône musculaire ; ils s’insèrent en arrière à l’apex orbitaire sur le tendon de Zinn et en avant entre 5 et 8 mm en arrière du limbe sclérocornéen.

Le grand oblique ou oblique supérieur (OS) s’insère en arrière sur le tendon de Zinn ; il se dirige d’abord en avant et en dedans et se réfléchit sur sa poulie située dans l’angle supéro-interne de l’orbite, avant de repartir vers l’arrière et en dehors pour s’insérer sur la sclère, en arrière de l’équateur du globe oculaire.

Le petit oblique ou oblique inférieur (OI), également rétroéquatorial s’insère dans le quadrant inféro-externe du globe.

Le moteur oculaire commun (III), innerve les muscles DS, Dinf, Dint, OI et le releveur de la paupière supérieure.

Les fibres pupillaires parasympathiques innervant le sphincter irien suivent le trajet du III.

Le noyau du III est situé dans le tronc cérébral en avant du colliculus supérieur et comprend plusieurs sous-noyaux. L’organisation comporte deux particularités :

– les fibres innervant le droit supérieur sont toutes des fibres croisées ;

– l’innervation des deux releveurs de la paupière se fait à partir d’un seul sous-noyau dont le siège est médian.

Les fibres du III émergent à la partie antérieure du tronc cérébral, au niveau du sillon bulboprotubérantiel, à la terminaison du tronc basilaire ; elles cheminent ensuite le long de la tente du cervelet où elles sont pincées entre les artères cérébelleuse supérieure et cérébrale postérieure, puis sur le toit du sinus caverneux avant de pénétrer dans sa paroi latérale.

À la sortie du sinus caverneux, le III se divise en deux branches supérieure et inférieure qui pénètrent dans l’orbite par l’anneau de Zinn. Le nerf pathétique (IV) innerve l’OS.

Son noyau est situé en avant du colliculus inférieur ; les fibres qui en sont issues émergent à la partie dorsale du tronc cérébral, croisent la ligne médiane et ont ensuite un trajet circumpédonculaire d’arrière en avant.

Elles pénètrent dans la paroi latérale du sinus caverneux et se dirigent vers la fente sphénoïdale.

Le moteur oculaire externe (VI) innerve le DE.

Son noyau est situé dans la protubérance, sous le plancher du IVe ventricule.

Les fibres émergent en avant, au niveau du sillon bulboprotubérantiel ; elles se dirigent vers l’avant, croisent la pointe du rocher, puis gagnent l’intérieur du sinus caverneux au contact de la carotide interne.

Elles pénètrent ensuite dans l’orbite par la fente sphénoïdale, dans l’anneau de Zinn.

Définitions :

L’examen d’un patient se plaignant de diplopie doit être soigneux et démarrer dès que celui-ci entre dans la pièce et commence à raconter son histoire.

Il faut s’attacher à observer comment il se déplace, s’assoit, regarde son environnement et l’examinateur.

Cet examen clinique comporte deux temps importants : l’interrogatoire et l’examen de la motilité oculaire proprement dit.

Interrogatoire :

Il recherche des éléments permettant d’orienter vers une étiologie :

– antécédents du patient :

– ophtalmologiques : rééducation orthoptique, chirurgie de strabisme, chirurgie de la cataracte, traumatisme craniofacial ou orbitaire récent ;

– généraux : recherche de facteurs de risque vasculaires, en particulier existence d’un diabète dont on doit préciser les caractères ;

– antécédents neurologiques… ;

– signes précédant l’installation de la diplopie et/ou l’accompagnant : existence de douleurs périoculaires (élément important de la démarche diagnostique), de céphalées, signes en faveur d’une maladie de Horton, notion de baisse d’acuité visuelle ou de trouble du champ visuel, existence d’éclipses visuelles…

L’interrogatoire précise les caractères de la diplopie :

– mono- ou le plus souvent binoculaire, disparaissant lors de l’occlusion d’un oeil ;

– permanente ou transitoire (majorée par l’effort physique, orientant vers une myasthénie ; n’existant pas ou augmentée dans certaines positions du regard, par exemple diplopie uniquement à la lecture ou lors de la descente des escaliers orientant vers une atteinte du grand oblique) ;

– direction de la vision double : horizontale, verticale ou oblique.

Examen clinique :

A – DIPLOPIE MONOCULAIRE :

Elle est le plus souvent d’origine oculaire. Pour l’éliminer, on réalise pour cela l’occlusion d’un oeil puis de l’autre.

La suppression de la vision double par l’occlusion d’un oeil signe la diplopie binoculaire.

Si l’occlusion d’un oeil ne supprime pas la diplopie, c’est qu’il existe une diplopie monoculaire sur l’un des deux yeux.

La mise en évidence d’une diplopie monoculaire impose de placer devant l’oeil atteint un cache percé d’un trou punctiforme ou trou sténopéique.

Si le trou sténopéique fait disparaître la vision double, il s’agit d’un problème purement oculaire qui est précisé par l’ophtalmologiste.

Très rarement la vision double persiste sur un oeil, il peut alors s’agir d’un problème psychogène, ou exceptionnellement d’une atteinte occipitale.

B – DIPLOPIE BINOCULAIRE :

1- Observation du patient en position de repos :

Le plus souvent, il existe une déviation oculaire ou strabisme dont on précise le type : strabisme convergent (ésotropie), divergent (exotropie), déviation verticale isolée (hyper- ou hypotropie) ou accompagnée d’une déviation horizontale.

L’inspection apprécie également l’existence d’une attitude vicieuse de la tête ou torticolis ; pour essayer de compenser la vision double, le patient tourne la tête dans le champ d’action du muscle atteint.

On recherche également l’existence d’anomalies oculaires associées :

– une exophtalmie dont on précise les caractères : bilatérale, axile, s’accompagnant d’une rétraction palpébrale et d’une asynergie oculopalpébrale, elle oriente vers une affection dysthyroïdienne ; unilatérale, non axile, indolore et d’apparition progressive, elle évoque plutôt un problème orbitaire tumoral ;

– un ptôsis : unilatéral, constant, associé à une atteinte des muscles Dinf, Dint et DS homolatéraux, il oriente vers une atteinte du III ; variable dans la journée, majoré par l’effort, il est en faveur d’une myasthénie.

Par ailleurs, l’existence d’un ptôsis peut masquer la diplopie ;

– un trouble pupillaire : une mydriase unilatérale associée à une limitation des DS, Dinf, Dint homolatéraux signe une atteinte du III.

2- Déviation oculaire :

Cette étude se fait en binoculaire (étude des versions) puis en monoculaire (étude des ductions oculaires), et l’on étudie la convergence oculaire.

– Si cette déviation est stable dans toutes les positions du regard, on est dans le cadre rare du strabisme aigu révélé par une diplopie.

– Le plus souvent, la déviation varie dans les différentes positions du regard.

De même que la diplopie, elle est maximale dans le champ d’action du ou des muscles paralysés.

L’abduction est effectuée par le DE innervé par le VI et l’adduction par le Dint innervé par le III.

L’élévation est essentiellement sous la dépendance du DS (innervé par le III), alors que le OI n’a d’action d’élévation que lorsque l’oeil est en adduction ; l’abaissement est assuré par le Dinf innervé par le III lorsque l’oeil est en abduction, alors que l’OS, muscle de la lecture, est abaisseur lorsque l’oeil est en dedans.

Le plus souvent, la diplopie est en rapport avec une paralysie oculomotrice (POM) ou une atteinte de la jonction neuromusculaire (myasthénie), mais il peut aussi s’agir d’une atteinte du muscle luimême.

Plus rarement, la diplopie est causée par une pathologie inter- ou supranucléaire.

– Dans le cadre d’une diplopie intermittente déclenchée ou majorée par les efforts de fixation visuelle, si l’examen ne retrouve pas de déviation oculaire en position primaire et dans les différentes positions du regard, il faut se méfier d’une hétérophorie décompensée.

Dans ce cas, l’occlusion alternée démasque un strabisme convergent (ésophorie) ou divergent (exophorie) qui disparaît en vision binoculaire.

En cas de fixation prolongée, la fusion ne peut être maintenue et la diplopie apparaît. En cas d’exophorie décompensée, il existe en règle une insuffisance de convergence associée.

3- En cas de diplopie verticale :

On recherche un trouble de la torsion oculaire par la manoeuvre de Bielschowski.

En cas de paralysie du IV, il existe une diplopie verticale plus importante dans le regard en bas et en dedans du côté de l’oeil paralysé.

Ainsi, quand on incline la tête du patient du côté paralysé, la diplopie augmente avec une élévation de l’oeil paralysé : c’est la manoeuvre de Bielschowski.

Cette manoeuvre est négative en cas d’atteinte du DS controlatéral.

4- Différents types de mouvements oculaires :

Ils sont analysés un par un, dans le plan horizontal puis vertical :

– étude des saccades en demandant au patient de déplacer ses yeux volontairement ;

– étude de la poursuite oculaire en faisant suivre un objet déplacé lentement ;

– étude du réflexe vestibulo-oculaire (RVO) par la manoeuvre des yeux de poupée.

En cas d’atteinte nucléaire ou infranucléaire, il existe une atteinte des saccades du muscle paralysé et une paralysie du RVO dans le même sens.

Dans les atteintes supranucléaires, on retrouve une dissociation entre la motilité saccadique volontaire atteinte et le RVO conservé.

5- Examen général :

Il recherche une autre atteinte neurologique : atteinte des autres paires crâniennes, syndrome cérébelleux…

L’ophtalmologiste complète cet examen de la motilité oculaire par une étude de la réfraction oculaire, de l’acuité visuelle, un examen à la lampe à fente à la recherche d’une anomalie du segment antérieur de l’oeil et une étude du fond de l’oeil.

Cet examen permet de préciser la cause oculaire d’une diplopie monoculaire, de rechercher un problème de réfraction, d’éliminer une hétérophorie décompensée ainsi que des causes ophtalmologiques plus rares de diplopie binoculaire : les syndromes de rétraction ; ce sont :

– le syndrome de Stilling-Türk-Duane où il existe une fibrose musculaire avec un déficit de l’abduction de l’oeil atteint et une rétraction du globe dans le mouvement d’adduction de ce même oeil.

– le syndrome de Brown où il existe une fibrose de la gaine du grand oblique.

6- Examens complémentaires :

En plus de l’étude de la motilité oculaire, l’atteinte oculomotrice peut être précisée par différentes techniques.

– Mesure de la déviation oculaire (exprimée en dioptries) dans les différentes positions du regard en utilisant des barres de prisme.

– Examen au verre rouge : il peut être pratiqué d’emblée au cabinet.

On interpose un filtre rouge devant un oeil, par convention l’oeil droit.

Ceci permet de savoir quelle est l’image vue par chaque oeil.

On peut ainsi analyser le décalage et sa variation en fonction de la position des yeux pour connaître le ou les muscles déficitaires.

Il existe des règles d’interprétation :

– lorsque les axes visuels se croisent, les images se décroisent.

Dans une ésodéviation (par exemple lors d’une paralysie du VI), les deux images s’écartent dans le plan horizontal, chacune restant du bon côté et la diplopie est dite homonyme.

Dans une exodéviation (lors d’une atteinte du III) les images se croisent dans le plan horizontal et la diplopie est dite croisée ;

– l’écart entre les deux images augmente dans le champ d’action du ou des muscles paralysés ;

– l’image la plus périphérique est celle de l’oeil paralysé.

En pratique, ce test est facile à réaliser dans les atteintes limitées à un ou deux muscles.

Il demande une bonne coopération du patient. Son principal inconvénient est l’absence de mesure du déficit ;

– Test de Hess-Lancaster : il est basé sur le principe de la confusion, puisque chaque oeil voit une image différente.

Le sujet qui porte des lunettes duochromes (un verre rouge sur un oeil et un verre vert sur l’autre) dans une pièce sombre est placé devant un écran quadrillé neutre ; deux torches projettent sur cet écran une flèche : la flèche rouge est vue uniquement par l’oeil équipé du verre rouge et la verte par l’autre oeil.

Pour étudier l’oeil équipé du verre rouge (l’oeil droit, par convention le plus souvent), l’examinateur déplace sur l’écran la torche verte que le patient voit avec son oeil gauche et donne au patient la torche rouge vue par le droit.

Il lui demande de superposer sa torche rouge sur la torche verte.

Pour étudier l’oeil gauche équipé du verre vert, les torches sont inversées.

Ce test, dont il existe des variantes, permet de mettre en évidence l’oeil atteint dont le cadre de déviation est le plus petit et le ou les muscles parétiques.

Il visualise également la déviation secondaire provoquée par l’hyperaction du synergique controlatéral.

Ce test constitue un document objectif qui permet de quantifier l’atteinte et de suivre l’évolution du déficit.

Au terme de l’examen clinique, le diagnostic topographique de l’atteinte responsable de la diplopie est en général fait : POM le plus souvent, mais aussi myasthénie ou atteinte musculaire.

La pathologie supranucléaire est plus rarement en cause.

Le diagnostic étiologique est parfois suspecté lors de l’examen clinique initial ; il est confirmé par le bilan qui est fonction de l’étiologie suspectée.

Diagnostic étiologique d’une diplopie binoculaire :

Il existe plusieurs façons d’envisager le diagnostic étiologique d’une diplopie binoculaire :

– en fonction de l’existence de signes associés (douleur, exophtalmie) ;

– en fonction du mécanisme de l’atteinte : vasculaire, tumorale, inflammatoire… ;

– enfin, en fonction de la topographie de l’atteinte ; c’est cette dernière classification qui est utilisée ici ; de plus, bien que les POM soient la principale cause neurologique de diplopie binoculaire, les atteintes sont envisagées en suivant les voies oculomotrices et leurs connexions, en commençant par les atteintes supranucléaires et en terminant par la pathologie musculaire.

A – PARALYSIES DE FONCTION ET ATTEINTES INTERNUCLÉAIRES :

Les atteintes supranucléaires de la latéralité et de la verticalité oculaire ne donnent en règle pas de diplopie.

En revanche, lors de l’ophtalmoplégie internucléaire antérieure qui traduit une atteinte de l’interneurone reliant les noyaux du III et du VI controlatéral, il existe du côté atteint, lors du mouvement de latéralité une limitation de l’adduction de l’oeil atteint alors que l’oeil controlatéral présente un nystagmus ataxique en abduction.

C’est dans cette position de regard latéral que le patient peut se plaindre de vision double horizontale.

Chez les patients de moins de 40 ans, la sclérose en plaques (SEP) est l’étiologie dans 95 % des cas ; chez les patients plus âgés, les causes vasculaires représentent environ 60 % des cas, contre seulement 15 % pour les causes tumorales.

Le diagnostic étiologique repose sur l’imagerie par résonance magnétique (IRM) qui visualise bien le tronc cérébral.

De même, lorsqu’il existe une skew deviation, trouble supranucléaire qui associe une déviation oculaire verticale et une cyclotorsion, on retrouve très fréquemment une diplopie verticale.

B – PARALYSIES OCULOMOTRICES :

L’atteinte du VI est la plus fréquente des POM (30 à 40 % environ), suivie par l’atteinte du III partielle ou totale (25 % des cas environ) et enfin les atteintes du IV dont la fréquence varie en fonction du recrutement ou non de la pathologie congénitale ; le reste est représenté par les atteintes multiples qui sont fréquentes.

Étiologies : les plus fréquentes sont les cause traumatiques (20 % environ), vasculaires (15 % environ), tumorales (10 à 20 % selon les séries) et congénitales (environ 20 %).

Les autres étiologies sont plus rares.

1- Atteinte du moteur oculaire commun (III) :

Elle représente entre 25 et 33,5 % de l’ensemble des POM. Elle peut être totale ou partielle.

Elle est le plus souvent liée à une lésion tronculaire située entre le tronc cérébral et l’orbite, le long du trajet du nerf.

Sur le plan clinique, dans la forme complète, il existe un strabisme divergent et, du côté de l’atteinte, un ptôsis qui peut masquer la diplopie.

En cas d’atteinte intrinsèque, la pupille du côté atteint est en mydriase aréactive.

Lorsque l’oeil est maintenu ouvert, il existe une diplopie croisée avec un petit décalage vertical des images.

La mobilisation fait apparaître un déficit de l’adduction (y compris lors de la convergence), de l’élévation et de l’abaissement.

Le test de Lancaster confirme la limitation du mouvement de l’oeil dans ces différentes directions et montre l’hyperaction de tous les mouvements de l’oeil sain, en dehors de l’adduction.

Il peut également exister une atteinte extrinsèque isolée avec respect de la pupille ; parfois, l’atteinte est partielle, touchant un ou deux muscles.

Les causes des atteintes du III chez l’adulte sont :

– une origine anévrismale dans 20 à 30 % des cas ;

– une étiologie ischémique dans 20 % des cas environ (grande fréquence des atteintes du III d’origine diabétique qui peuvent être douloureuses) ;

– une fréquence de 10 à 20 % pour les causes traumatiques ;

– une fréquence de 10 à 15 % pour les causes tumorales avec ou sans hypertension intracrânienne (HIC) ;

– les autres étiologies sont plus rares : la SEP (7 % environ) ; la maladie de Horton (à évoquer fortement chez le sujet âgé car la diplopie est le signe fonctionnel initial du Horton dans 12 % des cas et le III est la paire crânienne le plus souvent atteinte dans cette maladie) ; les causes infectieuses (méningites, encéphalites) ; le syndrome de Tolosa et Hunt ; dans 10 à 14 % des cas, la POM du III reste d’étiologie indéterminée, avec probablement une grande proportion d’atteintes vasculaires.

Chez l’enfant, la moitié des atteintes du III isolées sont d’origine congénitale (50 % environ) ; les autres étiologies sont traumatiques (15 à 25 % des cas), tumorales (10 %) ; les étiologies anévrismales sont rares (7 %).

Notons sur ce terrain la migraine ophtalmoplégique, qui reste un diagnostic d’élimination.

La conduite à tenir devant une atteinte du III isolée dépend de l’existence ou non d’une atteinte pupillaire, d’une douleur et de l’âge du patient.

L’existence d’une mydriase associée à une atteinte du III extrinsèque est en faveur d’une compression (tumeur, anévrisme) car les fibres pupillaires sont situées à la périphérie du nerf.

Une atteinte du III avec atteinte pupillaire associée à une douleur impose la réalisation en urgence d’une IRM complétée par une artériographie cérébrale, seul examen permettant d’éliminer formellement l’existence d’un anévrisme intracrânien.

À l’inverse, une paralysie du III sans atteinte pupillaire est plutôt en faveur d’un processus ischémique. En pratique, chez le sujet de moins de 40 à 45 ans (non athéroscléreux), une IRM doit être pratiquée quel que soit l’état pupillaire.

En cas d’atteinte de la pupille, a fortiori s’il existe une douleur associée, l’IRM (complétée par une angio-IRM) est réalisée en urgence et complétée éventuellement par une artériographie.

Chez les sujets à risque vasculaire avec une atteinte du III complète sans atteinte pupillaire, une surveillance et un bilan des facteurs de risque vasculaire et éliminant une maladie de Horton sont indiqués.

Le patient doit être revu régulièrement (au cinquième, au huitième jour, puis chaque mois) ; l’apparition d’une atteinte pupillaire impose la réalisation d’une IRM et d’une artériographie.

Dans le cadre des atteintes ischémiques, la POM régresse en règle en 3 à 4 mois.

En cas d’évolution atypique, un bilan neuroradiologique doit être fait.

Enfin, l’atteinte partielle du III, ne touchant pas tous les muscles, n’est en règle pas d’origine ischémique et impose un bilan neuroradiologique pour éliminer une compression.

Beaucoup plus rare, l’atteinte du noyau du III est responsable d’une atteinte du III homolatérale et d’une paralysie de l’élévation de l’oeil controlatéral qui apparaît dévié vers le bas en position primaire.

À ce tableau peut s’associer un ptôsis bilatéral. Les accidents vasculaires en sont la cause la plus fréquente.

2- Atteinte du nerf pathétique (IV) :

La paralysie du IV est responsable d’une attitude vicieuse de la tête, inclinée et tournée vers le côté sain, menton abaissé.

Il existe une diplopie verticale qui prédomine dans le regard en bas et en dedans, et gêne la lecture, la marche, la descente des escaliers.

En position primaire, l’hypertropie est modérée ou absente et l’oeil ne peut se porter en bas et en dedans ; la diplopie augmente si le sujet incline la tête sur l’épaule du côté paralysé, avec dans ce cas un mouvement d’élévation de l’oeil paralysé : c’est la manoeuvre de Bielschowsky.

Le test de Lancaster visualise la limitation de l’OS et l’hyperaction du Dinf controlatéral.

Les deux grandes causes de la paralysie du IV isolée sont les atteintes traumatiques (25 à 50 %) et congénitales.

Les autres étiologies : vasculaires (15 %), SEP, tumeurs (5 à 10 %), infections, collagénoses… sont beaucoup plus rares.

La chronologie d’une POM du IV d’origine vasculaire est identique à celle du VI :

– début brutal, souvent avec une douleur périorbitaire ;

– déviation oculaire constante pendant 4 à 6 semaines ;

– en général, récupération complète.

En pratique, devant une atteinte du IV non traumatique chez un adulte, étant donné la grande fréquence des atteintes congénitales, il est nécessaire de pratiquer, quel que soit l’âge du patient, un bilan oculomoteur avec une mesure de l’amplitude de fusion.

Celle-ci est mesurée par l’orthoptiste et représente l’étendue des mouvements possibles dans les différentes directions en maintenant la perception d’une image unique.

En cas de décompensation d’un IV congénital, cette amplitude de fusion est souvent importante et aucune exploration complémentaire n’est nécessaire.

En cas de mauvaise amplitude de fusion chez un sujet jeune, il est nécessaire d’éliminer une cause tumorale en pratiquant une IRM.

Chez le sujet âgé à risque vasculaire, un bilan des facteurs de risque ainsi qu’une surveillance clinique sont nécessaires.

Une imagerie est pratiquée en cas de non-régression de l’atteinte, voire de son extension.

3- Atteintes du moteur oculaire externe (VI) :

C’est la plus fréquente des POM ; elle n’a pas de valeur localisatrice.

Elle associe :

– une diplopie horizontale homonyme, maximale dans le regard du côté paralysé ;

– une attitude vicieuse de la tête, tournée vers le côté du muscle paralysé ;

– un strabisme convergent incomitant, oeil atteint en adduction avec abduction impossible.

Le Lancaster montre une limitation de l’abduction de l’oeil pathologique avec une hyperaction de l’adduction de l’oeil sain.

Chez l’adulte, les causes traumatiques sont les plus fréquentes et impliquent un bilan neuroradiologique.

En dehors de ce contexte, les atteintes vasculaires prédominent après 40 ans.

Elles sont volontiers précédées ou accompagnées par une douleur péri- ou rétro-oculaire.

Le bilan retrouve une hypertension artérielle et/ou un diabète. L’atteinte régresse en 3 à 6 mois.

Les autres étiologies sont moins fréquentes : tumorales (par irritation, compression du nerf ou par HIC), la SEP, les causes infectieuses (méningites, mastoïdites), inflammatoires (Horton, sarcoïdose, Tolosa et Hunt) ; les étiologies indéterminées ne sont pas rares Chez l’enfant, les principales étiologies sont traumatiques (40 %) et tumorales (30 à 40 %).

En pratique, en cas d’atteinte non traumatique isolée du VI, chez le sujet de moins de 40 ans, il est nécessaire de pratiquer un bilan neuroradiologique (scanner, IRM).

Si celui-ci est négatif, on réalise un bilan sanguin, un examen oto-rhino-laryngologique et une ponction lombaire.

Chez le sujet plus âgé à risque vasculaire, il est nécessaire d’évaluer les facteurs de risque par un bilan biologique complet incluant la recherche d’une maladie de Horton.

Le patient doit être surveillé régulièrement, l’absence d’amélioration entraînant la réalisation d’un bilan neuroradiologique.

En cas de nonamélioration de l’atteinte motrice en 4 à 6 mois, l’imagerie est répétée. Une paralysie bilatérale du VI peut s’observer dans les atteintes traumatiques et au cours de l’HIC.

Il existe dans ce cas une diplopie horizontale qui augmente dans le regard latéral droit et gauche et est moins importante dans le regard de face.

Il existe une limitation bilatérale de l’abduction avec une hyperaction de l’adduction aussi bilatérale.

Les atteintes bilatérales du VI demandent un bilan neuroradiologique et, en cas de normalité, une ponction lombaire.

4- Atteintes combinées de plusieurs nerfs oculomoteurs :

L’atteinte combinée de plusieurs nerfs oculomoteurs impose la réalisation d’un bilan radiologique afin de déterminer la localisation de la lésion en cause et son étiologie.

L’association de différentes POM a une grande valeur localisatrice.

Plusieurs syndromes sont ainsi constitués.

Les causes les plus fréquentes sont traumatiques et tumorales, mais il peut aussi s’agir d’atteinte inflammatoires.

Parmi les étiologies des atteintes combinées de plusieurs nerfs oculomoteurs, le syndrome de Tolosa et Hunt réalise une ophtalmoplégie douloureuse.

Il s’agit d’une inflammation idiopathique du sinus caverneux et/ou de l’apex orbitaire.

C’est un diagnostic d’élimination qui ne doit être retenu qu’après avoir éliminé une cause infectieuse ou tumorale ; son traitement repose sur la corticothérapie.

Parmi les autres causes affections inflammatoires réalisant une atteinte combinée de plusieurs nerfs oculomoteurs, on cite également le syndrome de Miller-Fischer, variante du syndrome de Guillain et Barré qui associe une ophtalmoplégie souvent rapide et bilatérale, une diplégie faciale fréquente et une atteinte des nerfs périphériques.

C – ATTEINTE DE LA JONCTION NEUROMUSCULAIRE : MYASTHÉNIE

On l’évoque devant une diplopie intermittente, variable, majorée par les efforts musculaires et la fatigue.

Elle touche le plus souvent la femme (3 pour 1) avant 40 ans.

Les signes oculomoteurs, diplopie et ptôsis, sont inauguraux dans 70 % des cas et environ 95 % des patients présentent une atteinte oculomotrice au cours de la maladie.

La pupille est toujours épargnée.

Les muscles le plus souvent atteints sont le releveur de la paupière supérieure, le Dint et ensuite le DS.

Si l’atteinte oculomotrice reste isolée pendant 2 ans, il y a une probabilité très faible pour que le patient développe par la suite une myasthénie généralisée.

Le diagnostic, suspecté à l’interrogatoire devant l’existence d’une diplopie variable, peut être précisé par :

– l’existence d’une faiblesse des orbiculaires, la majoration du ptôsis et de la diplopie après l’effort, l’existence d’un signe de Cogan lors de l’examen ;

– le test au glaçon ; celui-ci, placé entre 1 et 2 minutes sur la paupière supérieure, diminue, voire fait disparaître, le ptôsis myasthénique ; ce test simple est sensible et assez spécifique de cette affection.

Le diagnostic peut être confirmé par la positivité d’un test avec un anticholinestérasique (Prostigminet, Tensilont, Reversolt) qui amène la régression de la diplopie et du ptôsis.

On peut également rechercher la présence d’anticorps anti-récepteurs à l’acétylcholine (présents dans seulement 50 % environ des formes oculaires pures) ou l’existence d’un bloc myasthénique par un électromyogramme.

D – ATTEINTES MUSCULAIRES :

Plusieurs types d’affections musculaires peuvent être responsables d’une diplopie :

– les atteintes traumatiques : incarcération du Dinf dans une fracture du plancher de l’orbite (rechercher d’autres signes, inconstants : anesthésie du nerf sous-orbitaire, énophtalmie) ; désinsertion de la poulie du grand oblique lors d’un traumatisme orbitaire ;

– l’ophtalmopathie thyroïdienne : l’atteinte oculomotrice est la résultante d’un processus dyssimmunitaire ; elle peut précéder, accompagner ou suivre l’atteinte endocrinienne (le plus souvent dans le cadre d’une maladie de Basedow) ; on recherche une exophtalmie et une rétraction palpébrale avec une asynergie oculopalpébrale ; les muscles le plus souvent atteints sont le Dinf puis le Dint ; l’atteinte musculaire inflammatoire s’accompagne d’une augmentation de volume du corps musculaire bien visible en échographie, au scanner ou à l’IRM ; cette inflammation évolue progressivement vers la fibrose avec une limitation de l’excursion oculaire dans le champ d’action du ou des muscles atteints ; le traitement repose sur la normalisation de la fonction thyroïdienne parfois associée à une corticothérapie générale ou une radiothérapie orbitaire ; à la phase des séquelles, si une diplopie persiste, une chirurgie oculomotrice est alors indiquée ;

– les myosites, atteintes inflammatoires d’un ou plusieurs muscles oculomoteurs, sont responsables d’une ophtalmoplégie douloureuse ; elles sont le plus souvent idiopathiques ; l’atteinte musculaire peut être isolée ou s’intégrer dans un tableau d’inflammation orbitaire plus diffuse, réalisant alors une pseudotumeur inflammatoire ;

– les affections musculaires héréditaires, parmi lesquelles on cite l’ophtalmoplégie externe progressive où l’atteinte oculomotrice est le plus souvent bilatérale, s’accompagnent d’un ptôsis précoce et où les patients se plaignent rarement de diplopie.

Traitement d’une diplopie binoculaire :

En dehors du traitement de l’étiologie, médical (diabète, maladie de Horton, myasthénie…) ou chirurgical (réduction d’une fracture du plancher de l’orbite, ablation d’une tumeur…) qui n’est pas envisagé ici, il est important de ne pas laisser les patients voir double.

En effet, lorsqu’il existe un strabisme paralytique, les lois de l’équilibre oculomoteur de Hering et Sherington font qu’une paralysie d’un muscle oculomoteur entraîne une hyperinnervation de son synergique controlatéral.

Si on laisse le patient en binoculaire, cette hyperinnervation va aboutir à l’apparition de contractures sur le synergique controlatéral du muscle paralysé, qui vont fixer le phénomène.

Les patients présentant une diplopie doivent donc être pris en charge sur les plans ophtalmologique et orthoptique où les indications du traitement sont posées. Différentes méthodes de traitement peuvent être envisagées :

– l’occlusion : il peut s’agir d’une occlusion totale d’un oeil ou partielle dans un champ de vision, si la diplopie n’existe que dans certaines positions du regard ; selon les cas (âge du patient, acuité visuelle, type de la paralysie), on envisage soit une occlusion de l’oeil paralysé, soit une occlusion alternée chaque jour, voire parfois une occlusion de l’oeil sain ; cette méthode est surtout utile à la phase aiguë ou lorsque l’angle est très variable ;

– l’injection de toxine botulinique a été proposée dans les paralysies récentes isolées du VI ; elle permet de diminuer l’angle de déviation, mais peut avoir comme effet secondaire un ptôsis ;

– les prismes peuvent être envisagés dans le cas d’une atteinte dans une seule direction, si la déviation est assez stable et peu importante ; là encore, ils peuvent être placés sur l’oeil paralysé, répartis entre les deux yeux ou plus rarement être mis sur l’oeil sain ;

– la rééducation orthoptique n’est pas utile au stade aigu, quand la déviation est importante et qu’il n’est pas possible au patient de fusionner ; à un stade trop précoce, elle ne fait qu’augmenter la contracture ; en revanche, à la phase de récupération, dès qu’il est possible d’obtenir une fusion ou si l’on peut obtenir un parallélisme avec des prismes, elle permet de stimuler la fusion et d’en augmenter l’amplitude ;

– enfin, au stade des séquelles, en l’absence de récupération au bout de 6 mois à 1 an et sur une déviation stable, une chirurgie oculomotrice peut parfois être proposée.

Conclusion :

L’existence d’une diplopie binoculaire traduit une atteinte du système oculomoteur.

Le premier temps de la démarche diagnostique est l’analyse clinique des caractères de la vision double qui permet de localiser l’atteinte et de définir les examens complémentaires nécessaires au diagnostic.

La demande de neuro-imagerie doit en effet être guidée par l’examen et non pas venir en première intention comme un « parapluie ».

Le traitement, en dehors du traitement étiologique spécifique, se fait au stade des séquelles et fait appel aux prismes et à la chirurgie des muscles oculomoteurs.

La prise en charge des patients repose sur une coopération entre le médecin traitant, l’ophtalmologiste et l’orthoptiste.

À aucun moment, à partir de la première consultation du patient, il ne faut laisser celui-ci voir double.

Quitter la version mobile