Diarrhée aiguë de l’adulte

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Orientation diagnostique :

A – Éléments du diagnostic :

Les diarrhées aiguës sont le plus souvent d’origine infectieuse.

Les principales caractéristiques des diarrhées infectieuses, diarrhées hydroélectrolytiques et syndromes dysentériques.

1- Interrogatoire :

Diarrhée aiguë de l’adulteIl permet d’approcher le diagnostic dans la majorité des cas, en orientant d’abord vers une diarrhée hydroélectrolytique ou vers un syndrome dysentérique.

Il fera préciser par le patient [et (ou) l’entourage] les caractéristiques des selles : fréquence, consistance, caractère fécal ou afécal, volume, horaire d’émission (le caractère nocturne est un signe d’organicité), présence d’aliments non digérés, présence de glaires ou de sang (en cas de syndrome dysentérique), ainsi que leurs circonstances d’apparition.

Il recherchera ensuite des signes digestifs associés : vomissements, borborygmes, douleurs abdominales (syndrome rectal avec épreintes, ténesme, faux besoins en cas de syndrome dysentérique, douleurs de la fosse iliaque droite en cas d’atteinte iléo-cæcale) ; des signes extradigestifs : aphtes, arthralgies, uvéite, lésions cutanées ; des signes généraux : altération de l’état général, fièvre, signes de déshydratation.

2- Examen clinique :

Il est de peu d’aide au diagnostic étiologique et ne retrouve en général qu’une sensibilité à la palpation du cadre colique.

La prédominance des signes en fosse iliaque droite doit faire évoquer une atteinte iléo-cæcale.

Le toucher rectal peut ramener des selles, du sang et (ou) des glaires.

L’examen recherche des signes extradigestifs : adénopathies, arthrites, lésions cutanés-muqueuses et doit systématiquement rechercher des signes de gravité qui peuvent être généraux (signes de déshydratation intra- et extracellulaire) ou locaux (météorisme diffus ou localisé faisant suspecter une colectasie).

3- Examens complémentaires :

Ils ont pour but de faciliter le diagnostic étiologique mais aussi et surtout de réaliser un bilan du retentissement et des complications de la diarrhée.

  • Le bilan du retentissement et des complications comprend la recherche d’une déshydratation par le dosage sérique de l’ionogramme, de la protidémie, de la créatininémie et de l’hémogramme.

Une hypokaliémie doit également être recherchée et sa présence conduit à un électrocardiogramme.

La suspicion clinique d’une colectasie (colites à Shigella, à Clostridium difficile, rectocolite hémorragique) doit conduire à la réalisation d’un abdomen sans préparation (clichés debout de face, couché de profil, centré sur les coupoles diaphragmatiques).

L’existence d’une anémie liée aux rectorragies doit faire réaliser un groupage sanguin et la présence d’une colectasie un bilan préopératoire complet.

  • Les indications du bilan étiologique doivent être bien pesées dans la mesure où il est négatif dans environ 50 % des diarrhées aiguës, posant le problème du rapport coût/efficacité de ces investigations :

– examens biologiques sanguins : l’hémogramme associé à la mesure de la vitesse de sédimentation ou de la protéine C-réactive permet d’apprécier l’existence d’un syndrome inflammatoire.

La pratique de sérologies est décevante puisque les sérologies des salmonelloses et shigelloses ne sont pas contributives au diagnostic, que la sérologie des yersinioses n’a de valeur que si le titre des anticorps s’élève nettement à 3 semaines d’intervalle et que la sérologie amibienne n’est positive qu’en cas d’atteinte tissulaire intestinale ou hépatique ;

– coprologie : la coproculture est le principal examen dans le diagnostic des diarrhées aiguës bactériennes.

Si la technique standard de l’examen permet en général le diagnostic, certaines recherches nécessitent des milieux spéciaux et devront être conduites en fonction des signes anamnestiques et cliniques : prise d’antibiotiques (Clostridium difficile, Klebsiella oxytoca), prédominance des douleurs en fosse iliaque droite (Yersinia enterolytica), diarrhée sanglante (Escherichia coli 0157:H7).

L’examen parasitologique des selles peut être utile chez le sujet immunocompétent (Giardia lamblia, Entamoeba histolytica) mais sera surtout important chez l’immunodéprimé chez qui il doit être réalisé systématiquement.

La recherche de virus dans les selles n’est pas un examen de pratique courante ;

– l’endoscopie digestive basse (rectosigmoïdoscopie plus ou moins complétée par une iléocoloscopie) permet, en cas de diarrhée invasive, de prélever les sécrétions digestives pour examen bactériologique et parasitologique (écouvillonnage rectal), de visualiser la muqueuse colique et iléale et de réaliser des biopsies pour examens anatomopathologique, bactériologique, parasitologique et virologique (cultures).

L’endoscopie digestive haute n’a d’intérêt en première intention que chez l’immunodéprimé.

B – Causes des diarrhées aiguës :

1- Diarrhées infectieuses :

  • Bactériennes : il s’agit de la première cause de diarrhées aiguës.

Un cas particulier est représenté par la diarrhée sous antibiotiques : si les colites à Klebsiella oxytoca sont relativement rares, liées à la prise de bêtalactamines, se manifestant par un syndrome dysentérique avec douleurs pseudochirurgicales, avec une muqueuse du côlon ascendant fragile et purpurique, et restitution ad integrum après arrêt de l’antibiotique, la diarrhée à Clostridium difficile est fréquente et ce germe est à l’origine de la majorité des diarrhées postantibiotiques et des colites pseudomembraneuses (tous les antibiotiques peuvent être en cause mais bêtalactamines et céphalosporines sont responsables de 90 % des cas). Il agit par l’intermédiaire de deux toxines (A et B).

Quelques jours après le début de l’antibiothérapie, une diarrhée hydroélectrolytique apparaît, avec une fièvre, des douleurs abdominales et une hyperleucocytose.

Le tableau peut se compliquer d’un syndrome dysentérique et d’une colectasie (avec risque de perforation).

Le diagnostic est évoqué par l’endoscopie basse (colite à fausses membranes) et affirmé par la présence des cytotoxines dans les selles.

  • Virales : elles sont fréquentes.

Si les adénovirus, les astrovirus et surtout les rotavirus sont responsables de la majorité des diarrhées aiguës du nourrisson et du jeune enfant et concernent peu l’adulte, le virus de Norwalk (et les autres calicivirus) peut donner des petites épidémies de diarrhées hydrolectrolytiques chez l’adulte.

La transmission est hydrique et l’incubation comme la durée d’évolution sont courtes (1 à 3 j).

Outre la diarrhée, on observe des vomissements, des myalgies, des douleurs abdominales et parfois de la fièvre.

Chez l’immunodéprimé, le cytomégalovirus devra être évoqué et recherché (antigénémie, cultures de biopsies coliques perendoscopiques), de même que l’herpès simplex virus.

  • Parasitaires :

– entamoeba histolytica : la dysenterie amibienne s’observe chez des patients en provenance de zones d’endémie.

L’endoscopie basse fait évoquer le diagnostic (lésions ulcérées) et la recherche du parasite dans l’écouvillonnage rectal l’affirme. Les nitro-imidazolés (métronidazole : Flagyl, 1,5 g/j pendant 5 jours) sont le traitement de choix ;

– giardia lamblia : il s’agit d’un parasite présent dans les zones subtropicales mais également froides. Après 8 à 15 jours d’incubation (transmission par l’eau ou interhumaine), le tableau associe diarrhée hydroélectrolytique, nausées et douleurs abdominales.

La durée d’évolution est de 10 à 15 jours mais peut être prolongée.

Le diagnostic est fait par l’examen parasitologique des selles mais peut nécessiter des biopsies duodénales (formes chroniques).

Les nitro-imidazolés (métronidazole : Flagyl, 1,5 g/j pendant 5 j) sont le traitement de choix ;

– cryptosporidium spp : chez l’immunocompétent, les signes sont comparables à ceux observés en cas d’infection à G. lamblia.

Ils peuvent être majorés (intensité et durée) chez l’immunodéprimé.

D’autres protozoaires (Blastocystis hominis, Isospora belli, Balantidium coli, Cyclospora et Plasmodium falciparum) ou helminthes (anguillule, trichocéphale, trichine, bilharzie) peuvent également être responsables de diarrhées aiguës.

2- Diarrhées médicamenteuses :

De nombreux médicaments peuvent être en cause, particulièrement chez le sujet âgé.

L’amélioration des signes à leur arrêt comme la possible récidive lors de leur réintroduction signent leur responsabilité.

On retiendra plus particulièrement ceux responsables d’une diarrhée hydroélectrolytique (colchicine, misoprostol, laxatifs, antibiotiques, antiacides avec magnésium, antimitotiques, biguanides, veinotoniques, olsalazine, anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), acides biliaires) ou d’un syndrome dysentérique (AINS, antibiotiques, sels d’or).

3- Diarrhées toxiques :

On évoquera la responsabilité de toxiques industriels (savons, détergents, acides, bases, organo-phosphorés, métaux lourds : arsenic, plomb, mercure) et de champignons vénéneux dans un contexte d’ingestion accidentelle ou volontaire (tentative de suicide).

4- Mode aigu de révélation d’une maladie inflammatoire cryptogénétique de l’intestin :

Une poussée de colite inflammatoire (rectocolite hémorragique, maladie de Crohn) peut débuter brutalement, volontiers fébrile, et en imposer pour une diarrhée aiguë infectieuse, voire même être déclenchée par celle-ci.

La recherche de lésions buccales (aphtes) ou périnéales, la coloscopie et l’histologie permettent en général de rectifier le diagnostic. De même, chez le sujet âgé, une colite ischémique peut être révélée par une diarrhée aiguë.

5- Autres causes :

On peut citer : les intoxications à l’histamine ou au plancton, les diarrhées allergiques, les indigestions…

Conduite à tenir en situation d’urgence :

1- Règles hygiéno-diététiques et apports hydriques :

Elles sont conditionnées par la nécessité de compenser les pertes hydroélectrolytiques en prenant en compte l’intolérance alimentaire souvent présente.

Dans la majorité des diarrhées aiguës infectieuses, outre le repos, on conseille la limitation initiale des apports à des solutés hydroélectrolytiques iso-osmotiques comme la solution OMS (sachets à diluer dans un litre d’eau), le bouillon, le Coca-Cola…, puis l’introduction d’aliments sans résidus (riz) ou riches en fibres astringentes (carottes, coings, pommes, bananes mûres) avant la reprise progressive d’une alimentation normale.

Dans tous les cas, il convient d’éliminer les aliments stimulant le péristaltisme intestinal : produits laitiers (du fait du déficit en lactase de la bordure en brosse), café, alcool, jus de fruits concentrés, fibres irritantes, épices, aliments gras.

L’interdiction de la voie orale (vomissements incoercibles) ou son insuffisance, associée à des signes de déshydratation, pourront conduire à l’hospitalisation et à la perfusion intraveineuse de solutés de réhydratation enrichis en potassium.

2- Antidiarrhéiques :

  • Les ralentisseurs du transit comme le lopéramide (Imodium : 2 gélules puis 1 gélule après chaque selle non moulée) ou le diphénoxylate (Diarsed) diminuent le volume et surtout le nombre des exonérations.

Ils doivent être évités en cas de diarrhée invasive, du fait des risques de colectasie et d’iléus paralytique.

  • Les antisécrétoires intestinaux comme le racécadotril (Tiorfan : 3 gélules/j) ont été démontrés efficaces en cas de diarrhée hydroélectrolytique.

L’oxyde de lopéramide (Arestal) possède des propriétés à la fois antisécrétoires et motrices.

  • Les adsorbants (Smecta, Actapulgite…), en augmentant la consistance des exonérations, améliorent le confort du patient.

3- Anti-infectieux :

L’usage présomptif d’antibiotiques n’est pas justifié, dans la mesure où la majorité des diarrhées bactériennes guérit spontanément en 3 à 4 jours et qu’ils peuvent prolonger le portage asymptomatique de Salmonella.

Par contre, en cas de diarrhée du voyageur, un traitement empirique de 3 jours par fluoroquinolones réduit la durée des symptômes.

Les antibiotiques ne sont en fait recommandés que dans certaines infections à Shigella (formes symptomatiques), Salmonella (signes de gravité), Campylobacter [formes invasives et (ou) prolongées], Clostridium difficile (fièvre, colite pseudomembraneuse), Yersinia (formes très symptomatiques) et Vibrio cholerae).

Le cotrimoxazole (Bactrim, Eusaprim) ou les fluoroquinolones comme la norfloxacine (Noroxine) ou la ciprofloxacine (Ciflox) sont actifs sur la plupart des bactéries en cause.

Les antiseptiques intestinaux peu absorbés tel le nifuroxazide (Ercéfuryl : 4 gélules/j) ont montré leur efficacité sur la réduction de la durée des diarrhées hydroélectrolytiques.

Les probiotiques comme Saccharomyces boulardii (Ultra-Levure à forte dose, supérieure à 1 g/j) peuvent réduire la fréquence des rechutes en cas de diarrhée post-antibiothérapie.

4- Autres mesures thérapeutiques :

Un traitement antiémétique (comme le métoclopramide : Primpéran, 3 comprimés/j) ou antispasmodique musculotrope (comme le phloroglucinol : Spasfon, 6 lyocs/j) pourra être indiqué.

Le diagnostic d’une intoxication impliquera l’appel du centre anti-poisons. Le diagnostic d’une toxiinfection alimentaire collective nécessitera la saisie des autorités sanitaires (déclaration obligatoire).

Outre cette mesure, la prévention des diarrhées aiguës infectieuses implique, dans l’attente de vaccins, l’amélioration des conditions d’hygiène collective et personnelle.

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