Diagnostic d’une douleur du pied

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Introduction :

L’atteinte du pied, primitive ou secondaire, isolée ou non, conduit à nombre de diagnostics locaux purs, ou plus généraux de médecine interne.

Le pied est en effet le carrefour de maladies locales, locorégionales ou générales, cutanéophanériennes, ostéo-myoarticulaires, neurologiques, vasculaires.

On le comprend parfaitement si l’on ramène cette extrémité du membre inférieur à un volume réduit constitué d’une enveloppe tégumentaire, dont la peau et les phanères, dans laquelle s’organisent os et articulations (cartilage, synoviale et capsule articulaire), des muscles intrinsèques et des tendons de muscles extrinsèques, des vaisseaux et des nerfs.

Une atteinte du pied peut donc être pure, sans manifestation à distance, ou n’être qu’un des éléments d’une affection plus générale, par exemple une maladie systémique.

Compte tenu de sa situation très distale, le pied est régulièrement le siège d’agressions traumatiques ou de conflits avec la chaussure pouvant créer, entretenir ou aggraver une affection sous-jacente locale, expression éventuelle d’une atteinte plus générale.

Dans tous les cas, le pied apparaît comme un véritable « outil de diagnostic » : une atteinte isolée du pied peut amener à découvrir une pathologie plus générale, et, à l’inverse, une pathologie générale peut n’être compréhensible qu’après l’examen minutieux du pied (par exemple un ongle psoriasique explique une arthrite à distance ; la découverte d’un mélanome sous-unguéal rend compte d’un foie tumoral).

En dehors des déformations éventuelles ou du handicap constaté au pied, la douleur du pied est un symptôme souvent en cause dans les motifs de consultation.

Diagnostic d’une douleur du pied

Comme les autres symptômes, elle conduit à examiner les deux pieds comparativement l’un à l’autre, et à réaliser systématiquement un examen somatique complet, sans oublier, comme pour toute douleur, d’apprécier l’état psychique du consultant, sa biographie, son travail, sa vie familiale…

Ce n’est qu’après cette étape clinique que les examens complémentaires judicieux prennent leur place et sont exploitables.

Devant une douleur du pied, le diagnostic étiologique peut se conduire en pratique en fonction de circonstances de survenue particulières de la douleur (le sport essentiellement, parfois des facteurs d’environnement accompagnant son apparition) et/ou de grands cadres cliniques éventuellement associés, où l’on repère un maître symptôme accompagnant la douleur, fil conducteur du diagnostic : par exemple l’abolition d’un pouls, une anomalie cutanée ou une aréflexie achilléenne, etc.

Éléments du diagnostic :

A – INTERROGATOIRE ET EXAMEN CLINIQUE :

1- Interrogatoire :

Il recherche les antécédents familiaux et personnels :

– anomalie ou maladie à caractère familial (pied creux, affection neurologique héréditaire, rhumatismes chroniques inflammatoires, entérocolopathie, uvéite…), histoire personnelle de traumatisme du pied et sa nature (contusion, fracture, luxation) ou son traitement (orthopédique, chirurgical, rééducation) ;

– affection générale (maladie systémique, psoriasis, artériopathie…) ou à distance (foyer infectieux récent, cancer, hyperlipidémie…) ;

– prise de médicaments (quinolones, corticoïdes, hypolipémiants…) ;

– intoxication tabagique et/ou alcoolique ; – vie génitale, traitement hormonal chez la femme.

Il apprécie l’histoire de la douleur du pied motivant la consultation :

– siège : diffus à tout le pied et/ou la cheville ou localisé (douleur ponctuelle ou non d’un ou plusieurs orteils, dans un espace interdigital précis, sous un ongle, métatarsalgies, douleur du médioou de l’arrière-pied, talalgie) ; plus généralisé (autres sites douloureux associés) ;

– irradiations : localisées, le long d’un trajet nerveux (dos du pied et bord interne du gros orteil pour le nerf musculocutané par exemple), diffuses à tout le pied, ou les deux, sans aucune systématisation, ou à la plante (territoire non systématisé, ou systématisé : nerfs plantaires médial ou latéral) ;

– mode de début : progressif ou brutal, après ou sans traumatisme, aggravé par le chaussage ou sa modification récente, à l’occasion d’efforts sportifs ou de changements dans leur pratique, ou sans facteur déclenchant apparent ;

– horaire et évolution : allure clinique mécanique, à l’effort (marche, claudication intermittente avec son périmètre de liberté limité…), calmée au repos et reprenant avec ou après le mouvement, sur un terrain irrégulier ou régulier ; allure inflammatoire, douleur de repos, en deuxième moitié de nuit avec dérouillage matinal prolongé ; ou mixte ; ou douleur évoluant par crises brèves, ou permanente avec crises aiguës surajoutées nocturnes ou diurnes ;

– nature de la douleur : simple gêne ou excruciante, impression de tension, brûlure ou crampe, hyperesthésie localisée (intolérance aux draps ou à tout contact), douleur constrictive…

La situation topographique du pied oblige à prendre en compte les facteurs de son environnement immédiat dans l’apparition et l’évolution de la douleur :

– la chaussette, et surtout la chaussure, peuvent avoir un effet contraignant et déclenchant ou au contraire une action bénéfique ;

– la marche pieds nus (pays chauds secs ou humides) et les conditions climatologiques (grands froids) ou hygiéniques (pays non émergés) amènent à considérer le diagnostic d’une douleur du pied sous l’angle géographique et culturel et de ses conséquences (plaies, troubles trophiques, vasculaires, surinfections…).

2- Examen clinique du pied :

* Inspection du pied nu en charge :

– De dos, on apprécie l’aplomb du talon, la saillie du tendon calcanéen, les gouttières rétromalléolaires et la hauteur des malléoles par rapport au sol.

– De profil médial (interne) on note le degré de creux, une saillie osseuse dorsale (cavus) ou postérieure (saillie de la grosse tubérosité calcanéenne, bursite…).

– Sur le profil latéral (externe), la saillie de la styloïde du cinquième métatarsien rend compte de la faible hauteur naturelle de l’arche externe.

– En vue antérieure, on évalue l’angle du pied avec le plan sagittal (10° normalement) et l’aspect des orteils (griffes, cors…).

– Sur le podoscope (vue plantaire en appui), le pied normal repose sur l’ensemble de la palette des têtes métatarsiennes et la pulpe des orteils, la styloïde du cinquième métatarsien et le talon (calcanéus).

Dessinant en dedans une voûte médiale (arche interne : le pied normal est creux) dont le sommet est la région cunéonaviculaire ou scaphocunéenne, son appui normal comporte un isthme à hauteur de la styloïde du cinquième métatarsien, dont la largeur est trois fois plus étroite que la bande d’appui métatarsien.

Un pied pathologiquement creux (exagération de l’arche interne), avec diminution ou disparition de cet isthme, est présent chez deux tiers des hommes et trois quarts des femmes sous nos latitudes, en général asymptomatique.

Si la voûte est trop creusée, le cou-depied est saillant et bossu, les orteils sont en griffe, le talon peut s’être placé en varus, le plus souvent il reste en valgus, surtout si l’avantpied est congénitalement élargi, mais la marche le bascule en varus.

À l’inverse, l’effondrement de la voûte interne traduit le pied plat, beaucoup plus rare, avec valgus anormalement exagéré du talon persistant à la marche, souvent hallux valgus et élargissement congénital de la palette d’appui métatarsien.

Plat ou exagérément creux, ou porteur d’un autre trouble statique, il est dit « mal disposé ».

On repère aussi sur le podoscope les plaques d’hyperkératose ou les durillons qui signent un hyperappui anormal localisé là où ils se trouvent.

On termine en regardant l’ensemble de la statique des membres inférieurs et du rachis.

* Examen de la marche pieds nus :

La marche pieds nus se fait chez tout le monde par attaque du pas sur le bord externe du talon, que celui-ci soit en valgus ou varus en position statique (l’usure du bord externe du talon de la chaussure est présente chez la grande majorité des gens).

Puis quand le pas se déroule, le bord externe du pied puis toute la plante et enfin son bord antéro-interne sont concernés par l’appui au sol ; le pas se termine par la propulsion en avant de tout le corps, dont le gros orteil finit par être le seul support et le seul responsable, avant l’appui sur le pied controlatéral.

On recherche une boiterie ou une esquive d’appui sous un endroit douloureux, un déficit moteur (steppage avec pied tombant, fauchage du membre inférieur avec équinisme éventuel du pied), une instabilité franche du talon (en varus en général, témoin d’un pied creux), un talonnement anormal (tabès), une griffe d’orteils exagérée à la marche (pied creux) ou permanente…

La marche chaussée corrige certaines anomalies : instabilité du talon dans le pied creux, boiterie par grande inégalité de longueur (> 2 cm) des membres inférieurs, compensée par une chaussure orthopédique adaptée…

* Examen du pied nu chez le malade couché :

Il se place spontanément en légère inversion (extension, supination, adduction).

On note l’aspect des téguments (couleurs, varicosités, oedème…) et des espaces interdigitaux.

– L’inspection retrouve des déformations (oedème diffus ou ne comblant que les méplats entre les tendons extenseurs des orteils) volontiers localisées (gonflement articulaire, tarse bossu, exostose avec hallux valgus, bursite rétrocalcanéenne…).

La peau attire facilement l’attention : pâle, dépilée, ou rouge, chaude, d’allure inflammatoire, avec des troubles trophiques ou une éruption localisée ou diffuse (maculaire, papulaire…) ou encore des nodules superficiels, enchassés ou non, colorés, éventuellement douloureux, des taches brunes, des nævus.

Les ongles : dystrophiques, striés, avec bande mélanique, bombés en verre de montre, ou jaunes ; on regarde la matrice et le lit de l’ongle ou ses bourrelets latéraux (premier orteil…).

On n’oublie pas l’examen des espaces interdigitaux ni de la plante (durillons sous-métatarsiens).

Les orteils : tuméfiés, d’allure inflammatoire ou non, cyanosés, déformés, avec cors dorsaux, pulpaires ou latéraux (cinquième orteil), en griffe ou en marteau.

Sous les téguments saillent les tendons des muscles extrinsèques (fibulaires et tibialis anterior ; tibialis posterior, extenseurs et fléchisseurs des orteils).

L’architecture globale du pied en décharge s’apprécie aussi couché : pied creux avec sa voûte et son dénivelé entre arrière- et avant-pied qui est tombant, un pied plat sans voûte visible.

– La palpation recherche un épaississement tégumentaire, une anomalie de l’aponévrose plantaire (nodules) sur sa corde interne, une diminution de la mobilité passive des articulations (interphalangiennes, métatarsophalangiennes, celles des interlignes de Lisfranc et Chopart plus difficiles à évaluer, la sous-talienne et la cheville).

Les tendons s’examinent par l’étude du mouvement électif dont ils ont la charge, en le contrariant, ce qui augmente la douleur, et le relâchant, ce qui la fait céder.

On palpe les pouls distaux tibial postérieur ou pédieux, on recherche une hypertrophie des troncs et filets nerveux superficiels (canal tarsien, dos du pied…).

L’examen neurologique du pied comporte la recherche de troubles moteurs et sensitifs objectifs (superficiels : chaud-froid et tact ; profonds : arthrokinesthésie, diapason, instabilité à la manoeuvre de Romberg), d’anomalies des réflexes tricipitaux (achilléens) et cutanés plantaires, ou cérébelleuses (danse des tendons : tibialis anterior), trophiques…

3- Examen de la chaussure :

Il faut observer le type de chaussage, l’usure localisée des chaussures, externe (semelle extérieure) et interne en passant la main à l’intérieur, leurs déformations, la hauteur du talon.

Une chaussure neuve n’a aucun intérêt sémiologique.

4- Examen clinique général complet :

Il est indispensable après l’examen détaillé du pied et comporte l’appréciation de l’état psychologique du malade.

B – EXAMENS BIOLOGIQUES COURANTS EN PODOLOGIE :

Ils sont nécessaires au moins lors de la première consultation.

Ils participent au diagnostic lésionnel, à l’enquête étiologique, à l’établissement du pronostic, à l’instauration et à la surveillance du traitement.

Schématiquement, il faut retenir l’importance de la vitesse de sédimentation (VS) et de la C reactive protein (CRP), minimum nécessaire, classant les maladies en inflammatoires et non inflammatoires, de la numération

– formule sanguine à la recherche de stigmates d’infection ou d’anémie.

Les anomalies métaboliques (acide urique, glycémie, calcémie et phosphorémie, éventuellement leur élimination urinaire de 24 heures ; lipidémie) et la recherche préthérapeutique d’une altération des fonctions rénale (créatininémie) ou hépatique (transaminases, phosphatases alcalines, taux de prothrombine, électrophorèse des protides) sont aussi importantes.

C – IMAGERIE EN PODOLOGIE :

Elle répond à des techniques simples et courantes, comparant les côtés sain et pathologique, de demande fréquente ou systématique, et à des techniques sophistiquées, d’usage plus ponctuel et réfléchi dans un but d’efficacité et d’économie de la santé (scanner, imagerie par résonance magnétique [IRM]).

Nous ne détaillerons ici ni les techniques, ni les indications, ni les résultats attendus ou obtenus.

1- Radiographie simple :

Les clichés comparatifs du pied en décharge comportent toujours la face, le profil et le trois quarts déroulé, seule incidence permettant de visualiser correctement le médiopied et l’éventail métatarsien.

On leur ajoute la cheville de face et de profil, éventuellement l’incidence rétrotibiale pour le calcanéus.

L’incidence des sésamoïdes du gros orteil montre l’articulation métatarsosésamoïdienne.

Pour bien voir les orteils, il convient de les dérouler (face ou trois quarts) avec de petites cales. Les clichés en charge (face, profil surtout et cheville de face en charge avec cerclage métallique) sont les clichés de base de la podométrie utilisée pour les troubles statiques.

2- Échographie :

Elle étudie les parties molles, est opérateur-dépendante, mais donne de remarquables résultats.

Elle est bien moins onéreuse que l’IRM.

Elle est utile pour les tendons et leurs gaines, les aponévroses, les ligaments, les épanchements synoviaux et les bursopathies.

Dans un autre but et avec d’autres sondes, l’échographie couplée au doppler est la meilleure investigation vasculaire non invasive.

3- Tomodensitométrie et imagerie par résonance magnétique :

Elles ne sont indiquées qu’au cas par cas ; nous ne les détaillerons pas ici.

4- Scintigraphie osseuse :

Cet examen, réalisé avec du méthylène diphosphonate de technétium marqué, permet de retrouver une anomalie isotopique localisée ou diffuse du pied, ou plus étendue, régionale et audelà (hyperfixation en général, exceptionnellement hypofixation), fonction de la pathologie rencontrée.

On peut la coupler à une scintigraphie au gallium ou aux polynucléaires marqués en cas d’infection.

L’intérêt primordial de cet examen, sensible mais non spécifique, est la précocité des lésions observées, bien avant l’apparition des signes radiologiques dans bon nombre d’affections ostéoarticulaires.

Diagnostic étiologique de la douleur du pied :

A – CIRCONSTANCES DE SURVENUE PARTICULIÈRES :

1- À l’occasion d’efforts physiques d’intensité variable :

– Intenses, inhabituels et répétés, ils évoquent la fracture de fatigue sur os sain chez la jeune recrue ou le sportif : localisation en os cortical (métatarsiens) ou trabéculaire (calcanéus) ; douleur localisée de rythme mécanique ; douleur réveillée par le palper bidigital appuyé de la pièce osseuse concernée ; retard de plusieurs semaines des signes radiologiques (fissure corticale puis cal secondaire sur un métatarsien, bande de condensation perpendiculaire aux travées osseuses sur un os trabéculaire) ; surtout à la scintigraphie osseuse, hyperfixation localisée intense et très précoce avec d’autres localisations asymptomatiques fréquentes.

À l’opposé, s’il s’agit d’activités physiques minimes chez une femme après 50 ans, est alors évoquée une fracture par insuffisance osseuse au cours d’une ostéoporose, éventuellement liée à une corticothérapie ancienne pour une polyarthrite rhumatoïde ou un asthme par exemple.

– Chez un sprinter au départ, l’interrogatoire met sur la voie d’une rupture de l’aponévrose plantaire, quand survient une douleur plantaire atroce le clouant sur place, avec impression que le pied s’enfonce dans le sol, puis hématome local secondaire.

L’IRM confirme facilement le diagnostic.

– Une douleur plantaire avec oedème local, survenant après un effort de durée et intensité souvent précises, évoque un exceptionnel syndrome de loge chronique du pied.

La prise des pressions intracompartimentales avant et après effort permet le diagnostic.

Si elle dépasse 30 mmHg et revient à la normale en plus de 5 minutes, c’est l’indication de fasciotomie chirurgicale.

– Des tuméfactions localisées douloureuses sur les tendons extrinsèques, à l’effort, évoquent une tendinopathie extrinsèque (tendon calcanéen surtout ; tendon du muscle tibialis posterior ou du tibialis anterior ; chez la danseuse, celui du flexor hallucis ; tendons fibulaires).

La rupture tendineuse, confirmée par l’échographie ou l’IRM, interdit le mouvement concerné.

L’atteinte des tendons fibulaires peut faire place à leur luxation récidivante autour du tubercule calcanéen externe.

En dehors de l’étiologie microtraumatique, toute tendinosynoviopathie d’allure mécanique qui guérit mal ou récidive, doit faire évoquer une arthrite sous-jacente (spondylarthropathie, polyarthrite rhumatoïde, voire infection), même survenant à l’occasion du sport.

2- En conditions environnementales particulières :

Le contexte climatique ou géographique met sur la voie, par exemple : d’engelures ou de gelures avec vascularite initiale pulpaire et risque de gangrène (course en montagne) ; d’un pied tropical d’immersion avec vascularite inflammatoire du derme réversible en 3 à 10 jours ; d’un pied de « tranchée » lié au froid et à l’humidité, évoluant en trois phases successives ischémique, hyperhémique de quelques jours ou mois, et séquellaire parfois sur des années.

B – CONTEXTE LOCAL : AIDE AU DIAGNOSTIC

Le contexte local accompagnant la douleur définit un cadre qui est un guide précieux pour le diagnostic.

1- Pied d’allure clinique inflammatoire :

Diffuse ou localisée, l’allure clinique inflammatoire oriente essentiellement vers une pathologie ostéoarticulaire ou tégumentaire.

La VS et la CRP définissent alors deux situations.

* Avec un syndrome biologique inflammatoire :

– On discute une cellulite, un érysipèle, une hypodermite, une lymphangite, pouvant remonter sur la jambe avec adénopathie inguinale, volontiers à partir d’une plaie négligée (phlyctène du talon, excoriations des orteils) ou d’un ongle incarné surinfecté.

Il peut s’agir d’un intertrigo. Le diabète est souvent en cause, avec sa triple composante infectieuse, artérielle et neurologique qui fait la gravité de ses complications au pied.

– Les arthrites infectieuses, inflammatoires, métaboliques sont à envisager. Une arthrite et/ou une ostéite septiques, chez le diabétique par exemple, sont bruyantes (staphylococcies), parfois torpides : il faut alors penser à la tuberculose qui se complique surtout de ténosynovite au pied, et aux arthrites décapitées par une antibiothérapie inadaptée.

Un faisceau d’arguments permet le diagnostic : fièvre, hyperleucocytose avec polynucléose, signes radiographiques retardés, hyperfixation précoce sur les scintigraphies osseuses au technétium, couplé éventuellement aux polynucléaires marqués ou au gallium.

La ponction synoviale ou la biopsie osseuse avec examen bactériologique systématique assure le diagnostic de certitude.

– Les spondylarthropathies peuvent débuter par des talalgies du lever avec long dérouillage à la marche, et constitution radiologique d’une fausse « épine » calcanéenne irrégulière avec périostite exubérante secondaire ; à l’avant-pied, des orteils en « saucisse » sont presque pathognomoniques (l’exceptionnelle dactylite sarcoïdosique est de même nature) et de mauvais pronostic fonctionnel local, alors que les talalgies guérissent toujours.

Ce type d’atteinte du pied lors d’une arthrite inexpliquée, ou dans un contexte familial ou personnel de présence de human leucocyte antigen (HLA) B27, de psoriasis, d’entérocolopathie, amène à étayer le diagnostic de spondylarthropathie, facilité par les critères usuels.

– Le diagnostic de la polyarthrite rhumatoïde au début, peut passer par l’atteinte des cinquièmes têtes métatarsiennes, aide précieuse au diagnostic si on pense à les palper (souvent elles sont spontanément indolentes) : bursite latérale, localement déminéralisation puis géode, plus tard amputation partielle puis totale, exceptionnelle talalgie par calcanéite postérosupérieure.

Devant une atteinte inexpliquée des mains, avant l’apparition de la séropositivité rhumatoïde, ce « signe de la cinquième tête » fait le diagnostic précoce « présérologique ».

Elle répondra plus tard aux critères de l’American College of Rheumatology (ACR).

– Exceptionnellement, des déformations majeures et symétriques des orteils et des doigts, sans synovite palpable, avec luxations des métacarpophalangiennes sans anomalies radiologiques des interlignes, doigts en « col de cygne », caractérisent le rhumatisme de Jaccoud au cours d’une maladie systémique : le pied, plus rarement atteint que la main, peut présenter parfois des érosions isolées des métatarsophalangiennes.

– La goutte (crise du gros orteil) est connue, avec ses équivalents torpides : bursite ou ténosynovite du pied (sportif mal hydraté).

Mais, au cours d’un psoriasis cutané étendu et évolutif, une fluxion douloureuse du gros orteil avec hyperuricémie est une arthrite psoriasique plutôt qu’une crise de goutte.

La chondrocalcinose réalise des tableaux fluxionnaires du tarse, puis des arthropathies chroniques d’allure arthrosique.

Le rhumatisme à hydroxyapatite touche exceptionnellement le pied (talalgie plantaire aiguë, dactylite fluxionnaire).

– Un tableau particulier chez le jeune réalise une périarthrite très inflammatoire des chevilles plus qu’une arthrite, érythème noueux des membres inférieurs, fébricule et lymphome hilaire bilatéral témoignant d’un syndrome de Löfgren sarcoïdosique.

* Absence de syndrome biologique inflammatoire :

– On évoque l’algodystrophie en phase chaude avec douleur, troubles trophiques et vasomoteurs, déminéralisation retardée et respect des interlignes, hyperfixation isotopique précoce, locorégionale, voire plurifocale.

Les formes sans signes radiologiques et avec hypofixation sont l’apanage du jeune.

– Des téguments chauds et hyperhémiés avec hypertrophie osseuse sous-jacente signent la maladie osseuse de Paget (rare localisation calcanéenne ou métatarsienne).

– Indolente, une arthropathie nerveuse dislocante a une allure locale clinique inflammatoire, mais n’est pas douloureuse du fait des troubles de la sensibilité profonde.

2- Existence d’anomalies cutanéotégumentaires :

Certaines sont douloureuses, d’autres très peu ; elles peuvent éclairer un diagnostic.

Le plus souvent, ce sont des cors dorsaux des orteils (en griffe ou marteau), ou latéraux (cinquième orteil du pied varus), et des durillons plantaires sous les têtes métatarsiennes (métatarsalgies statiques) qui signent une hyperpression localisée ; ils ramènent à un pied trop creux le plus souvent.

L’oeil de perdrix, entre deux orteils, avec son hyperkératose en tenon et mortaise sur leurs faces médiale et latérale, est douloureux, parfois favorisé par une petite exostose sous-jacente.

Des verrues se cachent parfois sous un durillon, dont le pincement latéral est curieusement douloureux, alors que, normalement, seule sa pression verticale est pénible.

Des signes cutanés locaux infectieux (ongles, espaces interdigitaux) font rechercher une mycose (pied d’athlète). Après conflit avec la chaussure, phlyctène et bursite sont quelquefois sources de surinfection locale ou de septicémie.

Une tache noirâtre douloureuse sous-unguéale après une marche est un hématome traumatique qui se déplace avec la pousse de l’ongle ; il se distingue du mélanome non douloureux mais de pronostic souvent sombre, trompeur s’il est achromique.

Des nodules plantaires aponévrotiques antérieurs signent la maladie de Ledderhose dans un contexte plus général de maladie de Dupuytren.

Des nouures dermiques enchâssées, douloureuses et colorées de la cheville, avec signes biologiques inflammatoires, signent l’érythème noueux témoin de pathologie iatrogénique, streptococcie, syndrome de Löfgren déjà cité, primo-infection tuberculeuse ou yersiniose.

Nodules et plaques violines indurés, enchâssés dans le derme, douloureux, étendus à d’autres sites cutanéomuqueux, voire au squelette sous-jacent, signent le sarcome de Kaposi, qui peut être lié à l’infection par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH).

Des troubles trophiques (peau fine et dépilée) font rechercher artériopathie ou neuropathie périphérique, une coloration plantaire orangée un myxoedème évolué, une pigmentation brunâtre et une mauvaise hygiène une pellagre chez un « sans domicile fixe ». Schématiquement, les érythèmes squameux et kératosiques évoquent une dyshidrose (terrain atopique) parfois difficile à distinguer d’un psoriasis ou d’une pustulose palmoplantaire des spondylarthropathies ou du syndrome SAPHO (synovite, acné, pustulose, hyperostose par ostéite), ou bien même de la syphilis. Parmi les kératodermies plantaires, l’acrokératose de Bazeix est toujours paranéoplasique (cancer des voies aériennes).

Des vésicules, des bulles peuvent indiquer chez l’enfant un syndrome « mainspieds-bouche » annonciateur de complications artérielles éventuelles.

Papules, nodules et tumeurs attirent vers un granulome annulaire, des xanthomes (tendineux dans les hypercholestérolémies familiales), la goutte (tophus), le sarcome de Kaposi, etc.

Enfin si le purpura, vasculaire, thrombopathique ou thrombopénique est un motif rare et non douloureux de consultation podologique, les acrosyndromes, à cheval sur les maladies de système et la pathologie vasculaire, y sont plus fréquents et souvent douloureux.

3- Apparition de manifestations vasculaires au pied :

* Acrosyndrome :

Parfois primitif, il oriente vers une anomalie vasculaire locorégionale ou une maladie générale comme une connectivite avec syndrome de Raynaud ou une maladie de Vaquez révélée par une érythromélalgie.

Une angiodermite nécrosante, hyperalgique, à extension centripète hyperalgique oriente vers une maladie de système, une vascularite vers une cryoglobulinémie par exemple.

* Abolition des pouls distaux :

Elle signe une artériopathie, le plus souvent athéromateuse, avec une claudication intermittente de cuisse ou de jambe ou douleurs de décubitus, des troubles trophiques cutanés et phanériens ; une douleur vive et une nécrose d’un orteil, le rare syndrome de « l’orteil bleu » avec phlyctène, livedo, purpura font évoquer une embolie de cholestérol par athéromatose ; une maladie de Buerger débute une fois sur deux par une claudication intermittente plantaire dans les mois ou années qui précèdent la nécrose digitale, ou un syndrome de Raynaud, ou l’association à des phlébites superficielles distales, récidivantes, migrantes, dites « fil de fer » ou nodulaires.

* Angiome plan local :

Associé à une hypertrophie segmentaire du membre, parfois localisée à un orteil (macrodactylie douloureuse à l’étroit dans la chaussure) et à des troubles veineux, c’est une situation rare qui témoigne d’un syndrome de Klippel-Trenaunay ou de Parker, en présence de fistules artérioveineuses.

* Tumeur glomique :

C’est une petite tumeur vasculaire, souvent ni visible ni palpable, toujours très douloureuse au contact, siégeant préférentiellement dans le lit unguéal ; tardivement apparaît une encoche osseuse en regard, alors que seule l’artériographie préopératoire, ou maintenant l’IRM, montre la lésion.

* Varices :

Elles se manifestent sous forme de phlébalgie variqueuse, de brûlures périmalléolaires pré-ulcéreuses, ou d’oedème par insuffisance veineuse chronique avec dermite ocre.

L’angiodermite s’accompagne d’ulcères variqueux rebelles. Une phlébite du pied, récidivante ou non, peut révéler une maladie générale (maladies de Buerger, de Behçet, thrombocytémie, collagénose…).

4- Manifestations neurologiques au pied :

Elles traduisent une neuropathie très localisée ou compliquent une maladie neurologique générale, révélée par la consultation de podologie : ceci justifie l’examen neurologique devant toute anomalie clinique du pied.

* Affection neurologique générale :

Peuvent être en cause :

– une neuropathie périphérique familiale ou sporadique sensitive ou sensitivomotrice, qui peut se caractériser par de simples paresthésies en chaussette et des troubles trophiques cutanés locaux ;

– une affection centrale, en particulier familiale, est suspectée devant un pied creux, même « banal », et une scoliose, avec des anomalies médullaires, vestibulaires, cérébelleuses, des paires crâniennes, une atteinte des fonctions supérieures (maladie de Friedreich par exemple) ;

– les désordres de la sensibilité profonde sont indolores (mal perforant plantaire sur les zones d’appui, pied cubique indolent des arthropathies nerveuses), mais déterminants pour le diagnostic d’un diabète, d’une lèpre ou d’un tabès, d’une acropathie ulcéromutilante familiale de Thévenard ou sporadique de Bureau et Barrière, d’une syringomyélie.

* Importance de deux tableaux neurologiques locaux :

– À la marche, une douleur paroxystique d’un espace intercapitométatarsien, principalement le troisième, « contractant le coeur », imposant le déchaussage immédiat, traduit un syndrome de Morton dont l’étiologie est dominée par le pseudonévrome.

La douleur imprévisible irradie à la pulpe des orteils, où elle est réveillée par la recherche du « Lasègue d’orteils », avec éventuelle hypoesthésie locale en feuillet de livre, ou vers le cou-de-pied ou la jambe, cédant brusquement, rémission complète de durée variable.

La pression transversale et verticale de l’espace concerné, surtout à sa face plantaire, réveille la douleur exquise. Les radiographies sont normales, l’électromyogramme (EMG) peu contributif.

L’IRM retrouve le pseudonévrome à la partie basse de l’espace intercapitométatarsien douloureux, en hyposignal en T1, en hypoou isosignal en T2, avec souvent images identiques asymptomatiques d’autres espaces, y compris sur l’autre pied.

Le diagnostic est parfois difficile dans les formes frustes ou associées à un trouble statique (pied creux antérieur souvent favorisant), seuls cas où l’IRM est demandée. Une bursopathie de l’espace intercapitométatarsien s’accompagne d’une voussure dorsale, avec hyposignal en T1 et hypersignal en T2, à la partie supérieure de l’espace douloureux.

– Ailleurs, la topographie des troubles neurologiques locaux évoque un syndrome canalaire : syndrome du canal tarsien avec valgus pathologique du talon (paresthésies plantaires médiales ou latérales) ; nerf musculocutané avec ses troubles sensitifs favorisés à la cheville par un chaussage montant serré, au cou-de-pied par un cavus exagéré (pied creux), au bord interne du gros orteil par une bursite sur hallux valgus, ou encore la saphène externe.

5- Pied malformé, mal disposé ou dysmorphique :

Il s’agit d’anomalie locale, acquise ou congénitale, ou intégrée dans une pathologie locorégionale ou générale.

* Pied malformé :

Il peut s’agir de malformations congénitales entrant en conflit avec la chaussure : piedbot, malformations des orteils ou des métatarsiens, anomalies de leur nombre, intégrées parfois dans un contexte malformatif général ou une myopathie.

* Pied mal disposé :

L’exagération du cavus signe le pied creux avec métatarsalgies et durillons ou plaques d’hyperkératose, orteils en griffe ou marteau, rapidement irréductibles et en conflit avec la chaussure (cors).

L’avant-pied peut être congénitalement trop large (hallux valgus), contrastant avec un talon proportionnellement trop étroit.

À l’arrière-pied, un varus statique ou n’apparaissant qu’à la marche, une talalgie plantaire péricalcanéenne réveillée par l’empaumement du talon dans les deux mains de l’examinateur, la rétraction douloureuse du système myotendinoaponévrotique suro-achilléocalcanéo-plantaire (douleur chronique du tendon calcanéen, difficulté à marcher pieds nus), l’instabilité chronique de la cheville, complètent le tableau.

Une étiologie neurologique périphérique ou centrale est patente dans 2 à 3% des cas, que le pied creux soit cliniquement réductible ou non.

La disparition en charge de la voûte plantaire identifie le pied plat, beaucoup plus rare : exagération du valgus talonnier, pronation de l’avant-pied, douleur du bord interne du scaphoïde, tendinopathie du tibial postérieur, syndrome du canal tarsien.

Les métatarsalgies sont possibles, l’hallux valgus y est fréquent.

Il est bien mieux toléré que le pied creux, mais s’associe souvent à une surcharge pondérale et/ou des lombalgies discales parfois révélatrices.

Les formes secondaires existent : traumatisme ancien avec arthrose secondaire du tarse, rupture du tendon tibial postérieur, tarsite rhumatoïde chez l’adulte ; synostose congénitale du tarse chez le jeune, parfois responsable d’un pied plat très douloureux et cliniquement irréductible (pied plat contracturé).

Les anomalies du premier orteil sont de deux types.

L’hallux rigidus (arthrose de la première métatarsophalangienne) empêche le passage du pas, soupçonné devant une tuméfaction dorsale, puis un cor sous l’interphalangienne de cet orteil déformé en barquette, et arthrose radiographique.

L’hallux valgus, congénital ou acquis, essentiellement féminin, avec éventuel avant-pied rond triangulaire, quelquefois par polyarthrite rhumatoïde, souvent d’ordre statique pur, est favorisé par un chaussage étroit en avant, trop haut en arrière, avec risque de bursite médiale en regard.

Sa complication essentielle, « le syndrome du deuxième rayon », peut le décompenser : surcharge douloureuse de la deuxième tête métatarsienne (durillon plantaire sous-jacent), orteil en marteau (cor dorsal de l’interphalangienne proximale n° 2), puis luxation de la deuxième métatarsophalangienne, parfois favorisée par une infiltration locale intra-articulaire intempestive.

Ce syndrome est à distinguer de l’ostéonécrose des têtes métatarsiennes, principalement la deuxième, à l’âge adulte, avec douleur d’appui sous la tête concernée, apparition en quelques semaines d’un aplatissement radiologique de la tête métatarsienne, qui se condense avec élargissement de l’interligne articulaire métatarsophalangien, et conduit pour finir à une arthrose clinicoradiologique de l’articulation (tuméfaction douloureuse et diminution de la mobilité passive et active).

À l’arrière-pied, l’hypertrophie de la tubérosité postérieure du calcanéus (« maladie » de Haglund) entre en conflit avec la chaussure, source de bursite locale.

Parfois favorisé par le pied creux, le syndrome de « l’épine calcanéenne dégénérative » se voit chez le sujet de plus de 50 ans, avec douleur dès l’appui du lever s’estompant rapidement à la marche, et image radiographique rapidement progressive d’une « épine » régulière fine et acérée ; quelquefois alors le pied est hérissé et s’intègre dans une hyperostose de Forestier.

* Pied dysmorphique :

Une dysmorphie localisée peut gêner la marche : exceptionnellement congénitale (macrodactylie), elle est en général acquise lors d’une affection locorégionale ou générale : algodystrophie du pied, surtout maladie de Paget osseuse touchant le calcanéus dans 3 à 5% des cas, avec hypertrophie localisée, trame radiologique grossière et anarchique, hyperfixation isotopique intense et plurifocale sur les clichés « corps entier », témoignant du caractère général de la maladie.

Ce peut être simplement une exostose sous-unguéale révélée par une déformation localisée extrêmement douloureuse qui soulève l’ongle, dont la compression est pénible, et qui est diagnostiquée par le cliché radiographique simple centré sur la phalange distale concernée.

6- Contexte non évocateur :

C’est le cas le plus difficile.

Seules les reprises répétées de l’interrogatoire et de l’examen clinique, la surveillance évolutive clinique et radiologique, la recherche systématique et répétée d’un syndrome biologique inflammatoire, celle éventuelle d’une hyperfixation isotopique précoce, permettent de faire un diagnostic ou d’orienter au coup par coup les explorations ultérieures plus sophistiquées, mais indiquées seulement de façon ponctuelle (tomodensitométrie, IRM).

Quelquefois, après avoir constaté la régulière normalité des différentes explorations, est-on amené à reconnaître un syndrome conversif derrière des signes d’appel podologiques variés, y compris un trouble statique atypique, situation cependant beaucoup plus rarement retrouvée que devant des lombalgies par exemple.

Conclusion :

Le diagnostic d’une douleur du pied apparaît bien comme une démarche de médecine interne, où le rhumatologue, comme d’autres spécialistes, retire d’un bon examen clinique et de quelques examens complémentaires simples l’essentiel des informations nécessaires.

Il reconnaît alors, à l’origine de cette douleur, des affections purement locales ou des affections générales à expression podologique accompagnatrice ou exclusive.

Le pied est un excellent outil diagnostique.

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