Développement de l’oreille externe

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Introduction :

Le développement des éléments constitutifs de l’oreille externe fait suite au développement de l’appareil branchial qui a été traité récemment.

L’embryogenèse de l’oreille externe comprend l’étude de la formation du pavillon, mais aussi du conduit auditif externe (CAE) cartilagineux et osseux qui constitue l’armature externe de la membrane tympanique, elle-même frontière anatomique entre l’oreille externe et moyenne.

Le pavillon et le conduit cartilagineux dérivent des deux premiers arcs branchiaux, leur développement est en étroite relation.

Le conduit osseux dérive de l’os tympanal, cylindre osseux incomplet à ossification membraneuse.

Développement de l’oreille externeLes données obtenues par l’étude de l’embryogenèse animale descriptive et expérimentale permettent une meilleure appréhension des malformations humaines, et soulignent la complémentarité de l’approche fondamentale et clinique.

Nous traiterons dans un premier temps de l’embryologie descriptive classique de l’oreille, puis nous envisagerons les données récentes du développement de l’oreille externe, obtenues grâce aux travaux d’embryologie expérimentale chez les vertébrés.

Développement de l’oreille externe chez l’homme :

D’un point de vue embryologique, les oreilles externe et moyenne dérivent des premier et deuxième arcs branchiaux, de la première fente ectodermique et de la première poche endodermique, tandis que l’oreille interne dérive de la vésicule otique.

Le premier arc, précurseur de la partie inférieure de la face, se divise en deux segments, céphalique (arc maxillaire) et caudal (arc mandibulaire), soutenus respectivement par les cartilages ptérygocarré et de Meckel, et innervés respectivement par les nerfs maxillaires (V2) et mandibulaires (V3).

Le deuxième arc correspond au cartilage de Reichert innervé par le nerf facial.

Le premier signe du développement de l’oreille est l’apparition de la placode otique au 21e jour de développement embryonnaire.

Cette placode circulaire va progressivement s’incurver en son centre, former une dépression puis une sphère, la vésicule otique, qui se détache de l’ectoderme au 28e jour pour former le labyrinthe membraneux et les neurones sensoriels du nerf VIII.

La trompe d’Eustache, les cavités de l’oreille moyenne et les cellules mastoïdiennes se développent à partir du récessus tubotympanique issu de la première poche endodermique.

L’oreille externe se développe autour de la première fente ectodermique branchiale, frontière entre le premier arc (mandibulaire) et le deuxième arc (hyoïdien).

Une partie importante des structures de l’oreille externe dérive du mésectoderme, sous-population issue de la crête neurale qui migre à partir des bourrelets neuraux du rhombencéphale.

Cette population cellulaire participe à la formation du squelette craniofacial, en particulier le contingent membraneux de l’os tympanal, mais aussi les blastèmes cartilagineux de la partie inférieure de la face.

A – PAVILLON :

His (1885) fut le premier à faire une étude histologique précise du développement embryonnaire du pavillon humain.

Les premiers signes de développement du pavillon sont visibles à partir du 33e jour de développement intra-utérin (E33 correspondant au stade 15 de Carnegie).

Des bourgeons mésenchymateux apparaissent sur les berges dorsales de la première fente ectodermique branchiale, les colliculi de His, qui sont par convention numérotés de 1 à 6 dans un sens horaire.

Les colliculi 1, 2 et 3 se forment sur le bord caudal du 1er arc, tandis que les 4, 5 et 6 sont situés sur le bord céphalique du 2e arc.

Au 44e jour (stade 18 de Carnegie), les bourgeons ont atteint leur taille maximale et commencent ensuite un mouvement de migration et de fusion.

D’abord situé en position ventrale et paramédiane, le pavillon subit un mouvement d’ascension dorsale et craniale concomitant de la croissance des arcs qui le soutiennent.

La participation respective de chaque colliculus au pavillon définitif est un sujet qui est loin d’être clos.

L’étude du devenir d’une population cellulaire doit reposer sur des travaux expérimentaux, consistant à marquer la population dont on cherche à connaître le devenir et à la suivre au cours du développement.

Les travaux spéculatifs consistant à étudier des embryons de stades successifs ne peuvent en aucun cas avoir une telle véracité.

Les techniques classiques de marquage cellulaire et d’étude du devenir à long terme d’un tissu ont été développées chez les amphibiens et les oiseaux, pour ne citer que les espèces vertébrées.

Or, ni les amphibiens ni les oiseaux ne possèdent de pavillon, rendant impossible l’étude de l’organogenèse de cette structure dans ces espèces.

Ceci explique que les données embryologiques humaines restent encore très spéculatives et sujettes à caution.

Il suffit d’ailleurs que nos lecteurs intéressés comparent les cartographies reproduites dans les livres d’embryologie pour qu’ils prennent conscience de ce problème.

Il n’en reste pas moins que le pavillon de l’oreille est une structure qui dérive des deux premiers arcs branchiaux.

Bien que la cartographie précise de chaque colliculus ne soit pas établie, on admet que chaque pavillon d’oreille est un marqueur qualitatif et quantitatif du développement des premier et deuxième arcs branchiaux.

Plus l’événement malformatif est précoce, plus la microtie est sévère et le pavillon situé en position ventrale et caudale.

À la 20e semaine de développement, le pavillon a atteint sa forme définitive.

Cependant, la croissance du pavillon continue après la naissance, en particulier dans sa dimension verticale, jusqu’à l’âge de 7 à 10 ans.

De nombreuses anomalies du pavillon de l’oreille sont décrites (voir pour une revue).

Les défauts les plus sévères du développement forment le complexe microtie/anotie.

Dans ce cadre, il faut noter qu’une atteinte majeure du développement du pavillon de l’oreille s’accompagne toujours d’une atrésie du conduit auditif externe, et d’une hypoplasie mandibulaire dans 75 % des cas.

Cette association malformative n’est pas pour surprendre, dans la mesure où ces structures dérivent des mêmes ébauches. Par ailleurs, des syndromes génétiques sont individualisés, qu’il conviendra de rechercher : syndromes de Treacher-Collins, de Goldenhar, Branchio-Oto-Rénal (syndrome BOR).

B – CONDUIT AUDITIF EXTERNE :

Il est curieux de constater que, dans les ouvrages modernes d’embryologie, le CAE est considéré le plus souvent comme le résidu de la première fente ectodermique branchiale, qui est étirée du fait de son contact avec l’endoderme lors de la croissance de la région cervicocéphalique.

Pourtant, le développement du CAE est un processus différé par rapport à la formation des arcs branchiaux (qui se forment entre E22 et E24).

En effet, les premiers signes de développement du CAE ne sont visibles qu’à partir du stade 17 de Carnegie (E41).

Le développement du CAE est un processus complexe que l’on sépare en deux étapes principales, la formation des méats auditifs primaire et secondaire.

Le méat acoustique primaire se développe dans la première fente ectodermique par la prolifération cellulaire ectodermique, qui forme une plaque épithéliale appelée le bouchon méatal.

À 10 semaines de développement, la partie médiale du bouchon s’élargit en forme de disque, de telle sorte que dans le plan horizontal le méat prend une forme de botte, avec un cou-de-pied étroit et une semelle s’étendant largement pour former la future membrane tympanique médialement.

Au même moment, la partie externe du bouchon commence à se résorber.

À 13 semaines, la partie la plus profonde du disque est en contact avec l’ébauche du marteau et prête à contribuer à la formation de la membrane tympanique.

Chez le foetus de 15 semaines, la partie la plus profonde du disque se divise, laissant une membrane tympanique externe composée d’une fine couche de cellules épithéliales ectodermiques immatures, tandis que la partie plus externe va s’affiner pour former le méat auditif secondaire ou futur canal osseux.

Cette étape du développement, aussi appelée recanalisation du méat, pourrait impliquer une importante mort cellulaire.

L’absorption des cellules épithéliales se fait dans un sens médiolatéral.

Le cou-de-pied de la botte forme alors la limite entre les méats auditifs primaire et secondaire.

À 16,5 semaines, le conduit auditif est déjà patent, même si sa lumière est encore étroite et incurvée.

C’est chez le foetus de 18 semaines que le méat a atteint sa forme définitive.

Certaines formes de cholestéatomes congénitaux sont associés à une atrésie du CAE, et pourraient résulter d’un arrêt de la canalisation du bouchon méatal lors de la formation du méat auditif secondaire.

Si le processus de recanalisation s’arrête prématurément, il est alors possible d’observer la coexistence d’une membrane tympanique et d’un conduit osseux normaux, avec un conduit membraneux atrétique.

Cette situation prédispose à la formation d’un cholestéatome du canal, avec absence d’évacuation des squames, tandis que la partie médiane du canal osseux continue à desquamer.

Bien que le CAE cartilagineux soit en continuité avec le cartilage du pavillon pour former une structure unique, on ne sait pas exactement si le cartilage du méat provient des colliculi ou s’il se développe à partir du mésenchyme du sillon ectobranchial.

De plus, le premier colliculus, qui forme potentiellement le tragus, semble se développer indépendamment des structures avoisinantes, et fusionner partiellement avec les ébauches cartilagineuses voisines.

Cela peut expliquer la présence de l’incisure de Santorini qui sépare le tragus du reste du pavillon.

Apports de l’embryologie expérimentale :

Nous avons précédemment envisagé le principe de recanalisation du CAE.

Des auteurs japonais se sont intéressés au développement du conduit auditif chez la souris.

Ils ont montré que l’apoptose ou mort cellulaire programmée intervient dans la formation de la plaque épithéliale, mais paradoxalement, n’est que très peu présente au moment de la recanalisation du méat auditif.

Seule la différenciation des cellules ectodermiques en cellules kératinisées serait impliquée dans le mécanisme de recanalisation.

Chez la souris, il est possible d’invalider sélectivement un gène par une technique de recombinaison homologue dans des cellules ES (cellules souches embryonnaires).

On peut alors générer une souche de souris qui n’exprime pas une protéine d’intérêt, et étudier les conséquences de ce défaut.

Cette technique est connue sous le terme d’invalidation génique par recombinaison homologue, ou plus populairement sous le terme de knock-out.

Plusieurs souches de souris générées de cette façon présentent un défaut de développement du pavillon de l’oreille.

En ce qui concerne le développement du CAE, les études expérimentales ont montré une corrélation absolue entre la formation du méat auditif externe et la formation de l’anneau tympanique, qui soutient la membrane tympanique.

La souche murine dont le gène Hoxa2 a été invalidé présente une duplication partielle des éléments provenant du premier arc branchial, et une disparition des éléments générés par le deuxième arc branchial.

Dans ces conditions, il est noté une duplication de l’anneau tympanique et du CAE.

En cas d’invalidation génique du gène Prx1 ou du gène Goosecoid, il est noté une agénésie du CAE.

Au total, l’analyse des mutants murins affectant le développement du CAE montre qu’il existe toujours une absence de l’anneau tympanique en cas d’absence de formation du CAE.

L’anneau tympanique est une structure osseuse développée aux dépens des cellules provenant de la crête neurale, et qui donne secondairement naissance à l’os tympanal selon un mode d’ossification membraneuse.

Dans le cas de la souris Hoxa2 -/-, il existe non seulement une duplication du conduit, mais aussi une duplication de l’anneau tympanique.

Ces résultats ont conduit au postulat que la formation de l’anneau tympanique et du conduit étaient liées, et que les cellules formant l’anneau tympanique induisent la formation du CAE.

De plus, l’analyse des souris dans lesquelles le CAE ne se forme pas montre que le manubrium du marteau est hypoplasique, suggérant que le CAE induit la formation de cette région du marteau.

Il existe donc une succession d’événements rendant compte de la formation des éléments de l’oreille externe et moyenne : l’anneau tympanique induit la formation du CAE, qui à son tour induit la formation du manubrium du marteau.

Une telle séquence d’événements est importante à connaître, afin de décrypter les malformations humaines et de déterminer ce qui représente un événement primaire d’une conséquence secondaire.

D’un point de vue embryologique, l’approche du développement de l’oreille externe est indissociable de celle du développement de l’oreille moyenne, mais aussi de toutes les structures de voisinage.

Cette intégration par le clinicien est indispensable pour une bonne prise en charge des malformations de l’appareil auditif, et toute malformation de l’oreille externe (aplasie majeure) doit faire systématiquement rechercher des anomalies ossiculaires.

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