Déshydratation aiguë du nourrisson

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Les déshydratations aiguës sévères sont devenues rares sous nos climats car leur prise en charge s’est beaucoup améliorée.

Il convient cependant de ne jamais sousestimer la gravité potentielle des diarrhées aiguës, qui constituent une cause encore fréquente de décés chez le nourrisson dans les pays en développement.

Physiopathologie :

Déshydratation aiguë du nourrissonL’eau représente 50 à 60 % du poids du corps chez l’adulte et 70 à 80 % chez le nouveau-né à terme, ce qui explique que l’enfant soit d’autant plus vulnérable à la déshydratation qu’il est jeune.

En outre, l’adulte renouvelle son liquide extracellulaire tous les 7 jours et le nourrisson tous les 2 jours ; en d’autres termes, les entrées ou sorties quotidiennes d’eau mobilisent plus d’un tiers des espaces extracellulaires chez le nourrisson contre seulement un sixième chez l’adulte.

Les besoins liquidiens quotidiens sont ainsi de 100 à 130 mL/kg chez le nourrisson contre 25 mL/kg chez l’adulte.

L’eau se répartit différemment dans les 3 constituants de l’organisme : environ 10 % dans la graisse, 70 à 75 % dans la masse maigre, et 15 à 20 % dans le tissu osseux.

De ce fait, l’eau totale varie en proportion inverse à la masse grasse ce qui explique que, chez le nouveau-né dont la masse grasse est réduite, la proportion d’eau dans le poids corporel soit si importante.

Par ailleurs, le nourrisson n’est pas autonome en terme d’hydratation et dépend étroitement de son entourage.

Un déséquilibre hydrique conduira ainsi très rapidement à la déshydratation aiguë d’autant que, avant l’âge de 18 mois, l’immaturité des fonctions rénales (capacité de concentration, capacité à excréter une surcharge sodée ou acide) contribue à la gravité du tableau clinique et biologique.

La gravité potentielle de la déshydratation tient en partie au fait que le nourrisson présente une fragilité cérébrale accrue vis-à-vis de l’hyperthermie, de l’anoxie et de l’hyperosmolarité.

Étiologie :

  • Les pertes liquidiennes constituent la principale cause de déshydratation. Diarrhée aiguë : elle représente 90 % des causes de déshydratation aiguë.

Dans les pays industrialisés, les diarrhées aiguës sont causées par des virus (rotavirus essentiellement) dans 50 à 60 % des cas et par des bactéries dans 20 à 35 % des cas, rarement par des parasites.

Cependant, l’examen de routine des selles pratiqué dans la plupart des laboratoires de microbiologie, même avec les techniques les plus récentes, ne permet l’identification de l’agent responsable d’une diarrhée que dans deux tiers des cas.

Les déshydratations sévères sont beaucoup plus fréquentes lors des diarrhées aiguës virales que lors des diarrhées bactériennes.

Les mécanismes exacts des lésions de la muqueuse intestinale, les médiateurs en cause et les facteurs de régénaration font actuellement l’objet de nouvelles approches, dont la résultante est une interruption du cycle entérosystémique de l’eau avec augmentation de la sécrétion et diminution de l’absorption.

Dans le cas du rotavirus, la diarrhée est secondaire à la nécrose des cellules absorbantes et s’accompagne d’une sécrétion nette d’eau, de sodium, de potassium, mais aussi de bicarbonates, d’où une acidose métabolique.

Dans la majorité des cas, la phase d’état est brève, avec restitutio ad integrum de l’épithélium en 48 à 72 h.

Autres causes digestives : d’autres causes digestives sont possibles, tantôt extériorisées (vomissements, aspiration, fistules, stomies), tantôt masquées (occlusion).

Il existe alors des pertes en sodium, mais aussi en chlore et en ions H+ d’où la possibilité d’une alcalose hypochlorémique. Pertes cutanées ou pulmonaires : l’hyperthermie et le coup de chaleur entraînent une augmentation des pertes insensibles et des pertes sudorales.

En cas de mucoviscidose, les pertes hydriques s’accompagnent d’importantes pertes chloro-sodées.

Une situation comparable peut se rencontrer en cas de brûlures étendues, de dermatoses suintantes, d’hyperventilation.

Toutes ces situations peuvent entraîner une diminution de la perfusion rénale avec oligurie par insuffisance rénale fonctionnelle (ou « prérénale »).

Plus rarement, l’origine de la déshydratation est rénale avec polyurie paradoxale : insuffisance rénale à diurèse conservée, uropathies malformatives avec trouble de concentration des urines, diabète insipide néphrogénique, diabète insulinodépendant, hyperplasie congénitale des surrénales.

  • La déshydratation peut être le fait d’une erreur diététique ou d’une carence d’apport, chez certains enfants négligés ou dans un contexte d’hyperthermie sans hydratation adéquate.
  • Elle peut enfin être en rapport avec la constitution d’un troisième secteur (péritonite), l’enfant ne semblant pas avoir perdu de poids.

Diagnostic :

A – Sémiologie :

La sémiologie de la déshydratation est relativement facile à reconnaître.

  • L’interrogatoire recherche les antécédents, précise l’ancienneté des troubles et les modalités diététiques, y compris une éventuelle réhydratation orale.
  • La perte de poids est le principal symptôme ; elle est estimée sur la base d’une pesée récente ou d’une extrapolation de la courbe de poids du carnet de santé.

L’examen clinique doit donc toujours commencer par la pesée de l’enfant nu.

  • L’estimation des pertes liquidiennes est habituellement accessible à l’interrogatoire : diarrhée, vomissements, fièvre.

La perte de poids peut cependant être sousestimée en cas de diarrhée non encore extériorisée ; les autres symptômes prennent alors toute leur valeur.

  • Les signes de déshydratation sont généralement mixtes avec, à divers degrés :

– des signes de déshydratation extracellulaire : pli cutané, dépression de la fontanelle (à examiner en position semi-assise), hypotonie des globes oculaires, hypotension artérielle, oligurie ;

– des signes de déshydratation intracellulaire : soif, sécheresse des muqueuses (langue, face interne des joues), fièvre inexpliquée, somnolence.

  • Dans tous les cas, il faut savoir reconnaître les signes de gravité : perte de poids supérieure à 10 % du poids du corps ; oligo-anurie (nécessité d’un collecteur d’urines

– débit urinaire normal > 1 mL/kg/h) ; fièvre ; polypnée par acidose métabolique ; allongement du temps de recoloration cutanée (> 3 s) ; collapsus ; signes neurologiques (agitation, troubles de conscience).

Ce tableau était jadis désigné sous le terme de « toxicose ».

  • Corrélations clinico-biologiques : un prélévement sanguin est réalisé à l’admission pour ionogramme, pH, PCO2, glycémie, calcémie, créatininémie, hémoculture ; selon le contexte : analyse des selles (virologie, bactériologie), uroculture, ponction lombaire.

Il existe une corrélation entre l’importance du déficit hydrique et les signes cliniques de déshydratation.

À cela peuvent s’ajouter d’autres facteurs de risque : dénutrition préalable, infection associée, vomissements, mauvaise fiabilité parentale.

B – Recherche d’une fuite rénale :

Dans un contexte de déshydratation, il est normal d’observer une diminution de la diurèse ; si ce n’est pas le cas, et notamment si la diurèse reste abondante, il faut évoquer une anomalie rénale.

Aussi, le recueil des premières urines émises est-il essentiel, car il permet une étude biochimique et un examen à l’aide d’une bandelette réactive. Une glycosurie oriente vers un diabète sucré.

Une densité urinaire inférieure à 1,006 avec osmolalité urinaire inférieure à l’osmolalité plasmatique évoque un diabète insipide (central ou néphrogénique).

Il peut aussi s’agir d’une tubulopathie (urines hypotoniques), d’une hyperplasie congénitale des surrénales (natriurése élevée, hyperkaliémie, élévation de la 17OH progestérone) ou d’un pseudo-hypoaldostéronisme (primitif ou dans le cadre d’une uropathie).

Traitement d’urgence :

Les modalités thérapeutiques proposées concernent avant tout la déshydratation par diarrhée aiguë, de loin la plus fréquente, mais peuvent s’appliquer dans leurs grandes lignes à d’autres situations.

A – Correction d’une hypovolémie en urgence :

Lorsqu’il existe des signes de gravité et que l’état de l’enfant est inquiétant, sans attendre les résultats biologiques, le remplissage s’impose mais le collapsus rend souvent impossible tout abord veineux périphérique et, plutôt que d’insister, il faut savoir utiliser une voie d’abord d’urgence, telle la voie fémorale ou la voie intra-osseuse.

On utilise pour cela du sérum salé isotonique (chlorure de sodium 0,9 %), sur la base de 20 mL/kg à perfuser en 20 min.

Si cela ne suffit pas, il convient d’utiliser un colloïde naturel (albumine à 4 %, 5 à 10 mL/kg) ou de synthèse, type hydroxyéthylamidon (Elohes, 5 à 10 mL/kg).

Par la suite, l’objectif est de rétablir progressivement l’équilibre du milieu intérieur, tant en termes d’hydratation que d’ajustements électrolytiques, car toute variation brutale peut être délétère.

Cela représente un argument majeur en faveur de la réhydratation orale.

B – Réhydratation :

1- Par voie orale :

Dans la majorité des cas, la réhydratation orale représente la meilleure option et, sous réserve du contexte socio-psychologique, l’hospitalisation n’est pas indispensable dans les cas de déshydratation modérée.

Même en cas de déshydratation sévère, en milieu hospitalier, la seule limitation de la réhydratation orale tient à sa tolérance digestive (vomissements), qui est généralement maîtrisée si le soluté est proposé à l’enfant par petits volumes répétés (30 à 50 mL par prise).

Les produits disponibles dérivent de la solution élaborée il y a une trentaine d’années par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) pour la réhydratation lors des épidémies de choléra au Bangladesh.

2- Par voie veineuse :

Si l’état clinique est préoccupant ou si la réhydratation orale s’avère impossible, inefficace ou insuffisante, la réhydratation par voie veineuse est alors indiquée.

L’administration de bicarbonate de sodium en cas d’acidose métabolique n’est pas indispensable, car la restauration d’une volémie efficace, en améliorant la perfusion des organes et tissus à l’origine de l’acidose, suffit à corriger progressivement le pH.

3- Cas particuliers :

La déshydratation hypernatrémique (sodium > 160 mmol/L) : il faut réhydrater l’enfant plus lentement, sur 12 h, en privilégiant, là encore, la voie orale, sous contrôle fréquent de la natrémie afin de ne pas l’abaisser de plus de 1 mmol/L/h.

Le cas échéant, il faut aussi corriger une hyperthermie sévère.

Dans tous les cas, la réévaluation du poids et de l’examen clinique en cours de réhydratation est essentielle et doit être réalisée au bout de 4 h, puis toutes les 12 h jusqu’à ce que la situation s’améliore franchement.

Traitements associés :

Les produits antidiarrhéiques ralentisseurs du transit et antisécrétoires n’ont aucune indication.

En revanche, les antispasmodiques non anticholinergiques (Spasfon) et certains médicaments de la motricité digestive (Débridat) peuvent être utiles en cas de douleurs abdominales associées.

Les antibiotiques ne sont indiqués qu’en cas de salmonellose ou de shigellose.

Ainsi, en présence d’une déshydratation aiguë par diarrhée sanglante fébrile, il est licite d’instaurer un traitement par cotrimoxazole (Bactrim) ou ceftriaxone (Rocéphine).

La persistance de la diarrhée après réintroduction du lait justifie parfois la prescription d’un aliment lacté sans lactose (Modilac sans lactose, O-Lac) voire d’un hydrolysat de protéines (Pregestimil, Pepti-Junior) chez les petits nourrissons ayant présenté une diarrhée sévère.

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