Dermatoses bulleuses auto-immunes de la jonction

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Introduction :

Les dermatoses bulleuses auto-immunes sous-épidermiques constituent un groupe de maladies caractérisées par l’existence d’autoanticorps qui se fixent in vivo sur des structures protéiques au niveau de la zone de jonction dermoépidermique.

Cette fixation d’autoanticorps induit un décollement dermoépidermique responsable de l’apparition de bulles cutanées ou muqueuses.

Dermatoses bulleuses auto-immunes de la jonctionLes progrès de la biologie cutanée et de l’immunopathologie ont permis de démembrer les différentes entités et de caractériser la plupart des dermatoses bulleuses auto-immunes par un ou plusieurs antigènes cibles identifiés sur un plan biochimique puis moléculaire et localisé par les techniques modernes d’immunopathologie appliquée.

L’exemple le plus marquant est représenté par la dermatose à immunoglobulines (Ig) A linéaire dont les antigènes cibles sont désormais clairement identifiés et qui s’est ainsi rapprochée des maladies du groupe des pemphigoïdes.

Six maladies différentes sur le plan clinique, immunopathologique et évolutif sont maintenant identifiées.

Pemphigoïde bulleuse (pemphigoïde, pemphigoïde de Lever) :

Considérée dans les années 1960 par l’école dermatologique française comme une simple variante clinique de la maladie de Duhring-Brocq, la pemphigoïde bulleuse a été individualisée par Lever qui fit en 1965 la description de ses différentes caractéristiques cliniques et histopathologiques.

En 1967, Jordon et al ont décrit l’existence de dépôts d’IgG le long de la zone de la membrane basale de l’épiderme par immunofluorescence (IF) directe, ainsi que des anticorps sériques contre la zone de la membrane basale de l’épiderme par IF indirecte chez des patients atteints de pemphigoïde bulleuse, donnant à cette maladie son statut de maladie auto-immune ainsi qu’un critère diagnostique majeur.

À partir des données immunopathologiques et moléculaires accumulées au cours des dix dernières années, on peut définir aujourd’hui la pemphigoïde bulleuse comme la maladie résultant d’une auto-immunisation contre des protéines de structure de l’hémidesmosome.

A – SIGNES CLINIQUES :

La pemphigoïde bulleuse est une maladie bulleuse relativement fréquente qui représente 70 % des dermatoses bulleuses autoimmunes sous-épidermiques avec une incidence annuelle d’au moins 400 nouveaux cas par an en France.

Elle touche surtout les sujets âgés, sans prédominance de sexe ni de race, ni prédisposition génétique.

La moyenne d’âge se situe aux alentours de 75-80 ans en France.

De très rares cas familiaux ont été rapportés.

Les lésions cutanées caractéristiques sont des bulles d’apparition spontanée, sans signe de Nikolsky, tendues, à contenu clair, souvent de grande taille (de 0,5 à plusieurs centimètres), qui surviennent généralement sur une base érythémateuse, mais aussi parfois en peau cliniquement saine.

Diverses lésions cutanées sont associées aux bulles : macules et papules érythémateuses prenant parfois un aspect urticarien ou en cible, croûtes et érosions postbulleuses.

Le prurit est généralement très marqué, parfois accompagné d’une sensation de brûlure, et peut précéder, de quelques semaines à plusieurs années, l’apparition de bulles.

Les lésions sont plus ou moins nombreuses et distribuées de façon assez symétrique sur le tégument avec une prédilection pour les faces de flexion des membres, la face antéro-interne des cuisses et l’abdomen.

Des études en IF indirecte ont montré que cette distribution particulière des lésions cliniques était en relation avec les variations régionales de l’expression de l’antigène de la pemphigoïde bulleuse dans la peau humaine normale. Les bulles guérissent sans cicatrice dystrophique, ni grains de milium.

La muqueuse buccale peut être atteinte dans 10 à 20 % des cas, mais jamais de façon inaugurale.

L’atteinte des autres muqueuses doit faire discuter une pemphigoïde cicatricielle.

B – SIGNES BIOLOGIQUES :

La numération-formule sanguine montre une hyperéosinophilie d’importance variable, souvent élevée (supérieure ou égale à 2 000/mm3), corrélée à l’activité et à l’étendue de la dermatose, mais sans signification pronostique reconnue.

Il peut exister une élévation des IgE sériques et un syndrome inflammatoire biologique en règle modéré.

C – HISTOPATHOLOGIE :

L’étude histopathologique d’une bulle cutanée récente montre un décollement bulleux par clivage dermoépidermique.

L’épiderme, qui constitue le toit de la bulle, est normal. Le contenu de la bulle est variable : sérosité, fibrine, polynucléaires surtout éosinophiles.

Son plancher est constitué par le derme papillaire dont les dessins sont conservés.

L’infiltrat inflammatoire dermique est variable, fait de polynucléaires notamment éosinophiles, de lymphocytes, d’histiocytes et de rares mastocytes, et prédomine dans le derme papillaire et autour des vaisseaux.

Des microabcès papillaires à polynucléaires éosinophiles peuvent s’observer dans 20 % des cas.

L’étude par microscopie électronique à transmission montre que le clivage se produit dans la lamina lucida de la jonction dermoépidermique.

D – IMMUNOPATHOLOGIE :

1- Immunofluorescence directe :

L’examen en IF directe, sur coupe en congélation, d’une biopsie de peau périlésionnelle de patients atteints de pemphigoïde bulleuse montre des dépôts linéaires, continus d’IgG et (dans la quasi-totalité des cas) de C3 le long de la zone de la membrane basale de l’épiderme, parfois associés à de l’IgA, voire à de l’IgM.

Bien qu’il ne permette pas de différencier cette affection d’autres dermatoses bulleuses auto-immunes telles la pemphigoïde cicatricielle ou l’épidermolyse bulleuse acquise, ce critère immunopathologique est néanmoins toujours indispensable au diagnostic positif de pemphigoïde bulleuse.

D’autres éléments de la voie classique ou de la voie alterne du complément peuvent être également mis en évidence dans la zone de la membrane basale, suggérant la possibilité d’activation des deux voies de la cascade du complément.

2- Immunofluorescence indirecte :

Des anticorps sériques antizone de la membrane basale, de type IgG, sont retrouvés chez 70 à 90 % des patients atteints de pemphigoïde bulleuse par IF indirecte sur un substrat épithélial intact (peau humaine normale, oesophage de singe ou de lapin notamment).

Détectés par IF indirecte sur un épithélium malpighien non clivé, ils ont peu d’intérêt diagnostique car ils sont indifférenciables des anticorps antizone de la membrane basale rencontrés dans les autres dermatoses bulleuses auto-immunes sous-épidermiques et ils peuvent s’observer en dehors des dermatoses bulleuses autoimmunes (dans les brûlures, les toxidermies graves, les réactions du greffon contre l’hôte, etc).

De plus, le titre d’anticorps antizone de la membrane basale est assez mal corrélé avec l’évolutivité clinique de la pemphigoïde bulleuse.

Dans la pemphigoïde bulleuse, les anticorps sériques antizone de la membrane basale se fixent presque toujours au toit de la zone de clivage lorsque la technique d’IF indirecte est faite sur peau humaine normale séparée par le NaCl 1M qui réalise un clivage dermoépidermique situé dans la lamina lucida de la jonction dermoépidermique.

Cette technique sérologique, devenue de pratique courante, est à la fois très sensible et spécifique pour le diagnostic positif de pemphigoïde bulleuse.

Elle permet d’éliminer formellement le diagnostic d’épidermolyse bulleuse acquise où les anticorps sériques antizone de la membrane basale, inconstamment présents, se fixent uniquement sur le versant dermique du clivage.

3- Immunomicroscopie électronique :

En immunomicroscopie électronique directe, à partir d’une biopsie cutanée réalisée en peau péribulleuse de patient atteint de pemphigoïde bulleuse, les dépôts immuns, IgG, C3, apparaissent relativement fins et continus à un faible grossissement, et siègent dans la partie haute de la lamina lucida, avec un renforcement en regard des hémidesmosomes des kératinocytes. Ils sont absents au pôle basal des mélanocytes.

En immunomicroscopie électronique indirecte réalisée sur peau humaine normale, les anticorps sériques réagissent avec deux pools antigéniques distincts qui sont associés aux hémidesmosomes :

– un pool intracellulaire, plus important quantitativement, se situant au niveau de la plaque d’attachement des hémidesmosomes et des tonofilaments qui y aboutissent ;

– un pool extracellulaire, situé dans la partie externe de l’hémidesmosome, beaucoup moins important quantitativement que le pool intracellulaire ; dans la peau des patients atteints de pemphigoïde bulleuse, seul ce pool extracellulaire peut généralement être mis en évidence par la technique d’immunomicroscopie électronique directe.

4- Immunotransfert :

Les premiers résultats importants concernant la caractérisation biochimique de l’antigène cible de la pemphigoïde bulleuse sont dus à Stanley et al qui ont montré par immunoprécipitation puis par immunotransfert qu’il s’agissait d’une macromolécule apparemment unique composée de sous-unités protéiques d’un poids moléculaire d’environ 220 kDa.

Mais, après le travail de Labib et al, toutes les études par immunotransfert ont par la suite montré que d’autres protéines épidermiques pouvaient être reconnues par anticorps sériques de patients atteints de pemphigoïde bulleuse.

Il est actuellement admis que les autoanticorps de pemphigoïde bulleuse sont capables de réagir en immunotransfert réalisé à partir de protéines épidermiques avec deux antigènes principaux qui sont des protéines de structure essentielles de l’hémidesmosome :

– l’Ag PB230, d’un poids moléculaire de 230 kDa, reconnu par environ 70 % des autoanticorps de pemphigoïde bulleuse, est l’antigène majeur de la pemphigoïde bulleuse décrit initialement par Stanley ; le gène codant cette protéine est cloné, séquencé et a été localisé sur le chromosome 6 chez l’homme ; l’analyse de la séquence du gène a montré que l’Ag PB230 est une protéine de structure desmosomale strictement intracellulaire qui présente une analogie de structure avec celle de la desmoplakine I, protéine de structure majeure de la plaque desmosomale ;

– l’Ag PB180, encore appelé collagène XVII, d’un poids moléculaire de 180 kDa, est reconnu par 20 à 50 % des autoanticorps de pemphigoïde bulleuse par immunotransfert, parfois en association avec l’Ag PB230 ; le gène codant cette protéine est cloné, séquencé et a été localisé sur le chromosome 12 ; l’analyse de la séquence du gène montre qu’il s’agit d’une protéine hémidesmosomale transmembranaire dont la partie extracellulaire présente 16 domaines collagéniques et ne montre pas d’homologie significative avec celle de l’antigène de 230 kDa.

Le domaine immunogénique principal, appelé NC16a, est constitué de 16 acides aminés et situé sur la partie juxtamembranaire du domaine extracellulaire de la molécule.

5- « Enzyme-linked immunosorbent assay » (Elisa) :

De nouvelles techniques sérologiques de détection des anticorps anti-PB230 et surtout anti-PB180 par méthode immunoenzymatique Elisa ont été développées très récemment par différents laboratoires.

Par ce type de technique, des anticorps anti-PB180 sont détectables dans plus de 90 % des sérums de patients atteints de pemphigoïde bulleuse, notamment des anticorps réagissant avec le domaine NC16a de l’Ag PB180.

Les sites épitopes semblent cependant multiples sur le domaine extracellulaire de l’Ag PB180.

Ces techniques très sensibles sont en cours d’évaluation clinique et encore réservées au domaine de la recherche.

E – FORMES CLINIQUES :

1- Formes symptomatiques :

La banalisation de l’utilisation de l’IF directe a permis de mieux connaître les formes de début de la pemphigoïde bulleuse.

Celle-ci peut débuter par un prurit sine materia, chronique et insomniant, évoluant parfois pendant des mois ou années de façon isolée avant l’apparition de bulles cutanées, par des placards eczématiformes ou urticariens, par des lésions papuleuses, érythémateuses, parfois localisées, par un intertrigo inguinal ou sous-mammaire guérissant mal sous antifongiques locaux.

Les bulles pourront apparaître secondairement sur cicatrice (par exemple : moignon d’amputation) ou après un traumatisme superficiel (équivalent d’un scratch-test), sur les régions palmoplantaires (pemphigoïde « dysidrosiforme »), sur psoriasis notamment après PUVAthérapie, voire sur la muqueuse oesophagienne (dans moins de 5 % des cas).

Dans d’autres cas, il n’existe pas de lésions bulleuses et le tableau réalisé est caractérisé cliniquement par des lésions vésiculeuses évoquant une dermatite herpétiforme, par des lésions végétantes des grands plis, par les lésions à type de prurigo nodulaire, exceptionnellement par une érythrodermie.

L’étude immunopathologique des antigènes cibles reconnus par les autoanticorps dans ces formes atypiques permet dans certains cas récents d’affirmer qu’il ne s’agit en fait que de simples variantes cliniques de pemphigoïde bulleuse.

2- Associations pathologiques :

De nombreuses maladies dysimmunitaires ont été décrites à partir de cas isolés en association avec la pemphigoïde bulleuse : polyarthrite rhumatoïde, lupus érythémateux systémique, dysthyroïdies auto-immunes, cirrhose biliaire primitive, maladie de Crohn, sclérose en plaques, anémie de Biermer, polymyosite, vitiligo, myasthénie, pemphigus vulgaire, dermatite herpétiforme.

Bien que s’intégrant parfois dans le cadre d’une « maladie auto-immune multiple », ce type d’association relève en général d’une association fortuite.

En revanche, l’incidence du diabète et du psoriasis a été démontrée comme étant significativement augmentée au cours de la pemphigoïde bulleuse dans une étude cas-témoins.

L’association pemphigoïde bulleuse-cancer a été l’objet de nombreuses études.

La conclusion actuelle est qu’il n’existe pas de risque significativement augmenté de cancer chez des patients atteints de pemphigoïde bulleuse par rapport à des patients d’âge comparable.

D’autre part, aucun type de cancer particulier n’a été retrouvé spécifiquement associé à la pemphigoïde bulleuse.

Néanmoins, quelques cas isolés de pemphigoïde bulleuse peuvent présenter une évolution paranéoplasique vraie.

Dans cette circonstance, de même que dans le cas d’associations à d’autres maladies auto-immunes, l’étude immunopathologique approfondie par immunotransfert et immunomicroscopie électronique est souhaitable pour confirmer de manière formelle qu’il s’agit bien d’une vraie pemphigoïde bulleuse.

3- Formes selon l’âge :

Bien qu’étant essentiellement une maladie du sujet âgé, la pemphigoïde bulleuse peut survenir à tout âge, notamment chez l’enfant.

Dans la pemphigoïde de l’enfant, les atteintes de la muqueuse buccale, des paumes, des plantes et du visage seraient plus fréquentes.

4- Induction médicamenteuse :

Des observations isolées ont suggéré que la pemphigoïde bulleuse pouvait parfois être induite par la PUVAthérapie (chez des patients atteints de psoriasis) ou par des médicaments, en particulier la spironolactone, le furosémide, la D-pénicillamine, la pénicilline, la clonidine, la sulfasalazine, la phénacétine, voire certaines chimiothérapies (méthotrexate et actinomycine D).

L’aspect clinique est alors volontiers atypique, l’âge des patients atteints moins élevé qu’habituellement, avec la possibilité de formes de passage (anatomocliniques et/ou immunopathologiques) avec un pemphigus.

Dans quelques cas seulement, l’étude immunopathologique (immunotransfert, immunomicroscopie électronique) et l’évolution ont pu confirmer à la fois le diagnostic de pemphigoïde bulleuse et l’induction médicamenteuse.

Une étude épidémiologique cas-témoins récente n’a pas confirmé le rôle de la plupart des médicaments antérieurement suspectés, mais a suggéré un rôle inducteur potentiel de la spironolactone et, à un degré moindre, des neuroleptiques.

F – DIAGNOSTIC :

Il ne se pose pratiquement pas avec les pemphigus auto-immuns, l’érythème polymorphe ou les toxidermies bulleuses qui seront facilement écartés par l’examen histologique standard et l’étude en IF directe.

La dermatite herpétiforme sera éliminée par les données de l’IF directe, de même que la dermatose à IgA linéaire.

La valeur diagnostique de quatre critères cliniques (âge > 70 ans, absence de lésion muqueuse, de cicatrice atrophique ou de localisation préférentielle à la tête, au cou et à la région thoracique) a été démontrée récemment pour le diagnostic positif de pemphigoïde bulleuse devant toute dermatose bulleuse sousépidermique avec dépôts linéaires d’IgG et/ou de C3 en IF directe.

La présence de trois des quatre critères permet de poser le diagnostic de pemphigoïde bulleuse avec une valeur prédictive positive de 95 %. Malgré des aspects anatomocliniques et immunopathologiques en IF directe identiques, la pemphigoïde gravidique (herpes gestationis) survient dans des circonstances bien particulières (la grossesse ou le post-partum) qui permettent son diagnostic.

Elle constitue davantage une forme clinique particulière de pemphigoïde qu’une entité clinique autonome.

Lorsque l’aspect clinique n’est pas typique d’une pemphigoïde bulleuse, il est parfois difficile d’éliminer une pemphigoïde cicatricielle et surtout une épidermolyse bulleuse acquise dans sa forme inflammatoire.

C’est alors que l’IF indirecte sur épiderme séparé, l’immunomicroscopie électronique et l’immunotransfert prennent toute leur importance pour confirmer (ou infirmer) le diagnostic.

G – PATHOGÉNIE :

La première démonstration du caractère pathogène des anticorps antimembrane basale épidermique provenant de patients atteints de pemphigoïde est due à Gammon et al à partir d’un modèle d’organoculture.

Les résultats montraient que la conjonction de trois éléments (autoanticorps antimembrane basale, leucocytes et complément) était nécessaire pour obtenir une séparation dermoépidermique in vitro.

Le rôle important de l’activation du complément dans le mécanisme de formation des bulles a ensuite été suggéré par des études immunopathologiques in vivo chez l’homme et chez le cobaye.

Il est désormais bien établi que la cible des autoanticorps de pemphigoïde bulleuse est l’hémidesmosome, élément majeur de cohésion dermoépidermique localisé au pôle inférieur du kératinocyte basal.

Au sein de l’hémidesmosome, les molécules reconnues par les autoanticorps sont deux protéines de structure normalement présentes dans la jonction dermoépidermique : l’Ag PB230, strictement intracellulaire, et l’Ag PB180, transmembranaire avec un important domaine extracellulaire.

La démonstration formelle, dans un modèle animal (souris), du caractère pathogène des anticorps anti-Ag PB180, lequel possède un domaine extracellulaire directement accessible à l’action des autoanticorps, est très récente.

En revanche, aucune preuve définitive n’a pu être, jusqu’à présent, apportée en faveur du caractère pathogène direct des autoanticorps anti-Ag PB230, lesquels sont dirigés contre une protéine hémidesmosomale strictement intracytoplasmique donc théoriquement inaccessible directement à l’action des autoanticorps.

À partir de différentes données expérimentales, un schéma synthétique de formation des lésions bulleuses avait été proposé par Jordon il y a une dizaine d’années, qui reste encore à valider.

La première étape fait intervenir l’apparition et la prolifération de lymphocytes B sécrétant les autoanticorps anti-Ag P230 et anti-Ag PB180, de sous-classes IgG4 et IgG1 surtout, qui vont se lier spécifiquement à leur antigène cible dans l’hémidesmosome, avec pour conséquence une activation du complément.

Cette activation du complément se fait aussi bien par la voie classique que par la voie alterne et va jusqu’aux étapes effectrices avec mise en jeu du complexe d’attaque membranaire C5-C9.

Des médiateurs de l’inflammation sont ensuite produits, notamment des anaphylatoxines C3a et C5a.

Puis, des phénomènes cellulaires impliquent notamment les polynucléaires éosinophiles comme l’ont montré des études ultrastructurales.

Les enzymes protéolytiques ainsi libérées pourraient jouer un rôle crucial en provoquant des altérations de la jonction dermoépidermique, notamment une gélatinase sur la partie extracellulaire de l’Ag PB180, à l’origine d’un clivage dermoépidermique.

Dans ce schéma, le rôle local exact joué par les lymphocytes et des monocytes/macrophages dans le mécanisme d’apparition des bulles est mal connu.

Il en va de même en ce qui concerne l’intervention des cytokines sécrétées par ces cellules, notamment le tumor necrosis factor (TNF), l’interleukine (IL)1, l’IL2 ou l’IL5.

De même, les lymphocytes T pourraient avoir un effet pathogène direct sur l’hémidesmosome, spécifique d’antigène (ou d’épitope) et non dépendant de la réaction autoanticorps-antigène(s) de pemphigoïde bulleuse.

Des études ultérieures sont nécessaires pour déterminer s’il s’agit d’un mécanisme majeur, ou seulement accessoire ou amplificateur, dans le déterminisme des lésions bulleuses de pemphigoïde.

H – ÉVOLUTION – TRAITEMENT :

Des études récentes en France ont montré que le pronostic vital de la pemphigoïde bulleuse était très médiocre, avec des taux de mortalité à 1 an de traitement compris entre 10 et 40 %.

Il faut souligner que la plupart des décès surviennent dans les trois premiers mois de traitement et qu’à ce jour, les facteurs cliniques et/ou biologiques influençant le pronostic vital restent toujours à établir avec certitude.

Si un rôle péjoratif des anticorps anti-Ag PB180 a été très récemment suggéré, le mauvais pronostic vital de la pemphigoïde semble surtout lié aux effets secondaires de la corticothérapie générale, fréquents et graves chez ces malades âgés.

Néanmoins, la guérison peut être obtenue, en l’absence de complication, dans des délais variant entre 18 mois et 5 ans.

Le but du traitement de la pemphigoïde est de bloquer la production d’autoanticorps, tout en inhibant la libération de médiateurs de l’inflammation qui participent au mécanisme de formation des lésions bulleuses.

Le traitement de première intention des pemphigoïdes est désormais une corticothérapie locale très forte de niveau 1.

Un travail multicentrique français a démontré sur une série de 341 patients la supériorité d’une corticothérapie locale de niveau 1 sur une corticothérapie générale à la fois pour des patients porteurs d’une pemphigoïde paucilésionnelle et d’une pemphigoïde sévère et extensive.

La corticothérapie locale est équivalente à la corticothérapie générale en termes de contrôle des différentes formes de la maladie et permet une survie globale statistiquement supérieure pour les formes sévères en diminuant la fréquence et la gravité des effets secondaires de la corticothérapie générale.

Le schéma thérapeutique proposé correspond à l’application de 40 g/j de propionate de clobétasol, jusqu’au 15e jour après contrôle de la maladie puis 20 g/j pendant 1 mois puis 10 g/j pendant 2 mois puis 10 g 1 jour sur 2 puis deux fois par semaine.

Une telle approche thérapeutique permet de diminuer la mortalité d’origine iatrogène de la pemphigoïde, qui doit plus que jamais être considérée comme une maladie grave du sujet âgé.

La corticothérapie générale est actuellement le mieux validé des traitements systémiques de la pemphigoïde, tout du moins en ce qui concerne le schéma thérapeutique d’attaque.

Dans les formes étendues et évolutives de la maladie, la corticothérapie générale peut être utilisée en traitement d’attaque (prednisone ou prednisolone : 1 mg/kg/j).

Lors de cette phase d’attaque, on n’omettra pas de prévenir la surinfection locale en utilisant des antiseptiques ou des antibiotiques locaux, de corriger une éventuelle déshydratation et de compenser les pertes en protéines et les déficits vitaminiques.

Une fois le contrôle initial obtenu (généralement entre 10 et 20 jours), une dégression lente de la corticothérapie générale, guidée par des évaluations cliniques régulières, est réalisée jusqu’à une dose d’entretien de l’ordre de 0,1 mg/kg/j de prednisone (ou de prednisolone) atteinte en environ 6 mois.

Ce traitement d’entretien sera poursuivi au minimum 6 mois.

Chez les malades en rémission clinique de pemphigoïde sous faibles doses de stéroïdes, un arrêt du traitement pourra être tenté.

En cas de corticorésistance, de corticodépendance ou de contreindication à la corticothérapie, d’autres traitements peuvent être discutés.

Les échanges plasmatiques ne constituent qu’un traitement adjuvant pour « passer un cap » thérapeutique difficile dans des formes sévères et corticorésistantes de pemphigoïde.

Leurs effets secondaires et leur coût font réserver ce traitement à des cas très particuliers.

Les immunosuppresseurs, surtout représentés par l’azathioprine (Imurelt : 100 à 150 mg/j) pourront être employés en cas de corticorésistance ou de corticodépendance et toujours en deuxième intention. Les gammaglobulines intraveineuses sont inefficaces.

La Disulonet : 50 à 100 mg/j, l’érythromycine ou les tétracyclines sont parfois utilisées, mais leur efficacité est très inconstante et généralement incomplète dans les formes généralisées de la maladie.

Pemphigoïde gestationis :

La pemphigoïde gestationis, encore appelée pemphigoïde gravidique ou herpes gestationis selon la première description de Milton en 1872, est une dermatose bulleuse auto-immune de la grossesse.

Elle survient généralement chez une multipare lors du troisième trimestre de la grossesse et son incidence annuelle est estimée en France à environ 20-25 nouveaux cas par an. Sa fréquence est de 1/3 000 à 1/50 000 grossesses.

La pemphigoïde gestationis se caractérise histologiquement par la perte de l’adhésion dermoépidermique, résultant de l’action d’autoanticorps dirigés contre une protéine de structure des filaments d’ancrage, l’Ag PB180.

A – SIGNES CLINIQUES :

La pemphigoïde gestationis se caractérise au départ par un prurit intense qui apparaît au cours du deuxième ou troisième trimestre de la grossesse.

Un début plus précoce est exceptionnel.

Le prurit s’accompagne de placards érythémateux ou urticariens comme dans la pemphigoïde bulleuse.

L’apparition de cocardes oedémateuses, cocardes secondairement surmontées de vésiculobulles, est très caractéristique.

Le début est classiquement péri-ombilical dans environ 50 % des cas avec une extension, voire une généralisation plus ou moins rapide des lésions cutanées.

L’éruption peut également apparaître dans des territoires inhabituels, paumes et plantes réalisant une pseudodysidrose, ou sur les membres.

Le visage et les muqueuses sont habituellement respectés.

L’évolution de l’éruption est très variable au long de la grossesse avec des rémissions spontanées possibles et dans 75 % des cas une exacerbation dans les jours précédant l’accouchement.

L’association d’une môle hydatiforme ou d’un choriocarcinome est classique bien que très rare.

B – HISTOPATHOLOGIE :

L’examen histopathologique d’une bulle cutanée récente montre un clivage dermoépidermique sous un épiderme normal.

L’infiltrat inflammatoire dermique est composé de polynucléaires notamment éosinophiles, de lymphocytes, d’histiocytes et de rares mastocytes, dans le derme papillaire et autour des vaisseaux.

Des microabcès papillaires à polynucléaires éosinophiles s’observent dans 20 % des cas.

C – IMMUNOPATHOLOGIE :

1- Immunofluorescence directe cutanée :

L’IF directe sur biopsie de peau péribulleuse immédiatement congelée montre des dépôts linéaires, continus de C3 le long de la membrane basale de l’épiderme ; ces dépôts de C3 sont associés à des dépôts d’IgG dans 25-40 % des cas.

La présence de dépôts fluorescents le long de la membrane basale permet un diagnostic de certitude de pemphigoïde gestationis devant toute éruption de la grossesse.

La présence d’IgM dans quelques observations pose le problème de l’existence d’une dermatose à IgM linéaire de la grossesse qui n’aurait pas de retentissement maternofoetal et paraît de toute manière exceptionnelle.

2- Immunofluorescence indirecte cutanée :

Des anticorps sériques antimembrane basale ne sont présents que dans 20 % des pemphigoïdes gestationis par IF indirecte standard sur épithélium malpighien non clivé.

En revanche, la majorité des sérums de patientes atteintes de pemphigoïde gestationis contiennent un anticorps circulant antimembrane basale de type IgG1, capable de fixer le complément et encore appelé herpes gestationis factor (HGF).

3- Immunofluorescence indirecte sur peau clivée par le NaCl molaire :

L’incubation d’un fragment cutané dans une solution de NaCl molaire induit un clivage au sein de la lamina lucida au niveau de la jonction dermoépidermique.

Au cours de la pemphigoïde gestationis, comme dans la pemphigoïde bulleuse, les anticorps sont fixés au toit du clivage, c’est-à-dire sur le versant épidermique.

4- Immunotransfert :

Les études sérologiques réalisées par immunotransfert ont permis de démontrer que la majorité des sérums de patientes atteintes de pemphigoïde gestationis reconnaissent, sur extrait épidermique, une protéine de 180 kDa.

Comme dans la pemphigoïde bulleuse, l’épitope reconnu est situé à proximité de la portion transmembranaire de l’Ag BP 180.

5- Immunomicroscopie électronique :

L’immunomicroscopie électronique directe permet de localiser précisément les dépôts d’anticorps sur les structures de la jonction dermoépidermique au cours des dermatoses bulleuses autoimmunes.

Dans la pemphigoïde gestationis, les dépôts sont situés sur la partie haute de la lamina lucida en regard des hémidesmosomes.

Ils sont fins et réguliers et s’interrompent en regard des mélanocytes.

Cet aspect ultrastructural est également retrouvé dans les pemphigoïdes bulleuses et ne permet pas de différencier les deux affections.

D – PATHOGÉNIE :

La cible des autoanticorps de pemphigoïde gestationis est l’Ag BPAg2 qui est une protéine transmembranaire de 180 kDa.

Des travaux réalisés à l’aide de protéines de fusion contenant des séquences de l’Ag BP 180 ont montré qu’il s’agissait d’un seul et même antigène cible et que l’épitope principal reconnu est un domaine non collagénique de 16 acides aminés situé en position extracellulaire à proximité immédiate de la membrane du kératinocyte.

Cet épitope est également reconnu par la majorité des sérums de patients atteints de pemphigoïde bulleuse avec une immunisation anti-BP 180.

Cette protéine joue un rôle important dans la cohésion de la jonction dermoépidermique car son domaine extracellulaire collagénique fait partie de la structure des filaments d’ancrage en regard des hémidesmosomes, ce qui explique la localisation des dépôts immuns en microscopie électronique.

Un travail récent de l’équipe de Giudice a montré que la plupart des sérums de pemphigoïde gravidique réagissaient avec un fragment protéique de sept acides aminés correspondant à la moitie aminoterminale de NC16a.

Le placenta joue un rôle important dans l’initiation de la réaction immunitaire.

Il exprime à la fois l’antigène BPAg2 et le complexe human leukocyte antigen (HLA) de classe II qui permet l’induction d’une tolérance vis-à-vis des antigènes foetaux d’origine paternelle.

Ainsi au cours de la pemphigoïde gestationis, il se produit une rupture de tolérance vis-à-vis de l’antigène de 180 kDa chez des femmes prédisposées génétiquement.

Cette réponse immunitaire vis-à-vis du placenta explique la symptomatologie cutanée et le risque foetal.

Une association significative entre la survenue d’une pemphigoïde gestationis et certains groupes HLA DR3 et DR4 explique les associations pathologiques fréquentes : maladie de Basedow, vitiligo, pelade ou rectocolite hémorragique.

E – ÉVOLUTION :

L’évolution spontanée de la maladie se fait vers la guérison dans un délai pouvant varier de 2 semaines à 12 ans.

Dans une série récente de 87 patientes avec 142 grossesses, la durée moyenne d’évolution était de 16 semaines.

Sur une série de 278 pemphigoïdes gravidiques, on retrouve 16 % d’avortements spontanés et 1,5 % de grossesses ectopiques, ce qui correspond à la population normale.

Il existe, en revanche, une augmentation du risque de prématurité avec 20 % d’accouchements avant la 36e semaine et une tendance à un petit poids de naissance sans hypotrophie vraie.

Enfin, 3 % des enfants de mère atteinte peuvent présenter une éruption transitoire à la naissance.

F – TRAITEMENT :

La corticothérapie générale (0,5 mg/kg/j de prednisone) est efficace sur le prurit et l’éruption et n’a pas de retentissement grave sur le foetus.

Les poussées de la période du post-partum nécessitent parfois des doses plus élevées (1 mg/kg/j) ou l’association à des dermocorticoïdes.

Dans les formes minimes, la corticothérapie locale ou la pyridoxine (200 à 600 mg/kg/j) constituent des alternatives thérapeutiques.

La pemphigoïde gestationis récidive lors des grossesses ultérieures, souvent de façon plus précoce et plus sévère.

Elle peut débuter dans le post-partum, voire récidiver en dehors des grossesses, lors de la prise d’oestroprogestatifs.

Elle peut également s’autonomiser et évoluer comme une pemphigoïde bulleuse après l’accouchement.

Dans ces formes prolongées, le recours à la corticothérapie générale s’impose en association à différentes molécules, azathioprine (Imurelt), dapsone (Disulonet), sulfasalazine (Salazopyrinet).

Dans quelques cas exceptionnels, le recours à des plasmaphérèses a été rapporté.

Pemphigoïde cicatricielle :

La pemphigoïde cicatricielle est essentiellement une affection du sujet âgé (âge moyen entre 60 et 70 ans), avec une certaine prédominance féminine.

Son incidence annuelle est en France d’environ 70 nouveaux cas.

Elle est caractérisée cliniquement par son atteinte élective des muqueuses et la formation ultérieure de cicatrices, et immunologiquement par des dépôts d’IgG, d’IgA et/ou de C3 sur la membrane basale épidermique.

Si l’Ag PB 180 est la principale cible des autoanticorps synthétisés par les malades atteints de pemphigoïde cicatricielle, d’autres antigènes cibles ont été identifiés ces dernières années comme la sous-unité a de la laminine 5.

Des autoanticorps de classe IgA dirigés contre une molécule de 45 kDa ont également été mis en évidence dans le sérum de malades atteints de pemphigoïdes cicatricielles oculaires strictes.

Il semble donc actuellement qu’il n’y ait pas une seule et unique pemphigoïde cicatricielle mais plusieurs formes cliniques et/ou immunopathologiques de pemphigoïde cicatricielle.

A – FORMES CLINIQUES :

1- Pemphigoïde cicatricielle « classique » :

Les bulles muqueuses sont fragiles et laissent rapidement la place à des érosions superficielles.

La muqueuse buccale est fréquemment atteinte (80-90 % des cas).

Les bulles intrabuccales sont rares, localisées sur le palais, la langue ou les gencives.

L’aspect de gingivite érosive est le plus fréquent.

L’atteinte oculaire survient dans 50 à 70 % des cas.

Elle réalise une conjonctivite chronique et synéchiante, d’abord unilatérale, puis bilatérale, résistante aux traitements locaux. La classification en quatre stades de l’atteinte oculaire permet de juger de sa sévérité.

Les stades 1 et 2 correspondent à une conjonctivite érythémateuse qui évolue au stade 3 vers une conjonctivite synéchiante avec symblépharon et diminution de l’ouverture de la fente palpébrale.

Au stade 4, le pronostic fonctionnel est fortement engagé avec l’apparition d’opacités cornéennes.

La cécité survient dans 5 à 20 % des cas.

L’atteinte pharyngolaryngée (8 à 20 % des cas) doit être systématiquement recherchée en raison des risques de fausses routes et de complications locales (fistulisation).

L’atteinte génitale (15 % des cas) réalise, chez l’homme, un tableau de balanite érosive et synéchiante et, chez la femme, des lésions bulleuses et érosives souvent douloureuses avec sensations de brûlure.

À un stade avancé, des brides vulvaires apparaissent.

L’atteinte oesophagienne, rare (4 %), peut aboutir à une sténose oesophagienne.

Les lésions cutanées sont observées dans 25 % des cas.

Généralement peu nombreuses, à type d’érosions chroniques, elles mesurent de quelques millimètres à plusieurs centimètres de diamètre.

On note la présence de grains de milium et de cicatrices déprimées.

Elles prédominent à la tête et au cou, voire au thorax.

L’atteinte du cuir chevelu donne une alopécie cicatricielle.

2- Pemphigoïde cicatricielle avec anticorps « antiépiligrine » :

Il s’agit d’un sous-groupe de patients présentant une immunisation dirigée contre la sous-unité a de la laminine 5 qui est un composant des filaments d’ancrage.

La présentation clinique n’est pas très différente de la pemphigoïde cicatricielle classique « anti-180 ».

Tous les patients décrits avaient une atteinte buccale prédominante et une atteinte des autres muqueuses moins fréquente.

L’atteinte cutanée est variable mais serait plus constante que dans les formes classiques. Enfin quelques cas ont été rapportés en association avec un cancer (poumon, utérus et tractus digestif).

3- Autres formes cliniques :

La pemphigoïde cicatricielle se présente le plus souvent sous forme d’une dermatose avec atteintes muqueuses multiples inconstamment associées à de rares lésions cutanées.

Mais il existe des formes avec atteinte d’une seule muqueuse, en particulier les formes avec atteinte buccale (généralement à type de gingivite érosive) ou oculaire isolée.

Elles évoluent habituellement de façon chronique en restant sur le même mode clinique.

Décrite initialement par Brunsting et Perry, la pemphigoïde cicatricielle cutanée pure se manifeste par une atteinte cutanée exclusive à type de bulles et/ou d’érosions touchant la tête et le cou, à évolution cicatricielle avec souvent une alopécie cicatricielle.

B – HISTOPATHOLOGIE :

La bulle cutanée ou muqueuse est sous-épithéliale sans acantholyse, indifférenciable de celle de la pemphigoïde bulleuse.

C – IMMUNOPATHOLOGIE :

1- Immunofluorescence directe :

L’IF directe sur biopsie de peau ou de muqueuse périlésionnelle montre des dépôts linéaires, continus d’IgG et/ou de C3 le long de la membrane basale, souvent associés à de l’IgA.

Elle est plus souvent positive sur les biopsies de muqueuse que de peau.

Elle permet dans la grande majorité des cas d’éliminer, dans les formes muqueuses pures, un pemphigus vulgaire, un érythème polymorphe, des balanites ou vulvites synéchiantes non auto-immunes.

2- Immunofluorescence indirecte :

L’IF indirecte sur un substrat épithélial intact décèle des autoanticorps antimembrane basale circulants de type IgG et/ou IgA dans 20 % des cas.

En IF indirecte sur peau clivée, les anticorps sont fixés le plus souvent sur le toit, mais aussi parfois au plancher de la zone de clivage.

Les anticorps antilaminine sont toujours retrouvés sur le plancher du clivage.

Les taux d’anticorps circulants sont très faibles et leur évolution n’est pas corrélée à celle de la pemphigoïde.

3- Immunotransfert :

Par immunotransfert réalisé à partir de protéines épidermiques, les autoanticorps de patients atteints de pemphigoïde cicatricielle reconnaissent dans 50 à 70 % des cas une protéine épidermique de 180 kDa.

Plus rarement une réactivité vis-à-vis de l’antigène de 230 kDa a été mise en évidence.

Il a été démontré par immunoprécipitation que ces antigènes cibles étaient similaires à ceux de la pemphigoïde bulleuse.

Pour la protéine de 180 kDa qui est la plus souvent reconnue et peut être considérée comme l’antigène majeur de la pemphigoïde cicatricielle, la réactivité des autoanticorps se fait préférentiellement avec la portion C-terminale de la molécule qui est située dans la partie basse de la lamina lucida à la différence des autoanticorps de pemphigoïde bulleuse qui reconnaissent plus spécifiquement la portion juxtamembranaire proche de la région N-terminale de cette protéine.

Plus rarement, les autoanticorps de patients sont dirigés vers des protéines épidermiques de poids moléculaires compris entre 120 et 140 kDa et qui correspondent vraisemblablement à des produits de dégradation de l’Ag BP 180.

Les autoanticorps antilaminine 5 sont essentiellement dirigés contre la sous-unité a 3 de la laminine 5 ce qui explique qu’en immunoprécipitation, on observe une réactivité vis-à-vis des laminines 5 et 6 qui partagent cette sous-unité.

Une immunisation en IgA vis-à-vis d’une kératine de 45 kDa a été également mise en évidence dans un groupe de patients atteints de pemphigoïde oculaire pure.

4- Immunomicroscopie électronique :

En immunomicroscopie électronique directe, les dépôts immuns sont épais et discontinus à faible grossissement.

À fort grossissement, les dépôts sont situés au niveau de la lamina lucida et de la lamina densa qu’ils ont tendance à recouvrir contrairement aux aspects observés dans la pemphigoïde bulleuse.

L’immunomicroscopie électronique indirecte en peroxydase ou à l’or colloïdal montre des dépôts qui sont toujours situés en regard de la portion extracellulaire des hémidesmosomes.

Les dépôts d’anticorps sont spécifiquement situés sur la portion C-terminale de BP 180 au niveau de la zone de jonction entre les filaments d’ancrage et la lamina densa. Les dépôts d’anticorps sont situés au même niveau pour les pemphigoïdes cicatricielles avec anticorps antilaminine 5.

D – ÉVOLUTION :

La pemphigoïde cicatricielle est une maladie caractérisée par des poussées évolutives sur un fond chronique.

La relative discrétion des signes cliniques de l’affection au début, associée à une méconnaissance par de nombreux médecins ou à la difficulté de réaliser des biopsies de bonne qualité sur une muqueuse fragile, entraîne souvent un retard considérable au diagnostic.

Tout ceci induit une souffrance physique et psychologique chronique chez de nombreux malades qui ne sont pas reconnus comme tels au départ, ou qui se sentent progressivement désespérés après des consultations répétées, des examens multiples et des traitements infructueux.

Le diagnostic porté, il est très important de s’assurer que le patient a bien compris le caractère chronique de l’affection, la nécessité d’une surveillance étroite en milieu spécialisé, en particulier pour la prise en charge des atteintes oculaires.

E – TRAITEMENT :

La dapsone constitue dans la majorité des cas de pemphigoïde cicatricielle le traitement de première intention.

Elle est particulièrement indiquée dans les formes peu évolutives à la phase inflammatoire et au début de la maladie.

On observe une réponse complète par monothérapie par dapsone dans environ 50 % des cas et une amélioration significative chez 80 % des patients traités avec des posologies de 100 à 150 mg/j pendant une période de 3 à 6 mois avec un traitement d’entretien correspondant à 75 % de la posologie d’attaque de durée très variable selon les patients.

La dapsone est efficace sur la composante inflammatoire oculaire et surtout sur l’atteinte endobuccale.

Après avoir éliminé un déficit en glucose-6-phosphate déshydrogénase (G6PD), la surveillance du traitement nécessite la réalisation d’un hémogramme avec dosage de méthémoglobinémie toutes les semaines pendant le premier mois puis une fois par mois pendant 6 mois.

En cas d’échec, de mauvaise tolérance ou d’efficacité insuffisante, un remplacement de la dapsone par la sulfasalazine (Salazopyrinet) peut être proposé.

La posologie devra être augmentée très progressivement pour limiter les risques d’intolérance digestive (augmentation par paliers hebdomadaires de 1 comprimé à 500 mg).

Le mode d’action de la sulfasalazine dans la pemphigoïde cicatricielle n’est pas précisément connu et repose probablement sur un effet anti-inflammatoire et immunosuppresseur combiné.

L’évolution à long terme de la pemphigoïde cicatricielle est celle d’une affection chronique ; aussi, les corticoïdes par voie générale sont-ils considérés comme peu efficaces et ne doivent pas être utilisés en monothérapie.

Il existe deux indications électives des corticostéroïdes ; d’une part les formes à début très inflammatoire où une corticothérapie permet une amélioration plus rapide des symptômes ; d’autre part, les formes muqueuses pouvant mettre en jeu le pronostic vital (atteintes otorhinolaryngologiques, digestives sévères) ; on utilise alors la prednisone à fortes doses (1 à 1,5 mg/kg/j) ou les assauts cortisonés (bolus).

Les cyclines ont été utilisées avec succès dans le traitement de la pemphigoïde cicatricielle avec une réduction notable des douleurs oropharyngées.

Le nicotinamide à fortes doses (2,5 à 3 g) peut être associé aux tétracyclines. Le cyclophosphamide (Endoxant) est l’immunosuppresseur de référence dans le traitement de la pemphigoïde cicatricielle.

Son utilisation est à réserver aux formes avec atteinte oculaire préoccupante pouvant conduire rapidement à une cécité ou aux formes muqueuses graves ayant résisté aux autres thérapeutiques.

Dans les atteintes oculaires sévères (stades 3 et 4 de Foster), le cyclophosphamide est plus efficace que l’azathioprine dans l’arrêt de progression. Les posologies utilisées vont de 50 à 150 mg/j.

Les assauts intraveineux de cyclophosphamide ont fait l’objet de quelques publications qui rapportent une bonne efficacité sur l’inflammation oculaire (assaut mensuel de 500 à 700 mg pendant 6 mois associé à une prise quotidienne de 50 mg de cyclophosphamide).

L’association d’échanges plasmatiques au cyclophosphamide per os a été proposée dans des cas très récalcitrants de pemphigoïde cicatricielle.

Le mycophénolate mofétil (MMF) est un inhibiteur non compétitif de l’inosine monophosphate déshydrogénase qui interfère avec la biosynthèse de novo des purines et bloque sélectivement la prolifération des lymphocytes B et T.

Dans la pemphigoïde cicatricielle oculaire, le MMF a montré une efficacité supérieure à la ciclosporine et pourrait représenter une alternative thérapeutique au cyclophosphamide.

Les principaux effets secondaires sont des troubles digestifs rapidement régressifs et un risque de lymphopénie.

Les Ig intraveineuses (Sandoglobulinet) ont un effet immunomodulateur qui paraît prometteur dans la prise en charge des pemphigoïdes cicatricielles.

Foster rapporte leur efficacité dans une étude ouverte récente portant sur dix patients atteints de pemphigoïdes cicatricielles oculaires en échec des traitements conventionnels.

La prise en charge des pemphigoïdes cicatricielles repose également sur un certain nombre de traitements locaux qui peuvent être suffisants dans des formes limitées de la maladie ou qui sont destinés à améliorer le confort des malades et à limiter l’évolution inflammatoire de la maladie, en particulier au niveau ophtalmologique comme les injections sous-conjonctivales de mitomycine ou l’interféron.

Le risque de surinfection entraînant une poussée de la maladie implique une hygiène très rigoureuse au niveau de la cavité buccale.

On propose au patient des bains de bouche antiseptiques dilués en fonction de la tolérance après chaque repas.

Si l’alimentation est rendue difficile par les douleurs endobuccales, une anesthésie locale peut tout à fait être envisagée par l’utilisation de sprays ou de gels de lidocaïne ou l’utilisation de bains de bouche à visée antalgique.

Dans les formes très limitées de la maladie ou en complément de traitements généraux, une corticothérapie locale peut être proposée sous la forme de glossettes de bétaméthasone (Betneval Buccalt).

L’hygiène des prothèses dentaires doit également être très rigoureuse.

Des larmes artificielles sont utiles aux premiers signes de sécheresse oculaire ainsi que la vérification et la reperméabilisation des orifices lacrimaux.

Au stade de blépharoconjonctivite, une hygiène rigoureuse des culs-de-sac conjonctivaux doit être observée en s’aidant éventuellement de collyres antiseptiques ou antibiotiques.

Les collyres à base de vitamine A permettent d’améliorer la trophicité de la conjonctive.

L’exérèse régulière des cils sur les entropions limite l’irritation locale et soulage les patients.

La corticothérapie locale de niveau 1 (clobétasol, Dermovalt ou bétaméthazone, Diprolènet) a toute sa place en association avec l’antisepsie locale dans le traitement des localisations cutanées.

La chirurgie ophtalmologique doit être extrêmement prudente dans la prise en charge des pemphigoïdes cicatricielles car tout traumatisme peut entraîner une poussée évolutive de la maladie.

Au stade d’entropion entraînant un trichiasis (cils dirigés vers le globe oculaire), l’exérèse des cils diminue l’inflammation conjonctivale.

La chirurgie des séquelles oculaires n’est envisageable que lorsque l’inflammation est complètement éteinte au stade purement cicatriciel ; elle fait appel à des techniques de kératoplastie, résection tarsale pour la correction d’entropions ou mise en place de kératoprothèses après correction des brides cicatricielles.

Les sténoses laryngées ou oesophagiennes sont exceptionnelles et peuvent bénéficier d’une chirurgie réparatrice au stade séquellaire.

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