Infections a dermatophytes de la peau glabre et des plis

0
3535

Les infections a dermatophytes représentent des motifs très fréquents de consultation et sont donc importantes a reconnaître. Malheureusement souvent méconnues ou confondues, elles apparaissent modifiées a la suite de traitements mal adaptés ou insuffisants.

* Les dermatophytes sont des champignons, c’est-à-dire des eucaryotes, caractérisés par un appareil végétatif de structure filamenteuse (ce qui les différencie des levures):

– ces champignons microscopiques n’ont pas de chlorophylle et vivent aux dépens de matières organiques;

– ils sont toujours pathogènes pour l’homme.

Infections a dermatophytes de la peau glabre et des plis* Les dermatophytes sont responsables de mycoses cutanées superficielles:

– ils sont kératinophiles, c’est-à-dire qu’ils pénètrent dans la couche cornée de la peau et kératinolytiques, c’est-à-dire qu’ils la lèsent;

– certains dermatophytes peuvent également occuper les annexes kératinisées de la peau (les ongles et les cheveux), mais ils respectent toujours les muqueuses.

* Leur répartition géographique est ubiquitaire, a l’exception de certains d’entre eux retrouvés uniquement dans certaines régions du globe.

* Ils sont répartis en trois genres: Trichophyton, Microsporum et Epidermophyton, mais leur mode de transmission a l’homme n’est pas lié au genre:

– la transmission est interhumaine pour les dermatophytes anthropophiles; la contagiosité est essentiellement indirecte par l’intermédiaire des sols humides (piscine, salles de bains), mais parfois directe d’enfant a enfant;

– elle se fait d’animal a homme en cas de dermatophyte zoophile; les chatons sont actuellement le plus fréquemment en cause;

– ou encore du sol a l’homme en cas de dermatophyte géophile (en excluant les dermatophytes anthropophiles égarés sur un sol).

* Les lésions cliniques sont donc différentes selon le dermatophyte en cause:

– s’il est anthropophile, les lésions siègeront plus volontiers dans les zones en contact avec l’humidité (pieds);

– alors que s’il est zoophile, les lésions seront plus volontiers observées sur la peau découverte (la ou a eu lieu le contact avec l’animal).

* Des facteurs locaux et généraux peuvent favoriser le développement de ces mycoses:

– l’humidité représente le principal facteur de développement (comme pour tous les champignons), ainsi que l’alcalinisation locale de la peau (constatée notamment chez le sportif transpirant dans des chaussures bien closes ou au cours d’une vague de chaleur estivale provoquant une augmentation de la transpiration);

– les facteurs généraux (corticothérapie ou déficit de l’immunité cellulaire) sont davantage responsables de l’extension de lésions préexistantes que de leur apparition de novo.

Par souci de simplicité, nous décrirons séparément les atteintes de la peau glabre elle-même et celles des plis. Mais en pratique, comme il est habituel de constater chez un même patient l’atteinte simultanée de plusieurs sites cutanés. Il faut penser systématiquement à tous les rechercher quand un patient consulte un médecin pour l’une de ces atteintes.

Dermatophytoses des plis :

LOCALISATION :

Les dermatophytes anthropophiles (Trichophyton rubrum en tête) sont responsables de l’atteinte des plis.

Tous les plis du corps peuvent être atteints, grands et petits.

* Les espaces interdigito-plantaires sont de loin le plus fréquemment atteints (a eux seuls, ils représentent 40% de toutes les atteintes a dermatophytes), et en particulier les quatrièmes espaces qui sont physiologiquement les plus clos, donc les plus favorables a la persistance de l’humidité: c’est le classique pied d’athlète.

* L’atteinte de la région inguino-crurale (anciennement dénommée eczéma marginé de Hébra) est également très fréquente, surtout chez les sujets de sexe masculin, et fait suite dans 50% des cas a une atteinte dermatophytique des pieds.

ASPECT CLINIQUE ET ÉVOLUTION :

Quelle que soit la localisation, l’évolution des lésions est la même: il s’agit initialement d’une rougeur, puis d’une desquamation et d’une fissuration, qui évolue finalement vers la macération, avec au maximum l’apparition d’une couche de couenne blanchâtre.

* Il s’agit la d’une porte d’entrée pour les surinfections microbiennes, qui exposent a un risque de dissémination locale, voire régionale, sous la forme d’un érysipèle ou d’une cellulite.

* A la différence des atteintes dues a des levures du genre Candida, le fond du pli est respecté, mais cette particularité est surtout visible dans les grands plis (inguinaux notamment).

Mode d’extension locale

Une dermatophytie est souvent évoquée d’emblée devant son mode d’extension locale:

* les limites périphériques sont en effet nettes, érythématosquameuses, parfois microvésiculeuses et souvent arciformes: elles correspondent a la zone active d’extension des filaments dermatophytiques.

* au centre, au contraire, la lésion se ternit, donnant au maximum un aspect de guérison.

Aspect clinique en fonction de la localisation

Cette évolution centrifuge est facile à voir:

* sur les fesses, la face interne des cuisses ou le scrotum pour les intertrigos inguino-cruraux;

* sur le dos du pied ou la voûte plantaire pour les intertrigos interdigito-plantaires.

* en ce qui concerne l’atteinte de la plante des pieds, celle-ci peut être isolée sans atteinte interdigitale associée:

– elle passe souvent inaperçue: un aspect discrètement farineux prédominant sur une seule plante est fréquent; parfois il peut s’agir d’un bouquet de microvésicules;

– plus tardivement, les deux plantes peuvent être atteintes, devenir épaisses et réaliser un aspect dit en mocassin;

* au niveau de la paume des mains, l’atteinte dermatophytique est plus rare mais très évocatrice car typiquement unilatérale, sous la forme d’un érythème avec épaississement plus marqué des plis palmaires;

– l’examen des pieds retrouve une atteinte fréquente des deux plantes: c’est le classique one hand, two feet.

– il ne faut pas confondre une dermatophytose d’une paume avec un eczéma disydrosique (souvent bilatéral), parfois secondaire a une véritable atteinte dermatophytique des pieds.

DIAGNOSTICS DIFFERENTIELS :

* Ces intertrigos d’origine dermatophytique peuvent être confondus avec ceux d’origine candidosique, mais ces derniers sont volontiers plus inflammatoires (sous la forme de placards érythémateux lisses et vernissés), parfois recouverts d’un enduit blanchâtre et partent du fond du pli.

* Certaines corynebactéries peuvent également engendrer des intertrigos, notamment Corynebacterium minutissimum responsable de l’érythrasma: les lésions sont plus homogènes, couleur brun chamois et prédominent dans les plis inguinaux et axillaires. Le diagnostic est aisé grâce a l’observation en lumière de Wood (c’est-à-dire sous une lampe a UV) qui montre une fluorescence rouge corail.

* Un eczéma de contact ou un psoriasis des plis de flexion peuvent également provoquer des intertrigos, mais l’interrogatoire retrouve des éléments en faveur de ces dermatoses non infectieuses.

Dermatophytoses de la peau glabre :

* Anciennement dénommées herpès circinés, les dermatophytoses de la peau glabre sont fréquentes et peuvent apparaître en n’importe quel point du corps: la ou a eu lieu le contact avec l’animal en cas de dermatophyte zoophile et n’importe ou en cas d’auto-inoculation a partir d’un foyer plantaire (c’est-à-dire quand il s’agit d’un dermatophyte anthropophile).

– Elles sont le plus souvent très évocatrices quand elles se présentent sous la forme d’un cercle aux bordures nettes (rouge vif, et parfois microvésiculeuses), avec un centre terne ou en voie de guérison.

– Elles sont très prurigineuses et peuvent être uniques ou multiples.

* Les principaux diagnostics différentiels que l’on peut évoquer devant de telles lésions annulaires sont: un eczéma nummulaire, le pityriasis rosé de Gibert, ou encore certaines lésions de psoriasis.

* Certaines dermatophytoses de la peau glabre peuvent d’emblée ou secondairement devenir inflammatoires et se recouvrir de pustules: cela donne un aspect dit de ikérioni. Cette inflammation peut être due:

– soit a l’application inopinée de dermocorticoïdes sur une lésion prise a tort pour un eczéma (ou une autre pathologie non infectieuse);

– soit au dermatophyte lui-même (car les dermatophytes d’origine zoophile ou tellurique sont responsables de lésions volontiers plus aigu‘s et inflammatoires que ceux d’origine anthropophile).

Diagnostic :

Le diagnostic d’une dermatophytie de la peau glabre ou des plis repose sur les éléments suivants.

Interrogatoire

Un interrogatoire orienté selon les lésions:

* devant un intertrigo interdigito-plantaire: est-ce un sportif? Porte-t-il des chaussures de sécurité pour son travail?

* devant une lésion de la peau glabre: a-t-il été en contact avec un animal? A-t-il des lésions au niveau des pieds? A-t-il voyagé récemment dans un pays d’endémie pour certains dermatophytes?

* faire préciser la rapidité d’évolution des lésions, qui est globalement lente pour les dermatophytes et rapide pour les levures.

Examen en  lumière de Wood

Une fluorescence rouge corail d’un intertrigo signe le diagnostic d’érythrasma; certains herpès circinés d’origine zoophile présentent une fluorescence verte qui peut orienter le diagnostic.

Examen mycologique

Un examen mycologique est le plus souvent indispensable, car la clinique n’est pas suffisante a elle seule pour affirmer le diagnostic: outre le pouvoir d’affirmer (ou d’infirmer) le diagnostic de dermatophytie, il permet d’éviter des traitements longs et inadaptés:

* ce prélèvement, qui doit être pratiqué a distance de l’arret de tout traitement antifongique, doit être fait en grattant les squames a l’aide d’une curette en périphérie des lésions (car c’est la que se trouvent les filaments dermatophytiques actifs);

* cet examen comprend un examen direct (c’est-à-dire immédiat) qui montre la présence ou non de filaments dermatophytiques et une culture des prélèvements sur milieu de Sabouraud (le seul milieu qui permette de cultiver tous les champignons): cette culture demande 3 semaines et permet d’identifier le dermatophyte en cause (si dermatophyte il y a) en précisant son genre (Trichophyton par exemple) et son espèce (rubrum par exemple).

Types de champignons

les champignons le plus fréquemment retrouvés en pathologie courante sont:

* Trichophyton rubrum et Trichophyton interdigitale (tous les deux anthropophiles) transmis par les sols humides représentent aujourd’hui près de 80% des dermatophytes isolés au laboratoire; plus rarement Epidermophyton floccosum;

* Microsporum canis (zoophile) transmis par les jeunes chats, lapins, chiens, Trichophyton mentagrophytes a la fois zoophile dont la transmission se fait par le pelage de certains mammifères (cheval, cobaye) et géophile et qui sont transmis par sol souillé (bac a sable, sol de ferme);

* Trichophyton soudanese (antropophile): plus spécifique de la population africaine.

Traitement :

REGLES DE BASE :

* Le traitement peut être local ou général selon l’étendue et le site des lésions et selon le dermatophyte en cause:

– un simple intertrigo (qu’il soit inguinal ou interdigito-plantaire) guérit en 3a 5 semaines sous traitement local;

– en revanche, une atteinte plantaire ou une dermatophytose étendue de la peau glabre nécessitent l’adjonction d’un traitement général.

* Le traitement doit être poursuivi durant 2a 3 mois en cas de dermatophytie étendue de la peau glabre ou d’atteinte plantaire (et beaucoup plus en cas d’association a une atteinte unguéale).

* Parallèlement au traitement antifongique, il ne faut pas oublier de désinfecter les affaires personnelles (tapis de bain, chaussures) et d’examiner les personnes partageant la même salle de bains en cas de dermatophyte anthropophile, ainsi que de traiter l’animal contaminateur en cas de dermatophyte zoophile.

TRAITEMENT LOCAL :

* Beaucoup de spécialités existent sous forme de topiques, les plus nombreuses étant représentées par les azolés (liste non exhaustive):

– miconazole (Daktarin*), isoconazole (Fazol*), éconazole (Pevaryl*), clotrimazole (Trimysten*) et tioconazole (Trosyd*) sont d’application biquotidienne;

– bifonazole (Amycor*), omoconazole (Fongamil*), kétoconazole (Kétoderm*) et sulconazole (Myk*) sont d’application monoquotidienne.

* Les autres spécialités topiques sont représentées par la ciclopiroxolamine (Mycoster*) et le tolnaftate (Sporiline*), tous deux d’application biquotidienne ainsi que la terbinafine (Lamisil*), d’application monoquotidienne.

* Il est surtout important de bien choisir une forme galénique adaptée au site cutané:

– un gel ou une émulsion sont préférables dans un intertrigo pour limiter les risques de macération;

– en revanche, sur une peau sèche et hyperkératosique (comme par exemple une plante de pieds), il est conseillé d’employer une crème ou une pommade.

* Les poudres (Daktarin*, Pevaryl*…) seront utilisées pour désinfecter les tapis de bain, chaussons, chaussures…, pour éviter les recontamination ultérieures.

TRAITEMENT PAR VOIE GENERALE :

Indications

Un traitement par voie générale est adjoint en cas de lésions de la plante des pieds (toujours plus difficiles a guérir) ou de lésions étendues et anciennes.

Un traitement per os est également prescrit en cas d’atteinte unguéale ou pilaire associée.

Choix du traitement

Le choix est beaucoup plus restreint que pour les topiques et ils sont tous interdits chez la femme enceinte ainsi que chez l’enfant de moins de 1an, en raison d’une immaturité hépatique:

* la griséofulvine (Fulcine*, Griséfuline*) est fongistatique, active uniquement sur les dermatophytes:

– la dose recommandée pour des lésions de la peau glabre est de 15mg/kg/j chez l’enfant (mais il est conseillé de l’augmenter a 25mg/kg en cas d’atteinte due a Microsporum canis, dermatophyte moins sensible a l’action des antifongiques) et de 1g/j chez l’adulte;

– la tolérance est excellente chez l’enfant, mais relativement médiocre chez l’adulte, puisque environ 10% des patients se plaignent de troubles digestifs, de céphalées ou de vertiges. Rarement ont été rapportées des leuconeutropénies;

– c’est une substance photosensibilisante, dont les interactions médicamenteuses sont nombreuses (diminution des taux plasmatiques de la ciclosporine, des estroprogestatifs et de certains antivitamines K) et qui a un effet inducteur enzymatique pour de nombreux médicaments;

– l’association de la griséofulvine avec l’isoniazide ou le phénobarbital est a proscrire;

* le kétoconazole (Nizoral*) est fongistatique et actif sur les dermatophytes et les levures du genre Candida:

– la dose recommandée est de 200mg/j chez l’adulte (mais peut être augmentée a 400mg/j);

– des hépatites (symptomatiques ou non) ayant été rapportées, il est important d’en réserver l’usage aux atteintes étendues et résistantes aux traitement locaux, et surtout de réaliser un suivi biologique hépatique (avant et pendant le traitement);

– certaines associations médicamenteuses sont a proscrire en raison du risque majoré de torsades de pointe (astémizole, cisapride), et d’autres sont a surveiller de près en raison de la modification des taux plasmatiques (ciclosporine, midazolam, rifampicine);

* la terbinafine (Lamisil*) est le seul médicament fongicide actif sur les dermatophytes:

– la dose recommandée est de 250mg/j chez l’adulte;

– la fréquence des effets secondaires est estimée entre 5et 10%, essentiellement sous la forme de troubles digestifs et de troubles du goût (agueusie réversible a l’arrêt du traitement). Rarement ont été signalées des réactions cutanées sévères (syndromes de Lyell et de Stevens-Johnson), ou des modifications hématologiques (neutropénie et thrombopénie);

– il est conseillé d’éviter la prise concomitante de cimétidine et de rifampicine.

Conclusion :

Ainsi, même si le diagnostic clinique d’une dermatophytie para”t aisé, l’application préalable de topiques mal adaptés est malheureusement fréquente et modifie l’aspect des lésions.

Il faut penser à examiner le patient en entier, car l’existence simultanée d’autres lésions dermatophytiques est fréquente et explique volontiers des échecs thérapeutiques.

Il ne faut pas hésiter a demander un prélèvement mycologique, geste peu onéreux et qui, quand il est pratiqué dans de bonnes conditions, permet de confirmer (ou d’infirmer) le diagnostic, d’orienter l’enquête épidémiologique et de débuter un traitement antifongique bien adapté.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.