Dermatose bulleuse de l’adulte

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De nombreuses pathologies dermatologiques peuvent s’associer a la présence de lésions bulleuses bien qu’elles soient habituellement non bulleuses (prurigo, eczéma). Nous ne traiterons ici que les maladies bulleuses a proprement parler. La bulle est une collection de liquide clair ou hématique de plus de 3mm de diamètre par opposition a la vésicule, plus petite, ou la pustule, qui a un contenu purulent.

Le diagnostic est parfois plus difficile devant une érosion postbulleuse (souvent seul mode de présentation sur les muqueuses), caractérisée par un contour arrondi et une collerette épidermique, ou encore devant un vaste décollement épidermique donnant un aspect froissé en linge mouillé.

La bulle est définie en histologie par un clivage dans l’épiderme (bulle intraépidermique) ou au niveau de la membrane basale (bulle sous-épidermique). Le niveau de clivage de la peau détermine la sémiologie:

– ainsi, si la bulle est sous-épidermique le clivage est profond et la bulle sera tendue.

– par contre, si le clivage est intraépidermique le clivage est plus superficiel. En conséquence, la bulle sera flasque et facilement rompue.

Conduite a tenir :

INTERROGATOIRE :

Dermatose bulleuse de l'adulteL’interrogatoire sert a rechercher les éléments suivants :

– antécédents familiaux de maladie bulleuse.

– age de début.

– mode de début (prurit isolé ou autres types de lésions cutanées), aigu ou progressif.

– circonstances de survenue (agents externes, grossesse, prise médicamenteuse).

EXAMEN CLINIQUE :

L’examen clinique permet:

– de déterminer les zones atteintes, sans oublier les muqueuses.

– de déterminer l’aspect sémiologique des bulles: taille, flasques ou tendues, posées sur une peau saine ou pathologique.

– de rechercher la présence d’un signe de Nikolsky (décollement de l’épiderme a distance des lésions bulleuses sous la pression du doigt).

– de préciser la taille des bulles.

– de déterminer la sévérité par l’étendue des lésions.

– de connaître le nombre de nouvelles lésions par jour.

– d’évaluer le retentissement sur l’état général, en particulier les signes d’infections systémiques et de déshydratation.

EXAMENS COMPLEMENTAIRES :

Une orientation diagnostique est le plus souvent apportée par l’interrogatoire et l’examen clinique, mais le diagnostic définitif est toujours fait par les examens complémentaires, sauf dans le cas des bulles par agents externes ou les circonstances suffisent a faire le diagnostic.

* Les examens comportent:

– une biopsie d’une bulle non rompue pour un examen histologique standard.

– une biopsie en peau péribulleuse pour un examen en immunofluorescence directe (IFD) (le but de cet examen est de détecter des dépôts d’anticorps ou de complément dans la peau et il consiste a marquer la biopsie cutanée par des anticorps anti-IgG, IgM, IgA, etc., ou anticomplément couplés a un fluorochrome).

– un prélèvement sanguin pour un examen en immunofluorescence indirecte (IFI): le but de cet examen est de détecter et de caractériser des anticorps circulants. il consiste a mettre en présence un épithélium normal (peau humaine, oesophage de singe) avec le sérum du patient puis avec des anticorps anti-IgG, IgM, IgA, etc., ou anticomplément couplés a un fluorochrome.

* D’autres examens peuvent s’avérer nécessaires dans les cas difficiles:

– immunofluorescence sur peau clivée (méme technique que l’IFI mais sur une peau normale clivée par NaCl).

– immunoblott et immunotransfert (le but de ces techniques est de déterminer le poids moléculaire des antigènes reconnus par les auto-anticorps).

– immunomicroscopie électronique.

Ces deux derniers examens ne sont effectués que dans les cas ou le diagnostic n’a pu être déterminé par les examens précédents.

Diagnostic étiologique :

BULLES PAR AGENTS EXTERNES

Bulles par agents externes physiques

* Par frottement: ampoule.

* Thermique: brûlure, gelure.

* Solaire:

– phytophotodermatose: dermite des prés, photosensibilisation médicamenteuse (quinolone, cycline, AINS, méladinine).

– porphyrie cutanée tardive (PCT): déficit intervenant dans la synthèse de l’hème avec accumulation de porphyrines photosensibilisantes. Bulles sur le dos des mains et de la face après exposition solaire, hypertrichose malaire, microkyste, troubles pigmentaires, urines foncées, poussées favorisées par l’éthylisme, l’hépatite C, l’exposition solaire, certains médicaments. Traitement: saignées. Diagnostic par biopsie cutanée et dosage de la porphyrine urinaire.

* Chimique.

Autres agents externes

* Piqûre d’insecte.

* Bulles d’origine infectieuse:

– impétigo bulleux.

– épidermolyse staphylococcique aigue.

– érythème polymorphe (voir question « Toxidermies médicamenteuses »).

* Toxidermies bulleuses:

– syndrome de Lyell.

– érythème augmenté fixé (voir question « Toxidermies médicamenteuses »).

MALADIES BULLEUSES AUTO-IMMUNES :

Les maladies bulleuses auto-immunes sont le plus souvent séparées en deux groupes:

– maladies bulleuses intraépidermiques (groupe des pemphigus).

– maladies bulleuses sous-épidermiques (pemphigoide bulleuse, pemphigoide gravidique, pemphigoide cicatricielle, dermatite herpétiforme, dermatose à IgA linéaire, épidermolyse bulleuse acquise).

PEMPHIGUS AUTO-IMMUNS :

Pemphigus vulgaire :

* Terrain: sujet d’age moyen.

* Début: par des lésions muqueuses érosives, le plus souvent buccales, ou des lésions suintantes et croûteuses du cuir chevelu, de l’ombilic ou des aisselles.

* Clinique:

– bulles flasques en peau saine rapidement rompues, lésions suintantes ou croûteuses de cicatrisation lente, signe de Nikolsky positif. Ces lésions siègent sur l’ensemble du tégument mais prédominent sur les zones de frottements. elles sont peu ou pas prurigineuses. atteinte importante des muqueuses.

– altération de l’état général.

* Diagnostic:

– cytodiagnostic: frottis sur le plancher d’une bulle montrant les cellules acantholytiques.

– histologie: bulle intraépidermique contenant les cellules acantholytiques.

– IFD: dépots d’Ig le plus souvent IgG en maille de filet.

– IFI: présence d’autoanticorps circulants antisubstance intercellulaire.

* Physiopathologie: des auto-anticorps dirigés contre les structures d’adhésion interkératinocytaire entraînent une perte de cohésion entre ces cellules appelée acantholyse.

* Antigènes cibles des auto-anticorps: cadhérine 130KD et plakoglobine 85KD.

* Association: rares cas de pemphigus associé a des thymomes et/ou a une myasthénie et a des maladies auto-immunes (lupus érythémateux, polyarthrite rhumatoide).

* L’évolution est le plus souvent favorable sous corticothéropie générale – corticodépendance fréquente avec mortalité liée aux complications de la corticothérapie générale.

* Traitement:

– prednisolone per os a fortes doses, 1,5mg/kg/j, jusqu’a rémission complète, puis réduction progressive sous étroite surveillance.

– Des traitements immunosuppresseurs sont parfois associés en cas de corticorésistance ou de corticodépendance.

Autres types de pemphigus :

Il existe d’autres types de pemphigus.

* Pemphigus superficiel: caractérisé sur le plan clinique par des plaques érythémateuses et squameuses des zones séborrhéiques du visage.

– Le clivage de l’épiderme et l’acantholyse sont plus superficiels que dans le pemphigus vulgaire.

– Les antigènes 160KD = desmogléine I et 85KD = plakoglobine.

* Pemphigus foliacé: similaire au pemphigus superficiel sur le plan histologique, il se caractérise par des lésions plus étendues et par une forme endémique au Brésil.

* Pemphigus induit par les médicaments: D-pénicillamine, pyritinol, tiopronine, captopril, béta-lactamines, béta-bloquants, phénobarbital, phénylbutazone, piroxicam, rifampicine. La clinique est souvent celle d’un pemphigus érythémateux. L’évolution est soit spontanément favorable a l’arrét du traitement par le médicament incriminé, soit le pemphigus induit nécessite un traitement.

* Pemphigus paranéoplasique: il se caractérise cliniquement par des lésions polymorphes a type d’érythème polymorphe, de pemphigoide bulleuse et de pemphigus vulgaire.

– En histologie, on retrouve une acantholyse, une nécrose kératinocytaire, et une vacuolisation de la jonction dermo-épidermique. L’IFD montre un marquage kératinocytaire et de la jonction dermo-épidermique.

– Les antigènes cibles sont la desmoplakine I (250KD) et II (210KD), l’antigène majeur de la pemphigoide bulleuse (230KD) et des antigènes de 190et 185KD.

MALADIES BULLEUSES SOUS-EPIDERMIQUES AUTO-IMMUNES :

Pemphigoide bulleuse :

C’est la plus fréquente des maladies bulleuses auto-immunes.

* Terrain: sujet agé (75 ans).

* Début: prurit généralisé pouvant persister isolément pendant plusieurs mois, plaques urticariennes ou eczématiformes.

* Clinique: bulles tendues sur peau érythémateuse et/ou eczématiforme prurigineuse prédominant sur la face interne des cuisses, l’abdomen et les plis de flexions. L’atteinte muqueuse est rare.

* Diagnostic:

– biologie: hyperéosinophilie.

– histologie standard: bulles sous-épidermiques a contenu riche en polynucléaires éosinophiles. Infiltrat dermique a lymphocytes et polynucléaires neutrophiles et éosinophiles.

– IFD: dépôts linéaires d’IgG et de C3parfois IgA et IgM le long de la membrane basale.

– IFI: anticorps circulants dirigés contre la membrane basale, sans valeur évolutive ou pronostique.

Sur peau clivée les anticorps circulants se fixent sur le toit de la zone de clivage.

Les antigènes cibles sont deux constituants des hémidesmosomes, l’un de 230KD, l’autre de 180KD.

* Evolution:

– elle est suivie quotidiennement par le nombre de nouvelles bulles.

– la mortalité peut atteindre 30a 40%. Elle est liée a la pathologie et aux complications de la corticothérapie chez des sujets agés.

* Traitement: corticothérapie générale a 1mg/kg/j en traitement d’attaque puis décroissance progressive.

Pemphigoide cicatricielle :

La dermatose auto-immune sous-épidermique, en histologie et a l’IFD, est semblable a la pemphigoide bulleuse.

* Sur le plan clinique, elle est dominée par l’atteinte muqueuse (buccale, oculaire, pharyngée).

* La bulle est rarement observée. ce sont plutôt des érosions postbulleuses évoluant vers des cicatrices rétractiles avec un risque de cécité.

* La dapsone est le traitement de première intention.

Pemphigoide gravidique :

La pemphigoide gravidique est une dermatose bulleuse survenant au 2e ou 3e trimestre de grossesse.

* Début: le plus souvent prurit intense péri-ombilical.

* Aspect clinique: vésiculobulles tendues sur des éléments érythémateux et/ou urticariens prurigineux prédominant dans la région péri-ombilicale.

* Diagnostic:

– histologie standard: bulle sous-épidermique, nécrose des cellules de la membrane basale.

– IFD: dépôt linéaire de C3 et/ou d’IgG le long de la membrane basale.

– IFI: présence d’IgG1 circulants fixant le complément (« herpes gestationnis factor »), sur peau clivée les anticorps se fixent sur le toit de la bulle.

* Antigènes cibles: 180 KD (comme la pemphigoide bulleuse).

* Évolution:

– le plus souvent régression en fin de grossesse, avec une poussée au moment de l’accouchement.

– la pathologie peut régresser lors d’une grossesse ultérieure.

– pas de risque de détresse foetale aigu‘ mais augmentation des accouchements prématurés.

* Traitement: corticothérapie locale ou générale.

Dermatite herpétiforme :

La dermatite herpétiforme est une dermatose bulleuse associée a une entéropathie au gluten. 70a 80% des patients sont HLA B8-DR3, également retrouvés dans la maladie coeliaque.

* Début: prurit isolé ou sensation de brûlure.

* Aspect clinique:

– sur le plan cutané: lésions prurigineuses, érythémateuses et/ou papuleuses urticariennes, surmontées de vésiculobulles. Les lésions sont groupées de facon circinée ou en bouquet (herpétiforme) et situées de façon symétrique sur la face postérieure du corps (coudes, genoux, épaules, région lombo-sacrée).

* sur le plan digestif: douleurs abdominales, diarrhée, troubles de l’absorption (retard de croissance, déficit en fer, en folates, stéatorrhée) peuvent être absents, mais la biopsie intestinale montre une atrophie villositaire.

* Diagnostic:

– histologie standard: bulle sous-épidermique au sommet d’une papille dermique formée par la confluence des micro-abcès riches en polynucléaires.

– IFD: dépôt granuleux d’IgA et de C3au sommet des papilles dermiques.

– IFI: pas d’anticorps circulants anti-membrane basale.

– IgA circulants, présents dans 70a 80% des cas, antiréticuline, anti-endomysium, antijéjunum, antigliadine.

* Evolution: pathologie évoluant tout au long de la vie. Cas exceptionnel de lymphome de l’intestin grêle.

* Traitement: régime sans gluten, dapsone.

Dermatose a IgA linéaire :

C’est une dermatose bulleuse auto-immune rare touchant l’adulte et l’enfant, caractérisée par des dépôts linéaires d’IgA a la jonction dermo-épidermique.

Epidermolyse bulleuse acquise :

Affection rare.

* Clinique: bulle tendue en peau saine, non prurigineuse, siégeant sur les zones de frottement après un traumatisme, souvent associée a un signe de Nikolsky et laissant des cicatrices atrophiques avec des grains de milium.

– Des lésions buccales et des dystrophies unguéales peuvent être associées.

– Une forme inflammatoire plus aigu‘ et généralisée est également décrite.

* Diagnostic:

– histologie standard: bulle sous-épidermique.

– IFD: dépôts linéaires d’IgG et de C3le long de la membrane basale.

– IFI: présence d’anticorps circulants dans 40a 50% des cas. Sur peau clivée ces anticorps se fixent sur le plancher de la bulle.

* Antigène cible: portion carboxyterminale du procollagène VII correspondant a un antigène de 290KD et un antigène de 145KD.

* Traitement: limiter les traumatismes et corticothérapie générale.

DERMATOSE BULLEUSE HEREDITAIRE :

La dermatose bulleuse héréditaire est marquée par une fragilité cutanée excessive, de gravité variable selon les formes.

* Epidermolyses bulleuses épidermolytiques ou non cicatricielles ou simples:

– autosomique dominant.

– clivage suprabasal.

* Epidermolyses bulleuses jonctionnelles ou dystrophiques:

– autosomique récessif.

– clivage dans la lamina lucida.

* Epidermolyses bulleuses dystrophiques ou dermolytiques:

– autosomique récessif ou dominant.

– clivage sous-basal.

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