Corticothérapie locale

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Les glucocorticoïdes, et en particulier les dermocorticoïdes, occupent une place majeure dans l’arsenal thérapeutique mis a la disposition du clinicien. En raison de leur efficacité éprouvée, les dermocorticoïdes sont considérés comme le traitement de référence d’une large gamme de maladies cutanées « immuno-inflammatoires » (dermatite atopique, psoriasis, lichen plan…). Pourtant, cette famille thérapeutique était, jusqu’a ces derniers temps, relativement mystérieuse quant a son mode d’action à l’échelon cellulaire et biochimique. La plupart des effets secondaires des dermocorticoïdes découlent des effets pharmacologiques recherchés et sont ainsi proportionnels à l’efficacité thérapeutique: – plus un corticoïde est puissant et plus ses effets secondaires sont marqués, notamment lors d’une utilisation prolongée. – à l’inverse, les corticoïdes faibles ont des effets secondaires plus discrets.

DÉFINITION :

Corticothérapie localeOn désigne par corticothérapie locale l’utilisation par voie locale ou topique des corticostéroïdes: dérivés de synthèse doués d’activité supérieure a celle des hormones corticosurrénaliennes naturelles.

L’efficacité des corticoïdes locaux (ou dermocorticoïdes) est remarquable, s’ils sont bien utilisés.

PHARMACOLOGIE :

Mécanisme d’action :

Deux types d’actions individualisées:

– le premier est immédiat, faisant intervenir les interactions entre les corticoïdes et la membrane cellulaire.

– le second retardé, passant par l’intermédiaire d’un récepteur aux corticoïdes et aboutit a des modulations transcriptionnelles de gène.

La synthèse de l’antiphospholipase A2 est induite dans le noyau de la cellule-cible ou le corticoïde est transporté après sa liaison avec un récepteur cytosolique spécifique. La structure de ce récepteur s’organise en forme de « hamburger » dont la partie creuse capte et lie le corticoïde. Cette organisation particulière du récepteur cytosolique rend compte de la différence d’activité des produits. Autrement dit, plus la configuration spatiale du dermocorticoïde est proche et adaptée a celle du récepteur, plus l’activité thérapeutique est importante.

Absorption des dermocorticoïdes :

L’absorption des dermocorticoïdes se fait par deux voies principales: transépidermique (substances hydrophiles) et transfolliculaire (substances lipophiles).

Elle est caractérisée par deux phénomènes majeurs:

* l’effet réservoir: après application d’un dermocorticoïde, seule une certaine fraction migre en profondeur et atteint la couche basale et le derme. Le reste est stocké dans la couche cornée et se libère progressivement en 8 a 12 jours vers les structures profondes, expliquant ainsi la bonne réponse thérapeutique obtenue après des applications espacées.

* la tachyphylaxie ou diminution rapide de l’efficacité d’un dermocorticoïde après applications répétées: loin d’augmenter l’effet vasoconstricteur recherché, elle le diminue, voire l’inhibe totalement en quelques jours.

Actions biologiques :

* Action antiproliférative:

– inhibition de la division cellulaire et de la prolifération des kératinocytes (gr‰ce a des récepteurs cytoplasmiques kératinocytaires aux corticoïdes).

– diminution de la production de substance fondamentale par inhibition de la synthèse des mucopolysaccharides.

– action sur l’hypoderme avec atrophie du tissu graisseux.

– inhibition de la mélanogenèse.

* Action vasoconstrictrice:

– c’est une propriété de pathogénie encore discutée liée à l’effet anti-inflammatoire indirect.

– il existe une bonne corrélation entre l’effet vasoconstricteur et la puissance du corticoïde topique.

* Action anti-inflammatoire:

– non spécifique, avec un double verrouillage. verrouillage de la cascade des interleukines d’une part, verrouillage de la cascade inflammatoire d’autre part.

– inhibition de l’activité de la phospholipase A2 par des polypeptides (lipomoduline, rénocortine, macrocortine) entra”nant une diminution de la libération d’acide arachidonique d’ou une baisse de la production des prostaglandines, leucotriènes et thromboxanes.

* Action immunosuppressive:

– inhibition de la migration des leucocytes et des lymphocytes. inhibition de la phagocytose et stabilisation des membranes lysosomiales.

– inhibition de la synthèse des anticorps et des réactions antigène-anticorps, diminution de l’activité fonctionnelle des cellules de Langerhans et des lymphocytes T.

Modalités de prescription :

Prescrire un dermocorticoïde impose un certain nombre de précautions:

– poser l’indication.

– choisir le niveau d’activité.

– choisir la formulation.

– respecter les règles posologiques.

INDICATIONS A LA CORTICOTHERAPIE LOCALE :

Trois groupes sont individualisés:

– indications types.

– indications alternatives.

– indications particulières.

SÉLECTION DU NIVEAU D’ACTIVITÉ :

Le niveau d’activité sera fonction:

* de l’age du sujet:

– l’enfant: du fait d’un rapport surface corporelle/poids élevé, l’absorption est supérieure.

– l’absorption est supérieure chez le sujet âgé.

* de la localisation des lésions:

– par comparaison avec la face antérieure de l’avant-bras, l’absorption est multipliée par un indice 4, 7, 8, 13 et 42, respectivement sur le cuir chevelu, le front, les grandes lèvres, la région angulo-maxillaire et le scrotum.

– en revanche, elle est moindre (sept fois moins) sur la paume des mains et la plante des pieds.

– on distinguera en pratique trois zones: cuir chevelu, visage et plis, et le reste du tégument.

* de l’état de la couche cornée (absorption augmentée sur une peau lésée).

* du type de lésions (sensibilité de l’affection aux corticoïdes).

Suivant la biodisponibilité dans la peau et l’activité intrinsèque du principe actif, on distingue actuellement quatre niveaux d’activité,  du plus fort au plus faible (du 1 au 4).

SÉLECTION DU PRODUIT :

* La sélection du produit dépend de la nature des lésions:

– les pommades conviennent aux dermatoses sèches et hyperkératosiques (effet semi-occlusif).

– les crèmes sont utilisées quel que soit le type de lésions, surtout en cas de lésions suintantes.

– les gels sont indiqués dans les dermatoses suintantes ou macérées.

– les solutions hydro-alcooliques sont à utiliser dans les dermatoses non irritées.

*La sélection des niveaux d’activité se fait aussi en fonction de la localisation des lésions.

* En ce qui concerne les associations dermocorticoïdes a un antiseptique, a un antibiotique ou a un antifongique, elles sont déconseillées et a éviter.

* On citera une association fréquemment utilisée dans le psoriasis hyperkératosique de l’adulte. celle d’un kératolytique (acide salicylique) a un corticoïde (Betnesalic* pommade, Diprosalic* lotion et pommade, Nerisalic* crème, etc.), mais contre-indiquée chez le jeune enfant.

RESPECT DES REGLES POSOLOGIQUES :

Rédaction de l’ordonnance :

Le mode d’utilisation ainsi que le nombre de tubes prescrits doivent être inscrits sur l’ordonnance.

* En traitement d’attaque, une application par jour est suffisante dans la grande majorité des cas. une seconde application peut s’avérer nécessaire en cas d’altération importante du stratum corneum (diminution de l’effet réservoir).

* Arrèter progressivement en espaèant les applications: une application tous les 2 jours, puis une application tous les 3 jours, etc., ou substituer une classe d’activité par une autre plus faible.

* La dégression est d’autant plus progressive et étalée dans le temps que la pathologie est chronique et corticodépendante.

* Prudence sur les zones fragiles: visage, plis, paupières, car les effets secondaires sont plus rapides a se manifester.

* Chez l’enfant:

– compter les tubes.

– éviter les corticoïdes de classe 1.

– jamais de corticoïdes fluorés sur le siège (risque de granulome glutéal) ni dans les plis, pas de corticoïdes sous occlusion.

– attention aux corticoïdes sur les racines des membres chez l’adolescent (risque de vergetures).

* Surveiller l’évolution.

* Certaines indications peuvent nécessiter l’application de corticoïdes sous occlusion ˆ l’aide de films plastiques (films pour congeler les aliments). Cette occlusion favorise l’absorption des dermocorticoïdes en augmentant l’hydratation de la couche cornée, la température locale et la durée de contact. Il s’agit notamment du psoriasis palmo-plantaire, du psoriasis du cuir chevelu et de certaines dermatoses lichénifiées et chroniques.

* L’insuffisance des explications données aux patients et la prescription de façon imprécise des dermocorticoïdes par le médecin sont a l’origine de la majorité des effets secondaires. Cela a pour conséquence une mauvaise observance et une mauvaise utilisation de ces produits aboutissant parfois a une inefficacité totale et/ou a un effet rebond de a l’arrêt intempestif du traitement par les patients.

L' »unité phalangette » :

* A. Y. Finlay a défini en 1989 une nouvelle unité de poids (« fingertip unit ») en utilisant la phalangette de l’index de l’adulte. « L’unité phalangette (UP)  correspond à la quantité de crème ou de pommade sortie du tube (d’un orifice de 5mm de diamètre) et déposée sur la longueur de la phalangette entre le pli de flexion distal et l’extrémité de l’index. »

* Cette quantité correspond chez l’adulte à 0,50g et recouvre une surface cutanée de 312cm2. Les différentes parties du corps de l’adulte ont été évaluées a partir de cette unité (UP).

* L’évaluation des parties du corps de l’enfant diffère quelque peu. Ainsi une surface cutanée équivalente à 4 mains (2UP) nécessitera 1g de crème.

* Cette règle de la main permet au patient de moduler la quantité de crème en fonction de la surface à traiter au cours de l’évolution de la maladie cutanée.

Effets secondaires et contre-indications :

EFFETS SECONDAIRES :

Une surveillance correcte jointe à une bonne posologie doit actuellement les éliminer pratiquement totalement.

Complications locales

Ce sont les plus fréquentes.

* Atrophie cutanée surtout avec les dérivés fluorés (d’activité forte et très forte). plus fréquente chez l’enfant et le vieillard aux peaux fines et fragiles et sur le visage:

– elle se traduit par un aspect rosé, aminci et fripé de la peau, laissant apparaître le réseau veineux sous-jacent. associée à des télangiectasies et parfois a des ecchymoses.

– cette atrophie peut être lentement réversible, parfois irréversible sous certains aspects, comme les pseudo-cicatrices stellaires.

* Vergetures: dues a une altération irréversible des fibres élastiques. siège: les plis de flexion et le tronc.

* Troubles pigmentaires a type d’hypopigmentation des zones traitées, inconstamment réversible. C’est l’apanage des peaux mates. Quelques cas d’hypermélanose ont été rapportés.

* Hypertrichose.

* Acné induite du visage ou aggravation d’une acné préexistante.

* Surinfections microbiennes, mycosiques, virales ou parasitaires imposant l’arrêt du traitement et la prescription d’un traitement spécifique.

– il existe, par ailleurs, des dermatoses favorisant le développement de certains micro-organismes.

– ainsi, chez l’atopique, l’impétiginisation de l’eczéma, la survenue de molluscum contagiosum et la très grave pustulose varioliforme de Kaposi-Juliusberg sont favorisées par les dermocorticoïdes.

* Dermite péri-orale: complication spécifique. se voit surtout chez la femme entre 30et 40 ans. Éruption de papulopustules a localisation péribuccale sur fond couperosique.

* Eczéma de contact: moins rare qu’on ne le pensait, la prévalence est estimée de façon très variable, de 0,5 a 4,8, selon les auteurs. parmi les corticoïdes les plus incriminés, on citera le célèbre pivalate de tixocortol et le budésonide. C’est également souvent le fait des conservateurs, des excipients ou des produits associés (néomycine, antiseptique). Y penser en cas d’aggravation ou de non-amélioration d’une dermatose corticosensible. Un nouveau composé, le furoate de mométasone, paraissant être moins allergisant et ne pas posséder d’allergie croisée avec les autres groupes de dermocorticoïdes, sera prochainement commercialisé en France.

* Granulome glutéal infantile, rare et de pathogénie discutée. L’hypothèse d’effets secondaires spécifiquement induits par l’halogène fluor semble devoir être abandonnée. En effet, on peut penser que ces lésions sont provoquées par le fait que l’halogène fluor confère à la molécule une activité plus forte.

* Effets ophtalmologiques: risque de glaucome, de cataracte sous-capsulaire postérieure, d’uvéites, voire de ptosis par amyotrophie du releveur de la paupière supérieure.

* Phénomène rebond en cas d’arrêt brutal du traitement.

Effets systémiques

Les effets systémiques restent d’observation isolée. ils sont la conséquence du passage systémique et ont en général une expression uniquement biologique et rarement une traduction clinique:

* freination de l’axe corticotrope avec baisse du cortisol plasmatique: presque constante lors d’application de corticoïdes locaux puissants sur des zones étendues.

* syndrome cushingoïde.

* chez l’enfant:

– retard de croissance staturo-pondérale.

– exceptionnellement, hypertension intracrânienne.

* faits rares:

– perturbation du métabolisme des hydrates de carbone.

– rétention hydrosodée.

– vergetures inguino-axillaires a distance des sites d’application.

– nécroses osseuses aseptiques.

CONTRE-INDICATIONS :

Les contre-indications sont les suivantes:

– dermatoses bactériennes.

– dermatoses mycosiques.

– dermatoses parasitaires.

– acné rosacée.

Conclusion :

Les dermocorticoïdes représentent une arme thérapeutique irremplaçable dans la prise en charge de nombreuses maladies cutanées. Une bonne maîtrise des effets indésirables, directement liés aux effets pharmacologiques, associée a une surveillance rigoureuse, constitue le gage d’un traitement efficace sans en subir les inconvénients.

* Néanmoins, des progrès restent à faire, notamment:

– le développement de composés plus efficaces dénués d’effets secondaires.

– de molécules a demi-vie longue douées d’une activité anti-inflammatoire élevée au niveau épidermique (facilitant ainsi l’observance), a index thérapeutique modifié (drogues inactivées en une seule étape métabolique). Récemment, le tacrolimus (FK 506), immunosuppresseur en topique, a montré d’excellents résultats dans le traitement de la dermatite atopique, avec des effets secondaires quasi inexistants, hormis des sensations de chaleur après l’application ou des réactions d’irritation.

– de systèmes d’absorption transépidermique.

– de produits adaptés aux différents types de peau (en fonction de l’age).

* Une meilleure connaissance des effets anti-inflammatoire et vasoconstricteur, en corrélation avec la puissance du dermocorticoïde, etc., est la condition sine qua non pour optimiser l’utilisation de ces molécules et obtenir un rapport entre efficacité et effets secondaires maximal.

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