Curiethérapie des cancers oto-rhino-laryngologiques (Suite)

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Première partie

Curiethérapie des cancers oto-rhino-laryngologiques (Suite)
B – Oropharynx :

La curiethérapie des cancers épidermoïdes de l’oropharynx fait toujours suite, après un délai de 1 à 2 semaines, à une RTE première de la tumeur et des aires ganglionnaires cervicales à la dose de 50 Gy du fait de leur lymphophilie.

Elle apporte le complément de dose à la tumeur, tout en épargnant les glandes salivaires, les muscles masticateurs et les branches montantes de la mandibule.

Aucun complément de traitement ganglionnaire n’est effectué en l’absence d’envahissement initial.

Dans le cas contraire, la persistance d’une adénopathie palpable après 50 Gy fait pratiquer de préférence un curage cervical, mais parfois un complément de RTE, avec adénectomie en cas de résidu persistant à 6 semaines.

1- Amygdale :

Les carcinomes épidermoïdes (T1, T2, T3) de la région amygdalienne peuvent être traités par association d’irradiation externe (45 à 50 Gy) et de curiethérapie (20 à 30 Gy).

L’infiltration des espaces parapharyngés ou de la commissure intermaxillaire (ou trigone rétromolaire), même superficielle, est une contre-indication formelle à la curiethérapie, de même qu’une solution de continuité avec des adénopathies cervicales, ou en cas d’adénopathies rétropharyngées.

Les piliers postérieurs sont implantés par voie sous-hyoïdienne, puis le bord libre du voile et la luette sont cathétérisés par voie endobuccale.

Les piliers antérieurs sont implantés par voie sus-hyoïdienne et sont réunis par voie endobuccale en sous-muqueux par un tube cathétérisant le voile.

Ces deux boucles couvrent l’arche véloamygdalienne.

L’extension tumorale peut nécessiter l’adjonction d’une ou de plusieurs boucles dans la base de langue, la langue mobile, le plancher de bouche ou le palais.

Le contrôle local des tumeurs T1, T2 atteint 85 à 90 % et reste élevé pour les T3.

La curiethérapie améliore le contrôle local (77 à 94 % à 5 ans) et la survie sans évolution (de 56 à 71 %), dans une série avec comparaison historique.

L’étalement sur plus de 7 semaines de l’irradiation réduit le contrôle local de 88 %à 74 %(p =0,001) et la survie de 63 % à 44 %, et un intervalle de plus de 3 semaines entre la RTE et la curiethérapie réduit le contrôle local de 85 à 73 %.

Les tumeurs localisées à la région amygdalienne et au voile ont un pronostic plus favorable que celles de la zone de jonction (trigone, pilier antérieur, sillon amygdaloglosse).

2- Voile. Luette :

La curiethérapie est précédée d’une irradiation externe délivrant 45 à 50 Gy.

L’extension au plancher du cavum et au palais dur en sont des contre-indications.

Les petites lésions peuvent être traitées par la technique des gouttières vectrices, qui implante horizontalement une épingle double de 3 cm de long, encadrant la lésion.

La technique des tubes plastiques décrite pour l’amygdale permet le traitement de la totalité du voile, des loges amygdaliennes et de la luette.

Lorsque la tumeur est proche du palais dur, un tube supplémentaire est implanté en avant de la lésion, transfixie la partie haute de la commissure intermaxillaire, et ressort par la joue.

Le taux de complications est faible pour les lésions limitées au voile du palais, en raison du faible volume irradié.

La dose cumulée avec l’irradiation externe ne doit pas dépasser 70 à 75 Gy.

3- Paroi pharyngée :

Dans cette localisation, l’application peut nécessiter une trachéotomie pour avoir un bon accès à la paroi pharyngée postérieure.

La technique des gouttières vectrices avec implantation verticale par voie buccale peut être utilisée pour des tumeurs médianes de la paroi pharyngée postérieure.

En cas de tumeur plus volumineuse ou latérale, les tubes plastiques sont mis en place dans un plan frontal, transfixiant le cou et contournant les axes carotidiens.

La paroi latérale antérieure est traitée à l’aide de boucles latérales.

La curiethérapie est rarement indiquée de première intention, mais est réservée aux récidives limitées (inférieures à 3 cm de grand axe, non infiltrantes en profondeur) de la paroi oropharyngée, latérale ou postérieure, aux deuxièmes localisations en zone irradiée, sans extension ganglionnaire.

L’association radiothérapie-curiethérapie est privilégiée à une curiethérapie exclusive, devant le risque de nécrose extensive de la muqueuse qui n’a pas de support musculaire.

La dose cumulée d’irradiation ne doit pas dépasser 60 Gy, en raison de la proximité de la moelle épinière.

4- Base de langue :

La curiethérapie est délivrée en complément à la RTE pour les carcinomes épidermoïdes T1, T3, et les petits T4 de la base de langue.

L’infiltration massive de la base de langue empêchant toute protraction, l’extension tumorale contiguë à l’extension ganglionnaire cervicale, et l’atteinte de la région des trois replis et de la loge hyo-thyro-épiglottique en sont des contreindications formelles.

L’atteinte de la face linguale de l’épiglotte est une contre-indication relative.

L’extension à la région amygdalienne, la langue mobile ou au plancher nécessite d’élargir le volume traité en adaptant la technique.

Les tumeurs valléculaires sans extension sous-hyoïdienne peuvent également être traitées.

L’implantation du plan postérieur des boucles passe sous l’os hyoïde, et ressort par la vallécule (la face linguale de l’épiglotte pouvant être implantée sans transfixier le cartilage).

Deux boucles antéropostérieures, droite et gauche, et une boucle médiane décalée en avant sont implantées, complétées si besoin par une boucle amygdalienne pour les lésions proches du sillon amygdaloglosse, et par une ou deux boucles transverses ou obliques dans la langue mobile en cas d’extension.

Le contrôle local à 5 ans est de 85 %pour les T1, et de 70 %pour les T2 dans l’association radiothérapie-curiethérapie.

Des résultats proches sont obtenus dans les séries récentes d’irradiation externe exclusive, avec modification du fractionnement, au prix cependant d’un taux élevé de complications.

Les résultats des séries chirurgicales atteignent parfois ceux des séries radiothérapiques en contrôle local, mais le résultat fonctionnel est décevant.

La qualité de vie et le suivi fonctionnel évaluant la capacité de manger en public, l’élocution, et le fait de manger un repas normal, semblent meilleurs après irradiation qu’après traitement chirurgical.

En l’absence de contre-indication, l’association radiothérapie-curiethérapie obtient un meilleur contrôle local que l’irradiation externe seule, et une meilleure qualité de vie que la chirurgie.

C – Cavum :

Il s’agit d’une curiethérapie intracavitaire (plésiocuriethérapie), traitant 1 cm d’épaisseur de tissus.

Elle est contre-indiquée en cas de tumeur étendue à la base du crâne ou au sinus caverneux.

Un applicateur personnalisé est réalisé d’après une empreinte du cavum et mis en place sous anesthésie locale.

Des tubes plastiques, appliqués sur la convexité de l’applicateur, ressortent par les narines et permettent le passage des sources radioactives.

L’irradiation à bas débit de dose, sur plusieurs jours, peu confortable, est remplacée par une irradiation à haut débit de dose, délivrant deux fractions de quelques minutes par semaine, en ambulatoire.

Un applicateur standardisé peut alors être utilisé.

Le traitement de première intention des cancers du cavum associe la RTE à une chimiothérapie concomitante, dans les stades avancés, la curiethérapie ne trouvant sa place que dans les récidives en territoire irradié ou en complément de la RTE, afin d’augmenter la dose sur un résidu tumoral (facteur de bon pronostic).

La dose totale cumulée doit rester inférieure à 75 Gy, en raison du risque de complication.

D – Régions périorificielles :

1- Lèvre :

Des tubes plastiques parallèles sont implantés dans le grand axe de la lèvre.

Deux sources sont suffisantes pour les tumeurs superficielles, complétées par une troisième source profonde pour les tumeurs infiltrant plus de 5 mm de profondeur.

Dans les volumineuses tumeurs (T3, T4), un nombre plus important de sources est nécessaire après un premier temps chirurgical ou radiothérapique.

La totalité de la lèvre est traitée en cas de dyskératose associée.

La protection plombée avec un plateau réduit l’irradiation de la mandibule et de la lèvre supérieure.

Seuls les volumineux carcinomes épidermoïdes avec extension osseuse, nerveuse et à la cavité buccale (T4) sont des contre-indications à la curiethérapie.

Les tumeurs T4 avec atteinte cutanée isolée, inférieures à 4 cm, sont traitées comme les tumeurs T1, T3 de mêmes dimensions.

Le contrôle local à 5 ans est supérieur à 95 %, avec un taux de complications inférieur à 5 %.

Le taux de récidive ne dépasse pas 2 % pour les T1, T2.

Les résultats esthétiques et fonctionnels sont satisfaisants.

2- Oreille externe :

Des tubes plastiques avec chargement différé ou immédiat ou des aiguilles hypodermiques en chargement immédiat sont utilisés suivant la taille et la localisation tumorale, les premiers permettant de mieux s’adapter aux surfaces irrégulières.

Le cartilage n’est pas transfixié.

La curiethérapie peut être utilisée seule ou en association à une irradiation externe dans les tumeurs volumineuses. Les résultats carcinologiques sont satisfaisants.

L’extension tumorale cartilagineuse fait préférer la chirurgie.

La curiethérapie évite la mutilation, la reconstruction ou la nécessité d’une prothèse.

Les résultats esthétiques sont identiques à ceux obtenus par RTE.

3- Cloison nasale. Vestibule narinaire :

La cloison nasale est implantée en totalité jusqu’à la jonction ostéocartilagineuse par des tubes plastiques qui lui sont perpendiculaires, constituant trois plans parallèles en quinconce.

L’implantation peut être élargie, si nécessaire, à la lèvre supérieure.

Les carcinomes épidermoïdes de la cloison nasale, du vestibule et de la columelle (T1, T2 £ 3,5 cm) peuvent être traités par curiethérapie exclusive.

Le traitement des tumeurs inflammatoires débute par une RTE locale et ganglionnaire.

Les tumeurs de 4 cm ou plus et l’envahissement des fosses nasales sont des contre-indications.

La curiethérapie reste moins mutilante que le traitement chirurgical, malgré les progrès des reconstructions.

Une perforation de la cloison nasale par la tumeur est sans conséquence esthétique ni fonctionnelle.

E – Curiethérapie postopératoire :

L’irradiation postopératoire est justifiée par la constatation histologique, dans la pièce opératoire, d’infiltration périnerveuse, d’emboles lymphatiques, d’adénopathies multiples ou avec rupture capsulaire, et de marges positives ou proches.

Ce dernier critère est plus particulièrement un facteur de risque de récidive locale.

La curiethérapie est adaptée aux facteurs pronostiques décrits des irradiations postopératoires, délivrant une dose élevée dans un petit volume en un temps court.

La technique dépend du type d’intervention, de la situation initiale de la lésion et du volume à traiter.

Le volume cible comprend les tissus adjacents à l’exérèse, de part et d’autre de la cicatrice, après exérèse-suture avec rapprochement des berges, ou à la jonction avec un lambeau de reconstruction.

En cas de tumeur du plancher buccal, le risque de récidive, souvent proche de la gencive, nécessite de faire passer les tubes en pont audessus de la mandibule.

La branche postérieure ou interne de la boucle est mise en place, à plus de 5 mm de la gencive, en passant par voie sousmentonnière.

Elle ressort en arrière de la cicatrice du lit opératoire, puis passe par dessus la gencive, pour ressortir en avant de la mandibule en traversant le sillon gingivojugal ou labial.

L’écart entre les jambes internes de chaque boucle est de 1,2 à 1,4 cm, et l’écart entre les jambes externes à la partie extérieure de la mandibule est le double (2,4 à 2,8 cm), afin de réduire la dose délivrée à la mandibule.

Le contact direct des tubes avec la gencive est évité par un espaceur en résine.

La dose délivrée sur le volume cible varie de 50 à 60 Gy en curiethérapie exclusive, et de 10 à 20 Gy après RTE première, et ceci en fonction de l’extension tumorale proche ou de l’envahissement franc des marges.

La curiethérapie postopératoire permet d’obtenir un contrôle local élevé pour des tumeurs à très haut risque de récidive.

Les complications restent fréquentes (20 à 30 %), avec un taux de complications sévères proche de 10 % dans les cancers du plancher buccal.

F – Curiethérapie de rattrapage :

Elle s’adresse aux récidives locales et aux secondes localisations tumorales en territoire irradié.

Les récidives locales apparaissent dans 10 à 50 %des cas, selon le siège et le stade initiaux.

Le mode infiltrant et le diagnostic souvent tardif rendent difficile le rattrapage.

Sur 1 700 patients traités par radiothérapie, seulement 40 % des récidives ont bénéficié d’un rattrapage, trois fois sur quatre par chirurgie, et une fois sur cinq par curiethérapie.

Les nouveaux cancers sont de pronostic moins péjoratif, leur incidence étant estimée à 2-3 % par an.

Survenant après chirurgie, ils peuvent être irradiés, par curiethérapie exclusive ou associée à une RTE. S’ils surviennent après irradiation, leur traitement est le plus souvent chirurgical, devant les risques d’échec et de complication d’une réirradiation.

Dans certains cas sélectionnés, et après concertation pluridisciplinaire, la curiethérapie peut être envisagée en alternative à une chirurgie mutilante selon les critères suivants : tumeur de petite taille et superficielle (T1), absence de séquelles importantes d’irradiation (fibrose, télangiectasies), possibilité de rattrapage chirurgical si la réirradiation échoue, possibilité de délivrer une dose supérieure à 60 Gy.

La qualité de la technique de curiethérapie et les paramètres radiobiologiques (en particulier le débit de dose) doivent être optimaux, en raison du risque élevé de complications tardives.

Dans le cas des seconds cancers survenant en territoire irradié, la curiethérapie permet d’obtenir un contrôle local élevé, proche de celui-ci des tumeurs primitives apparaissant de novo, et nettement supérieur à celui obtenu par RTE.

Seul le taux de complications tardives est augmenté, multiplié par deux .

Les résultats concernant les récidives locales sont plus péjoratifs.

Cependant, l’intoxication alcoolotabagique initiale parfois non interrompue, ou une prédisposition individuelle aboutit à la survenue de multiples localisations tumorales et au décès des patients, dans les dix années suivantes.

Le caractère quasi palliatif de ces réirradiations doit être pris en compte dans la décision thérapeutique, pour éviter toute mutilation excessive et privilégier les résultats fonctionnels et la qualité de vie.

G – Avancées technologiques :

La curiethérapie ORL s’accompagne encore parfois d’échecs locaux et de complications tissulaires et osseuses sévères, malgré le respect des règles du système de Paris et des techniques d’implantation.

La dosimétrie, jusqu’à présent réalisée d’après les clichés orthogonaux, ne permet pas une exploration exhaustive de la répartition de la dose délivrée à la tumeur et aux organes sensibles.

Les facteurs pronostiques individualisés restent cliniques (localisation et taille tumorales) ou radiobiologiques (débit de dose, dose totale, espacement entre les sources).

Les récents progrès en imagerie et en informatique ont contribué à la réalisation de logiciels de planimétrie tridimensionnelle et à la conception de la curiethérapie à bas débit pulsé.

Les logiciels fusionnant la répartition de la dose de curiethérapie avec l’imagerie par scanner ou résonance magnétique autorisent la reconstruction des volumes anatomiques et la réalisation d’histogrammes dose-volumes.

La curiethérapie à bas débit pulsé, introduite en France en 1995, reproduit une curiethérapie classique à bas débit continu, en utilisant une source ponctuelle qui se déplace de position en position le long des gaines vectrices.

La source d’iridium 192 s’arrête pendant un temps prédéfini à des positions définies sous le contrôle d’une unité informatique de commande.

Le débit de dose peut être imposé et la répartition de la dose délivrée aux tissus optimisée.

Ces avancées orientent la recherche vers une curiethérapie de haute précision, dont le but est de mieux conformer le volume irradié à la tumeur, et de minimiser les surdosages dans ce volume afin d’augmenter encore l’index thérapeutique de la curiethérapie ORL.

H – Qualité de vie :

Les différentes techniques de traitement des cancers ORL donnent des résultats carcinologiques comparables.

L’évaluation de la qualité de vie des patients prend une place grandissante pour optimiser les indications thérapeutiques.

Un questionnaire général et un module spécifique « tête et cou » sont validés, mais sans questions spécifiques pour la curiethérapie.

Les premières études publiées montrent que la curiethérapie permet d’obtenir une meilleure qualité de vie que la chirurgie dans les cancers de la base de langue.

Des facteurs prédictifs de « bonne qualité de vie » pourraient préciser les indications de curiethérapie selon l’extension tumorale et le stade, les habitudes (alcool, tabac), les antécédents (artérite, diabète), la vie professionnelle, la vie sociale et le sexe.

Ainsi, des complications esthétiques ou fonctionnelles, après hémiglossectomie ou buccopharyngectomie, ont un retentissement plus important chez des patients poursuivant une activité professionnelle ou chez des femmes jeunes.

À l’inverse, le risque de complication est important après curiethérapie chez des patients poursuivant leur intoxication alcoolotabagique.

Le retentissement des complications ou des séquelles de chaque traitement est donc pondéré pour ces facteurs.

L’utilisation des critères recueillis dans les questionnaires de qualité de vie permettra d’adapter le choix thérapeutique à chaque patient.

Les techniques modernes de curiethérapie utilisent des fils d’iridium placés avec précision, sous anesthésie générale et sous contrôle fluoroscopique.

Elles bénéficient d’une dosimétrie prévisionnelle par ordinateur, en trois dimensions, et de nouvelles technologies qui devraient améliorer encore l’index thérapeutique.

Sa place doit être envisagée pour tous les cas de cancers de la cavité buccale et de l’oropharynx, afin d’offrir au patient le traitement permettant le meilleur contrôle local et la meilleure survie avec le minimum de séquelles fonctionnelles.

Son utilisation exclusive est recommandée pour les tumeurs T1, T2 N0 de la cavité buccale.

Elle contribue à l’amélioration des résultats dans tous les cas, associée localement à la RTE ou à la chirurgie.

Une meilleure diffusion de cette technique nécessite un apprentissage spécifique des radiothérapeutes en formation et une meilleure diffusion de ses résultats.

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