Cryoglobulinémies

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CryoglobulinémiesLes cryoglobulinémies sont des immunoglobulines qui précipitent au froid et qui peuvent être à l’origine de vascularites à complexes immuns parfois sévères, avec atteinte multiviscérale.

Les causes de production de cryoglobulinémies sont très nombreuses : maladies infectieuses, hémopathies malignes ou connectivites.

La recherche de la cryoglobuline est parfois difficile et s’effectue au mieux dans des laboratoires spécialisés.

Introduction :

Les cryoglobulinémies sont définies par la présence persistante dans le sérum d’immunoglobulines qui précipitent au froid et se solubilisent à nouveau lors du réchauffement.

Cette définition permet de distinguer les cryoglobulinémies des autres cryoprotéines, c’est-àdire les cryofibrinogènes et les agglutinines froides.

Depuis 1974, la classification de Brouet est la plus utilisée et repose sur une analyse immunochimique des cryoglobulinémies, permettant d’en définir trois types.

Les cryoglobulinémies de type I sont composées d’une immunoglobuline monoclonale unique.

Les cryoglobulinémies de type II et de type III représentent les cryoglobulinémies mixtes, car elles sont composées d’immunoglobulines polyclonales associées (type II) ou non (type III) à un ou plusieurs constituants monoclonaux.

L’immunoglobuline peut se comporter comme une antiglobuline, avec une activité facteur rhumatoïde anti-IgG.

Cette classification immunochimique permet en partie de guider les recherches étiologiques.

Les cryoglobulinémies peuvent également être classées selon un cadre étiologique, ou plus exactement selon les associations à des pathologies sous-jacentes, dont la liste est longue.

Les cryoglobulinémies de type I (25–35 %) sont associées à une hémopathie maligne lymphoïde B.

Les cryoglobulinémies mixtes (65–75 %) sont associées aux hémopathies lymphoïdes B, mais également aux maladies auto-immunes et aux maladies infectieuses (en particulier celles au cours desquelles l’agent pathogène persiste longtemps dans l’organisme, avec une mention particulière pour le virus de l’hépatite C).

Pour 15%des cryoglobulinémies mixtes, aucune cause n’est retrouvée, et la cryoglobulinémie est dite mixte « essentielle ».

Tableau clinique :

Les cryoglobulinémies font partie des vascularites systémiques : il existe en effet une diffusion fréquente des lésions à plusieurs organes, et le substratum anatomique de ces lésions est une vascularite par complexes immuns.

Il s’agit d’une maladie à prédominance féminine (deux femmes pour un homme) dont les symptômes débutent entre la 4e et la 5e décennie, sans caractéristique particulière en fonction des races.

A – Atteintes cutanées :

Le purpura vasculaire survient volontiers au cours des périodes hivernales, il est souvent révélateur, non prurigineux, intermittent et débute toujours aux membres inférieurs, pouvant s’étendre progressivement jusqu’à l’abdomen.

Le tronc et les membres supérieurs sont plus rarement touchés, et la face est respectée.

Il est infiltré, d’aspect pétéchial ou papulaire, rarement nécrotique, sauf dans les cryoglobulinémies de type I.

Ce purpura peut s’associer à des macules érythémateuses et à des nodules dermiques pour former le trisymptôme de Gougerot.

Chaque poussée purpurique, volontiers précédée d’une sensation de brûlure, persiste 3 à 10 jours, les poussées successives laissant une hyperpigmentation brunâtre séquellaire.

Les poussées peuvent être déclenchées par l’orthostatisme, les efforts prolongés, l’exposition au froid, voire par un traumatisme.

Des ulcères supramaléolaires peuvent survenir, associés au purpura, notamment chez des patients ayant une insuffisance veineuse préexistante, et posent de difficiles problèmes thérapeutiques.

L’urticaire au froid est une éruption urticarienne systémique, d’évolution chronique, dont les plaques restent fixées au-delà de 24 heures, sans prurit, déclenchée par une baisse relative de la température extérieure, voire par le test du glaçon sur l’avant-bras.

Un syndrome de Raynaud et une acrocyanose se rencontrent chez 25% des patients.

Ces manifestations cutanées sont significativement plus fréquentes au cours des cryoglobulinémies mixtes associées à une infection par le virus de l’hépatite C.

B – Atteintes articulaires :

Il s’agit principalement d’arthralgies touchant les grosses articulations, mains et genoux, plus rarement les chevilles et les coudes, bilatérales et symétriques, non déformantes et non migratrices.

Elles sont trouvées chez 50 à 75%des patients, intermittentes et souvent inaugurales.

Une arthrite vraie apparaît beaucoup plus rarement, de même que l’atteinte rachidienne.

C – Atteintes rénales :

L’atteinte rénale est habituellement retardée et se manifeste par une protéinurie, une hématurie microscopique ou parfois une insuffisance rénale chronique modérée.

Un syndrome néphrotique impur ou un syndrome néphritique aigu peuvent survenir ; une hypertension artérielle est fréquente dès l’apparition de la néphropathie.

L’atteinte rénale s’observe préférentiellement chez les patients qui ont une cryoglobulinémie de type II dont l’IgM j est le composant monoclonal. Histologiquement, il s’agit d’une glomérulonéphrite membranoproliférative dont certaines particularités permettent d’évoquer le diagnostic : infiltrat monocytaire important, volumineux thrombi intraluminaux amorphes et éosinophiles, membrane basale glomérulaire épaissie de façon diffuse avec aspect en double contour, et très rarement une prolifération extracapillaire.

Il existe souvent une vascularite des vaisseaux de petit et moyen calibre, avec nécrose fibrinoïde de la paroi et infiltration périvasculaire monocytaire.

En immunofluorescence, on note la présence de dépôts sous-endothéliaux et intraluminaux constitués d’immunoglobulines identiques à celles du cryoprécipité ; seuls les dépôts sous-endothéliaux contiennent du C3.

En microscopie électronique, l’aspect cristalloïde des dépôts sous-endothéliaux et endoluminaux est pathognomonique.

Une rémission prolongée, partielle ou complète, parfois spontanée, peut être observée.

Les anomalies urinaires, notamment la protéinurie et l’hématurie, peuvent persister avec, pendant de nombreuses années, un débit de filtration glomérulaire normal.

À un stade tardif, une insuffisance rénale chronique apparaît fréquemment mais demeure modérée, obligeant exceptionnellement à l’épuration extrarénale définitive.

D – Atteintes neurologiques :

Elles touchent essentiellement le système nerveux périphérique : polyneuropathie sensitive ou sensitivomotrice distale prédominant aux membres inférieurs chez deux tiers des patients, ou mononeuropathies multiples chez un tiers des patients.

L’atteinte commence toujours par des troubles sensitifs superficiels avec douleurs et paresthésies asymétriques, devenant secondairement symétriques.

Le déficit moteur est inconstant et peut être retardé de quelques mois à quelques années, s’installant progressivement et prédominant sur les loges antéroexternes des membres inférieurs, plutôt asymétriques.

L’évolution prolongée se fait par poussées, avec stabilisation, rémission ou exacerbation des symptômes parfois déclenchés par une exposition au froid.

Une neuropathie asymétrique de survenue brutale et d’évolution subaiguë peut évoquer une multinévrite sévère.

Les études électrophysiologiques suggèrent des lésions de dégénérescence axonale, avec une diminution des amplitudes des potentiels moteurs et/ou sensitifs, des vitesses de conduction motrices peu diminuées, des latences distales peu allongées et la présence de signes de dénervation ou de réinervation dans les muscles distaux.

Les potentiels sensitifs sont toujours altérés, plus souvent aux membres inférieurs qu’aux membres supérieurs.

L’atteinte du système nerveux central est exceptionnelle : convulsions, encéphalopathie avec coma, atteinte des nerfs crâniens, voire accident vasculaire cérébral.

E – Autres manifestations, beaucoup plus rares :

Une atteinte clinique hépatique (hépatomégalie, splénomégalie, circulation veineuse collatérale, voire angiomes stellaires) peut survenir, liée à une infection par le virus de l’hépatite C.

Une atteinte cardiaque peut se manifester par une atteinte valvulaire mitrale, une vascularite coronaire avec infarctus du myocarde, une péricardite ou une insuffisance cardiaque congestive.

L’atteinte pulmonaire est souvent asymptomatique, mais elle peut se traduire par une dyspnée d’effort modérée, une toux sèche, des épanchements pleuraux ou des hémoptysies.

Il s’agit d’une atteinte des petites bronches distales.

L’atteinte digestive se manifeste par des douleurs abdominales, parfois pseudo-chirurgicales, et des hémorragies digestives peuvent révéler une vascularite mésentérique.

Enfin, une fièvre inexpliquée, associée ou non à une altération de l’état général, s’associe fréquemment au tableau de la maladie. Le caractère « essentiel » de la cryoglobulinémie repose sur un bilan étiologique extensif négatif et une longue surveillance.

Certaines affections comme le lupus érythémateux disséminé ou la maladie de Waldenström peuvent se déclarer plusieurs mois, voire années, après l’apparition des symptômes dus à la cryoglobuline.

Tableau biologique :

Les cryoglobulinémies nécessitent des techniques sensibles et spécifiques afin d’optimiser leur recherche, de préciser leur taux et de les typer correctement.

Ces prélèvements seront au mieux techniqués dans des laboratoires hospitaliers spécialisés.

Le tube de prélèvement sanguin est maintenu à 37 °C pendant au moins 1 heure avant la centrifugation à 37 °C.

Le sérum est placé à 4 °C, et au 8e jour, en l’absence de précipitation, on pourra exclure la présence d’une cryoglobulinémie.

La présence de cryoglobulinémie à taux faible a longuement fait discuter de l’opportunité d’un seuil pathologique.

Après plusieurs études, on utilise actuellement le seuil de 50 mg/dL avant de prendre en compte la découverte d’une cryoglobulinémie.

Le taux de cryoglobulinémie est très variable chez un même sujet, et il n’y a pas de strict parallélisme entre l’importance des signes cliniques et la quantité de cryoglobuline présente dans le sérum. La température maximale de cryoprécipitation peut varier de 11 °C à 37 °C.

Quand la recherche est positive à un taux significatif (³ 50 mg/dL), le typage immunochimique de la cryoglobulinémie est indispensable, par immunofixation ou, de façon plus performante, par immunoempreinte (western blot) ; ces techniques permettent le typage de la cryoglobulinémie et une classification parmi les trois types précédemment décrits.

Des anomalies du complément, relativement spécifiques, sont observées : diminution des composants précoces (C1q, C2, C4) et du CH50, concentration normale du C3 et composants tardifs (C5 et C9) et inhibiteur du C1 augmentés.

Une activité facteur rhumatoïde est souvent retrouvée, liée à la présence dans certaines cryoglobulinémies d’une IgM avec activité anti-IgG.

L’électrophorèse et l’immunoélectrophorèse retrouvent une hypergammaglobulinémie polyclonale ou un pic monoclonal.

Les anomalies biologiques hépatiques sont extrêmement fréquentes au cours des cryoglobulinémies mixtes, avec une élévation des transaminases et des phosphatases alcalines chez 50 à 70 % des patients.

Les lésions histologiques hépatiques sont fréquentes : hépatite chronique active ou cirrhose sont notées chez plus de la moitié des patients.

Ces différentes anomalies ont longuement fait discuter du mécanisme en cause : cause ou conséquence de la cryoglobulinémie ?

La présence d’une cryoglobulinémie peut perturber certains examens de routine : variations inattendues de la protidémie ou des gammaglobulines, vitesse de sédimentation faussement normale (fluctuante d’un jour à l’autre, élevée à 37 °C du fait de l’hypergammaglobulinémie ou abaissée à 20 °C), autoagglutination des globules rouges sur lame, pseudo-leucocytose, pseudo-thrombocytose ou pseudo-macrocytose globulaire.

Physiopathologie :

Le substratum anatomique comporte d’une part une précipitation intravasculaire des cryoglobulines favorisée par le froid, d’autre part une vascularite par complexes immuns atteignant préférentiellement la peau et les reins.

Les cryoglobulinémies représentent donc un type particulier de vascularite à complexes immuns, dont les antigènes promoteurs restent pour la plupart inconnus.

Certaines infections chroniques sont à l’origine de la production de cryoglobulinémie, liées à des micro-organismes qui persistent longtemps dans l’organisme hôte, permettant une stimulation importante et prolongée du système immunitaire, notamment lymphocytaire B : virus d’Epstein-Barr, Cytomégalovirus, virus de l’hépatite C, Leishmania, Plasmodium, tréponèmes…

Au cours des hémopathies lymphoïdes B, la production en excès de nombreuses substances par les plasmocytes dystrophiques inclut régulièrement les cryoglobulinémies.

Au cours des maladies auto-immunes, le mécanisme semble moins évident et pourrait passer par une rupture de l’équilibre idiotype/anti-idiotype favorisant l’hyperproduction de cryoglobulines.

Évolution et traitement :

A – Cryoglobulinémies de type I :

En règle liées à une hémopathie maligne lymphoïde B, elles sont sévères par l’importance des lésions cutanées ou viscérales associées et du fait de la maladie hématologique sous-jacente.

Le traitement de la cryoglobulinémie rejoint alors celui de l’hémopathie.

B – Cryoglobulinémies mixtes :

De type II ou III, elles ont une évolution et un pronostic très variables d’un sujet à l’autre, qui dépendent de l’atteinte rénale (cryoglobulinémies de type II), de l’extension systémique de la maladie et de la sévérité de l’hypertension artérielle.

Dans plusieurs grandes séries, la probabilité de survie à 5 ans après le début des symptômes est de 90 % en l’absence d’atteinte rénale et de 50% en cas d’atteinte rénale.

Les principales causes de décès sont les accidents cardiovasculaires (hémorragie cérébrale, insuffisance cardiaque, infarctus du myocarde), les infections sévères, l’insuffisance hépatocellulaire, voire l’émergence d’un syndrome lymphoprolifératif.

Dans les cryoglobulinémies mixtes essentielles, l’absence d’étude contrôlée et les fluctuations importantes des symptômes cliniques et du taux de la cryoglobuline ne permettent pas de donner une conduite standardisée.

Dans les formes mineures, le traitement repose sur l’absence d’exposition au froid, l’éradication des foyers infectieux, le repos en cas de poussée purpurique et les antalgiques, voire les anti-inflammatoires non stéroïdiens, en cas d’arthralgie ou d’arthrite.

Les thérapeutiques vasodilatatrices modernes, en particulier les analogues de la prostacycline (Iloprost) en association aux antiagrégeants plaquettaires et/ou aux anticoagulants, sont utilisées en cas de lésions ischémiques distales.

L’interféron alpha semble prometteur dans quelques études pilotes par ses propriétés immunomodulatrices sur les cellules lymphoïdes B et par ses effets antiviraux sur le virus de l’hépatite C.

Dans les formes sévères ou récidivantes (neuropathie périphérique sévère, nécrose-gangrène distale des membres, glomérulonéphrite…), les échanges plasmatiques en association aux immunosuppresseurs peuvent se discuter.

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