Fiche additive : Cotations fonctionnelles des membres

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Introduction :

L’appréciation de l’importance de la gêne occasionnée par une souffrance de l’épaule, puis de la qualité du résultat obtenu par le traitement que l’on souhaite étudier, reste la pierre d’achoppement lorsqu’il s’agit d’exposer à d’autres ses résultats, de comparer des techniques ou tout simplement de se comprendre dans les congrès et réunions scientifiques.

Comme pour d’autres articulations, l’épaule a vu fleurir de nombreuses fiches de cotation dont le seul caractère commun était de n’être utilisées que par un groupe : la fiche UCLA à Los Angeles par exemple, l’indice algofonctionnel de Patte du groupe Duplay en France, ou encore la fiche de l’American Society of Shoulder and Elbow Surgery.

Christopher Constant de Cambridge en Angleterre a mis au point une fiche d’évaluation de l’épaule qui repose sur des années de travail et de réflexions et qu’il a décrite pour la première fois en 1987.

Sa simplicité et son efficacité en ont fait la fiche officielle de la Société européenne de chirurgie de l’épaule et du coude (SECEC) depuis 1990.

Fiche additive : Cotations fonctionnelles des membres

Son originalité tient au fait qu’elle n’accorde que 35 des 100 points possibles à un critère hautement subjectif : la douleur, dont tout le monde s’accorde à dire qu’elle est bien difficile à apprécier dans toutes ses composantes.

Soixante-cinq points sont donc réservés à l’étude objective de la valeur fonctionnelle de l’épaule : niveau d’activité, amplitudes articulaires et force musculaire mesurée au dynamomètre.

Mais l’influence néfaste de la douleur n’a pas été négligée par Constant car la valeur des amplitudes actives et de la force musculaire retenue doit se faire sans douleur pour le patient examiné.

L’autre originalité de cette cotation est de pouvoir s’adresser à n’importe quelle pathologie handicapante de l’épaule, d’être en quelque sorte universelle.

Enfin, et c’est ce qui fait la force de cette cotation, elle s’exprime en valeur absolue, sur 100 points, quels que soient la pathologie étudiée, l’âge, le sexe ou la profession du patient, en étudiant les deux épaules.

Lorsque l’autre épaule est saine, c’est l’étude chiffrée de la différence de points entre les deux épaules (= différentielle) qui nous permet d’apprécier efficacement la valeur de notre traitement ou le handicap du patient.

Bien sûr, il faut faire la différence entre un homme jeune, sportif ou travailleur manuel, et une femme âgée et sédentaire.

C’est la raison pour laquelle Constant a établi des valeurs moyennes de son indice (sur 100 rappelons-le) en fonction de l’âge et du sexe grâce à une remarquable étude des amplitudes articulaires actives et de la force musculaire en abduction dans le plan de l’omoplate chez des centaines de volontaires, hommes et femmes, et de tous âges.

Il est donc possible de situer la valeur fonctionnelle obtenue (= score de Constant pondéré) par rapport à une valeur considérée comme normale dans la population étudiée ainsi que, nous l’avons vu, par rapport à l’épaule controlatérale (= différentielle) ou encore par rapport à l’état de l’épaule en préopératoire.

Par exemple, un homme de 35 ans a un score fonctionnel de Constant considéré comme normal de 93, une femme du même âge de 90, alors qu’un homme de 84 ans n’a comme valeur normale que 66 points et une femme de 84 ans un score de Constant normal de 64 points.

C’est la seule cotation qui permette ainsi, et le plus objectivement possible, d’apprécier de plusieurs façons un résultat, d’éclairer celui-ci de différentes manières : par rapport à l’état antérieur, à l’épaule controlatérale ou encore à la valeur considérée comme normale.

Le fait de faire appel pour les deux tiers à des critères objectivement observés par l’examinateur (65 points) rend cette cotation très performante aux yeux de beaucoup.

Plusieurs travaux, dont la thèse de notre élève Gleyze, ont d’ailleurs pu permettre de constater sa fiabilité par rapport à d’autres et en particulier l’indice algofonctionnel de Patte, très complet mais long à établir, très subjectif et donc moins reproductible d’un examinateur à l’autre, d’une équipe à l’autre.

Bien entendu, cette cotation reste « examinateur dépendant », et c’est la raison d’être de ce chapitre que de préciser le mode d’emploi de cette cotation.

Avec un peu d’entraînement et beaucoup de rigueur, il est alors possible de coter une épaule en moins de 10 minutes et de façon reproductible, nous le constatons tous les jours dans notre équipe.

Mode d’emploi de la fiche de Constant :

Le patient est installé confortablement sur une chaise sans accoudoir.

Les deux premiers paramètres sont des critères subjectifs : la douleur et le niveau d’activité alors que les critères suivants sont des paramètres objectifs appréciés par l’examinateur.

Les deux épaules doivent être cotées impérativement !

A – APPRÉCIATION SUBJECTIVE (35 POINTS) :

1- Douleur (15 points) :

Une double appréciation est nécessaire.

On demande tout d’abord au patient s’il souffre et comment :

– s’il n’a aucune douleur, la note de 15 lui est attribuée ;

– s’il se plaint de douleurs, il doit alors préciser s’il s’agit d’une douleur :

– modérée : 10 points ;

– moyenne : 5 points ;

– sévère : 0 point. Puis on utilise une échelle dolorimétrique : il lui est demandé de considérer le niveau de sa douleur sur une échelle linéaire entre 0 et 15, le zéro signifiant aucune douleur et 15 des douleurs sévères.

La propre « note » du patient est alors soustraite de 15 pour retomber sur l’échelle de cotation précédente.

Exemple : le patient estime sa douleur postopératoire modérée : 10 points ; sur une échelle de 0 à 15, il la situe à 3 points, ce qui fait donc 15-3 = 12 points.

La note définitive qui est attribuée au patient et consignée sur la fiche est la moyenne des deux appréciations, soit dans notre exemple 10 + 12 = 22/2 = 11 points.

Si cette méthode est un peu laborieuse, elle a le mérite d’être la plus précise possible, sachant le caractère éminemment subjectif de ce critère douleur !

L’utilisation isolée d’une échelle dolorimétrique est depuis peu acceptée par la SECEC.

2- Niveau d’activité quotidienne (20 points) :

L’appréciation du niveau d’activité est notée sur 20 points, subdivisée en 4 points pour l’activité professionnelle ou « occupationnelle » si la personne est sans emploi ou retraitée, 4 points pour les activités de loisirs (sports et hobbies), et 2 points pour le sommeil.

Les 10 points restants servent à apprécier les possibilités d’utiliser sa main plus ou moins haut.

Handicap professionnel ou occupationnel (0 à 4 points)

– Aucune gêne : 4 points.

– Travail impossible ou non repris : 0 point.

– Si difficultés : 1 à 3 points (3 = modérée, 2 = moyenne, 1 = importante).

– Si le patient a une activité professionnelle, c’est elle qu’il faut prendre en compte.

Dans le cas contraire (retraité[e], femme au foyer), c’est la capacité d’effectuer un travail physique que le patient doit noter : bricolage, ménage, repassage, etc.

Handicap dans les activités de loisirs (0 à 4 points)

Il est noté de 0 point (impossible) à 4 points (aucune gêne).

1 à 3 points : gêne (3 = modérée, 2 = moyenne, 1 = importante).

Gêne dans le sommeil (0 à 2 points)

– Aucune gêne : 2 points.

– Gêne modérée : 1 point (par exemple aux changements de position).

– Gêne importante : 0 point (douleurs insomniantes).

Niveau de travail avec la main (10 points)

Le patient doit apprécier à quelle hauteur il peut utiliser sa main sans douleur et avec une force suffisante.

– En dessous de la ceinture : 2 points.

– Entre ceinture et sternum : 4 points.

– Entre sternum et cou : 6 points.

– Entre cou et tête : 8 points.

– Au-dessus de la tête : 10 points.

B – ÉVALUATION OBJECTIVE (65 POINTS) :

Elle se fait sur 65 points : 40 points pour la mobilité et 25 points pour la force musculaire.

1- Mobilité (40 points) :

Les amplitudes à considérer sont celles qui sont possibles activement et sans douleur !

Attention à la position du tronc.

Le patient doit être assis.

Dans la rotation interne, la face dorsale de la main est placée le plus haut possible sur le dos par le patient lui-même (sans l’aide de l’examinateur !) et l’extrémité du pouce tendu indique le niveau.

2- Force musculaire (25 points) :

Elle se fait dans le plan de l’omoplate, c’est-à-dire à 30° d’antépulsion, sur un patient assis.

Il faut utiliser un dynamomètre dont la sensibilité est d’au moins 500 g fixé au poignet par une bande.

Il existe à présent des appareils dédiés à cette mesure comme l’Isobext mis au point par Gerber.

Le patient doit résister à la poussée vers le bas qu’imprime l’examinateur en maintenant son membre supérieur à 90° (à l’horizontal) pendant 5 secondes.

Le test est répété deux fois.

La moyenne en kilogrammes est inscrite sur la fiche.

Le maximum théorique est de 25 points pour une force de 25 livres ou 12 kg.

En réalité, la force maximale en élévation dépend du sexe et de l’âge du sujet (tables des valeurs normales établies par Constant) mais vous n’avez pas à en tenir compte et vous devez noter la valeur moyenne de vos deux mesures en kilogrammes sur la fiche.

La répétition des mesures est indispensable pour apprécier la fatigabilité de l’épaule.

Pour simplifier, convertissez la valeur en kilogrammes en points en multipliant par 2.

Ne pas oublier la mesure de la force controlatérale si l’épaule n’a pas été opérée !

Conclusion :

Ce score, par sa simplicité et sa rapidité à être établi, a conquis les spécialistes européens de l’épaule, médecins ou chirurgiens.

Il leur permet de communiquer entre eux et de comparer leurs résultats.

Son utilisation par les spécialistes de l’évaluation du préjudice et du dommage corporel au cours de leurs missions d’expertise mérite d’être considérée avec attention.

Des travaux spécifiques s’imposeraient alors à eux pour faire correspondre ce score fonctionnel, surtout lorsqu’il est utilisé en pondéré, avec les barèmes d’incapacité habituellement appliqués.

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