Complications neurologiques liées à l’alcool

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Complications neurologiques liées à l'alcool
Introduction :

L’alcool est une substance toxique associée à une morbidité et une mortalité significatives.

Son effet sur le système nerveux semble être provoqué par des facteurs complexes, multiples, variables selon les individus et pas tous élucidés.

Certains de ces effets neurotoxiques peuvent survenir lors de consommation aiguë d’alcool ou lors d’absorption chronique.

Toutes ces complications ont des répercussions socioprofessionnelles et économiques non négligeables.

Dans une population hospitalière, on estime qu’environ 10 à 20 % des admissions sont dues à des problèmes liés à la consommation d’alcool.

Certaines de ces manifestations neurologiques peuvent se manifester essentiellement lors de consommation aiguë, d’autres lors d’un alcoolisme chronique.

D’autre part, bon nombre de problèmes médicaux liés à une alcoolisation aiguë sont du ressort des urgences médicales.

C’est pourquoi l’arrivée dans un centre d’urgences d’un patient alcoolisé‚ avec des troubles de la vigilance, nécessite la mise en route immédiate d’investigations, comme pour n’importe quelle intoxication.

En effet, nombreux sont les états pathologiques qui peuvent mimer, compliquer ou accompagner l’alcoolisation aiguë ou chronique.

Pour éviter des confusions sémantiques, il convient de rappeler que le terme d’« alcoolisation » s’applique à toute absorption d’alcool, aiguë ou chronique, dont la forme aiguë correspond à l’ivresse pathologique.

Cette dénomination n’a donc aucune valeur normative.

En revanche, le terme d’alcoolisme sousentend une alcoolodépendance physique et psychologique.

Action de l’alcool sur le cerveau :

L’alcool traverse facilement la barrière hématoencéphalique permettant un équilibre rapide après l’absorption entre les concentrations sanguines et cérébrales.

Une intoxication se développe chez une personne non alcoolique avec un taux sanguin d’alcool entre 10 à 35 mmol/L et cette intoxication sera plus sévère selon le taux d’alcoolémie.

En pénétrant dans le cerveau, l’alcool a un effet sur les membranes cellulaires et sur les neurotransmetteurs.

Au niveau membranaire, son insertion dans les couches de phospholipides perturbe la fluidité membranaire et altère le fonctionnement de la cellule de façon dose dépendante.

Ces modifications membranaires vont se répercuter sur le fonctionnement des canaux ioniques, des neurotransmetteurs, de leurs récepteurs et des régulateurs de l’expression de gène.

D’autre part, l’oxydation de l’alcool induit la production de radicaux libres qui vont à leur tour favoriser la désorganisation structurale des membranes cellulaires.

La toxicité de l’alcool sur le système nerveux central serait liée à ces altérations membranaires, et plus spécifiquement aux perturbations des récepteurs des neurotransmetteurs, dont les récepteurs glutamatergiques et gabaergiques sont les plus importants.

Le glutamate est le principal neurotransmetteur excitateur du cerveau et ses récepteurs ont un rôle essentiel dans la différenciation neuronale, la plasticité synaptique et dans la mémoire.

Parmi ces récepteurs, le récepteur N-méthyl-D-aspartate (NMDA) est particulièrement sensible à l’alcool, qui agit sur son site à glycine.

L’effet inhibiteur de l’alcool est dose et temps dépendant, et il diminue l’influx électrique généré par l’action du récepteur NMDA.

Le blocage de ce type de récepteurs va diminuer la libération de neurotransmetteurs (dopamine, norépinéphrine) et la production de potentiels d’action postsynaptiques.

La sensibilité des récepteurs est variable et l’intoxication chronique rend le cerveau plus sensible à l’effet excitotoxique lié à la suractivation glutamatergique.

En effet, l’abus chronique d’alcool entraîne une augmentation du nombre de récepteurs NMDA dont la suractivation a des conséquences neurotoxiques, principalement lors du sevrage alcoolique.

L’acide gamma-amino-butyrique (GABA) est un neurotransmetteur inhibiteur dont il existe deux types principaux de récepteurs.

Leur activation engendre des potentiels d’inhibition postsynaptique.

Ces potentiels servent notamment à régulariser la transmission glutamatergique.

À nouveau, lors de consommation chronique d’alcool, ce type de récepteur est sujet à des modifications morphologiques et de nombre.

Il est donc probable que la diminution de la transmission gabaergique, en perdant ainsi sa fonction modulatrice de la transmission glutamatergique, va favoriser l’hyperexcitabilité cellulaire génératrice des crises de sevrage, par exemple, et de la neurotoxicité.

Les canaux calciques interviennent aussi dans les conséquences toxiques de l’alcoolisme chronique.

Toutes ces modifications synaptiques auront pour conséquence, en cas de sevrage, de provoquer une suractivation du système catécholaminergique responsable des troubles végétatifs et comportementaux.

De même, cette suractivation excitatrice va déclencher des crises d’épilepsie de sevrage et le delirium sera la conséquence de la stimulation du système dopaminergique.

Dans l’encéphalopathie de Gayet-Wernicke liée au déficit en thiamine, l’augmentation du glutamate extracellulaire provoquerait une neurodégénérescence excitotoxique.

Troubles métaboliques et alcoolisation aiguë :

Une consommation abusive et aiguë d’alcool peut entraîner trois troubles métaboliques principaux, tous susceptibles d’engager le pronostic vital du patient.

De telles anomalies sont donc à rechercher sans délai chez tout patient alcoolisé présentant des troubles de la vigilance ou un état comateux d’origine indéterminée.

L’acidocétose alcoolique se manifeste essentiellement chez les alcooliques chroniques dénutris, en période de jeûne.

L’accumulation de corps cétoniques va engendrer une acidose métabolique avec, comme conséquence neurologique, l’apparition d’une encéphalopathie métabolique.

Celle-ci se révélera par des troubles de vigilance, un état stuporeux, voire un coma.

L’oxydation de l’alcool accélère la production de nicotinamide adéninedinucléotide hydrogéné (NADH) au niveau hépatique, ce qui freine progressivement la néoglucogenèse à partir du pyruvate.

La production de glucose hépatique va donc chuter, conduisant ainsi à l’hypoglycémie.

Il s’agit d’une hypoglycémie avec cétonurie, mais sans glycosurie.

Elle est favorisée par la dénutrition et le jeûne. Généralement, l’hypoglycémie se manifeste par une altération de la vigilance, voire un coma ou des crises d’épilepsie.

Parfois, certains patients peuvent présenter un état confusoonirique ou d’agitation qui peut induire en erreur et retarder le diagnostic.

Des séquelles neurologiques peuvent subsister. L’hyponatrémie se voit chez les grands buveurs de bière.

La charge osmotique de cette boisson provoque rapidement une polyurie osmotique avec perte importante de chlorure de sodium (NaCl).

Ceci induit un bilan chlorosodé négatif responsable d’une intoxication à l’eau avec un oedème cérébral.

La correction trop rapide de cette hyponatrémie peut avoir des complications neurologiques gravissimes sous la forme d’une myélinolyse centropontine.

Il s’agit d’une démyélinisation de la protubérance avant tout, qui va se manifester par un syndrome tétrapyramidal et des signes pseudobulbaires.

La consommation aiguë d’alcool se manifeste habituellement par une ivresse banale caractérisée par un état euphorique, une excitation ou une désinhibition.

Si la consommation se poursuit, les propos deviennent incohérents, dysarthriques et des troubles de la marche s’installent avec une incoordination et une titubation, manifestations qui sont souvent à l’origine d’accidents ou de traumatismes.

Les troubles attentionnels, la prolongation du temps de réaction sont déjà présents avec une alcoolémie de 0,2 ‰.

En cas d’absorption massive d’alcool, une encéphalopathie peut s’installer sous la forme d’une obnubilation qui va évoluer vers un coma non réactif, et une dépression respiratoire dans les cas les plus graves.

Il existe une bonne corrélation entre l’alcoolémie et la gravité du tableau clinique.

Les doses létales correspondent à des taux sanguins d’alcool entre 3 et 4 g/L.

Mais ces doses létales sont variables en raison de la tolérance qui peut s’installer très rapidement, et généralement ces doses seront beaucoup plus élevées chez l’alcoolique chronique.

Encéphalopathie de Gayet-Wernicke ou de Wernicke-Korsakoff :

Wernicke fut le premier, en 1881, à décrire l’encéphalopathie qui porte son nom.

Il rapporta l’histoire médicale de deux alcooliques chroniques, et d’un patient souffrant de vomissements persistants, suite à l’ingestion d’acide sulfurique.

Ces trois patients présentaient des troubles de la vigilance progressifs qui aboutirent au décès.

L’autopsie révéla des hémorragies punctiformes affectant la substance grise autour du IIIe et du IVe ventricule et de l’aqueduc de Sylvius, anomalies qu’il désigna sous le terme de « polioencephalitis hemorrhagica superioris ».

À la même époque, Huss avait souligné, en 1852, la possibilité de la survenue de troubles mnésiques chez l’alcoolique.

C’est entre 1887 et 1891, que le psychiatre russe, Korsakoff, va considérer que les troubles de la mémoire et la polyneuropathie que présentent les alcooliques font partie de la même maladie, qu’il va désigner par le terme de « psychosis polyneuritica ».

Ce n’est qu’en 1897, sous l’impulsion de Murawieff, que l’on va admettre qu’il n’y a qu’une seule cause responsable de l’encéphalopathie deWernicke et de la psychose de Korsakoff.

La prévalence de l’encéphalopathie de Gayet-Wernicke est surtout basée sur les travaux anatomopathologiques.

Des études cliniques, les résultats sont souvent contradictoires car le diagnostic de ce syndrome est souvent manqué ou surévalué si on le considère comme la cause des détériorations neuropsychologiques des alcooliques.

En fait ce diagnostic n’a été posé cliniquement que chez 20 % de 131 cas autopsiés.

Il a été posé approximativement chez dix patients sur un million d’admissions psychiatriques.

En revanche, basé sur les admissions hospitalières, ce diagnostic serait posé chez 50 patients sur un million.

Ce syndrome se manifeste presque toujours chez l’alcoolique chronique dénutri et amaigri.

L’encéphalopathie sera déclenchée par tout ce qui favorise une inadéquation du régime alimentaire : vomissements, affections oesophagiennes, maladies intestinales, anorexie, dénutrition, alimentation parentérale inadéquate.

Elle survient plus fréquemment chez l’homme que chez la femme et elle se manifeste par la combinaison de troubles psychiatriques, oculomoteurs et cérébelleux.

Son installation est généralement progressive, précédée de troubles digestifs (nausées, vomissements), d’une asthénie et d’une perte de poids.

Il arrive parfois que le début soit brusque, surtout en cas de carence vitaminique aggravée par l’administration parentérale de glucides.

A – Troubles psychiques :

Ils se manifestent dans environ 90 % des cas, principalement sous la forme d’un état confusionnel chez un patient apathique, inattentif.

Le degré de la confusion va de la simple obtusion jusqu’à la confusion stuporeuse.

Le coma est rare.

Certains patients peuvent présenter des hallucinations, souvent zoopsiques, avec une agitation qui peut faire évoquer le diagnostic erroné d’un delirium tremens.

Les troubles du sommeil, et notamment des perturbations du rythme nycthéméral, ne sont pas rares.

On assiste généralement à une insomnie initiale qui évoluera au fil des heures vers une hypersomnie qui peut aboutir au coma.

Les troubles de la mémoire en phase aiguë sont souvent difficiles à évaluer en raison de la confusion et de l’impossibilité du patient à maintenir un discours cohérent.

Mais on note souvent une dissolution du souvenir récent avec une mémoire de fixation déficitaire.

Ce n’est que dans la phase chronique que le patient présentera typiquement une amnésie sévère caractéristique du syndrome de Korsakoff.

B – Troubles oculomoteurs :

Ce sont les signes les plus caractéristiques de cette encéphalopathie et qui permettent de conforter le diagnostic.

Malheureusement, ils ne sont présents que dans 20 à 50 % des cas.

Ils sont liés à une atteinte du nerf VI principalement, parfois du nerf III.

Le trouble peut être uni- ou bilatéral, symétrique ou non.

Des paralysies supranucléaires ou internucléaires sont également rapportées.

Initialement, ces troubles peuvent être fluctuants et faire songer au diagnostic de myasthénie.

L’atteinte de la musculature intrinsèque est rare.

Mais on a décrit une mydriase unilatérale, un myosis, une anisocorie, un affaiblissement du réflexe photomoteur.

Un nystagmus se manifeste typiquement dans l’encéphalopathie de Gayet-Wernicke, souvent précocement.

Son type est variable, fluctuant, souvent multidirectionnel.

Il peut manquer lors de la paralysie complète d’un nerf oculomoteur.

Le fond d’oeil est généralement normal.

Cependant, un oedème papillaire a été rapporté à titre exceptionnel, et il n’est pas rare de pouvoir visualiser des hémorragies rétiniennes, parfois péripapillaires.

C – Troubles cérébelleux :

Une ataxie cérébelleuse est aussi très fréquente, surtout dans la phase aiguë, et elle peut laisser des séquelles définitives.

Il s’agit avant tout d’une ataxie statique se manifestant par élargissement du polygone de sustentation à la marche.

Dans la phase aiguë, elle peut être si marquée que le patient n’arrive plus à se déplacer.

En revanche, la dysarthrie ou la dysmétrie des membres sont des signes plus rares et généralement moins sévères.

Il n’est pas rare qu’un syndrome cérébelleux persiste au stade séquellaire.

D – Autres troubles neurologiques :

L’évaluation du tonus révèle fréquemment un oppositionnisme ou une pseudorigidité.

Cette hypertonie est assez évocatrice du diagnostic d’encéphalopathie de Gayet-Wernicke.

Elle peut avoir un aspect oppositionnel ou pseudoparkinsonien, surtout à prédominance axiale.

L’hypotonie est aussi possible, mais très rare.

Le réflexe cutané plantaire peut parfois être en extension, avec ou sans hyperréflexie. Des signes frontaux sont également rapportés : libération de réflexes archaïques, persévérations, stéréotypies, comportement d’utilisation.

Les troubles végétatifs sont très fréquents et méritent d’être surveillés attentivement, surtout dans la phase aiguë.

Ils se manifestent avant tout par une tachycardie, une hypotension et des troubles de la régulation de la température corporelle et de la sudation.

En raison du caractère fluctuant de ces signes et symptômes, le diagnostic d’une encéphalopathie de Wernicke peut être difficile, surtout lorsque le tableau clinique est pauvre et monosymptomatique.

Cependant, dans le doute, il ne faut à aucun prix retarder l’introduction d’un traitement vitaminé.

E – Étiologie :

La cause de cette encéphalopathie est un déficit en vitamine B1, la thiamine.

En effet, les cerveaux autopsiés de patients avec une encéphalopathie de Gayet-Wernicke révèlent un sévère déficit en enzymes dépendant de la thiamine.

De même chez l’animal, une déficience en thiamine provoque les symptômes de l’encéphalopathie de Gayet-Wernicke.

Le déficit en thiamine est dû avant tout à son apport alimentaire insuffisant chez l’alcoolique chronique dénutri, bien que son métabolisme puisse être modifié en raison de prédispositions génétiques.

L’éthanol interfère directement ou indirectement avec l’absorption, le stockage et l’utilisation de la thiamine.

On pense que cette vitamine intervient dans le métabolisme de l’alcool au niveau de la carboxylation des corps cétoniques et de l’acide cétoglutarique, et que cette déficience causerait une augmentation de l’activité de l’alcool déshydrogénase, accélérant le métabolisme de l’alcool.

Cette vitamine joue également un rôle essentiel dans le métabolisme du glucose comme cofacteur dans l’activité du shunt des pentoses.

Il faut au moins un déficit de 70 % pour déclencher une encéphalopathie.

F – Traitement :

Le traitement consiste en l’administration par voie veineuse de thiamine, le plus rapidement possible et avant toute injection de glucose, ce dernier pouvant précipiter l’utilisation des dernières réserves de vitamine B1.

Les besoins quotidiens recommandés sont de 1 à 5 mg/j pour un adulte avec des réserves de thiamine normales.

Cela représente une protection pour une période de 18 à 35 jours environ.

Chez l’alcoolique, différents régimes de supplémentation sont proposés dans la littérature, généralement entre 50 et 500 mg/j, mais sans qu’il y ait de réel consensus sur la durée du traitement.

G – Neuropathologie :

Les anomalies pathologiques sont de localisations précises et bilatérales au niveau du tronc cérébral et de l’hypothalamus.

La lésion caractéristique est une nécrose affectant les neurones, les axones et la myéline à des degrés divers, qui s’étend dans la substance grise autour du IIIe ventricule, l’aqueduc de Sylvius et le IVe ventricule.

Les corps mamillaires sont toujours lésés et d’autres structures peuvent également être atteintes comme le thalamus, l’hypothalamus, la région périaqueducale mésencéphalique, le plancher du IVe ventricule et le vermis.

Bien que les corps mamillaires, l’hypothalamus et la partie médiane du thalamus soient touchés dans l’encéphalopathie de Gayet-Wernicke, la controverse subsiste concernant la lésion responsable de l’amnésie.

Se basant sur les résultats d’autopsies de 43 cerveaux, Victor et al estiment que l’atteinte du noyau dorsomédian du thalamus est essentielle pour déclencher les troubles mnésiques.

Cependant, il n’a jamais était rapporté de syndrome de Korsakoff lié à une lésion isolée de ce noyau thalamique.

C’est pourquoi il est généralement admis que les troubles mnésiques sont produits par l’atteinte combinée des corps mamillaires et du thalamus.

Selon d’autres études neuropathologiques, les troubles mnésiques pourraient être provoqués par l’atteinte du diencéphale et de l’hippocampe.

Mais les lésions à ce niveau ne sont pas constantes ; elles pourraient aussi expliquer les troubles du comportement.

Les études neuroradiologiques ont confirmé la présence de lésions du diencéphale dans le syndrome de Wernicke-Korsakoff et ont permis de révéler aussi une atteinte corticale au niveau des lobes frontaux et pariétaux, sous la forme d’une atrophie.

Syndrome de Korsakoff :

C’est la forme chronique de l’encéphalopathie de Gayet-Wernicke.

Elle se caractérise par un syndrome amnésique avec préservation relative des fonctions cognitives.

Les patients sont totalement incapables d’enregistrer une information verbale ou non verbale, d’apprendre les noms des personnes, les nouveaux faits, même après répétition et oublient les informations fournies quelques minutes auparavant.

Mais, en fait, il ne s’agit pas d’une perturbation de l’enregistrement immédiat des informations, puisque les patients sont capables de répéter les informations immédiatement.

En revanche, si une tâche distrayante est effectuée pendant quelques secondes, les performances vont nettement diminuer.

Ainsi, cette sensibilité accrue aux interférences est considérée comme la caractéristique de l’amnésie antérograde du syndrome de Korsakoff.

Cela suggère que les interférences surviennent parce que le patient est incapable d’inhiber les informations distrayantes au moment de la récupération d’une information précise.

Certains auteurs pensent que ce syndrome amnésique est dû à des difficultés à coder les attributs d’un stimulus.

Les patients analyseraient les signes phonémiques et associatifs, mais négligeraient les signes sémantiques.

Malgré les sévères déficits dans l’apprentissage, certaines zones de la mémoire sont préservées et notamment celle pour l’acquisition de nouvelles tâches motrices.

Les patients souffrant d’un syndrome de Korsakoff ont également une atteinte de la mémoire rétrograde, avec une altération de la capacité à retrouver les faits autobiographiques ou publics, surtout du passé récent.

Maladie de Marchiafava-Bignami :

Décrite pour la première fois en 1903 chez des buveurs de vin italiens, cette maladie est actuellement connue chez des gens de toutes nationalités consommant n’importe quelle boisson alcoolisée.

Son mécanisme demeure encore inconnu, mais il entraîne une démyélinisation progressive avec nécrose de la partie médiane du corps calleux et de la commissure antérieure.

Parfois les lésions peuvent s’étendre latéralement dans le centre semi-ovale, tout en respectant la capsule interne et le pied de la corona radiata, et également les fibres en U.

L’aspect histologique est similaire à celui de la myélinolyse centropontine et comme ces deux maladies peuvent survenir chez le même patient, on suspecte un même mécanisme étiopathogénique.

La plupart des patients souffrant de cette maladie sont alcooliques, dénutris ou souffrant d’une atteinte hépatique.

Toutefois, elle peut survenir également lors d’intoxication aux cyanures et même en l’absence d’alcoolisme.

Le début de la maladie peut être aigu, sous la forme d’un coma avec des crises d’épilepsie.

Généralement, on remarque une sévère hypertonie avec un mutisme akinétique.

Les formes lentement progressives arrivent au même tableau clinique entrecoupé d’épisodes évolutifs avec confusion, crise d’épilepsie et l’installation d’une hypertonie de plus en plus marquée conduisant à un état grabataire.

Selon Boudin et al, le tableau clinique caractéristique comporterait une démence, une hypertonie, une astasie-abasie et une dysarthrie.

L’examen neuropsychologique permet de mettre en évidence des signes de dysconnexion calleuse : apraxie unilatérale, anosmie, dysconnexion auditive et visuelle.

La résonance magnétique permet de confirmer le diagnostic par la mise en évidence de la démyélinisation du corps calleux.

L’évolution se fait sur 3 à 4 ans environ, mais des améliorations, tant cliniques que radiologiques, sont également rapportées.

Myélinolyse centropontine :

C’est une complication neurologique rare mais grave, principalement liée aux désordres électrolytiques (hyponatrémie) et à leur correction trop rapide. D’abord décrite chez l’alcoolique dénutri, elle peut se manifester en cas de cancer, d’hémopathie maligne, d’insuffisance rénale ou hépatique.

Il s’agit d’une démyélinisation pure affectant principalement la protubérance, mais qui peut s’étendre à la substance blanche sous-corticale.

Beaucoup de formes sont asymptomatiques et sont découvertes lors d’une autopsie.

Dans les formes symptomatiques, les patients présentent un syndrome pseudobulbaire caractérisé par des rires et des pleurs spasmodiques, une dysarthrie, une dysphagie, parfois un mutisme.

Une atteinte tétrapyramidale s’y associe, pouvant aboutir à une tétraplégie.

Il n’est pas rare que l’évolution se fasse vers un mutisme akinétique et se complique du décès du patient en 2 à 4 semaines.

Démence alcoolique :

Une démence alcoolique non liée aux causes décrites ci-dessus fait toujours l’objet d’une certaine controverse dans la littérature médicale.

De nombreuses études neuropsychologiques ont montré que les patients alcooliques chroniques développaient des troubles cognitifs, surtout frontaux, principalement caractérisés par une apathie et un bradypsychisme et qui s’associeraient à une atrophie frontale.

Ces troubles seraient proportionnels à la quantité d’alcool absorbée.

Ces signes peuvent régresser avec l’abstinence, alors que chez d’autres patients, ils peuvent évoluer vers une réelle démence. L’évaluation neuropsychologique détaillée révèle de légers troubles cognitifs chez 50 à 70 % des patients désintoxiqués, anomalies qui persisteront dans 10 % des cas malgré une abstinence totale.

L’étiopathogénie de cette démence est encore mal élucidée en raison du manque de critères cliniques précis, du peu d’études anatomopathologiques et de l’absence de mécanismes pathologiques acceptés.

En effet, les troubles cognitifs de l’alcoolique chronique sont souvent d’origine multifactorielle.

Tout d’abord l’alcool et ses métabolites peuvent léser directement le tissu cérébral.

La malnutrition, qui est souvent liée à l’alcoolisme chronique, est aussi une source de destruction cérébrale sous la forme d’une encéphalopathie de Gayet-Wernicke, dont le diagnostic est souvent manqué.

D’autres étiologies (traumatisme, hématome sous-dural chronique, artériosclérose, maladie d’Alzheimer) peuvent aussi rendre difficile l’appréciation de cette démence.

L’intrication de ces différents facteurs aggravants rend donc difficile l’appréciation de la toxicité directe de l’alcool sur le cerveau.

Cependant, il est actuellement admis que l’alcool entraîne une détérioration cognitive souvent paucisymptomatique, caractérisée avant tout par un syndrome frontomnésique.

Cette prédominance frontale est confirmée par les études radiologiques et anatomopathologiques qui révèlent une atrophie à prédominance frontale, affectant aussi bien la substance blanche que grise.

Dégénérescence cérébelleuse alcoolique :

Chez la plupart des alcooliques qui souffrent d’une ataxie cérébelleuse, il s’agit généralement des séquelles d’une encéphalopathie de Gayet-Wernicke.

Cependant, il est également admis qu’une dégénérescence cérébelleuse peut résulter de la toxicité directe de l’alcool sur le cervelet.

La pathologie révèle une perte des neurones corticaux, principalement les cellules de Purkinje, surtout au niveau du vermis.

Ces images histologiques sont similaires à celles que l’on voit dans l’encéphalopathie de Gayet-Wernicke, soulignant le fait que ces deux désordres sont souvent intriqués.

Cette dégénérescence peut être également visualisée par les examens neuroradiologiques qui révéleront une atrophie cérébelleuse, avant tout vermienne.

Cependant, il n’y a pas de corrélation entre les signes cliniques et radiologiques.

Les troubles cérébelleux s’installent généralement progressivement, bien qu’un début aigu puisse survenir lors d’infections ou d’un sevrage.

Les manifestations cliniques se caractérisent surtout par une ataxie statique avec un élargissement du polygone de sustentation, une démarche instable et une titubation du tronc.

Des troubles cérébelleux cinétiques sont plus rares, de même que la dysarthrie.

Une hypotonie, une dysmétrie oculaire sont des signes peu fréquents.

En revanche, cette ataxie se combine souvent avec une polyneuropathie.

En raison des bonnes capacités de réserve du cervelet, l’évolution de cette ataxie est lente.

Il n’est pas rare qu’elle se stabilise, voire même s’améliore avec l’abstinence et une amélioration de la nutrition.

Delirium tremens ou syndrome de sevrage alcoolique :

L’apparition d’un delirium tremens implique une diminution brusque ou complète de toute consommation d’alcool importante et régulière.

Le gradient cérébral de l’alcool sera déterminant dans l’apparition des symptômes de sevrage.

Ceux-ci seront encore précipités par des facteurs favorisants ou aggravants tels une infection, de la fièvre, un traumatisme ou une opération.

Le delirium tremens se manifeste selon quatre stades successifs de gravité croissante, pouvant conduire parfois au décès du patient.

Le premier stade se caractérise par l’apparition d’un discret tremblement d’attitude, une inappétence, des sudations surtout nocturnes.

Ce stade peut souvent passer inaperçu ou être mis sur le compte de la fièvre ou d’une anxiété.

Au stade suivant, le patient devient réellement anxieux, irritable, insomniaque avec un tremblement beaucoup plus marqué et qui se généralise.

Des sudations profuses s’accompagnent de nausées et de diarrhées.

Au troisième stade s’installe une confusion avec des hallucinations, généralement à composante zoopsique.

Le patient devient également de plus en plus agité, oppositionnel, tachycarde et peut parfois se plaindre de céphalées.

Finalement au dernier stade, on assiste à une accentuation de tous ces symptômes avec notamment des troubles végétatifs et l’apparition de crises d’épilepsie. Pour évaluer la sévérité du delirium ou de la réponse au traitement, différents scores peuvent être utilisés.

Le plus répandu est l’échelle CIWA-AR (Clinical InstituteWithdrawal Assessment).

Dès les premiers signes de sevrage, il importe de commencer rapidement un traitement pour éviter toutes complications (infection nosocomiale, crise d’épilepsie, décès), en assurant une bonne hydratation du patient et une vitaminothérapie.

Pour empêcher l’apparition ou diminuer les symptômes de sevrage, un traitement à base de benzodiazépine ou de clométhiazole per os est préconisé.

Les barbituriques, qui ont une longue durée d’action et qui sont très sédatifs, sont à éviter, de même que les neuroleptiques qui sont épileptogènes et qui peuvent produire une hyperthermie maligne.

Les benzodiazépines demeurent les substances de choix en raison de leur sécurité d’emploi et de leur efficacité.

Mais le choix entre une benzodiazépine à courte ou à longue durée d’action demeure encore controversé.

En effet, les résultats de deux études démontrent que les formes galéniques à longue durée d’action protègent mieux la mémoire et certaines fonctions cognitives que les benzodiazépines à courte durée d’action.

Cependant, les préparations à courte durée d’action sont plus avantageuses pour la personne âgée ou lors d’insuffisance hépatique.

De plus, leur utilisation par voie intramusculaire est déconseillée en raison de l’absorption aléatoire de la substance.

Pour débuter un traitement par une benzodiazépine pour un sevrage alcoolique, il faut utiliser des doses supérieures à celles qui sont généralement prescrites en cas d’anxiété, et la prescription se fera en fonction des symptômes.

Du point de vue pharmacologique, les benzodiazépines, tels le lorazépam, le témazépam, l’oxazépam, qui sont métabolisées par conjugaison plutôt que par oxydation, sont bien tolérées lors d’insuffisance hépatique.

En revanche, il est recommandé de diminuer la dose de moitié des benzodiazépines à métabolisme oxydatif lors d’hépatopathie.

De même, en cas d’insuffisance rénale, la concentration des métabolites actifs va s’accumuler pour la plupart des benzodiazépines.

Seuls le lorazépam et l’oxazépam n’ont pas cet inconvénient et peuvent être prescrits dans cette situation.

Cependant, il est recommandé de diminuer la dose de lorazépam de moitié et de 25 % celle de l’oxazépam si la clairance à la créatinine est inférieure à 10 mL/min.

Crises d’épilepsie et alcool :

L’alcool serait, pour certains auteurs, la cause exclusive de crises d’épilepsie ou simplement un facteur déclenchant.

Une consommation quotidienne de 50 à 300 g d’alcool multiplie le risque de crises par 10 par rapport à l’abstinent.

Bien que souvent liées au sevrage alcoolique, elles peuvent être la conséquence d’un traumatisme craniocérébral, d’une infection du système nerveux, de troubles métaboliques, d’une intoxication ou d’un sevrage médicamenteux.

A – Ivresse convulsivante :

Au cours d’une alcoolisation aiguë, une crise d’épilepsie généralisée peut survenir chez les buveurs occasionnels au moment où l’alcoolémie est élevée.

Il s’agit généralement de crises uniques qui ne se répètent pas en dehors d’un excès d’alcool.

Leur mécanisme est inconnu mais on suspecte que l’alcool diminue le seuil épileptogène chez des sujets prédisposés.

B – Crises de sevrage :

Le sevrage est la cause la plus fréquente de crises d’épilepsie chez l’alcoolique.

Il s’agit de crises d’épilepsie généralisées qui se manifestent dans les 12 à 24 heures qui suivent l’arrêt de la consommation d’alcool, souvent sous forme de salves de crises.

Un état de mal épileptique peut même survenir dans 1 à 7 % des cas.

Elles seraient provoquées par la suractivation du système glutamatergique.

Selon certains auteurs, la répétition de ce type de crises pourrait rendre le cerveau plus excitable selon un processus de kindling.

Selon ce modèle, Bartolomei et al ont développé une classification dynamique de ces crises.

Tout d’abord les crises se manifesteraient essentiellement lors d’un sevrage chez un patient encore jeune, stade où les complications neurologiques sont encore rares.

Avec la poursuite d’une consommation chronique d’alcool, les crises vont devenir plus fréquentes et non nécessairement liées au sevrage.

Et, finalement, les crises pourraient même survenir chez un patient qui serait devenu un abstinent total et définitif en raison de lésions cérébrales irréversibles liées à la toxicité de l’alcool qui diminuerait ainsi le seuil épileptogène.

C – Crises idiopathiques :

Elles surviennent de façon aléatoire après de nombreuses années de consommation d’alcool mais indépendamment du rythme d’ingestion.

Elles seraient liées aux modifications structurelles du cerveau dues à l’alcool.

Elles peuvent disparaître totalement avec l’abstinence. Il s’agit avant tout de crises d’épilepsie convulsives généralisées, brèves, souvent à prédominance clonique.

Si un point de départ focal de la crise est noté, il convient toujours d’exclure une lésion cérébrale sous-jacente.

Généralement, si les crises ne sont pas secondaires à une lésion, l’électroencéphalogramme intercritique est normal ou perturbé de manière non spécifique.

La présence de décharges paroxystiques sur les régions occipitales lors de la photostimulation se voit lors d’intoxication alcoolique.

D – Traitement des crises :

Aucun traitement n’est justifié pour l’ivresse convulsivante, hormis l’arrêt des libations.

Les crises de sevrage seront traitées ponctuellement par des benzodiazépines, substances qui sont également utiles pour diminuer les symptômes de sevrage.

En dehors de ces deux causes de crises, et après avoir exclu une cause sous-jacente susceptible d’induire des crises, la mise en route d’un traitement antiépileptique est justifiée si les crises sont fréquentes, tout en sachant qu’on peut se heurter à trois problèmes :

– une compliance souvent médiocre qui risque d’accroître le risque d’un état de mal à l’arrêt du médicament antiépileptique ;

– une modification du métabolisme des antiépileptiques par l’alcool, notamment du phénobarbital ;

– un risque de dépendance médicamenteuse selon le médicament choisi.

Accident cérébrovasculaire et alcool :

Le rôle de l’alcool sur l’incidence des maladies cérébrovasculaires demeure toujours controversé.

Toutefois, l’alcool est considéré par le Subcommittee of the Stroke Council on Risk Factors comme un facteur de risque cardiovasculaire.

En réalité, la consommation d’alcool augmente le risque de complications cérébrovasculaires de façon dose dépendante et selon une courbe en forme de J.

Des données épidémiologiques, il ressort que lors d’une consommation quotidienne ne dépassant pas 1 à 2 verres standards, l’alcool a un effet protecteur.

Au-delà de cette consommation, le risque suit immédiatement une courbe ascendante ayant la forme d’un J.

Le rôle protecteur de l’alcool serait lié aux substances phénoliques qui inhibent l’oxydation des LDL (low density lipoproteins).

Cet effet bénéfique serait encore plus marqué dans les pays méditerranéens où la diète est généralement plus riche en acides gras polyinsaturés.

De plus, la consommation modérée d’alcool n’agit pas seulement sur le métabolisme des lipides en augmentant le taux protecteur du HDL (high density lipoproteins)-cholestérol, mais diminue également le taux de fibrinogène et augmente le rapport prostacycline/thromboxane.

En revanche, l’abus chronique d’alcool induit le développement d’une hypertension artérielle, d’une cardiomyopathie, de troubles du rythme cardiaque, de troubles de la crase ou une augmentation de la viscosité sanguine.

Ces modifications sont susceptibles d’induire des accidents cérébrovasculaires, aussi bien ischémiques qu’hémorragiques.

1- Ramollissements ischémiques :

Leur mécanisme étiopathogénique chez le jeune sans facteur de risque cardiovasculaire connu est généralement une embolie à point de départ cardiaque liée à des troubles du rythme cardiaque survenant lors du sevrage alcoolique suite à une alcoolisation aiguë.

En revanche, chez l’alcoolique chronique, le risque d’un infarctus cérébral est directement lié à l’alcool et à ses effets délétères, indépendamment des autres facteurs de risque généralement associés, tel le tabac.

2- Hémorragies intraparenchymateuses :

Elles sont favorisées par l’hypertension artérielle qui augmente avec la quantité d’alcool consommée.

Ce type de complications hémorragiques est encore plus fréquent chez les patients cirrhotiques.

3- Hémorragies sous-arachnoïdiennes :

Elles sont provoquées par la rupture d’un anévrisme consécutif à un traumatisme ou à une manoeuvre deValsalva, facteurs qui sont fréquents chez l’alcoolique.

4- Mécanismes étiopathogéniques :

L’hypertension artérielle est un des principaux facteurs de risque d’accidents cérébraux vasculaires chez l’alcoolique.

En effet, l’alcool favorise l’élévation de la tension artérielle en provoquant une activation du système adrénergique et la production de cortisol et d’aldostérone.

Des troubles du rythme cardiaque peuvent se manifester lors d’ingestion aiguë d’alcool, en raison de désordres du métabolisme et de la stimulation du système catécholaminergique, surtout au moment du sevrage.

Lors de consommation chronique, une cardiomyopathie peut se développer et se compliquer d’une fibrillation auriculaire ou d’autres troubles du rythme cardiaque. Les troubles de la crase sont également fréquents chez l’alcoolique chronique et notamment les anomalies des fonctions plaquettaires.

La cirrhose favorise la thrombocytopénie et l’arrêt d’une consommation prolongée ou d’excès aigus d’alcool peut provoquer une thrombocytose de rebond.

La cirrhose induit aussi des déficits de tous les facteurs de la coagulation, surtout les facteurs VII et X. L’alcoolisme entraîne une augmentation de l’hématocrite et du fibrinogène.

Ces facteurs accroissent la viscosité sanguine et favorisent la réduction du débit sanguin cérébral.

Myopathie alcoolique :

Il s’agit certainement de la complication neurologique liée à l’alcool le moins connue, alors que l’on estime qu’environ deux tiers des alcooliques chroniques présentent une myopathie.

Il en existe deux formes principales, une d’installation aiguë, l’autre chronique.

A – Myopathie alcoolique aiguë :

Il s’agit d’une myopathie nécrosante qui peut s’installer en 24-48 heures dans un contexte de myalgies avec un déficit musculaire focal ou asymétrique.

Les muscles incriminés sont souvent tendus, oedémateux et douloureux à la palpation.

Elle affecte principalement la musculature des ceintures, surtout pelvienne.

Elle peut parfois être très étendue et entraîner une dysphagie.

L’atteinte de la musculature cardiaque peut se révéler sous la forme d’une cardiomyopathie congestive.

Ce type de myopathie se voit surtout chez les grands alcooliques de sexe masculin entre 40-60 ans, et elle est avant tout déclenchée par des abus massifs d’alcool.

Elle est cependant rare et ne surviendrait que chez environ 1 % des alcooliques chroniques.

Elle est à distinguer de la myopathie alcoolique aiguë hypokaliémique ou hypophosphatémique qui se manifeste par une parésie proximale indolore.

Toutefois, il peut arriver que la myopathie alcoolique aiguë puisse être asymptomatique et n’être décelée que par l’augmentation des enzymes musculaires.

De même un épisode aigu peut également survenir chez un patient avec une myopathie chronique.

Du point de vue sanguin, les enzymes musculaires (CPK [créatine phosphokinase]) et la myoglobine ou ses dérivés sont augmentés comme dans une rhabdomyolyse, et peuvent mettre en péril le pronostic vital.

Il peut en effet en résulter une néphropathie aiguë de type nécrose tubulaire aiguë.

L’abstinence demeure le meilleur traitement de cette forme de myopathie. Le rôle des facteurs nutritionnels dans la récupération est peu clair, mais une diète adéquate doit être assurée.

La récupération se fait généralement en quelques semaines ou mois.

B – Forme chronique :

Cette forme insidieuse de myopathie s’installe en quelques semaines ou mois, de façon indolore le plus souvent.

Elle entraîne également une faiblesse musculaire proximale, surtout au niveau des membres inférieurs, avec une relative préservation des réflexes ostéotendineux.

Les muscles sont souvent douloureux à la palpation.

Elle est observée également chez les grands buveurs de sexe masculin et elle peut succéder à une forme aiguë. Des chutes, une instabilité à la marche, des difficultés à monter les escaliers, des crampes sont souvent les premières manifestations.

Dans les cas de myopathie prouvée, il existe une atrophie musculaire à l’examen clinique.

Même si le déficit de force est surtout proximal, l’ensemble des muscles est affecté, avec une masse musculaire totale qui peut diminuer d’un tiers.

Chez 10 à 30 % des patients, les enzymes musculaires sont élevées et les signes électromyographiques d’une myopathie sont détectés chez 10 à 50 % des patients.

La myopathie serait plus fréquente lors d’une atteinte d’un autre organe, notamment le foie et le coeur.

Chez les patients avec une cardiomyopathie dilatée, l’incidence d’une myopathie prouvée histologiquement serait de 82 %.

Environ 20 % des cas avec une myopathie prouvée histologiquement ne ressentent pas de déficit fonctionnel de leur force, alors qu’ils ont une atrophie et une faiblesse musculaire à l’examen clinique. Dans ce cas, les enzymes musculaires sont dans des valeurs normales.

L’arrêt de toute consommation d’alcool demeure le seul traitement possible. Si l’abstinence est obtenue, la récupération partielle ou complète se fera sur une période de 2 à 12 mois dans la plupart des cas.

C – Aspects histologiques :

Histologiquement, il s’agit d’une myopathie qui se caractérise par une diminution du diamètre des fibres musculaires de type II, principalement le type IIb.

Il s’agit des fibres à contraction rapide, fonctionnant grâce au métabolisme anaérobique glycolytique, et pauvres en mitochondries. L’atrophie de ce type de fibres se verrait chez environ 30 à 50 % des alcooliques chroniques.

Elle ne doit pas cependant être tenue comme un critère absolu de diagnostic puisqu’elle est observée dans toutes les myopathies métaboliques et la cachexie.

La myocytolyse est un signe plus spécifique de la myopathie alcoolique, et elle se caractérise par une dégénérescence et une dissolution des myofilaments (ghost fibers) avec ou sans phagocytose.

Des anomalies plus rares sont également décrites sous la forme d’infiltrats inflammatoires interstitiels, de fibrose interstitielle, de phagocytose, de dépôts endomysiaux de lipides, d’agrégats tubulaires.

D – Physiopathologie :

L’alcool altère la fluidité membranaire et la contractilité membranaire en agissant sur les mécanismes calcium dépendants ou indépendants en interférant avec le couplage actine-myosine.

Au niveau des fibres musculaires, l’alcool diminue d’environ 15 à 30 % le taux de synthèse des protéines, sans altérer la dégradation de ces protéines.

Cette perturbation peut même persister après l’arrêt de toute consommation d’alcool.

Ce défaut de synthèse va entraîner une perte de poids, augmenter l’excrétion urinaire des dérivés nitrés, altérant ainsi le métabolisme protéique de tout le corps.

La toxicité des radicaux libres est aussi incriminée dans la myopathie alcoolique.

Selon les résultats de certaines études, les alcooliques avec une myopathie auraient un taux de sélénium et d’alphatocophérol plus bas que les alcooliques non myopathes, ce qui laisserait suggérer un mécanisme toxique lié aux radicaux libres.

De plus, il ne semble pas que cet effet antioxydant soit lié à la malnutrition, car une myopathie peut survenir chez un alcoolique avec un apport nutritionnel adéquat.

L’alcool pourrait également jouer indirectement son rôle toxique sur les fibres musculaires de type II en perturbant l’équilibre hormonal et en stimulant la production de glucocorticoïdes (pseudo-Cushing’s syndrome).

Mais cette hypothèse est encore débattue car cet effet ne se verrait qu’avec de très hautes doses d’alcool.

Au reste, l’atteinte hépatique ne semble pas jouer de rôle dans la genèse de la myopathie alcoolique, de même que la malnutrition, qui n’est retrouvée que chez environ 2 % des alcooliques myopathes.

Polyneuropathie alcoolique :

Dans les pays occidentaux, l’alcool représente la deuxième cause de polyneuropathie.

Cependant, il persiste toujours la controverse de savoir si la neuropathie est liée à une toxicité directe de l’alcool ou à la malnutrition, voire à la combinaison des deux.

De nombreux auteurs ont privilégié le facteur nutritionnel dans la genèse de la neuropathie alcoolique.

En revanche, les travaux cliniques et histologiques de Behse et Buchtal démontrèrent qu’il n’existe pas de différences cliniques entre la neuropathie de l’alcoolique dénutri et celle de l’alcoolique bien nourri.

Il existe cependant des différences histologiques qui semblent confirmer que la malnutrition n’est pas la seule cause étiologique de la neuropathie alcoolique.

Malgré des études cliniques et expérimentales plus récentes, les résultats demeurent équivoques quant au rôle direct de l’alcool dans la genèse d’une neuropathie.

Toutefois, il est certain que le déficit vitaminique n’est pas suffisant pour engendrer une neuropathie alcoolique étant donné l’absence d’amélioration clinique avec un supplément vitaminé chez la plupart des alcooliques avec une neuropathie.

Par conséquent, le diagnostic de neuropathie alcoolique sera retenu après l’exclusion d’une autre cause étiologique potentielle.

1- Polyneuropathie chronique :

Elle survient chez environ 10 à 50 % des alcooliques chroniques.

Les premiers symptômes se manifestent progressivement au niveau des membres inférieurs de façon symétrique, par des paresthésies et des douleurs.

Les patients se plaignent d’une sensation de pieds froids, de brûlures ou de lancées dans les extrémités, de crampes et d’une fatigabilité à la marche. Une instabilité à la marche sera également ressentie, liée à l’atteinte de la sensibilité profonde et à la dégénérescence cérébelleuse.

Les troubles vont progressivement prendre un caractère ascendant et affecter également les mains.

À ce niveau, la sensation paresthésiante est souvent indolore, mais une perte de la dextérité des doigts peut handicaper les patients.

L’examen clinique révèle initialement une hyporéflexie ou une aréflexie achilléenne associée à une hypopallesthésie et une hyperhidrose des pieds.

Avec la progression de la polyneuropathie commence une perte de la sensibilité douloureuse distalement, qui peu à peu va englober toutes les modalités sensitives avec une distribution en « gants et en chaussettes ».

Souvent, il y a une hyperpathie douloureuse initialement au toucher superficiel puis à la palpation musculaire ou des tendons.

Les troubles végétatifs sont aussi présents sous la forme d’une perte de la pilosité, de troubles trophiques des ongles et de la peau avec une anhidrose, d’une dysrégulation tensionnelle.

Ces troubles végétatifs peuvent être parfois très sévères avec un risque d’arythmies cardiaques.

Une amyotrophie musculaire distale et symétrique avec faiblesse se manifestera également d’abord aux membres inférieurs puis au niveau des mains.

Les signes électromyographiques sont compatibles avec une polyneuropathie axonale caractérisée par une réduction de l’amplitude des potentiels d’action sensitifs et moteurs, et par un ralentissement modéré des vitesses de conduction.

L’électromyographie de détection révèle typiquement des signes de dénervation symétrique dans la musculature distale.

La dégénérescence axonale de ce type de polyneuropathie est confirmée par les biopsies nerveuses.

Le traitement implique évidemment l’arrêt de la consommation d’alcool et la reprise d’une alimentation adéquate, surtout en protéines, combinée à un supplément en vitamines du groupe B.

Sous ce traitement, le pronostic est bon en l’espace de quelques mois lorsque la polyneuropathie est modérée.

Mais cette récupération peut être souvent décevante en raison d’autres comorbidités associées ou d’une non-abstinence.

2- Polyneuropathie aiguë :

Elle se manifeste essentiellement chez l’alcoolique chronique, dénutri avec une perte pondérale de plus de 10 kg.

Elle est favorisée par une infection intercurrente ou par un problème digestif.

Elle s’installe de façon subaiguë en 24 heures sous la forme d’une paraparésie amyotrophiante, flasque, aréflexique avec une perte des modalités sensitives.

Bien souvent, elle s’associe à une encéphalopathie de Gayet-Wernicke.

Elle peut faire évoquer le diagnostic d’un syndrome de Guillain-Barré, mais l’examen du liquide céphalorachidien est normal.

À nouveau, il s’agit d’une polyneuropathie axonale dont le traitement est similaire à celui de la forme chronique.

La récupération prendra plusieurs mois et souvent les troubles sensitifs peuvent persister.

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