Communications bucco-naso-sinusiennes

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Communications bucco-naso-sinusiennes
Introduction :

Les communications bucco-naso-sinusiennes (CBNS) (oro antral or nasal fistula dans la littérature anglo-saxonne), solution de continuité ostéomuqueuse entre la cavité buccale et le sinus maxillaire ou la fosse nasale, sont dues le plus souvent à une extraction dentaire et donc iatrogènes.

En l’absence de fermeture spontanée, le traitement est chirurgical.

Les CBNS secondaires à la chirurgie carcinologique faciale posent de difficiles problèmes de reconstruction.

Les CBNS liées aux fentes faciales ainsi que les techniques de reconstruction après traumatisme balistique ne sont pas étudiées dans cet article.

Étiologie :

A – CAUSES IATROGÈNES :

La cause la plus fréquente est l’avulsion d’une dent. L’existence d’un grand sinus maxillaire et/ou de racine dentaire intrasinusienne favorisent la création de la fistule.

La dent est le plus souvent située sur l’arcade : par ordre de fréquence, la première molaire, la deuxième molaire et la deuxième prémolaire.

L’effraction est liée à un geste excessif, soit de la curette, soit du syndesmotome en milieu infecté. Une racine dentaire, voire toute la dent, peut être refoulée dans le sinus maxillaire ; dans ce cas, la communication est alvéolaire.

La dent peut être incluse, dent de sagesse supérieure mais aussi canine et prémolaire.

L’exérèse de kystes apicaux après extraction de la dent causale peut être à l’origine d’une communication buccosinusienne le plus souvent vestibulaire.

La persistance d’une infection sinusienne après abord antérieur du sinus maxillaire peut entraîner une fistule vestibulaire, en cas d’incision trop basse ou d’absence de décalage des plans musculopériostés et muqueux.

B – AUTRES CAUSES :

1- Traumatiques :

Le traumatisme balistique dans le cadre de tentative d’autolyse est responsable de lésions particulièrement complexes.

2- Tumorales :

Le cancer de l’infra- et de la mésostructure, les granulomes malins centrofaciaux (lymphomes à cellules T), le myélome multiple sont susceptibles, au cours de leur évolution, de provoquer une communication buccosinusienne.

La prise en charge thérapeutique de ces lésions crée souvent de très vastes communications.

L’ostéoradionécrose du maxillaire supérieur, après traitement radiothérapique d’une tumeur de l’étage moyen de la face, est exceptionnelle ; il faut dans ce cas toujours soupçonner une nonstérilisation ou une récidive.

3- Inflammatoires et infectieuses :

La maladie de Wegener, l’actinomycose et plus récemment l’infection au virus de l’immunodéficience humaine (VIH) peuvent provoquer une CBNS.

Anatomopathologie :

A – SIÈGE :

Il existe trois localisations principales par ordre de fréquence :

– alvéolaire : secondaire à l’avulsion d’une dent : soit molaire, « dent du sinus », soit dent de sagesse ;

– palatine : rare, après l’avulsion d’une dent incluse en position palatine ou l’exérèse d’un kyste d’une incisive latérale, la communication est alors bucconasale ;

– vestibulaire : devenue exceptionnelle, après trépanation antérieure maxillaire ou résection apicale d’un kyste radiculodentaire.

B – TAILLE :

La perte de substance est très limitée dans le cadre des communications d’origine dentaire.

C – ASPECT :

Les bords de la perforation peuvent être très nets avec un aspect fibreux et une épithélialisation du trajet fistuleux, ce qui traduit une fistule ancienne organisée qui n’est pas susceptible de se fermer spontanément.

Les berges peuvent être inflammatoires avec un tissu de granulation plus ou moins exubérant, et issue éventuelle de pus en provenance de la cavité sinusienne.

Il s’agit dans ce cas d’un processus infectieux avec un risque d’ostéite du fragment osseux situé au bord de la perforation.

D – ÉTAT DES STRUCTURES PÉRILÉSIONNELLES :

Cet état doit être analysé minutieusement car de lui dépendent les possibilités thérapeutiques : les dents présentes sur l’arcade, en particulier les dents au voisinage de la communication, doivent être explorées et traitées selon leur état.

La muqueuse de la cavité sinusienne peut être le siège d’une infection qu’il faut traiter, éradiquer avant toute tentative de fermeture.

E – DIAGNOSTIC :

Il est le plus souvent aisé ; les signes d’appel sont fonction de la taille de la fistule et de son siège.

Les communications buccosinusiennes vestibulaires sont peu bruyantes, surtout si elles sont haut situées, car les muqueuses jugale et labiale les obturent à la manière d’un clapet.

Les communications buccosinusiennes palatines sont les plus gênantes du fait des lois de la pesanteur et de l’écoulement sinusien éventuel.

Les signes d’appel les plus fréquents sont un retard de cicatrisation alvéolaire après extraction dentaire qui se traduit par une fuite d’air buccale lors du mouchage ou fuite nasale lors de la succion.

En fonction de l’infection, un écoulement anormal, purulent, par la fistule est constaté.

Les troubles de l’alimentation avec un reflux des liquides par le nez suivis d’un écoulement buccal ou pharyngé postérieur fétide sont beaucoup plus rares et en lien avec des fistules plus importantes.

Le nasonnement n’est observé que lors de très large communication et est lié à une anomalie de la caisse de résonance.

F – EXAMEN CLINIQUE :

Celui-ci est réalisé après avoir recherché des antécédents ayant pu provoquer la communication buccosinusienne.

Un examen attentif associé à un éclairage permet de retrouver l’orifice de la CBNS ; lorsque celle-ci est particulièrement minime, il faut s’aider de la manoeuvre de Valsalva pour mettre en évidence une petite communication par laquelle l’air sort en sifflant ou en entraînant des bulles plus ou moins mucopurulentes.

La palpation avec un stylet permet de préciser le trajet de la communication.

Une fois la fistule reconnue, une étude attentive des structures voisines est réalisée en vue de préparer la prise en charge thérapeutique.

L’état nasosinusien est précisé par la rhinoscopie et la fibroscopie nasale associée à une sinusoscopie sous anesthésie locale qui permet d’apprécier l’état de la muqueuse sinusienne et réaliser des prélèvements pour étude bactériologique éventuelle.

Les cultures, lorsqu’elles sont positives, mettent en évidence, soit une association bactérienne aérobie et anaérobie, soit une culture aérobie.

Si la communication est particulièrement large, l’exploration de la cavité sinusienne est réalisée à l’aide d’un fibroscope souple.

La denture, en particulier les mobilités dentaires, sont précisées.

En cas de suspicion de lésion tumorale, l’examen oto-rhinolaryngologique recherche une éventuelle adénopathie satellite ; une biopsie est systématique sur le trajet fistuleux ; un prélèvement sanguin recherche un éventuel facteur défavorable (diabète) et en cas de suspicion, une sérologie VIH est pratiquée.

G – EXAMEN RADIOGRAPHIQUE :

Le bilan nécessite trois clichés :

– un cliché rétroalvéolaire pour apprécier les dents adjacentes ;

– un panoramique dentaire pour dépister les atteintes dentaires associées ;

– une tomodensitométrie qui permet de faire le bilan de l’état sinusien. En cas de suspicion d’ostéite, un « denta-scan » apprécie l’existence et l’extension de celle-ci.

Traitement :

A – TRAITEMENT PRÉVENTIF :

La majorité des CBNS étant d’origine iatrogène, une prévention a permis d’en diminuer la fréquence.

Avant toute extraction dentaire, les rapports entre la dent à extraire et la cavité sinusienne doivent être précisés afin de dépister les extractions à risque et proscrire les curetages à l’aveugle.

En cas de solution de continuité constatée après l’extraction, une suture muqueuse en l’absence d’infection sinusienne facilite la cicatrisation.

Lors de la constatation de la pénétration intrasinusienne d’une racine d’une dent, aucun geste à l’aveugle par la fistule ne doit être réalisé.

La fermeture muqueuse associée à la récupération de la racine de la dent par voie de méatotomie est pratiquée.

Lors d’un abord antérieur par la technique dite de Caldwell-Luc du sinus maxillaire, un décalage entre le plan muqueux et musculopériosté permet d’éviter toute fistule vestibulaire.

En cas de disjonction post-traumatique maxillaire, la réduction orthopédique doit être la plus parfaite possible pour éviter des décalages, sources de fistule.

B – TRAITEMENT CURATIF :

La majorité des CBNS de petite taille (1 à 2 mm de diamètre) cicatrisent spontanément s’il n’y a pas d’infection sinusienne.

En revanche, si la perte de substance est de plus de 5 mm et si elle est présente depuis plus de 3 semaines, la prise en charge chirurgicale est indispensable car la fistule est épithélialisée.

C – IMPÉRATIF :

Quelle que soit la technique utilisée, deux principes intangibles doivent être observés :

– les cavités nasosinusiennes doivent être libres de toute infection avec un drainage satisfaisant ; cet impératif peut rendre nécessaire un geste au niveau des fosses nasales ou du sinus ; la voie endoscopique est systématiquement préférée ;

– la fermeture doit se faire sans tension ; les lambeaux doivent avoir une large base d’implantation avec une bonne vascularisation.

D – TECHNIQUES CHIRURGICALES :

Dans la mesure où la communication touche deux épithéliums différents, l’épithélium respiratoire cilié de la cavité sinusienne ou nasale et l’épithélium malpighien de la cavité buccale, la fermeture doit toujours intéresser les deux muqueuses.

La réfection osseuse n’intervient alors que dans des cas très particuliers : grande perte de substance, rehaussement de crête alvéolaire pour un port éventuel de prothèse.

1- Fermeture de la muqueuse rhinosinusienne :

Elle fait appel à deux types de lambeaux :

– lambeau de fibromuqueuse buccale par la réalisation d’une collerette ou d’un retournement de la fibromuqueuse sur le plan nasal ;

– lambeau de muqueuse nasale aux dépens du septum en cas de communication paramédiane.

2- Fermeture de la muqueuse buccale :

Il s’agit du temps essentiel et plusieurs types de lambeaux sont couramment utilisés.

* Lambeau de muqueuse vestibulaire :

Deux incisions divergentes sont réalisées à partir des bords de la perte de substance osseuse ; un lambeau mucopériosté trapézoïdal est élevé et vient obturer la fistule.

* Lambeau de la boule graisseuse de Bichat :

Prélevé par une incision vestibulaire, le lambeau (avec son pédicule vasculaire) recouvre la perte de substance aux berges desquelles il est suturé.

Ce procédé est particulièrement fiable.

* Lambeaux de langue :

En fonction de la vascularisation de la langue, des lambeaux à pédicules antérieurs ou postérieurs ont été utilisés.

Ces lambeaux sont très fiables compte tenu de leur vascularisation.

Ils peuvent obturer de grandes pertes de substance.

Ils présentent cependant un inconvénient majeur, la nécessité d’une section du pédicule qui doit intervenir environ 3 semaines après la mise en place du lambeau.

Outre l’inconfort pendant 2 semaines, une deuxième intervention est nécessaire.

* Lambeaux palatins :

Ces lambeaux sont à pédicules postérieurs compte tenu de la vascularisation palatine.

Il s’agit de lambeaux de pleine épaisseur utilisant la fibromuqueuse palatine qui est translatée pour obturer la perte de substance.

Ces lambeaux laissent une zone cruentée osseuse qui est rapidement recouverte.

La réépithélialisation de la zone donneuse est source d’inconfort et nécessite parfois le recours à une plaque palatine.

E – LAMBEAUX À DISTANCE :

Les lambeaux cervicofaciaux peuvent être utilisés :

– lambeaux nasogéniens à base désépithélialisée ;

– lambeau temporo-myo-fascial.

Tous ces lambeaux sont réservés à des pertes de substance importantes. Ils ont tendance à être abandonnés au profit des lambeaux libres.

Indications thérapeutiques :

Ces indications dépendent de plusieurs éléments : la taille, la topographie et l’étiologie étant les éléments essentiels.

– Petite perforation inférieure à 2 cm : les autoplasties locales aux dépens du vestibule buccal ou de la voûte palatine associées à la réalisation d’un plan profond par la technique de la collerette assure une fermeture de bonne qualité.

– Perforation de taille intermédiaire, supérieure à 2 cm : dans ce cadre, il faut préférer aux autoplasties locales la plastie par la boule graisseuse de Bichat dont l’épidermisation se fait sans difficulté.

Communications bucco-naso-sinusiennes secondaires à une exérèse tumorale :

Les pertes de substance maxillaire et palatine liées à la chirurgie carcinologique créent de larges CBNS souvent associées à une exérèse de segments osseux dentés.

Les séquelles de cette chirurgie sont lourdes : troubles de phonation, troubles de l’alimentation et préjudice esthétique plus ou moins important.

Ces pertes de substance liées à une maxillectomie limitée, une hémimaxillectomie ou une maxillectomie étendue à l’orbite sont traditionnellement comblées par une prothèse obturatrice qui permet le retour à une phonation et à une alimentation plus ou moins satisfaisantes.

Les difficultés de fixation de la prothèse, une résorption osseuse secondaire sont à l’origine de fuites aériennes (nasonnement), fuite alimentaire et de régurgitation nasale.

L’importance des pertes de substance, la nécessité de surveiller la cavité afin de dépister d’éventuelles récidives n’ont, pendant de nombreuses années, pas favorisé le développement de techniques chirurgicales.

Les lambeaux locaux sont insuffisants ; les lambeaux cervicofaciaux (lambeaux temporo-pariéto-frontaux ou lambeaux myo-facio-pariétaux) ont été utilisés mais ils sont limités par la quantité de tissu disponible et la longueur du pédicule.

Le développement des lambeaux libres microanastomosés apporte une réponse à ces difficultés.

La technique fiable permet la fermeture de la communication en un temps.

Le lambeau libre peut être plus ou moins composite : peau, tissu mou, os.

Il n’y a pas de limitation du fait de la longueur du pédicule ou de l’orientation des tissus. Plusieurs sites donneurs sont utilisés :

– lambeau antébrachial à pédicule radial, « lambeau chinois ».

Il est essentiellement utilisé pour les résections limitées, tant palatines que de l’arc maxillaire ;

– lambeaux libres microanastomosés de grand dorsal et de grand droit.

Ils sont particulièrement intéressants car ils permettent de séparer la cavité buccale des cavités nasosinusiennes, mais aussi d’apporter une quantité importante de tissu pour combler des pertes de substance des régions jugales et malaires quand l’exérèse s’est étendue à ces régions.

Le pédicule de ces deux lambeaux est long et permet une anastomose facile au niveau du cou sans greffe veineuse complémentaire.

Le souci de reconstituer des pertes de substance osseuse conduit à utiliser des lambeaux libres composites ostéo-myo-cutanés : lambeau parascapulaire, lambeaux de crête iliaque, lambeau de péroné.

Les critères de sélection de ces lambeaux sont très variables.

En cas de perte de substance limitée à l’hémipalais, avec possibilité de prothèse dentaire complémentaire, un lambeau myocutané simple (grand droit ou lambeau antébrachial) serait le meilleur choix.

En cas d’exérèse importante (exérèse palatine large, hémimandibulectomie étendue à la région malaire ou à l’orbite), un lambeau ostéo-myo-cutané de péroné avec une greffe veineuse complémentaire pour obtenir un pédicule suffisant est préférable.

Quelles que soient les techniques utilisées, ces différents lambeaux ont considérablement modifié la qualité de vie des patients.

La fonction phonatoire est préservée, le préjudice esthétique est limité, la fonction masticatoire peut parfois même être restaurée (implant dentaire).

Il reste le problème de la surveillance locale ; celle-ci ne pouvant être assurée par un examen clinique, elle doit faire appel à l’imagerie ; la qualité de l’exploration des tissus mous par l’imagerie par résonance magnétique permet de déceler une éventuelle récidive précoce.

Les prothèses obturatrices isolées ne trouvent leur place que dans le cadre d’un refus de traitement chirurgical ou dans le cadre d’une exérèse considérée comme limite où l’on repousse le temps de reconstruction par lambeaux libres.

En cas d’ostéoradionécrose postradique, il faut, par de multiples prélèvements, s’assurer de l’absence de récidive et préparer la reconstruction par un traitement antibiothérapique et un traitement d’oxygénothérapie hyperbare.

La chirurgie d’exérèse des séquestres et l’utilisation de lambeaux n’interviennent que secondairement. Les prothèses obturatrices trouvent leur place, soit dans le cadre d’un refus de traitement chirurgical du patient, soit dans le cadre d’un traitement d’attente, soit, et de façon délibérée, après une chirurgie carcinologique afin de permettre la surveillance de la cavité.

Conclusion :

Les CBNS sont des complications rares de la chirurgie dentaire.

Leur prise en charge est chirurgicale lorsque la fistule dépasse 5 mm de diamètre.

De nombreux lambeaux locaux permettent d’obtenir la fermeture avec succès en l’absence d’infection.

En carcinologie, elles sont liées aux exérèses chirurgicales des tumeurs du massif facial ; la reconstruction fait de plus en plus appel aux lambeaux libres en association avec les prothèses obturatrices.

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